Aux héros des Thermopyles

AUX HÉROS
DES THERMOPYLES,
Élégie,
Dédiée à M. Casimir Delavigne
PAR M. JULES BARBEY.
cassius.
La liberté n’est plus !
brutus.
Elle est prête à renaître !…
(Mort de César, Scène iii, Acte ii Volt.)
Paris,
A. J. SANSON, LIBRAIRE,
Palais-Royal, galerie de Bois.
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année 1825.

C’est l’état présent de la patrie des Beaux-Arts, qui a inspiré ces essais à une muse de quinze ans et demi. Aimant passionnément la poésie, la cultivant dès l’âge le plus tendre, c’est pour les fils des héros de Marathon que j’ai fait résonner une lyre qui paraîtra peut-être discordante à ces oreilles accoutumées aux beaux vers de M. Delavigne. Mais si mon Élégie ne prouve pas du talent, du moins elle prouvera du zèle, et c’est en faveur de ce zèle que je réclamerai l’indulgence que mon âge et mes faibles moyens me mettent en droit d’espérer.

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À MONSIEUR
CASIMIR DELAVIGNE,
comme un tribut d’admiration
Jules Barbey.
Ce 12 octobre 1824.

Monsieur,

Je vous remercie de vos beaux vers, et encore plus de l’hommage que vous m’en faites. Il m’est doux de vous croire, et de penser que mes ouvrages ont pu nourrir en vous cet amour pour la poésie qui promet aux amis des Lettres des plaisirs de plus. Je n’ai remarqué dans votre Élégie aucune faute grave. J’y trouve de l’harmonie et de la chaleur ; et je pense qu’on ne peut trop vous encourager à cultiver un art, où vos premiers essais donnent de si hautes espérances.

Croyez à tous mes vœux pour vos succès et agréez l’assurance de ma considération très distinguée.

Casimir Delavigne.
Fleury, ce 14 Octobre.
AUX HÉROS
DES THERMOPYLES,
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Élégie,

Ils ne sont plus, ces enfants de la gloire,
Ces vieux martyrs de la valeur !
Pour la première fois, trahis par la victoire,
Ils sont tombés aux champs d’honneur !


La Grèce, admirant leur vaillance,
L’œil en pleurs, se consume en regrets superflus,
Et le Perse étonné de tant de résistance,
Fier d’un premier succès, répète : Ils ne sont plus !


Non, non, ils ne sont plus !… quand leur chef intrépide
D’un front serein bravait la mort…
Ils avaient tous juré que le fer homicide
Seul, déciderait de leur sort…
Ils l’avaient tous juré !… périssant pour leurs frères,
Certains de les sauver ! ils expiraient contents ;
Et le tranchant des cimeterres
Les dégagea de leurs serments !


Ô Mânes des Trois Cents, recevez mon hommage !
Héros, dont le courage
Méritait des autels !
Votre gloire, avec vous n’est pas ensevelie !…
Car en mourant pour la patrie,
Vous mourez pour naître immortels !

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Hélas ! paraîtront-ils ces jours d’ignominie,
Ces jours de honte et de douleur,
Où des Trois Cents fameux on verra la patrie
Se courber devant un vainqueur !  !  !
Dieux ! le permettrez-vous… déjà sur son rivage,
L’Eurotas a revu de nouveaux bataillons…
Et Sparte aussi, du milieu du carnage,
Voit le sang de ses fils abreuver leurs sillons !  !  !


Ô rage, ô désespoir ! j’ai vu les murs d’Athènes
Crouler devant des Ottomans !
J’ai vu ces barbares tyrans
Déchirer le pays où naquit Démosthènes !
De ta patrie, ô toi, qui fus le noble orgueil !
Qui la sauvas aux yeux de là terre étonnée,
Ah ! j’entends frémir, enchaînée,
La liberté sur ton cercueil !…


Si je ne devais pas mon bras à ma patrie,
À Charle, aux Bourbons, à mes rois,
Grèce, j’irais aussi sur ta terre chérie,
Essayer mon épée, et défendre tes droits !
Alors, si j’expirais dans ces jours de victoire,
Qui nous rappellent Marathon !
Que je mourrais heureux ! puisqu’à jamais la gloire
De l’oubli sauverait mon nom !


Mais mon sang tout entier coulera pour la France !…
Pour toi, peuple, que ta vaillance
Abatte les fiers Musulmans !
Rempli de tes aïeux, montre un même courage,
Et tu verras s’enfuir le hideux esclavage,
En traînant après lui tes fers et tes tyrans !


Réveillez-vous, Guerriers ! déjà la Grèce en larmes,
Arme son front flétri d’un généreux courroux ;
Le Turc épouvanté s’enfuira devant vous…
Sortez de vos tombeaux, et volez aux alarmes !

Vous, Grecs, marchez !… que la victoire
Soit fidèle à vos étendards !
Marchez ! vous trouverez la gloire
Dans le sein des périls, au milien des hasards !…
Marchez ! pour moi, je consacre ma lyre
À chanter vos brillants exploits !!
Marchez ! afin qu’on puisse dire :
« Ils ont vaincu, sans le secours des rois !!! »


Mais si la Grèce, un jour asservie à des maîtres,
Se courbe sous un joug honteux !…
Guerriers républicains, imitez vos ancêtres !
Et périssez comme eux !…
Périssez ! s’il le faut… mais c’est avec courage,
Afin qu’on dise à la postérité :
« Ayant voulu briser les fers de l’esclavage,
« Ils sont morts pour la liberté !… »

Jules-Barbey.