Aux douze coups de minuit/Aux Douze Coups de Minuit

Éditions Beauchemin (p. 11-33).

Aux Douze Coups
de Minuit


Autrefois, le 1er janvier, aux douze coups de minuit.
(page 12.)


AUX DOUZE COUPS
DE MINUIT

Il existait, jadis, il existe encore, même aujourd’hui, une belle coutume, mais qui va se perdant d’année en année et qui finira malheureusement par disparaître tout à fait : c’est celle qui consiste à solliciter la bénédiction paternelle, le premier jour de l’année. Cette coutume, ce devoir filial, si je puis m’exprimer ainsi, se pratique encore, surtout dans la province de Québec, et ce sera un jour néfaste que celui où elle cessera d’exister.

Autrefois, le Ier janvier, aux douze coups de minuit, nous nous agenouillions auprès de notre père et lui demandions sa bénédiction, qu’il nous donnait des larmes dans les yeux et dans la voix. Même quand nous avions quitté le toit paternel pour nous créer un autre foyer, nous trouvions encore le moyen de réintégrer le domicile paternel, pour recevoir la bénédiction de notre père, et cette bénédiction, nous en étions fermement convaincus, nous portait bonheur.

Les mères qui n’ont jamais connu l’intime joie de voir leurs enfants bénis par leur père, au commencement de chaque année, sont bien à plaindre. Mais, que celles chez qui cette coutume se pratique encore, s’en fassent un devoir sacré, et que jamais, ni par indifférence, ni par oubli, elles ne négligent de conduire leurs enfants vers le chef de famille, au jour de l’an ; car la bénédiction d’un père ne saurait que porter bonheur.


* * *

CONTE


Le plus beau bien des environs était, sans conteste, l’oasis, ainsi nommé parce qu’il confinait à une grande étendue de dunes, que les gens du pays désignaient du nom de Désert. L’oasis était une immense ferme, sur laquelle une maison en pierre, grande et confortable, était érigée. On apercevait aussi de nombreux bâtiments, tous blanchis à la chaux et soigneusement entretenus.

L’oasis servait de demeure à M. et Mme Dublé et leur famille, qui consistait en trois filles et trois garçons. Il y avait Octavie, âgée de 26 ans, mariée depuis cinq ans à Thomas Millet, un riche cultivateur, propriétaire de la ferme voisine de celle des Dublé. Il y avait Séverin, âgé de 25 ans. Venait ensuite Jacobin, 20 ans, puis Berthe et Gilberte, âgées de 16 ans toutes deux, et qu’on n’appelait jamais autrement que : « les jumelles ». Il y avait aussi Ulric, le benjamin de la famille, qui avait alors 14 ans, mais dont le nom n’était jamais prononcé ni par son père, ni par sa mère, ni par ses frères, ni par ses sœurs, et dont le souvenir mettait des larmes dans les yeux de ses parents. Ulric, le malheureux enfant qui, n’ayant jamais aimé le travail des champs, avait fui la maison paternelle, un jour, laissant derrière lui un billet ainsi conçu :


« Chers Parents, chers frères,

Chers Parents, chers frchères sœurs,

Je me suis engagé, comme mousse, à bord d’un navire de cabotage. Adieu !
Ulric. »


Ce qui avait brisé le cœur de son père et de sa mère, c’est que Ulric avait quitté la maison paternelle le 31 décembre, jour anniversaire de sa naissance, et précisément à la veille de solliciter, avec ses frères et sœurs, la bénédiction du chef de famille. Un grand événement avait eu lieu, un an après le départ d’Ulric : Mme Dublé hérita de l’oasis, d’un de ses oncles, célibataire. La famille Dublé avait donc quitté S…, où elle avait vécu depuis tant d’années, pour venir s’établir au Désert, à l’oasis. Au moment où nous faisons connaissance avec eux, il y avait brouhaha dans la maison, car on était au 31 décembre ; le lendemain serait le jour de l’an, la grande fête de famille des Canadiens-français.

— Il y a juste deux ans aujourd’hui, se disait Mme Dublé, en pleurant, qu’Ulric, notre benjamin, nous a quittés, et jamais nous n’avons eu de ses nouvelles ! Où est-il ?… Que fait-il ?… Je rêve si souvent, la nuit, qu’il erre, abandonné, dans un pays étranger… Ô Ulric ! Ulric !

— Qu’avez-vous à pleurer, mère ? demanda Octavie, qui passait la journée à l’oasis, avec sa petite Myosotis.

— Octavie ! répondit Mme Dublé. Je pense à mon malheureux enfant, mon Ulric !… Où est-il, pendant que nous nous réjouissons ici ?

— Pauvre mère ! dit Octavie. Mais, ne vous désolez pas ainsi, je vous prie ! Vous savez bien que père…

— Ton père, lui aussi, est malheureux. Je l’entends soupirer souvent et je sais bien pourquoi… Souvent aussi, il rêve tout haut, la nuit ; chaque fois il prononce le nom de notre pauvre petit… C’est aujourd’hui l’anniversaire de sa naissance à Ulric ; il a quatorze ans. Pauvre, pauvre Ulric, notre dernier-né !


*  *  *


Pendant que Mme Dublé se désolait à la pensée que son enfant errait dans quelque pays étranger, celui qui obsédait ses pensées était peu éloigné de l’Oasis.

Errant à travers les dunes, venait un chemineau ; il était jeune, mais son pas alourdi disait hautement qu’il se mourait littéralement de fatigue, de faim et de froid.

Pauvre Ulric ! Il était allé à S…, croyant y retrouver sa famille. N’osant pas se renseigner auprès des habitants des terres voisines, de peur d’être reconnu, il était parti à l’aventure, et c’est le hasard qui le conduisait au Désert, à proximité de l’Oasis.

Depuis la veille qu’il errait à travers les dunes, et voilà que le soleil disparaîtrait bientôt à l’horizon. Allait-il passer une autre nuit, exposé aux intempéries de la saison ? Cela en avait bien l’air ! Chose certaine, c’est qu’il n’irait pas plus loin ce soir ; demain, il chercherait un refuge, ou bien, il se coucherait sur la neige… pour mourir.

Soudain, un passereau s’en vint voltiger près de lui, puis se posant sur le sol, se mit à sautiller, en faisant entendre un petit cri assez monotone. Ulric cru d’abord que l’oiseau avait l’aile brisée ; mais il se trompait. Le passereau semblait plutôt prendre un peu d’exercice, avant de se blottir pour la nuit, car il s’envolait parfois, pour revenir presque aussitôt danser sur le sol, tout près du jeune chemineau.

— Je vais suivre le cher petit passereau, se dit Ulric. Qui sait ?… Peut-être me conduira-t-il hors de ces dunes, où je me suis égaré, c’est évident !

Pendant combien de temps Ulric suivit-il son guide ailé ?… Il n’eût pu le dire. Le passereau paraissait prendre plaisir au rôle de conducteur, car il tournait souvent sa tête mignonne, comme pour s’assurer qu’il était suivi. Enfin, l’oiseau-conducteur, avec un cri perçant, qui ressemblait à un adieu lancé dans l’espace, s’enfuit à tire d’ailes, et Ulric ne put retenir ses larmes : c’est qu’il se sentait triste, bien triste tout à coup, comme s’il eût abandonné par un ami.

L’obscurité tombait vite et bientôt, elle devint complète. Or, voilà qu’Ulric aperçut, à sa droite, des lumières : il y avait, non loin, une ferme, une grande ferme, dont la maison était généreusement éclairée. Or, cette ferme c’était l’Oasis.

— Cher petit passereau, se dit Ulric, je me demande si tu n’étais pas un ange ayant revêtu la forme d’un oiseau ; car tu m’as réellement conduit hors des dunes, en vue d’un refuge. Ô cher petit passereau, sois béni à jamais !

Il irait demander gîte et nourriture aux braves gens habitant cette ferme, qui avait l’air si prospère ; sûrement, ils ne refuseraient pas de le secourir !

— Je suis donc devenu un mendiant ! se disait-il. Chose certaine, c’est que je n’ai pas le choix : ou bien je mangerai et me réchaufferai à cette ferme, ou bien je mourrai de faim et de froid, cette nuit même. Allons ! Un coup de cœur ! Acheminons-nous vers cette maison, et d’un bon pas !

Et maintenant qu’il était tout près de la maison, il lui en coûtait infiniment de frapper à la porte et demander du secours. Il s’approcha de la cuisine, vivement éclairée à l’intérieur, et il vit une femme, portant le tablier et la coiffe de servante ; elle allait et venait, du poèle à la table, sur laquelle était accumulés des mets fumants. Quelle chaleur, quel confort semblaient régner dans cette cuisine ! Que ce serait bon de s’asseoir près du feu, en dégustant un bol de potage tout chaud !

— Je vais toujours me risquer ! se dit le pauvre Ulric. Refusé n’est pas battu. Cette femme a l’air d’être bonne, et quelque chose me dit que je ne serai pas mal accueilli.

Au coup timide qu’Ulric appliqua à la porte de la cuisine, un chien de grande taille (un danois) s’élança en aboyant, et aussitôt la servante se dirigea vers la porte, dans l’intention évidente de l’ouvrir. Ulric l’entendit qui apostrophait le chien ainsi :

— Paix, Hypo, paix ! Ne dirait-on pas que tu veux avaler le genre humain tout entier, quand tu ouvres ton énorme gueule ainsi ?

La porte s’ouvrit, et Ulric, à cause du contraste qui existait soudain entre cette cuisine bien chauffée et le froid du dehors, à cause aussi des tiraillements de la faim qui se faisaient sentir davantage à la vue des mets entassés sur la table, se sentit défaillir, et il serait tombé, si la servante ne se fût hâtée de le saisir par le bras et l’entraîner auprès du poèle.

— Madame, parvint-il à articuler, vous me permettrez bien de me chauffer un peu, n’est-ce pas ? J’ai si froid ! si froid ! et il frissonna.

— Certainement, jeune homme, certainement ! répondit la femme. Je ne suis que la servante ici, mais j’ai reçu l’ordre de ne jamais refuser l’hospitalité aux passants, surtout durant ces grands froids que nous avons. Va te coucher, Hypo ! cria-t-elle, en s’adressant au chien. N’ayez pas peur, mon garçon, reprit-elle ; il fait beaucoup plus de bruit que de besogne ce chien.

— Je n’ai pas du tout peur des chiens, Madame, répondit Ulric. Viens ici, Hypo ! Bon chien ! Bon chien !

Hypo s’approcha d’Ulric en remuant la queue, puis il s’assit auprès de l’étranger et posa sa grosse tête sur ses genoux.

— Aimeriez-vous avoir un bol de potage, jeune homme ? fit soudain la servante.

— Ô Madame, répondit Ulric, j’ai si faim, si faim ! Je n’ai pas mangé depuis deux jours ! Et le pauvre enfant fondit en larmes.

— Doux Seigneur ! s’écria la servante. Allons, approchez-vous de la table ; je vais vous servir un bon souper.

Pendant qu’il mangeait, une enfant de quatre ans entra dans la cuisine, et Ulric se demanda si ce blond chérubin était véritablement un être humain.

— Martine, dit l’enfant, en s’adressant à la servante, où est-elle, maman ?

— Votre maman n’est pas ici, Mlle Myo, répondit Martine. Peut-être est-elle dans la salle à manger, avec votre grand’maman.

— Ah ! Il y a quelqu’un ici ? fit la petite, en s’approchant de la table devant laquelle Ulric était assis.

— C’est un chemineau, Mlle Myo, répondit Martine ; il avait bien froid et bien faim le pauvre jeune homme, alors…

— Venez-vous de loin ? demanda Myo à Ulric.

— Oui, je viens de bien loin, petite.

— Myo ! cria une voix soudaine, où es-tu ?

— Je suis dans la cuisine, maman, répondit l’enfant.

Aussitôt, des pas s’approchèrent, la porte de la cuisine fut ouverte et une femme parut. Ulric faillit crier, en reconnaissant dans cette femme sa sœur Octavie.

— Octavie ! murmura-t-il.

Se retirant dans l’ombre, autant que faire se pouvait, Ulric releva le collet de son chandail et abaissa sur ses yeux le bord de sa casquette.

— Vous avez quelqu’un, Martine ? dit Octavie.

— Oui, Madame. C’est un jeune homme qui…

— Vous le garderez à coucher ici, alors. Il fait trop froid pour qu’il erre à l’aventure cette nuit.

— Merci, Madame ! balbuta Ulric.

— Viens, Myo, fit Octavie, en s’adressant à l’enfant ; c’est l’heure du souper et nous n’attendons que toi pour nous mettre à table.

— Madame Martine, demanda Ulric, après le départ d’Octavie, puis-je vous demander le nom de cette dame qui sort d’ici ?

— Il n’y a pas de mal à cela, répondit Martine. Cette dame, c’est Madame Millet.

— Je suis donc ici chez M. Millet ?

— Non. Vous êtes ici à l’Oasis, la ferme de M. Dublé. Mme Millet passe la nuit ici, et aussi la journée de demain. Elle est venue recevoir, avec ses frères et sœurs, la bénédiction de son père, comme c’est la coutume, le premier jour de l’année, dans cette maison.

— Ah ! oui, la bénédiction du jour de l’an… murmura Ulric, qui sentit ses yeux se remplir de larmes.

Ainsi, le hasard (n’était-ce pas plutôt un ange, sous la forme du mignon passereau) ? l’avait conduit chez son père ! Qu’en résulterait-il ?… Se ferait-il connaître ?… Non. Ils étaient heureux ; pourquoi assombrir leur jour de l’an ? Oui, il se tairait… Demain, il reprendrait sa vie errante.


*   *  *


— Maintenant, je m’en vais me coucher ; mais auparavant, je veux vous montrer votre chambre ; elle est tout à côté de la cuisine. Vous trouverez de l’eau dans une cuvette pour faire votre toilette, avant de vous mettre au lit, si vous le désirez. Vous pouvez continuer à veiller dans la cuisine, si cela vous plaît, ou bien vous retirer dans votre chambre et apporter la lampe avec vous.

Je préférerais me retirer dans ma chambre, Madame Martine, répondit Ulric.

Il suivit la servante, qui le conduisit dans une pièce, petite, mais très propre. Ulric vit un lit confortable, un lavabo, une chaise berceuse et une petite table, sur laquelle il posa la lampe.

— Bonne nuit, jeune homme ! dit Martine, en se retirant.

— Bonne nuit, Madame Martine, et merci, du plus profond du cœur, pour votre extrême bonté ! répondit Ulric.

Ulric se coucha, mais il ne put dormir ; la pensée qu’il était sous le même toit que ses parents, ses frères et sœurs, le tint éveillé.

Vers les onze heures, s’étant levé et ayant fait un bout de toilette, il se dirige vers la cuisine, où règne une obscurité presque complète. Du salon, lui parvient le murmure de plusieurs voix… Son père parle, en ce moment… Cette autre voix, c’est celle de sa mère… N’est-ce pas Séverin qui rit ?… Et voilà les jumelles, qui semblent avoir maille à partir avec Jacobin… Octavie fredonne un vieux Noël, pour endormir sa petite Myosotis ; Ulric entend le bruit de la chaise berceuse sur laquelle Octavie est assise.

Voici maintenant les jumelles qui jouent un duo sur le piano. Ensuite, c’est Sévérin qui chante, s’accompagnant lui-même au piano ; Ulric reconnaît la touche si… décidée de son frère aîné. Puis tous : M. Dublé, Mme Dublé, Séverin, Octavie, Jacobin et les jumelles chantent en chœur Ô Canada !

Ah ! Pour les voir, un instant, un seul, avant de les quitter pour toujours ! Ulric, à la faveur de l’obscurité qui enveloppe le corridor, s’approche du salon, et… oui… il les voit tous : son père est installé dans un fauteuil, près de lui est Mme Dublé. Séverin, penché au-dessus du fauteuil cause, en riant, avec son père et sa mère. Octavie, étant parvenue à endormir Myosotis et la coucher sur un canapé, se berce doucement et cause avec Jacobin. Les jumelles, se tenant par la taille, comme ce fut toujours leur habitude, se confient des secrets. Comme ils paraissent heureux tous !

Mais, Jacobin,’étourdi, se met à chanter. Il chante : Viv’ la Canadienne, À la claire fontaine, À St-Malo, beau port de mer, En roulant ma boule, et tous reprennent en chœur, chantant les refrains avec lui. Soudain, étourdiment, très étourdiment, Jacobin chante autre chose. Sans jouer de prélude, il entonne ce qui suit :

« Un Canadien errant,
Banni de ses foyers,
Parcourait, en pleurant,
Des pays étrangers.

En vain, Octavie et Séverin lui font-ils signe de se taire : Jacobin, tout à son chant, ne les voit pas, et il termine le premier couplet

de cette complainte, qui met toujours des larmes dans les yeux.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! s’écria Mme Dublé, éclatant en sanglots. Comment pouvons-nous être heureux, quand nous ne savons pas où est notre Ulric, cette nuit ! C’est lui, le Canadien, errant loin de son foyer. Ulric ! Ulric !

— Ma chère, dit la voix sévère de M. Dublé, Ulric a jugé à propos de nous quitter, et je… préfère n’entendre pas mentionner son nom.

— Pourtant, mon mari, dit Mme Dublé, il faut que tu le bénisses, en même temps que tes autres enfants, tout à l’heure, il le faut ! Cette bénédiction lointaine lui portera bonheur, sûrement, à notre pauvre Ulric !

M. Dublé ne répondit pas, et Ulric, le cœur brisé, se retira dans la cuisine.

Minuit moins cinq minutes… Un bruit de chaises remuées lui parvient : dans le salon, on se prépare à s’agenouiller pour recevoir la bénédiction paternelle. Encore une fois, Ulric quitte la cuisine et s’approche de la porte du salon. Une sorte de solennité y règne ; c’est que, dans cette famille si chrétienne, si éminemment canadienne-française, ce n’est pas une simple coutume qui va se pratiquer : c’est un devoir, que chacun accomplit révérencieusement chaque année.

Minuit…

M. Dublé se lève et tous s’agenouillent ; même Myosotis, qu’Octavie vient d’éveiller. La petite se met à genoux auprès de sa mère.

M. Dublé lève les mains, afin d’implorer pour toute la famille la bénédiction du ciel.

À ce moment, Myosotis s’approche d’Ulric, et le prenant par la main, elle lui dit tout bas :

— Venez, vous aussi !

Ulric ne résiste pas. Guidé par cette main d’enfant, il s’avance dans le salon et reçoit, avec ses frères et sœurs, la bénédiction paternelle.

— Ulric !

Quel cri de joie s’échappe de la poitrine de Mme Dublé !

— Mère !

— Ah ! s’écrie Mme Dublé, en se tournant vers son mari, je savais bien que tu le bénirais notre cher Ulric !

— Je te bénis trois fois, Ulric, dit solennellement M. Dublé, tandis que ses joues s’inondaient de larmes. Je te bénis pour l’année qui commence et aussi pour les deux que tu as passées loin de nous… D’ailleurs, dans mon cœur, toujours je t’ai béni, avec tes frères et sœurs, chaque jour de l’an, sois-en assuré !

— Et cette bénédiction, père, m’a ramené au foyer ; de cela je suis fermement convaincu ! répondit Ulric en pleurant.

Ulric revenu, le bonheur régna en maître à l’oasis.

Ses aventures avaient fait apprécier à Ulric les avantages de la vie de famille, et maintenant il mettait de l’ardeur et de l’ambition aux travaux de la terre, qui lui déplaisaient tant auparavant.

Jamais, tant que vécut son père, Ulric ne manqua de recevoir sa bénédiction, au jour de l’an. Plus tard, marié et père de famille, il bénissait ses enfants, à son tour, car, dans la famille Dublé, comme dans bien d’autres familles canadiennes-françaises, la bénédiction du jour de l’an se transmettra, espérons-le, de génération en génération.

C’est que cette coutume si belle, inspire, en même temps que l’affection et la soumission envers le chef de la famille, le respect pour la plus touchante des traditions.