Aux pays dévastés : la Martinique et Saint-Vincent/02

Seconde livraison
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VUE DE KINGSTOWN, CAPITALE DE SAINT-VINCENT. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE DE M. WILSON.


AUX PAYS DÉVASTÉS : LA MARTINIQUE ET SAINT-VINCENT[1]

PAR M. G. VERSCHUUR.


Ce qu’on fait à Saint-Vincent. — En longeant la côte. — Château-Belair. — Les cendres de la Soufrière. — Une pénible ascension. — Comparaison des cataclysmes à la Martinique et à Saint-Vincent. — Dans les bourgs détruits de Richmond et de Walibou. — L’éruption de septembre. — Dans les environs de Georgetown. — La culture des fruits dans les Antilles.



Après avoir vu toutes les misères et les horreurs d’un cataclysme sans pareil, d’une tuerie sinistre et atroce, je me repose trois jours dans une île idéale, la Trinidad, qui tranche avantageusement avec la terre que je viens de quitter. J’y trouve un hôtel des plus confortables, de bonnes voitures, des trams électriques, une police à l’européenne qui sait tenir le nègre en respect. Un excellent bateau-annexe du Royal Mail me conduit à Tabago d’abord, à Grenade ensuite, et, en dernier lieu, à Saint-Vincent, où une dévastation, pareille à celle de la Martinique, a détruit à peu près la moitié de l’île.

Saint-Vincent est une des plus petites îles des Antilles ; elle n’a que 27 kilomètres de longueur du nord au sud, et sa largeur moyenne n’est que de 17 kilomètres. Après avoir quitté la Grenade, on longe l’archipel des Grenadines, véritable chapelet d’îlots, à peine habités. La capitale de Saint-Vincent, Kingstown, se trouve à l’extrémité sud ; c’est une petite ville sans importance. En dehors de Château-Belair, sur la côte ouest, et Georgetown sur la cote est, l’île ne compte que quelques bourgs de très peu d’étendue ; sa population totale est un peu au-dessous de cinquante mille habitants. Autrefois, les plantations de sucre y étaient relativement prospères ; aujourd’hui, elles sont insignifiantes. Les planteurs se livrent principalement à la culture de l’arrow-root, dont la racine, réduite en fécule, est employée dans la fabrication du cacao et du chocolat, ainsi que dans quelques produits pharmaceutiques ; ce que l’île produit en manioc, en cacao et en fruits, est de peu d’importance. C’est à peine si un tiers est cultivé, une grande partie étant occupée par une chaîne volcanique qui, en maints endroits, représente le désert. Plusieurs sommets s’élèvent à une hauteur variant de 600 à 1 000 mètres ; le principal, la Soufrière, situé dans la partie nord, absolument au même point que le mont Pelé à la Martinique, atteint 1 130 mètres.

Les îles de Grenade et de Saint-Vincent n’ont qu’un seul gouverneur qui réside tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, le plus souvent dans la première. Pendant son absence, la direction des affaires est confiée à un administrateur qui occupe le palais du Gouvernement. Je m’empresse de rendre visite à M. Cameron, car le gouverneur, sir Robert Llewellen, est installé à Grenade en ce moment, et de lui remettre la lettre du ministère des Colonies de Londres, qui me recommande à son bienveillant accueil. M. Cameron se met de la façon la plus courtoise à ma disposition, et m’offre l’hospitalité de la Résidence.

Pour atteindre la zone dévastée, j’aurai à me rendre en bateau à la côte ouest, ou Côte sous le vent, jusqu’à Château-Belair, et en voiture, à Georgetown, sur la Côte du vent, en traversant la plus grande partie de l’île. J’aurai la société, cette fois-ci, non plus de l’aimable M. Lacroix, mais d’un savant allemand, M. Sapper, que j’avais rencontré déjà à la Martinique, et qui a été envoyé en mission dans les deux îles, après avoir visité les volcans du Guatémala. Nous nous sommes munis de provisions nécessaires, et nous partons de grand matin de Kingstown, dans un bateau à rames, conduit par de vigoureux rameurs.

En longeant de tout près la côte, je me rends compte tout de suite des terribles cataclysmes dont Saint-Vincent a été le théâtre dans les siècles reculés. L’île n’a été découverte par Colomb qu’en 1498, et l’histoire ne mentionne qu’une forte éruption en 1812. Ici, comme à la Martinique, on m’a montré des publications parlant de la Soufrière et du mont Pelé et les désignant sous le nom de volcans éteints !

BOMBE PROJETÉE PAR LE VOLCAN. (HAUTEUR 67 CENTIMÈTRES).

Nous passons devant des soubassements de laves de plusieurs mètres de hauteur, divisés en deux étages, et entre lesquels une couche de verdure indique nettement que des siècles se sont écoulés probablement entre la formation du premier plateau et celle du second. En certains endroits, la masse compacte contient des tufs, ainsi que de grosses pierres, des amas de cendres qui se sont consolidées, même des bombes dans le genre de celles que le volcan a projetées l’année dernière. Il est facile de reconnaître que ces anciennes éruptions ont été accompagnées d’importantes coulées de laves, ce qui, en 1902, ne s’est pas plus produit ici qu’à la Martinique.

Nous arrivons à Château-Belair. Il n’y a pas d’hôtel, mais un refuge que les Anglais désignent sous le nom de resthouse. C’est un établissement très propre, servant de résidence pour le rare étranger qui se présente, en même temps que de bureau de police et de bureau de poste et télégraphe. Un serviteur complaisant me conduit dans une chambre convenable, déballe mes provisions et complète le menu de mon dîner par des œufs frais et du thé. Le géologue allemand reçoit l’hospitalité d’un pasteur wesleyen, établi dans la localité, et passe la soirée avec son hôte à préparer les détails de l’ascension de la Soufrière pour le lendemain. N’ayant ni l’endurance de l’alpiniste, ni le désir ou le courage de me risquer dans une expédition aussi dangereuse, je les accompagnerai jusqu’à un certain point. Je me trouve à la première lueur de l’aube devant l’appontement où l’embarcation nous attend.

LA RÉGION DÉVASTÉE DE L’ÎLE DE SAINT-VINCENT

Encore une côte de laves, de basaltes qui est suivie, un peu plus loin, de plateaux pleins de cendres, émaillés des restes de deux usines, détruites par l’éruption du 7 mai. Les bateliers nous déposent dans une anse, et nous escaladons une paroi, composée de cendres plus ou moins consolidées, et dans laquelle nous taillons des marches au moyen de bâtons et de pics. Le sommet du volcan est caché par des vapeurs, et les pentes de la montagne s’allongent sous une couche épaisse de cendres, lesquelles, du reste, couvrent toute la plaine. Ces cendres sont d’une couleur généralement grise, d’une nuance assez foncée à certains endroits, et proviennent des dernières éruptions. Celles du 7 mai avaient absolument la teinte gris-perle des cendres du mont Pelé, lesquelles, pendant les éruptions ultérieures, ont toujours été de la même couleur et présentent toutes, au toucher, une subtilité étonnante : on croirait toucher à de la poudre de riz. Beaucoup de cendres de la Soufrière, des mois de juin, septembre et octobre, ressemblent à des grenailles ; j’en ai ramassé dans les environs de Georgetown qui faisaient l’effet de plombs de chasse. Depuis mon retour en Europe, il y a eu encore une assez forte éruption à Saint-Vincent ; c’était le 22 mars. Le gouverneur m’a envoyé un échantillon des cendres tombées dans la ville de Kingstown même ; celles-là sont toutes fines, presque noires, et ont un léger reflet métallique.

Je reste en stupéfaction devant le désert qui s’étend de tous côtés, et je vais pendant une heure ou deux, dans différentes directions, tout en me méfiant des fentes qui se sont produites dans le sol. Les pluies torrentielles de l’été et de l’automne ont fortement raviné et fendillé la couche énorme de cendres qui s’étend à perte de vue ; elles ont créé, en certains passages, de véritables petits ravins. Mes compagnons m’ont quitté depuis longtemps, un sac sur l’épaule et le bâton ferré à la main. Je regagne la plage, et mes bateliers, après m’avoir reconduit à Château-Belair, reçoivent l’ordre de retourner à l’anse pour attendre le retour des ascensionnistes.

Château-Belair, que l’éruption du 7 mai avait épargné, en s’arrêtant à 3 kilomètres plus au nord, a été moins heureux, quinze jours plus tard. Une pluie de « lapillis » et de pierres a démoli tous les toits, lesquels toutefois, à mon passage, étaient pour la plupart remplacés. Il n’y a pas eu de morts, rien qu’un petit nombre de blessés, La dévastation de Saint-Vincent, qui a la forme d’un œuf, se décrit par une ligne presque droite, tracée de l’ouest à l’est. Toute la partie nord, que j’évalue à 45 pour 100 de l’île, est complètement ravagée ; la partie sud, soit 55 pour 100, est indemne. La superficie dévastée est évaluée à 48 milles carrés par le professeur Hovey, tandis que pour la Martinique, il en compte 36. Le mille anglais est de 1 609 mètres.

Cette estimation, par rapport à la Martinique, me conduit à l’observation que généralement on se fait une idée bien exagérée de la dimension de la partie détruite. En somme, cette partie dévastée est à la superficie totale de la Martinique ce que la Bretagne et une grande partie de la Normandie sont à la superficie totale de la France.

Vers le coucher du soleil, interrogeant l’horizon, j’aperçois, au détour d’une falaise, le bateau qui ramène les deux vaillants explorateurs. Ils sont brisés de fatigue, couverts de sueur et non moins de cendres, mais sains et saufs. Pendant que M. Sapper dépose son sac, qui contient des matières volcaniques ramassées dans le cours de l’expédition et qui pèse au moins 25 kilos, il me raconte les péripéties de leur périlleuse ascension. Le cratère, dont avec son compagnon il a pu faire presque tout le tour, s’est montré clément, en ce sens qu’une brise, chassant les vapeurs, en a découvert les parois. C’est bien du plus ancien, du grand cratère, que sont parties les éruptions. La bouche a environ 5 kilomètres de tour et 150 mètres de profondeur ; le fond était occupé antérieurement par un lac de couleur laiteuse. Bien que les éruptions de mai l’aient vidé, un nouveau lac s’est formé depuis, dont on évalue la hauteur à 600 ou 630 mètres au-dessus du niveau de la mer. La couleur de l’eau est noirâtre à la suite de la masse de cendres qui y a été déversée, A quelque distance du grand cratère, il s’en trouve un plus petit ; c’est de celui-là que provenait l’éruption de la Soufrière, en 1812, la dernière avant le grand cataclysme de 1902.

M. Sapper avait constaté la présence de plusieurs fumerolles dans les environs du cratère, et s’était trouvé à certain endroit entouré de vapeurs asphyxiantes. Les mêmes constatations avaient été faites par les savants américains, les professeurs Hovey et Heilprin qui, tous les deux, ont fait l’ascension de la montagne à plusieurs reprises, pendant leur séjour en mai et en juin.

Ceux-ci ont affirmé, dans leurs rapports, que la grande éruption du 7 mai à Saint-Vincent a été absolument pareille à celle de la Martinique du 8, au point de vue des gaz projetés par les deux volcans. S’il y avait eu à proximité de la Soufrière une ville importante, comme c’était malheureusement le cas dans les environs du mont Pelé, cette ville aurait été détruite et pulvérisée comme Saint-Pierre, et pas un seul de ses habitants n’aurait survécu : voilà l’unique raison pour laquelle le nombre des victimes a été relativement restreint. Il n’y avait, à différentes distances, que quelques hameaux insignifiants, dont les habitants ont péri, tandis que de ceux qui se sauvèrent dans la direction de Georgetown, les uns succombèrent dans leur fuite et les autres ne purent atteindre la côte qu’atrocement brûlés. Parmi ces derniers, il y en a qu’on a pu guérir tant bien que mal, mais la majorité a succombé après d’atroces douleurs.

Les matériaux projetés par la Soufrière contenaient, comme à la Martinique, des fragments de roches supérieures ainsi que de la lave, mise en mouvement par le bouillonnement intérieur. La quantité de pierres et de tufs a été plus importante à Saint-Vincent, quoique la dimension des blocs n’ait pas atteint le volume de ceux projetés par le mont Pelé. M. Hovey a trouvé entre la Rivière-Sèche et la Rivière-Blanche un bloc mesurant 7 mètres de hauteur sur 10 de long et 7m50 de large. M. Heïlprin émet l’avis que ce bloc provient de l’éruption du 6 juin, et lorsque, le 25 juin, M. Hovey l’a mesuré, la chaleur l’empêchait de le toucher, Mais dans les deux îles il y a eu une émission formidable de conglomérats, auxquels on a donné le nom de bombes. Ces bombes, variant de quelques centimètres à 1 mètre d’épaisseur, ont été projetées jusqu’à une distance de 800 mètres, suivant les savants américains, de 500, suivant M. Lacroix ; j’en ai vu une à la Martinique pesant 150 kilos et une autre, à Saint-Vincent, de 130. Au sortir des cratères, elles se trouvaient à l’état pâteux, comme le pain prêt à être introduit dans le four. Bientôt refroidies, elles se craquelaient et présentaient les fentes les plus bizarres.

LA SOUFRIÈRE DE SAINT-VINCENT EN ÉRUPTION, 18 MAI 1902. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Quant à la quantité de cendres tombée sur l’île de Saint-Vincent, elle est de beaucoup supérieure à l’avalanche qui a couvert le nord de a Martinique. J’en parlerai plus tard en explorant les environs de Château-Belair. Un navire anglais, se trouvant à 275 milles au sud, huit heures après l’éruption du 7 mai, en a reçu 1 demi-centimètre sur le pont, et un voilier américain presque 1 centimètre, lorsque, le lendemain de l’éruption du 6 juin, il se trouvait à 102 milles à l’ouest de la Martinique. Pendant trois heures, ce navire a traversé un nuage de poussière. M. Hovey, qui était à Georgetown le même jour, a observé ce nuage et estime qu’il s’élevait à une hauteur de plus de 2 000 mètres au-dessus de la mer. Des chocs produits par l’éruption ont été ressentis jusqu’à Saint-Kitts et à la Trinidad.

ENTRE GEORGETOWN ET LA SOUFRIÈRE. AMAS DE CENDRES ET DE DÉBRIS VOLCANIQUES. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE DE M. WILSON.

Le gouverneur, que j’ai eu l’honneur de rencontrer plus tard à l’île de Grenade, m’a raconté que, le 7 mai, il se trouvait assis à son bureau, lorsque la première détonation de la Soufrière retentit. Il s’imaginait que c’était un navire de guerre, arrivé inopinément, et tirant son coup de canon réglementaire. Mais bientôt, les détonations se succédant, il demanda à la personne qui travaillait avec lui, d’aller se rendre compte « s’il y avait toute une escadre ! » Il y a encore divergence d’opinions entre les savants au sujet de l’élévation à laquelle ces cendres ont été projetées dans les airs, et les affirmations des rares observateurs qui ont assisté, dans les deux îles, à la projection formidable de ces matières, n’émanent pas de personnes suffisamment compétentes pour en préciser la trajectoire. Ce qui est incontestable, c’est que ces cendres ont été lancées à une hauteur prodigieuse et que, franchissant la limite des vents alizés, elles ont passé au-dessus de cette zone, pour être poussées ensuite dans une direction tout à fait opposée. Si elles ne s’étaient élevées qu’à une hauteur moyenne, les vents qui règnent dans la chaîne des Antilles les auraient menées vers l’ouest, et c’est justement la Barbade, située à l’est, qui en a été le plus inondée. Un médecin de cette île, stupéfait de la quantité de cendres qui tombait sur sa propriété, étala un drap de lit sur la pelouse de son jardin. Le surlendemain, après avoir recueilli et pesé la masse grise qui couvrait son drap, il fit facilement le compte, en comparant la superficie de sa nappe à celle de la Barbade, de la quantité de cendres qui avait dû tomber dans le même laps de temps sur l’île entière. Son calcul a été de 2 millions de tonnes. Sainte-Lucie, située au nord-est de Saint-Vincent, a reçu les cendres tout aussi bien de la Soufrière que du mont Pelé, et lors de la grande éruption du 3 septembre de la Soufrière, la moitié de la Martinique resta pendant toute la matinée du lendemain plongée dans une demi-obscurité à la suite de l’immense nuage de poussière que lui envoyait Saint-Vincent.

J’ai un mot d’introduction pour un planteur, établi provisoirement près de Château-Belair, et dont la propriété a été partiellement dévastée par le désastre du 7 mai. Cet aimable propriétaire, M. Macdonald, le même qui a accompagné M. Hovey dans sa première ascension de la Soufrière, veut bien me conduire à cheval dans la zone qui s’étend au nord du village. Nous visitons les endroits où se trouvaient jadis les bourgs de Richmond et de Walibou sur les rivières qui portaient les mêmes noms. Il ne reste plus trace ni des rivières, ni des villages, tout a été enseveli et comblé de cendres, après que le feu eut dévoré les maisons dans une conflagration aussi furieuse que celle de Saint-Pierre. Cependant, dans cette région, les habitants ont pu se sauver à temps, à l’exception d’un petit nombre de malheureux qui ont péri.

Dans les deux localités, je vois les restes de sucreries, dont quelques pans de murs seuls sont debout, et dont la ferraille tordue et rouillée émerge du chaos. Tout près de l’usine de Richmond, se dressent les ruines de l’habitation du propriétaire. Nous avons, à certains endroits, de véritables dunes à escalader ; les cendres ont atteint des hauteurs inimaginables. M. Macdonald m’en montre qui peuvent bien avoir une douzaine de mètres. La plupart de ces monticules s’élèvent comme de petits pitons sur un terrain autrefois complètement plat ; plus loin j’observe d’immenses nappes de cendres, boursouflées d’ondulations et présentant de larges et profondes fissures produites par les pluies torrentielles des derniers mois de l’année. Elles ont été transformées, en d’autres endroits, par les pluies d’abord, et par un ardent soleil ensuite, en un mortier dur et résistant. C’est un spectacle tout à fait différent de ce que présentent les environs du Prêcheur, qui ressemblent plutôt à certaines plaines africaines. Des rivières qui existaient dans ces parages, il ne reste plus aucune trace. Elles ont été remblayées par les apports des nuées ardentes, augmentées sans doute par l’action du vent qui a chassé dans les dépressions toutes les cendres tombées sur les pentes voisines. Il s’est produit dans cette région, et en particulier à Walibou, de curieuses explosions secondaires, dues à l’arrivée des eaux pluviales sur ces matériaux meubles, ayant conservé une haute température. Les passagers d’un bateau du Royal Mail, longeant la côte à la fin de mai au moment d’une de ces explosions, ont cru assister à des coulées de laves se précipitant dans la mer.

RESTES DE LA SUCRERIE DE WALIBOU, PRÈS DE CHÂTEAU-BELAIR. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mon cicerone me donne beaucoup de détails sur la série des cataclysmes qui, pendant des mois, se sont abattus sur l’île, qu’il n’a pas quittée, et qu’il a parcourue dans différentes directions depuis la première éruption de mai. Toute la partie nord a été détruite et peut se comparer à un immense terrain vague ; c’est là qu’habitaient encore les descendants de la vieille race caraïbe, dont quelques rares représentants se trouvent aussi à Sainte-Lucie et à la Dominique. Le 7 mai et les jours suivants, la pluie d’eau bouillante et de cendres n’a, pour ainsi dire, pas discontinué. L’eau de la mer était tellement chaude dans les parages de Saint-Vincent qu’un batelier a rapporté que, se trouvant à 2 milles de distance de la côte nord, il a failli se brûler la main, en voulant se rendre compte de sa température. D’immenses quantités de poissons morts formaient, à la surface, des traînées de plusieurs milles. Ils ont dû être tués, comme à la Martinique, par des éruptions sous-marines.

ÉRUPTION À SAINT-VINCENT. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les éjections du volcan, en septembre, ont été de différentes natures. En dehors des « lapillis » et des cendres, des pierres et des conglomérats, on a vu descendre du principal cratère un véritable torrent de matière jaunâtre, consistant principalement en soufre. Cette masse liquide a dévalé de la montagne en multiples zigzags et s’est engouffrée dans la mer en produisant, en raison de l’élévation de sa température, un sifflement sonore et des nuages de vapeur. La mer était jaune sur un immense espace et ressemblait, la nuit, à une rivière d’argent. D’après un voyageur que j’ai rencontré à Sainte-Lucie, et qui se trouvait à bord d’un paquebot anglais, la vue des masses liquides, dégringolant des flancs du volcan, était d’un effet merveilleux. La lune et les étoiles les éclairaient d’un reflet argenté ; on se serait cru dans une station de la Suisse où, la nuit, la cascade est illuminée à l’aide de feux de Bengale. Au premier abord, cette matière en fusion était prise pour des coulées de laves ; ce n’est que plus tard qu’on a appris que dans aucune des éruptions de l’année dernière, des flots de laves ne sont sortis ni de la Soufrière, ni du mont Pelé.

Les détonations qui ont accompagné ces éruptions du mois de septembre ont été tellement violentes qu’à Kingstown les habitants étaient terrifiés, tandis que la décharge électrique, se dégageant des nuages de vapeur, était supérieure en force à celles des 7 et 18 mai.

Bien que toute la zone que je parcours ne représente qu’une plaine où toute végétation a disparu, où les arbres ont été fauchés et balayés comme par le plus impitoyable des cyclones, je remarque un fait bizarre que j ai observé également dans les environs de Saint-Pierre. Non loin de Château-Belair, quelques arbres ont sur un côté les branches coupées au ras du tronc, tandis que de l’autre un feuillage verdoyant garnit les rameaux : la vie d’un côté, la mort de l’autre.

SAINT-VINCENT. L’ANCIENNE ROUTE DE WALIBOU À LA SOUFRIÈRE. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE DE M. WILSON.

Ce qui m’a beaucoup étonné, c’est que le Gouvernement anglais ne s’est pas, jusqu’aujourd’hui, décidé à suivre l’exemple de la France, en installant dans l’île de Saint-Vincent des postes d’observation. La connexité des deux volcans n’offrant plus de doutes, les observations à faire à la Martinique et à Saint-Vincent se compléteraient, et, d’une île à l’autre, l’éveil serait réciproquement donné. Je viens d’apprendre que M. Lacroix s’est prononcé pour l’installation d’un poste à la Guadeloupe, où plusieurs manifestations sismiques ont été constatées ces derniers temps.

Si la corrélation entre les nombreux tremblements de terre qui ont troublé une grande partie du continent américain en 1902, et les éruptions du mont Pelé et de la Soufrière sont indiscutables aujourd’hui, et si tant de phénomènes sismiques, observés d’avril à septembre dans les régions les plus éloignées de l’endroit qui nous occupe, prouvent une fois de plus qu’il y a connexité étroite entre les manifestations qui se sont produites à des milliers de kilomètres de distance, il s’agit, avant tout, de contrôler autant que possible les avertissements provenant de la série d’îlots rapprochés, dont le chapelet commence à la Grenade et se termine à l’extrémité nord des îles Sous-le-Vent.

LA SOUFRIÈRE, CÔTÉ SUD-EST. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Sainte-Lucie, placée en ligne droite entre Saint-Vincent et la Martinique, a été épargnée l’année dernière, bien que son ancienne soufrière ait donné certains signes d’activité, et à la Dominique la population a été surprise à différentes reprises par des manifestations plus ou moins alarmantes. Il paraît donc logique qu’on surveille, par tous les moyens dont dispose la science, ce qui se prépare dans l’intérieur de ces terres volcaniques, de façon à pouvoir, dans la limite du possible, donner un avis du danger qui menace Îles habitants.

Comme à la Martinique, on a créé à Saint-Vincent des refuges pour les sinistrés, en forme de petits villages. J’en ai aperçu trois en longeant la côte entre Kingstown et Château-Belair, contenant environ une centaine de cases ; ces agglomérations sont installées, d’après les renseignements que j’ai eus, sur le principe qu’a choisi M. Lemaire. Dans l’un de ces refuges, on a hébergé les sinistrés de Richmond. La charité du monde entier s’est manifestée pour Saint-Vincent comme pour la Martinique : mais je manque de détails sur la manière dont la répartition des secours s’est opérée dans l’île britannique. D’un autre côté, si, autant que je sache, le Gouvernement français ne s’est pas empressé de faire voter une somme suffisante pour venir en aide aux sinistrés de sa colonie, l’Angleterre s’est occupée sérieusement de ceux, qui, d’un jour à l’autre, ont vu leurs propriétés dévastées, leur gagne-pain détruit. Le propriétaire d’une des usines sucrières, dont j’ai vu les restes, a reçu un secours de 600 £, soit 15 000 francs, plus 170 hectares de terrain. En outre, on lui a cédé l’usine, non entièrement détruite, d’un autre planteur qui a péri dans la catastrophe, tout en payant aux enfants du défunt une somme équivalant à la valeur de l’entreprise et des terrains. Le Gouvernement anglais a l’habitude, du reste, de s’occuper de ses colonies et de ses colons ; je n’ai qu’à rappeler que, lors du dernier grand cyclone à l’île Maurice, le Parlement, réuni aussitôt, votait l’envoi de 25 millions de francs. En 1891, lorsque pareil cataclysme s’est produit à la Martinique, la métropole prêtait quelques millions, remboursables en annuités, d’après ce qu’on m’a affirmé à Fort-de-France.

SAINT-VINCENT. TORRENT DE BOUE INCANDESCENTE DESCENDANT JUSQU’À LA MER. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Après avoir exploré la zone à peu près abordable de la région où je me trouve, je me décide à retourner à la capitale. En longeant de nouveau cette côte et en examinant les falaises qui la bordent, les couches énormes et superposées de laves et de conglomérats devant lesquelles passe mon embarcation, j’arrive à la conclusion que le cataclysme de 1902, quelque effrayant qu’il ait été, ne peut, être comparé aux terribles bouleversements dont cette terre a été le théâtre dans les temps reculés. À la Martinique, j’ai fait la même réflexion en jetant les yeux sur les nombreux massifs montagneux, groupés autour des anciens foyers de soulèvements volcaniques, auxquels l’île doit son origine. La Guadeloupe, la Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, se trouvent dans le même cas ; mais cet archipel n’étant connu que depuis quatre siècles, l’histoire est muette au sujet des perturbations titaniques qui en ont remué le sol.

La Soufrière, en guise de salut, veut bien me donner une preuve que son activité ne s’est pas encore calmée ; au moment où elle va disparaître à mes yeux, j’aperçois un nuage dense s’élever du cratère, se développer en d’épaisses volutes qui ont l’air de rouler le long des flancs du volcan. Les Anglais ont baptisé ces nuages du nom de cauliflower (chou-fleur), et la comparaison est assez bien choisie, étant donnée la forme qu’ils ont en sortant de la montagne.

Georgetown, situé sur la côte est, c’est-à-dire la Côte du vent, est difficile à atteindre par mer. Les vagues déferlent généralement avec impétuosité sur les falaises qui forment une ceinture autour de cette partie de l’île et rendent le débarquement extrêmement difficile. On y arrive par une route assez bonne, longue d’une vingtaine de kilomètres. M. Cameron a eu l’obligeance de s’occuper de moi, et la voiture qui me conduit restera à ma disposition pour le temps que je consacrerai à ma tournée. Un fonctionnaire de Kingstown, qui déjà s’est rendu plusieurs fois dans la région dévastée, et qui même a failli être la victime d’une éruption, dans une excursion aux environs de Château-Belair, se décide à m’accompagner. Sa compagnie m’est d’autant plus utile et agréable qu’il peut me donner de nombreux renseignements, et qu’il connaît à merveille la zone que je vais parcourir.

Elle est vraiment ravissante, cette petite île de Saint-Vincent : je ne tarde pas à m’en rendre compte, en sortant de la ville, et en suivant un chemin qui escalade les zigzags des collines, dont de charmantes fleurs aux tons variés diaprent les ondulations. Tout étonné de voir les ruines d’une fabrique à peu de distance encore de la capitale, et bien avant d’atteindre la limite des dévastations, j’apprends que ces dégâts ont été occasionnés par un tout autre cataclysme qui a frappé l’île, il y a quatre ans. C’est que ces pauvres Antilles n’ont pas seulement le feu des volcans suspendu sur leurs tètes comme l’épée de Damoclès, mais que, périodiquement, des ouragans terribles les assaillent et les ravagent. La fabrique en question a été détruite par un puissant cyclone qui a passé, en 1898, au-dessus d’une grande partie de l’île, tuant six cents habitants, broyant nombre de maisons et démolissant seize églises sur les dix-huit que possédait la colonie ; des bancs de corail furent arrachés du fond de la mer et lancés sur le rivage. La Martinique également, et plus même que Saint-Vincent, a eu à subir plusieurs fois les impitoyables ravages des cyclones. J’y passais quelques mois après celui de 1891, le dernier qui dévasta le pays, tua trois cents personnes, et causa des dégâts évalués à près de cent millions. Fort-de-France et Saint-Pierre ressemblaient à des villes saccagées par un bombardement. Le plus épouvantable ouragan dont les Antilles aient gardé le souvenir fut celui de l’année 1780. Il y en eut même deux dans cette année, se succédant à six semaines d’intervalle. C’est encore la Martinique qui, à cette occasion, fut la plus éprouvée, bien que la Guadeloupe, Sainte-Lucie et Saint-Vincent aient été dévastés en partie. Rien qu’à la Martinique, neuf mille personnes périrent, dont mille à Saint-Pierre, où pas une maison ne resta debout. La mer s’était élevée à plus de 8 mètres par l’effet d’un raz de marée, balayant d’un seul coup cent cinquante habitations. À Fort-de-France, la cathédrale, sept autres églises et cent quarante maisons furent détruites de fond en comble ; plus de cinq mille malades furent ensevelis sous les décombres de l’hôpital.

Et voici encore les cendres qui commencent, quand nous approchons de Sans-Souci ; elles vont en augmentant au fur et à mesure que nous avançons vers Georgetown. Il n’y a pas plus d’hôtel ici qu’à Château-Belair, mais il y a le resthouse, où j’aurais pu trouver un refuge suffisamment confortable, si mon aimable compagnon de route, lié d’amitié avec un habitant de Kingstown, n’avait sollicité la faveur d’occuper la villa que cet ami y possède au bord de la mer. Les domestiques ont été prévenus, nous nous installons dans une maison luxueuse et déballons le panier de provisions que nous avons emporté. Néanmoins, tout ce qu’il m’a été donné de voir dans les environs de Georgetown, au cours des excursions que nous y avons faites, peut s’appeler « du déjà-vu » : des cendres, et toujours des cendres, tantôt pareilles à toutes celles que mon pied a foulées ces derniers temps, tantôt plus granuleuses et ressemblant à des grains de plomb. Mêmes plaines macabres et dénudées, où quelque arbre, dépourvu de ses branchages, apparaît comme un spectre ; mêmes ruines éparses dans la solitude, Et cependant, la puissance de la sève tropicale, j’en suis convaincu, ne tardera pas à se manifester ; de-ci, de-là, un tronc de bananier, démoli par la tourmente, se met à repousser ; les cendres, délayées par les pluies, et constituant dans ces pays volcaniques des tropiques un humus incomparable, se couvrent tout doucement en maints endroits de petites pousses, de mousses, d’arbustes, et dans un avenir prochain, ces tristes plateaux noirs et gris, où la mort semble régner, seront recouverts d’une toison de verdure et formeront de nouvelles plantations.

PITONS DE CENDRES DU CÔTÉ DE CHÂTEAU-BELAIR. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Ne voit-on pas la vanille à Bourbon, la canne à sucre à Maurice, le café à Java, pousser vigoureusement au milieu des laves et des scories que les volcans ont vomies dans les siècles écoulés ? Ne désespérons donc pas de l’avenir de ces malheureux pays, cruellement éprouvés aujourd’hui, pour peu que les feux souterrains veuillent bien se reposer longtemps, se contentant de la misère qu’ils ont semée au milieu de populations sans défense.

Pendant mon arrêt à Georgetown, j’ai l’occasion de me trouver en présence de quelques victimes des éruptions de mai ; elles ont été affreusement brûlées ; mais, recueillies à l’hôpital du village, elles ont pu guérir de leurs blessures, grâce à la sollicitude et aux bons soins qui les entouraient. Leurs faces défigurées étaient effroyables à voir, les infirmiers de l’hospice eux-mêmes ont reculé d’épouvante en les apercevant. Les blessures ont été, dans la plupart des cas, causées par un fin gravier brûlant qui, lancé en l’air avec une rapidité inimaginable, perçait la peau et se logeait sous l’épiderme. Une vieille négresse m’affirma que le 7 mai, beaucoup de personnes avaient été écrasées à 6 et 8 kilomètres du cratère par des pierres énormes. L’une de ces pierres aurait même tué dix personnes qui s’étaient réfugiées dans une case. Cette même femme venait de visiter un terrain, préservé lors de la première éruption et inondé de sable brûlant dans la catastrophe du 18, sans qu’elle ait pu y constater la moindre trace de pierres. Elle estimait la hauteur des cendres dans ce terrain à un mètre environ ; elles couvraient tout l’arrow-root qui s’y trouvait en culture, et les plantes étaient brûlées jusqu’à la racine.

Deux journées bien tranquilles à passer au Gouvernement, avant que le paquebot, qui doit me reconduire à Grenade et à la Trinidad fasse son apparition : je les ai vraiment méritées après tant d’excursions fatigantes. La Résidence confine au Jardin botanique de Kingstown, qui a la juste réputation d’être un des plus beaux des Antilles ; j’y fais de fréquentes promenades sous l’ombre de la puissante végétation tropicale, admirant avant tout la superbe collection de palmiers-éventails.

J’eus l’occasion, à Saint-Vincent, d’être présenté à un Anglais qui parcourait depuis trois mois les petites îles des Antilles dans le but d’une propagande qui m’a paru fort intéressante et qui pourrait servir d’exemple en France. Quelques semaines plus tard, retournant en Europe, je m’embarquai avec lui sur le même paquebot, ce qui m’a permis, en cours de route, de recueillir d’utiles renseignements sur la campagne qu’il venait de faire. Se préoccupant du manque de développement, on pourrait dire de la décadence, de la plupart de ses petites colonies dans l’Amérique centrale, l’Angleterre ne demande qu’à leur donner un bon coup d’épaule et à pousser les populations à la culture des produits, principalement des fruits, dont on peut tirer parti dans la mère patrie et dont la consommation en Europe et en Amérique augmente d’année en année, M. S…, le voyageur dont je parle, chargé d’une mission de son Gouvernement, s’était arrêté à la Dominique, à Sainte-Lucie, à Grenade, à Saint-Vincent, à Antigua et à Saint-Kitts, et, après s’être entendu avec les gouverneurs, y avait tenu des conférences et publié des annonces dans les feuilles locales, au sujet de l’avantage que pourraient retirer ces petites colonies d’une culture assidue et raisonnée des différents fruits qui trouveraient en Angleterre un débouché permanent. Le concours des compagnies de bateaux à vapeur de Londres étant acquis tant pour la réduction du fret que pour l’installation à bord de certains appareils frigorifiques, il ne dépendait que des habitants de se créer des ressources appréciables et de contribuer, en même temps, au relèvement de leurs pays, plongés dans un malaise incontestable, depuis que la culture de la canne à sucre, pour des motifs suffisamment connus, ne donne plus les résultats d’autrefois.

Le principal article sur lequel M. S. appelle l’attention, c’est la banane, dont le transport est des plus faciles, à la condition qu’on prenne exemple sur la Jamaïque, les Canaries et autres pays, et qu’on ne coupe et n’embarque le fruit que suivant l’expérience acquise, au point de vue de la maturité. Mais, en dehors de ce fruit savoureux et de plus en plus apprécié, il y a l’orange, l’ananas, — même la mangue, dont le transport était, il n’y a pas encore longtemps, considéré comme impossible, et qu’on est arrivé, aujourd’hui, à importer en Europe dans de bonnes conditions.

NÈGRES ET NÉGRESSES TRANSPORTANT DES RÉGIMES DE BANANES. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L’exemple qu’a donné la Jamaïque est saisissant. Comme tant d’autres, cette île décroissait considérablement depuis plusieurs années. Il a fallu l’énergie des planteurs, secondée par le puissant appui du gouverneur précédent, pour faire revivre entièrement cette colonie. Abandonnant presque complètement la canne à sucre, on s’est mis à planter, dans d’énormes proportions, le bananier ; les États-Unis ont été d’abord les principaux clients, l’Europe n’a pas tardé à suivre, et, à l’heure qu’il est, l’exportation annuelle s’élève à trois millions et demi de régimes de bananes. Je ne citerai que pour mémoire l’exportation de 100 millions d’oranges et d’un nombre fantastique d’ananas par an. J’étais stupéfait, au mois de mars dernier, en parcourant la Jamaïque, où je n’avais pas remis les pieds depuis vingt ans, de comparer le pays d’autrefois à la colonie florissante d’aujourd’hui, de trouver dans la capitale, à la place de la modeste auberge où j’étais descendu dans le temps, deux grands hôtels à l’européenne, différentes lignes de tramways, un mouvement considérable, une ville, en somme, occupant six fois l’emplacement dont j’avais gardé le souvenir et attirant annuellement une avalanche de touristes, tant d’Amérique que d’Angleterre, Un vieux résident, à qui je manifestais ma surprise de voir ce pays tellement transformé dans cette période relativement courte, me répondit laconiquement : « Ce n’est qu’à la culture du bananier que nous devons tout cela, ainsi qu’au gouverneur, Sir Henry Hake, qui a fait construire de bonnes routes partout.

Une des variétés les plus appréciées sur les marchés américains est la banane de la Martinique, savoureuse par excellence, et la Martinique est précisément la seule des Antilles qui n’en exporte pas. Je ne prétends nullement apprendre quelque chose de nouveau aux autorités compétentes ; plusieurs auteurs ont déjà soulevé la question que je viens de traiter, et dans certaines colonies les pouvoirs publics ont appelé l’attention des planteurs sur la culture du bananier. Mais est-il superflu de mentionner, avec chiffres à l’appui, les résultats obtenus par la Jamaïque, aujourd’hui que la pauvre Martinique a besoin, plus que jamais, de se relever, et que ses centres de culture, intelligemment ouverts par le gouverneur, M. Lemaire, se prêteraient à des essais dont l’importance saute aux yeux ? Ce qu’il faudrait obtenir en même temps, c’est le concours des bonnes compagnies de navigation ; car il est nécessaire qu’elles donnent à leurs paquebots les installations appropriées au transport des fruits entre les Antilles et l’Europe.

G. Verschuur.


CÔTE EST DE L’ÎLE, À UNE CERTAINE DISTANCE DE GEORGETOWN. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
  1. Suite. Voyez page 433.