Autour d’un mariage princier - Récits des temps de l’émigration/03

Autour d’un mariage princier - Récits des temps de l’émigration
Revue des Deux Mondes5e période, tome 25 (p. 119-156).
AUTOUR
D’UN MARIAGE PRINCICER
RÉCITS DES TEMPS DE L’ÉMIGRATION

III[1]
LES ANNÉES D’ATTENTE


I

Fils aîné du Comte d’Artois, le Duc d’Angoulême, que le Roi destinait pour époux à Madame Thérèse de France, avait maintenant vingt-deux ans, c’est-à-dire trois ans de plus qu’elle. Depuis les débuts de l’émigration, il avait partagé le sort des membres de sa famille qui étaient sortis de France : en 1789, à Turin, chez le roi de Sardaigne, son aïeul maternel ; en 1791, à Coblentz où il avait fait son apprentissage militaire dans l’état-major de l’armée royale, avec son jeune frère le Duc de Berry ; en 1793, à Hamm en Westphalie, où il était resté auprès de son père pour l’accompagner ensuite aux diverses étapes de sa vie errante dans les Pays-Bas, en Angleterre, et finalement en Écosse. Trop jeune pour sentir vivement les épreuves de l’exil, elles avaient glissé sur lui sans modifier sa nature indolente. Longtemps, il était resté enfant, apathique, sans entrain, dépourvu d’initiative, d’une froideur de glace, très différent du Duc de Berry qui, de plus en plus, se révélait fougueux, violent, emporté, aimant le plaisir, et soldat des pieds à la tête. Ceux qui vivaient dans son intimité rendaient hommage à ses qualités de cœur : la droiture, la bonté, une générosité naturelle doublée d’un courage qu’il avait dans le sang et qui ne demandait qu’une occasion pour se manifester. Mais ils regrettaient qu’elles ne fussent pas égalées par ces dons de séduction, qui, chez le Duc de Berry, rachetaient des défauts bien autrement graves que ceux de son aîné. Ce qui caractérisait les deux frères et les faisait, au moins sur ce point, se ressembler, c’était une paresse d’esprit et une absence totale de goût pour l’étude, qui leur attiraient à tous deux, de la part du Roi, les mêmes reproches.

Le Roi les aimait tendrement. Ayant fondé sur eux de grandes espérances, il s’inquiétait de leur légèreté, encore que leur jeunesse et leur existence si troublée pussent à la rigueur l’expliquer et leur servir d’excuse. Lorsqu’il avait conçu le projet de marier Madame Royale au Duc d’Angoulême, il n’avait pu se dissimuler, en lisant les lettres de sa nièce, quelle était, et de beaucoup, moralement supérieure au mari qu’il venait de lui choisir. Mais, ce n’était pas un motif pour renoncer à une union où toutes les convenances semblaient réunies. Et puis, il se flattait de l’espoir qu’avec le temps l’intelligence du jeune prince se développerait, que son esprit mûrirait. Il se promettait de travailler lui-même à cette œuvre d’amélioration. A cet effet, ayant fait connaître à son neveu, par le Comte d’Artois, dans quelles conditions il disposait de sa personne et de son avenir en préparant son mariage avec sa cousine, il avait ultérieurement manifesté le désir de le voir arriver auprès de lui aussitôt que les circonstances le permettraient.

On ne nous croirait pas, après ce que nous avons raconté dans la première partie de ce récit, si nous affirmions que la décision royale, lorsqu’elle parvint au Duc d’Angoulême à Edimbourg où elle était allée le trouver, eut pour effet de réveiller dans son cœur, en faveur de cette cousine dont il était séparé depuis des années, de vieux sentimens endormis. Le roman imaginé par d’Avaray pour convaincre Madame Royale que la compassion inspirée à son cousin par son infortune s’était transformée en un bel amour d’adolescent était aussi touchant qu’ingénieux et ne pouvait manquer de vraisemblance aux yeux d’une orpheline que sa captivité solitaire avait rendue avide de tendresse. Mais, ce n’était qu’un roman, et s’il est vrai que le Duc d’Angoulême eût ressenti pour la fille de Louis XVI, au cours de ses malheurs, une pitié qu’éprouvaient alors pour elle toutes les âmes sensibles, il n’est pas moins vrai que cette pitié attendit, pour se transformer en un sincère désir de lui consacrer sa vie, que le Roi eût annoncé sa décision.

L’appel qu’il adressait à son neveu arrivait à celui-ci en un moment opportun. A Edimbourg, le prince se morfondait et périssait d’ennui. A plusieurs reprises, il avait demandé à son père l’autorisation de rejoindre l’armée de Condé où le Duc de Berry, plus heureux que lui, était en train de gagner ses éperons Mais, tantôt pour une cause, tantôt pour une autre, son départ était sans cesse ajourné. Il en gémissait, se considérait comme sacrifié et se demandait s’il serait longtemps encore condamné à une existence inactive et morose. Il accueillit donc avec tout l’enthousiasme dont il était susceptible l’importante nouvelle que son père lui communiqua au printemps de 1796 ; il donna en toute liberté un consentement que, d’ailleurs, il ne lui serait pas venu à la pensée de refuser puisque le Roi avait parlé, et il attendit avec impatience l’ordre de se mettre en route pour le rejoindre. Le Roi ayant été chassé de Vérone et obligé de chercher un autre asile, l’exécution de sa volonté fut différée jusqu’au moment où il se fut établi à Blanckenberg.

Entre temps, le Duc d’Angoulême avait été autorisé à écrire à sa cousine ; elle-même lui avait répondu. De leur correspondance, il ne nous reste rien ou presque rien : deux lettres du prince et c’est tout, ce qui ne saurait surprendre quand on connaît le caractère de Madame Royale. Elle n’était pas femme à conserver pour les historiens de ses malheurs les aveux qu’elle avait reçus de son cousin, ni ceux qu’elle lui avait faits. Très probablement, les lettres échangées entre eux au cours de leurs longues fiançailles furent détruites après le mariage. Les deux qui nous restent ne peuvent que faire regretter la destruction des autres. Elles attestent chez le Duc d’Angoulême une rare délicatesse de sentimens et prouvent que, sous son apparente froideur constatée par d’Avaray, battait un cœur susceptible de s’enflammer et qui, dès ce moment, s’était définitivement donné. Ecrites d’Edimbourg, l’une est datée du 3 septembre 1796, l’autre du 27 février 1797 :

« Ma très chère cousine, disait la première, vous m’avez autorisé à vous écrire souvent et c’est une permission qui m’est trop précieuse pour que je n’en profite pas. Si je ne consultais que moi, j’en ferais mon occupation de tous les jours.

« Les sentimens que mon aimable et bien chère cousine m’inspire sont tout à la fois mon bonheur et mon tourment. Je ne peux voir sans une peine bien vive tant de retardement dans l’espoir qui m’occupe sans cesse. Il me semble que c’est m’arracher des jours que je voudrais pouvoir consacrer à votre bonheur.

« Le ciel, en préservant aussi miraculeusement les jours de notre oncle de l’effroyable danger qu’il a couru[2], nous donne l’espérance que la Providence veut enfin mettre un terme aux rigueurs qu’elle a si terriblement exercées contre nous. Je vous laisse à penser, mon aimable cousine, à qui dans cet espoir général, j’adresse celui particulier que j’en conçois pour moi.

« Adieu, ma bien chère cousine, je voudrais bien que votre cœur pût lire dans le mien le tendre hommage et l’attachement éternel de votre bien affectionné cousin[3]. »

Ce langage est encore bien réservé, bien timide. On devine les tâtonnemens du jeune prince qui s’essaie au métier d’amoureux et qui craint également de déplaire en disant trop ou en ne disant pas assez. Dans la seconde lettre, il est plus maître de lui et plus audacieux aussi. Il s’exprime franchement, sans détours, encouragé sans doute par sa fiancée.

  • « Ma très chère cousine, si j’avais quelque influence sur la direction des postes, celle de Vienne ne serait pas aussi longtemps à transmettre vos lettres jusqu’ici. Je viens seulement de recevoir celle du 26 décembre. Il me serait difficile de vous dépeindre tout ce que votre aimable bonté me fait éprouver de bonheur. Il faut, ma bien chère cousine, que j’aie la bouche collée sur les lignes que votre main a tracées, pour que ce sentiment passager du bonheur arrive jusqu’à moi. Puis-je en espérer un véritable, tant que ma cruelle inaction durera, tant que je serai séparé de celle qui occupe toutes mes pensées ?

« M. de Rivière, en vous parlant de moi, ne vous a pas, à beaucoup près, rendu un compte fidèle, s’il ne vous a pas dit combien cette vie inutile m’est insupportable. La gloire et mon aimable cousine sont les seules puissances capables d’animer mon existence : tout est mort pour moi hors de là. Je commence à espérer cependant que le sort, fatigué de mettre obstacle à tous mes vœux, va rompre enfin une partie de ma chaîne. Mon père, le Roi qui veut bien être aussi pour moi le meilleur des pères, me donnent l’espoir que je pourrais bientôt rejoindre l’armée de Condé. Je serai sur le continent où respire ma cousine, et combattrais pour elle ; et si je suis assez heureux pour acquérir quelque gloire, avec quel bonheur alors n’en irais-je pas porter l’hommage à ses pieds ! Recevez avec bonté, ma bien chère cousine, celui de ma vive tendresse et de tous les sentimens qui remplissent le cœur de votre plus affectionné cousin. »

Il résulte de cette lettre que le Roi avait résolu d’envoyer son neveu à l’armée de Condé et de l’y laisser jusqu’au moment où le mariage pourrait être célébré. Mais il considérait comme essentiel qu’avant tout, une rencontre eût lieu entre les fiancés, qu’il leur fût donné de se revoir, de renouer connaissance et de s’entretenir ensemble. C’était là son souci le plus pressant. Le Duc d’Angoulême étant arrivé à Blanckenberg le 26 avril, le Roi, dès le 1er mai, prenait ses dispositions pour l’expédier à Prague où venait d’arriver Madame Royale. Les Français menaçant Vienne, l’Empereur avait voulu mettre en sûreté les plus jeunes de ses sœurs et de ses frères. Il les avait fait partir pour la Bohême et Madame Royale avec eux. C’était donc à Prague que le Duc d’Angoulême allait retrouver sa cousine après une longue séparation, si toutefois l’Empereur ne s’opposait pas à leur rapprochement.

Peut-être eût-il été prudent de s’enquérir de ses dispositions à cet égard avant que le Duc d’Angoulême ne se mît en route. Mais le Roi ne se faisait nulle illusion quant au mauvais vouloir de la Cour d’Autriche ; il redoutait qu’elle n’entravât ses projets et il pensait que le plus sûr moyen de déjouer une malveillance toujours à craindre, c’était de brusquer les choses en faisant partir son neveu sans s’attarder à solliciter l’autorisation impériale. Elle eût peut-être été refusée, tandis que, le Duc d’Angoulême se trouvant à Prague, on n’oserait sans doute l’empêcher de voir sa cousine.

Son départ avait été fixé au 3 mai. Le Duc de Berry qui retournait à l’armée devait voyager avec lui jusqu’à Leipsick. Dans cette ville, les deux frères se sépareraient. Le cadet et les gentilshommes qui l’accompagnaient se rendraient en droiture à l’armée, tandis que l’aîné suivi du comte de Damas se dirigerait vers Prague en gardant « le plus strict incognito. » Le comte de Damas devait emporter, avec une lettre du comte de Saint-Priest pour Mme de Chanclos, compagne de la princesse, des instructions écrites par le Roi, lesquelles prévoyaient toutes les difficultés qui pourraient se produire à Prague, et même un refus de Mme de Chanclos d’autoriser l’entrevue sans avoir pris les ordres de l’Empereur : « Arrivé dans cette ville, M. le comte de Damas ira trouver Mme la comtesse de Chanclos, lui remettra la lettre de M. de Saint-Priest, lui annoncera mon neveu et prendra avec elle les arrangemens nécessaires pour que l’entrevue ait lieu le plus tôt possible. Dans le cas très invraisemblable où Mme de Chanclos s’y refuserait, M. de Damas tâcherait de se procurer un refus par écrit. » Il devait s’informer si les hostilités entre la France et l’Autriche étaient recommencées, si l’armistice durait encore ou si la paix était faite. Dans le premier cas, après une seule entrevue avec Madame Royale, il conduirait en toute diligence le Duc d’Angoulême à l’armée ; dans le second, le prince passerait un jour à Prague, verrait sa cousine le plus qu’il pourrait, ainsi que les membres de la famille impériale qui s’y trouvaient avec elle ; dans le troisième cas, c’est-à-dire si la paix était faite, le comte de Damas ramènerait le prince à Blanckenberg.

Ces dispositions étaient définitivement arrêtées et les apprêts du voyage s’activaient, lorsque le 3 mai, le jour même où les deux princes devaient quitter Blanckenberg, arriva la nouvelle de la conclusion de la paix ou, plutôt, de ses préliminaires entre l’Empereur et la République. L’événement obligeait le Roi à modifier ses projets. Il n’y avait plus lieu d’envoyer le Duc d’Angoulême à l’armée.

« Il serait ridicule qu’il y arrivât la paix faite, écrivait-il à son frère, cela pourrait même faire tenir de sots propos. Il a fait acte de bonne volonté en partant d’Edimbourg au moment où il l’a pu, lorsqu’on croyait bien plus à la guerre qu’à la paix ; c’en est assez ; plus serait trop. Mais si l’Angleterre sauve l’armée d’un licenciement et lui redonne de l’activité, je ne retiendrai pas notre enfant ; vous pouvez vous en fier à mon amour pour lui… Quant à Berry, j’ai pensé que cet événement ne faisait que lui imposer plus strictement le devoir d’aller rejoindre ses compagnons d’armes, et il est parti cette nuit avec le comte de Damas que j’ai pensé qui lui serait bien plus nécessaire à l’armée qu’à son frère qui reste ici entre l’abbé Marie et moi. Cette séparation des deux frères a cruellement amorti la joie que m’avait causée leur réunion dans mes bras. J’ai demandé, que ma nièce restât à Prague pour lui épargner l’aspect des républicains et je crois qu’il est temps de songer plus sérieusement que jamais au mariage. Vous sentez bien que j’ai dû rompre le voyage de mon neveu auprès d’elle. »

Ainsi, non seulement, l’occasion de reparaître à l’armée qu’avait si vivement souhaitée le Duc d’Angoulême lui échappait ; mais encore, il était privé du bonheur de revoir sa cousine. Si ce fut une déception pour lui, ce n’en fut pas une pour elle ; elle n’avait pas été prévenue de la visite dont le Roi voulait lui faire la surprise ; on eut soin de ne lui en pas parler. En revanche, le Roi lui exprima le désir de la voir résider à Prague, plutôt qu’à Vienne où la conclusion de la paix allait rouvrir aux diplomates français la ville et la Cour :

« Ma tendresse pour vous m’a sur-le-champ fait penser à votre position. Je pense qu’il serait aussi inconvenant en soi-même que douloureux pour vous de vous trouver à Vienne, au moment où ceux qui, s’ils ne sont pas les meurtriers de vos parens, sont au moins leurs agens, vont pour la première fois y être publiquement admis. En conséquence, je fais demander à l’Empereur de vous laisser, jusqu’à ce que votre sort futur puisse être réglé, à Prague, auprès de Mme l’archiduchesse Marianne, et je lui fais cette demande d’autant plus volontiers que je sais combien cette vertueuse princesse mérite votre tendresse par celle qu’elle a pour vous et par toutes ses belles qualités. Je crois que vous ne pouvez mieux faire que d’appuyer cette demande, et je vous y invite ; je n’ose pas, avant que l’Empereur se soit décidé, écrire à Mme l’archiduchesse Marianne pour lui demander de nouveau son amitié pour vous : mais comme vous lui communiquerez sûrement cette idée, je vous prie de lui dire que ce sera un grand bonheur pour moi de vous savoir auprès d’elle, et de lui parler de tous les sentimens qu’elle m’inspire. »

On a vu, une première fois, Madame Royale n’être pas de l’avis de son oncle, refuser d’écrire à l’abbé Edgeworth une lettre destinée à être répandue en France, et dire au Roi, en toute franchise, pour quelles raisons elle ne croyait pas devoir souscrire à son désir. De nouveau cette fois, elle n’approuva pas le conseil qu’il lui donnait et ne craignit pas de le lui avouer. Elle lui était reconnaissante de la bonté qu’il avait eue de penser à sa situation. Mais cette même bonté la portait à lui parler toujours avec confiance :

« Vous désirez que je reste à Prague auprès de l’archiduchesse Marie-Anne pour ne pas voir les Français qui peuvent venir à Vienne. Vous avez raison. Je serais au désespoir de voir ces gens-là ; mais cependant j’ose vous représenter que, si je retourne à Vienne, ce n’est pas pour rester en ville, mais pour aller à la campagne, où je ne vois personne et encore moins ces gens-là ; il me paraît donc qu’il n’y aurait aucun inconvénient à cela. Je vous dirai encore que puisque vous voulez bien vous intéresser à ce que l’Empereur fasse quelque chose pour moi, pour mon avenir, là, étant près de lui, il y a plus de moyens qu’il y pense. Eloignée, on oublie souvent les gens ; je pourrais bien être de ce nombre. Voilà la raison que j’ose vous alléguer pour mon retour.

« Quant à rester à Prague, je sens vivement tout le prix de la bonté qui vous fait désirer que j’y reste, mais vous ne connaissez pas ma position ici ; je sais que vous ne voulez que mon bien, vous m’en donnez des preuves, ainsi je ne crains pas de vous déplaire en vous parlant avec liberté.

« J’aime assurément bien ma cousine Marie-Anne, mais je ne sais si vous savez l’état où elle est. Elle a la poitrine attaquée, est malade depuis plusieurs années, enfin est réduite à prendre le lait de femme. J’avoue que si je reste ici, je dois être continuellement avec elle, et d’être avec une personne qui est dans cet état, je suis sûre que cela me ferait du mal. Je sens que c’est une faiblesse de craindre cette maladie, mais je ne peux pas me vaincre là-dessus, et tout le monde ici trouve mon appréhension bien fondée. Du reste, ma cousine me témoigne beaucoup d’amitié, mais si je restais ici, je serais obligée de vivre à ses frais ; je ne sais si cela lui conviendrait. Je vous ajouterai encore que Mme de Chanclos est obligée de retourner à Vienne avec l’archiduchesse Amélie ; je craindrais même qu’elle ne revienne plus ; ce serait un grand chagrin pour moi de perdre la seule personne ici qui a ma confiance et à qui je dois beaucoup. Voilà toutes les réflexions que j’ose vous faire ; j’espère que vous les agréerez. Je finis par vous déclarer encore que je déteste tous ces Français, que je serais bien fâchée d’en voir un seul, mais que cependant je désire extrêmement de retourner à Vienne à la campagne et rester tranquille sans voir personne que de rester ici par toutes les raisons que je vous ai alléguées seulement jusqu’à ce que mon sort soit décidé. Je me fie, mon très cher oncle, à l’amitié que vous voulez bien me témoigner et au désir que vous avez de me rendre heureuse et ne doute pas par ces raisons que vous n’écoutiez avec bonté les réflexions que j’ai pris la liberté de vous faire. »

Le Roi reconnut le bien fondé des motifs allégués par sa nièce et s’y rendit sans hésiter :

« Je suis touché de la confiance que vous me témoignez ; c’est une preuve de votre tendresse pour moi, et vous savez que je n’ai pas de plus douce consolation au monde. Lorsque j’ai pensé que le séjour de Prague vous serait plus agréable que celui de Vienne, j’ignorais entièrement l’état de la santé de Mme l’archiduchesse Marie-Anne. A Dieu ne plaise que je vous expose jamais sciemment à aucun danger, et je suis plus payé qu’un autre pour craindre pour vous celui du mal de poitrine, puisque j’en ai vu mourir successivement sous mes yeux l’aîné de mes frères, mon père, ma mère et ma grand’mère. J’abandonne donc entièrement cette idée. Fasse le ciel que l’asile de Schoenbrun soit respecté et que vous n’y aperceviez jamais aucun de ceux que vous redoutez avec tant de raison de voir ! Je vous avoue que tout en cédant à vos raisons, je ne suis pas tout à fait tranquille sur ce point : mais ce sera pour moi un motif de plus, dont à la vérité je n’avais aucun besoin, de hâter l’instant qui doit combler tous mes vœux. Pour y parvenir plus vite, je travaille à faire régler vos intérêts. Sans doute la présence de la personne pour qui l’on traite est en général un grand moyen de succès : mais pouvez-vous craindre d’être jamais rangée dans la liasse des absens ? Ce n’est pas parce que vous êtes mon enfant, parce que je vois en vous l’unique reste des biens que j’ai perdus, parce que le ciel ne semble vous avoir privée de vos parens que pour me faire devenir père, me fussiez-vous étrangère, je verrais encore en vous la personne la plus intéressante de l’univers, et l’Empereur vous a donné des marques trop touchantes de son amitié, pour que je puisse jamais craindre qu’il les démente.

« Après vous avoir rassurée sur ce point, je dois vous avouer que j’ai été véritablement peiné de ne pas trouver dans votre lettre un billet pour votre cousin. Je sens bien que vous étiez pressée de faire partir l’estafette ; mais quelques lignes sont bientôt écrites. La retenue est sans contredit la première vertu de votre sexe et de votre âge. Mais tout doit avoir ses bornes, et aux termes où vous en êtes, la froideur ne peut que l’affliger hors de propos. J’espère que cet oubli ou cette négligence sera bientôt réparé. Songez que voici plus que jamais le moment de jeter les fondemens de votre bonheur futur, qu’il est juste de payer un peu les tendres sentimens que vous inspirez si légitimement, et soyez sûre que vous vous trouverez bien de suivre les conseils que mon âge, ma tendresse et nos malheurs me mettent en droit de vous donner. »

Madame Royale s’empressa de reconnaître ses torts :

« Vous avez raison de me dire que j’aurais dû écrire à mon cousin. Je l’ai trouvé ensuite moi-même. Mais j’avoue que j’avais été si pressée de vous envoyer l’estafette que je ne me suis donné que le temps de vous écrire. Aujourd’hui, je joins avec bien de l’empressement une lettre pour lui. »

Le Roi fut ravi de la lettre, des témoignages affectueux qui l’accompagnaient, et surtout de la joie qu’elle avait causée à son neveu. « Cette joie si vive et si vraie m’a rajeuni de vingt ans, » écrivait-il à son frère. Il remercia sa nièce avec effusion.

« Vous m’avez donné hier, ma chère enfant, un moment bien délicieux. Mon neveu était chez moi quand j’ai reçu votre lettre, et je n’ai pas perdu un instant pour lui donner celle qui était pour lui. Il ne m’appartient pas de vous décrire sa joie ; il s’en acquitte bien mieux que je ne le pourrais faire. Je me borne à vous dire que si jamais j’avais pu douter de votre bonheur futur à tous les deux, je n’en pourrais plus douter aujourd’hui. Jugez donc combien j’ai été heureux moi-même, mais croyez que le plaisir que j’ai ressenti par rapport à mes enfans, n’a nui en rien à celui que votre lettre à moi m’a causé. J’ai besoin d’aimer et d’être aimé, et la tendresse, la confiance que vous me témoignez, remplissent mes vœux. Souvenez-vous toujours, je vous en prie, que je suis votre père, et rappelez-moi souvent que vous êtes ma fille. »

En même temps qu’il se prodiguait ainsi en preuves écrites de sa tendresse pour Madame Royale, le Roi, jaloux de la lui prouver aussi par des actes, se préoccupait de hâter le mariage et de se procurer à cet effet un asile plus sûr que ne l’était Blanckenberg, d’où le roi de Prusse pouvait à tout instant l’expulser. Il s’était adressé au tsar Paul 1er dont il connaissait l’intérêt pour sa cause. Des pourparlers engagés entre ce souverain et lui allait sortir l’offre qui lui fut faite quelques jours plus tard de la ville de Yever en Westphalie. Mais, cette offre ne lui était pas encore parvenue à la date du 21 juin, et la lettre que, ce même jour, il écrivait au Comte d’Artois témoigne de ses anxiétés quant à la question de savoir où il se réfugierait s’il était contraint de quitter Blanckenberg.

«… Je réponds actuellement à la grande question ubi relativement au mariage de nos enfans. Ce ne peut certainement pas être ici : la seule idée d’un pareil forfait ferait évanouir le très poli, mais encore plus craintif souverain qui ferme les yeux sur mon séjour dans ses Etats, et cependant je n’ai pas d’autre asile, et si un événement quelconque m’obligeait d’en sortir, je ne sais, à la lettre, où je pourrais reposer ma tête, encore bien moins où je pourrais dresser un lit nuptial. Ubi igitur ? me demanderas-tu donc encore ? Je ne puis franchement te donner en réponse que des aperçus. Ce ne seront point les belles phrases de l’hospitalité, de la générosité, jargon qu’on n’entend plus, quoiqu’il frappe encore les oreilles ; voici ce que je puis te dire et que je suis bien loin de regarder encore comme positif.

« Sans mettre Paul sur la même ligne que sa mère, il faut pourtant convenir que, de tous les souverains, c’est le seul qui ait conservé de l’honneur. Il a de la fierté et de la sensibilité. L’une l’a porté à me traiter de Roi, l’autre a ému son âme en faveur d’une union que je dirais encore, n’y fussions-nous pour rien, qui sera la plus intéressante qu’on ait jamais vue. C’est sur lui que porte ma petite espérance pour avoir un asile.

« D’un autre côté, l’évêque de Nancy mande qu’il sait de bonne part que l’Empereur travaille de lui-même à m’en faire avoir un : C’est un écoute s’il pleut, et si on me l’offrait, il faudrait encore me dire : Timeo Danaos. Cependant, il est possible que ce grillon ait par hasard un mouvement de pudeur, et il faut le voir venir. Mais je compte plus sur ce qui pourra venir de Russie, que sur ce qui viendrait de Vienne. »

En attendant une solution sur un point aussi important pour lui, le Roi ne renonçait pas à procurer à son neveu et à sa nièce l’occasion de se voir. L’entrevue qu’il souhaitait n’ayant pu avoir lieu à Prague, il espérait qu’elle aurait lieu à Vienne. Saint-Priest l’avait écrit à Mme de Chanclos, et la réponse de celle-ci n’était pas pour décourager l’espoir du Roi, qui lui-même en avait fait part à Madame Royale. Le Comte d’Artois lui ayant envoyé une lettre pour sa future bru en le priant de la faire parvenir, il saisit cette occasion d’insister auprès d’elle.

« Je m’acquitte avec plaisir, ma chère enfant, de la commission que mon frère m’a donnée, en vous faisant passer sa lettre ci-jointe. Il la mise à cachet volant, j’en ai conclu que son intention était que je la lusse, et tout sûr que j’étais de sa tendresse pour vous, j’ai été charmé d’en trouver les expressions. Je voudrais bien, comme lui, que son fils pût en être le porteur, qu’il pût vous parler un instant du sentiment dont il m’entretient toute la journée. Je le désire pour lui à qui ce moment heureux donnerait plus de forces pour attendre celui qui fait l’objet de tous ses vœux et des miens. Je le désire aussi pour vous-même, qui verriez que je vous dis vrai, lorsque je vous par le de votre bonheur futur. J’espère que ce n’est pas tout à fait un rêve, et que l’occasion perdue à. Prague se retrouvera bientôt.

« Mon frère désire que je vous par le de sa position ; elle est toujours la même. Toujours fixé au poste où il est plus à portée de servir nos communs intérêts, il se console de cette espèce d’exil, en songeant qu’il est où son devoir lui commande d’être. Mais, comme vous le voyez par sa lettre, il porte, ainsi que moi, sa pensée dans l’avenir. Il voit s’avancer le jour heureux où nous serons tous réunis, et quoiqu’il n’ait pas vu, comme moi, ces momens horribles où votre caractère s’est développé de si bonne heure d’une manière à la fois si grande et si touchante, il n’en ignore aucun détail, et indépendamment de sa tendresse pour vous, il s’enorgueillit d’être destiné à vous appeler sa fille. Il me rend en ce moment un service, en me donnant une occasion de plus de vous parler aussi de mon amour paternel, et de recevoir des témoignages de votre amitié. C’est la plus grande consolation que je puisse recevoir, et je ne vous cache pas que je ne vois jamais arriver la poste de Vienne, sans une émotion douce ou triste suivant qu’elle m’apporte ou qu’elle ne m’apporte pas de vos nouvelles. »

Lorsque le Roi mettait tant de chaleureuse persistance à marquer à sa nièce combien sa famille française avait hâte de la revoir et tout le prix qu’il attachait lui-même à une entrevue prochaîne entre elle et le Duc d’Angoulême, il ne pouvait supposer qu’elle ne se montrerait pas aussi impatiente que lui d’un rapprochement avec son cousin. C’est cependant ce qui arriva. A peine avertie des desseins de son oncle, s’inspirant de l’esprit de décision qui la caractérisait, elle lui exposa sans ambages les inconvéniens que présenterait, à son avis, la visite du Duc d’Angoulême.

«… Vous désirez que mon cousin vienne incognito ; c’est bien difficile, pour ne pas dire impossible. A la Cour, rien n’est mystère et on sait toutes les personnes qui viennent me voir. D’un autre côté, si l’on sait qui il est et que l’Empereur ne le traite pas avec les honneurs qui lui sont dus, il commet une grossièreté et la faute retombe sur moi qui en suis cependant la cause innocente. Et puis, si j’ose le dire, il me paraît encore que quand on se voit comme cela, il faut que le mariage soit bien prochain et je crois que vous ne pensez pas au mien avant que la paix soit faite et toutes les affaires arrangées, ce qui sûrement durera jusqu’à l’hiver. Toute réflexion faite, il me paraît, quelque désir et empressement que j’aie de voir mon cousin, qu’il vaut mieux rester tranquille et attendre comment les choses s’arrangeront. Si l’Empereur s’intéresse à nous, il doit s’occuper de vous dans sa paix et si j’ose le dire de moi aussi. Si la paix vraiment est faite, elle doit être bientôt déclarée. Si elle n’est pas faite, je crois que votre dessein est d’envoyer mon cousin à l’armée de Condé. Que nous servirait alors de nous connaître ? Je suis persuadée de tout le bien que vous en dites, mais je crois qu’il faut attendre encore avec patience, la position actuelle ne peut durer longtemps. Les affaires doivent bientôt s’éclaircir tant en France qu’ici. Alors, quand j’aurai le bonheur de vous être réunie, j’aurai celui aussi de renouveler la connaissance de mon cousin dont je me souviens encore, quoiqu’il y ait près de huit ans que je ne l’ai vu. Je ne doute pas que depuis, l’école du malheur et la bonne éducation qu’il a reçue de M. de Sérent n’aient contribué à le rendre aussi bien qu’on le dit.

« Je vous demande pardon, mon très cher oncle, de toutes ces réflexions, mais la tendresse que j’ai pour vous et pour ma famille me font parler avec franchise quand il s’agit de leurs intérêts. »

Malgré ces raisons, et encore qu’il en eût reconnu la sagesse et ne pût les désapprouver, le Roi ne se tint pas pour battu. « Ce n’est plus de moi qu’il dépend, répondit-il, que votre cousin aille vous faire une visite… Cela dépend entièrement de la volonté de l’Empereur. Si Sa Majesté Impériale y trouve de l’inconvénient, nous abandonnerons cette espérance comme nous en avons abandonné beaucoup d’autres, non plus flatteuses mais qui paraissaient plus prochaines. Mais, si ce prince y donnait son consentement, quelque charmé que je sois de votre réponse, je sens qu’il me serait impossible de me refuser à la juste impatience de mon neveu et je suis bien sûr que personne n’y pourrait trouver à redire. »

La question restait donc en suspens, confiée au zèle de Mme de Chanclos qui promettait d’en entretenir l’Empereur dès son retour à Vienne. Disons, pour n’y plus revenir, que l’Empereur, qui ne rentra dans sa capitale qu’à la fin de septembre, approuva d’autant moins le projet du Roi que l’événement qui s’était accompli le 18 fructidor à Paris lui commandait plus de circonspection dans toutes les circonstances susceptibles d’attirer l’attention du Directoire, et qu’il considérait comme impossible que le Duc d’Angoulême arrivât et séjournât à Vienne incognito. En transmettant sa réponse au Roi, Madame Royale répéta ce qu’elle avait déjà dit. Le moment n’était pas favorable, il convenait d’attendre les événemens. « Je me perds quand je veux découvrir dans l’avenir. Il me paraît que tout va toujours plus mal, et à peine a-t-on un moment d’espoir que tout de suite, les choses redeviennent plus mal comme à présent, car, il y avait bien de quoi espérer. Les émigrés et les prêtres rentraient en France, tout paraissait aller bien. A présent, je crois qu’on y est plus mal que jamais. C’est une chose terrible. »

Le Roi ne pouvait que se résigner. Mais, sans rendre sa nièce responsable de la réponse de l’Empereur, il s’inquiéta de l’empressement qu’elle mettait à approuver la décision impériale ; et le soupçon qu’à Vienne on n’eût pas renoncé à « autrichienniser » Madame Royale, de nouveau, s’empara de lui et de d’Avaray.


II

Au cours de ces incidens, le Roi ne perdait pas de vue les intérêts matériels de sa nièce et les dispositions à prendre pour assurer des ressources au futur ménage.

Il possédait au plus haut degré la faculté de pouvoir s’occuper en même temps de beaucoup de choses sans que leur multiplicité portât dommage à aucune d’elles. Sa correspondance, en cette année 1797, qui fut une des plus remplies de sa vie d’exilé comme la plus féconde en espérances et en déceptions, témoigne de l’activité de son esprit. Il voit tout, veille à tout, tient pied à tout, passant avec une aisance remarquable des affaires de famille aux affaires politiques, s’occupant à la fois, avec l’incessante collaboration de d’Avaray et le concours de Saint-Priest, du mariage de ses neveux : celui du Duc d’Angoulême avec Madame Royale, celui du Duc de Berry avec la veuve de l’Électeur de Bavière ou l’une des filles du roi des Deux-Siciles[4] ; de la reconstitution de son agence de Paris qu’a disloquée au mois de février l’arrestation de ses trois principaux membres ; de la création d’une autre agence en Allemagne ; des divers mouvemens de l’intérieur qu’il s’efforce en vain de coordonner pour les faire tendre au même but ; des instructions à répandre en France en vue des élections qui vont renouveler pour un tiers le Conseil des Cinq-Cents ; des mesures à édicter pour activer le zèle de certains de ses partisans ou pour modérer l’intempestive ardeur des autres ; de la réorganisation de l’armée de Condé abandonnée par l’Autriche et que l’empereur de Russie vient de prendre à sa solde. Il multiplie les instructions et les ordres, envoie de pressans avis à son frère dont il redoute sans cesse les imprudences, s’occupe également de ses affaires financières, sollicite des secours et s’applique à soulager les innombrables misères de la noblesse émigrée ainsi qu’à dénouer pacifiquement les conflits trop fréquens qui s’élèvent entre ces infortunés proscrits.

Pour faciliter le mariage du Duc d’Angoulême et de Madame Royale, il a le droit de compter sur l’Autriche. Il voudrait espérer que la Cour impériale ne refusera pas de venir en aide à la fille de Marie-Antoinette. Mais, il connaît l’égoïsme de cette Cour ; il la sait intéressée et avide ; il se demande s’il pourra obtenir d’elle tout ce qu’il en attend ; c’est-à-dire une pension annuelle et une avance pour payer les frais d’établissement, sans parler de la restitution des diamans de la feue reine, qu’elle a pu expédier hors de France avant son incarcération et de diverses sommes qui lui étaient encore dues, au moment de sa mort, sur la succession de sa mère. Toutefois, quel que doive être le résultat des démarches dont est chargé son représentant à Vienne, Mgr de La Fare, évêque de Nancy, il n’y subordonne pas l’union de ses enfans. Il ne négligera rien pour que le succès couronne ses demandes, pour obtenir aussi de nouveaux secours des Bourbons d’Espagne et des Bourbons de Naples en faveur des époux. Mais qu’il y réussisse ou qu’il y échoue, le mariage se fera, car il faut qu’il se fasse et s’il ne peut offrir à sa nièce que la misère et l’exil, il la connaît trop bien pour supposer qu’elle s’en effrayera.

« Je suis très persuadé, lui écrit-il le 28 juillet, que nos parens s’occuperont de pourvoir à notre existence en attendant un temps plus heureux. Je croirais même leur faire une injure mortelle en me permettant un doute à cet égard. Mais, j’ignore ce que leurs moyens leur permettront de faire et du plus ou moins ; j’y suis parfaitement résigné. Il y a longtemps que je ne sais plus ce que c’est même que l’aisance. Je ne la regretterais que par rapport à mes enfans. Mais mon neveu est accoutumé à la même vie que moi ; et vous, ma chère enfant, puis-je oublier celle que les bourreaux de votre famille vous ont fait mener si longtemps ? Mon plus grand regret est de ne pouvoir fixer encore l’époque de notre bonheur à tous. Mais j’espère avoir bientôt un asile fixe et, quel qu’il soit, il sera toujours préférable à la Tour du Temple, et la tendresse que nous vous portons vous dédommagera des vingt mois que vous avez passés seule dans cet affreux séjour. »

La résignation qu’atteste cette lettre et le pessimisme qu’elle trahit sont plus apparens que réels, car le Roi est en ce moment convaincu qu’à défaut de ses parens, le Tsar lui viendra en aide. Assuré déjà d’un asile à Yever en Westphalie, il ne doute pas que ce prince généreux ne lui procure aussi des ressources pour y vivre décemment avec sa famille. Il suffira, le Roi le croit, de demander pour obtenir ; et, en ce même mois de juillet, Saint-Priest part pour la Russie, chargé de diverses requêtes pour le souverain, parmi lesquelles la plus recommandée est celle qui a trait aux moyens de faciliter le mariage de Madame Royale avec son cousin. Ces moyens, dans la pensée du Roi, doivent résulter d’une entente entre le Cabinet de Vienne et celui de Saint-Pétersbourg, et cette entente se fera si le Tsar le veut.

Les choses en sont là lorsqu’il lui revient par une voie détournée qu’à Vienne sa nièce s’inquiète de voir qu’en négociant la paix avec la France, le gouvernement autrichien ne songe pas à stipuler une indemnité pour elle. Il s’étonne, — et il le lui dit, — qu’elle puisse penser recevoir quoi que ce soit des bourreaux de ses parens. Elle ne doit désirer que le bouleversement de la République.

« Qui peut en douter, réplique-t-elle, que je ne désire autre chose que la ruine de cette puissance usurpatrice ? Assurément, je la déteste par toutes ces horreurs ; et mon intérêt même, si je n’avais pas d’autre sentiment que celui-là, me force de désirer sa ruine. Quant à être comprise dans le traité, j’avoue que je désire que l’Empereur fasse quelque chose pour moi, pour pouvoir vivre indépendante de la république surtout, et même d’aucunes puissances quelconques. Je n’aime pas à être à charge, et je trouve que, dans ce moment-ci, on ne peut compter sur aucun de ses alliés. Je crois même que vous n’avez pas à vous louer de ceux d’Espagne. Voilà pourquoi je trouve que, ne pouvant compter sur personne, il vaut mieux vivre indépendante. Voilà les raisons qui me font souhaiter que l’Empereur fasse quelque chose pour moi, dans son traité avec la France, mais de la république, je n’attends rien au monde, je la déteste autant que je le dois. »

Le Roi s’émeut de ce qu’il y a d’amertume et de vivacité dans cette réponse. Il se défend d’avoir voulu donner une leçon.

« J’ai reçu, ma chère enfant, votre lettre du 23 juillet et pour aller tout de suite à l’article le plus intéressant pour mon cœur, Dieu me garde de supposer que vous puissiez jamais vous abaisser jusqu’à consentir à recevoir la moindre chose de ces monstres ; je connais trop bien l’élévation de votre âme ; mais j’ai dû vous dire ce que je vous ai dit, parce que je connais la méchanceté des hommes et que d’autres que moi auraient pu faire cette odieuse supposition. Mais personne ne désire plus vivement que moi que l’Empereur s’occupe de vos intérêts dans le traité qu’il va conclure et je reconnais, avec un plaisir que je ne saurais vous exprimer, la justesse de votre esprit dans les réflexions que vous me faites sur la nécessité de vivre indépendans. Quant à l’habitation, ce que nous pouvions désirer de mieux, était de la tenir de l’Empereur de Russie. L’asile qu’il m’offre est la principauté de Yever, en Westphalie, à la rive gauche et pas bien loin de l’embouchure du Weser, à quelques lieues de Bremen. Vous imaginez bien que je l’ai accepté avec reconnaissance ; cependant je ne puis pas y aller encore : cela serait imprudent tant que les patriotes auront des troupes à la rive droite du Rhin et même en Hollande. Mais quand ces pays seront libres, je ne pourrai moi-même l’être davantage que chez le digne fils de Catherine II.

« Vous me dites que vous imaginez que mon neveu m’y suivra, sans doute ; mais pensez-vous que lorsque la paix générale, ou du moins notre sort assuré, me permettra de prendre une habitation fixe, en attendant des momens plus heureux, je puisse n’y pas rassembler autour de moi tout ce qui m’est cher ? J’ignore si le séjour de Yever est agréable, mais je sais qu’avec mes enfans tout sera pour moi le paradis terrestre et je serais trop malheureux si je croyais que vous ne pensassiez pas tous de même. Mais ce serait chercher à se tourmenter inutilement que de concevoir de pareilles idées, et si je désire que vous me rassuriez contre elles, ce n’est que pour avoir un témoignage de plus d’une tendresse à laquelle mon bonheur est attaché. »

Pour achever de calmer sa nièce, il redouble d’attentions et de prévenances. Le 1er août, elle reçoit de lui, par l’entremise de La Fare, un charmant habit de linon brodé. « Ce n’est pas l’ouvrage, quoiqu’il soit très joli, qui me fait plaisir, mais c’est qu’il vient de votre part. » Puis, il lui fait espérer un portrait de Marie-Antoinette ; il lui promet le sien, celui du Duc d’Angoulême qu’elle attend avec d’autant plus d’impatience qu’elle pose en ce moment devant un peintre viennois afin que son fiancé possède son image.

Du reste, le désir qu’elle exprime à cet égard ne signifie nullement qu’elle soit pressée de se marier. Elle a déjà dit qu’elle préfère attendre. La lettre dans laquelle son oncle lui a rappelé les cruels souvenirs de la Tour du Temple lui fournit l’occasion de le répéter.

« Il ne suffit pas, mon très cher oncle, d’être dans la Tour du Temple pour être malheureuse. Assurément, il n’y a rien de pire qu’une prison. Mais les pertes que j’ai faites suffisent pour me rendre toujours malheureuse, surtout si je devais y joindre le juste reproche avec le temps de faire encore des malheureux. C’est ce qui me persuade que vous ne voulez pas songer à mon mariage avant que la paix ne soit faite définitivement, et que toutes les affaires ne soient arrangées, et qu’on sache positivement ce que les miens et moi-même avons à craindre ou à espérer. Voilà ma façon de penser. Je suis persuadée que c’est la vôtre. Vous êtes trop juste et trop raisonnable pour regarder les choses à un autre point de vue que celui-là. »

Cette expression nouvelle d’une volonté qu’à plusieurs reprises déjà le Roi avait vue se dresser devant la sienne ne laissa pas de lui déplaire. Mais il aimait trop sa nièce et tenait trop à la ménager pour laisser percer son mécontentement. Sa réponse est affectueuse, quoique brève :

« Je sais très bien, ma chère enfant, que ce ne sont pas les murs d’une prison qui font le malheur : j’ai recouvré ma liberté, et les pluies de mon cœur n’en sont pas moins vives. Mais séjour pour séjour, il n’y en a pas qui ne soit préférable à une prison. Je ne crois pas que vous puissiez concevoir l’idée que je veuille vous rendre malheureuse, ni par vous-même, ni par d’autres êtres qui ne me sont pas moins chers qu’à vous : cette idée serait trop offensante pour moi. C’est au contraire votre bonheur qui est le principal objet de mes vœux. Fiez-vous à ma tendresse pour fixer l’époque de ce qui doit le plus y contribuer. Si je n’avais écouté que le désir de mon cœur, cette époque serait déjà arrivée. Mais, s’il ne dépend pas tout à fait de moi de la-hâter, du moins mes souhaits les plus ardens, et je puis dire aussi, ceux de tous les bons Français, ne cesseront de l’appeler. »

Bien que ce langage donnât toute satisfaction à Madame Royale, elle n’en conserva pas moins l’impression qu’on avait cherché à peser sur sa volonté pour précipiter la conclusion d’un mariage auquel elle était plus résolue que préparée et qu’elle entendait ajourner encore. Ce fut le premier nuage qui s’éleva entre elle et le Roi, le premier et, hâtons-nous de le dire, le seul. Il allait être promptement dissipé. Mais, en attendant, il eut pour effet d’éveiller l’attention de la princesse sur diverses circonstances qui ne l’avaient pas encore frappée et qui maintenant, en se groupant dans sa pensée, constituaient à ses yeux une preuve de négligence envers elle.

Elle n’accusait ni le Roi, ni le Duc d’Angoulême, ni la Reine, qui était alors à Budweiss en Bohême, ni ses grand’tantes réfugiées à Naples ; ceux-là lui écrivaient régulièrement. Mais, en dix-huit mois, elle n’avait reçu qu’une seule lettre du Comte d’Artois, aucune de la Comtesse d’Artois, qui résidait encore à Turin, ni du Duc de Berry, et pas davantage de ses cousins d’Espagne. La reine de Naples était restée longtemps aussi avant de lui donner une marque d’intérêt ou de souvenir. Elle en concluait qu’elle était, de la part d’une partie de sa famille, l’objet d’une indifférence blessante. Ce qui contribuait encore à le lui prouver, c’est qu’on ne l’informait qu’accidentellement des événemens qui pouvaient l’intéresser ; elle n’était tenue au courant de rien. Le plus souvent, c’est par les gazettes ou par des visiteurs qu’elle apprenait les détails qui regardaient ses proches et en se le rappelant, elle y puisait la crainte d’être comptée pour peu de chose.

À ces griefs que ses parens d’Autriche, loin de les combattre, se plaisaient à grossir, vint s’en joindre un autre qui acheva de la mécontenter. Le 22 août, le Duc d’Angoulême, se promenant autour de Blanckenberg, tomba de cheval et se cassa la clavicule. Elle l’apprit à peu de jours de là, en lisant un journal. Elle fut profondément blessée de n’avoir pas été avertie par le Roi et d’autant plus humiliée de ce qu’elle considérait comme un manque d’égards, que la famille impériale ne manqua pas de le lui faire sentir. En réalité, il n’y avait de coupable que la poste, car le Roi avait écrit à sa nièce quelques heures après l’accident. Mais, elle ne put s’en convaincre que lorsque la lettre de son oncle lui parvint, avec un retard de plusieurs jours, le 2 septembre, et lui apporta des nouvelles du blessé.

« J’ai reçu hier, ma chère enfant, votre lettre du 12, et j’ai remis à mon neveu celle qui était pour lui. Jugez de la douleur qu’il éprouve d’être obligé de s’en remettre à moi pour répondre à une lettre si aimable ; mais il y est forcé. Ce matin, une chute de cheval qui aurait pu être beaucoup plus dangereuse, lui a cassé la clavicule. Cet accident ne l’a pas empêché de faire à pied une lieue, et comme son bon cœur ne se dément jamais, au lieu d’aller chez lui se faire panser, il est venu lui-même m’en apporter la nouvelle, afin que l’ayant vu avant de savoir ce qui lui était arrivé, mon inquiétude fût moindre. Mon chirurgien qui est très bon, l’a pansé d’abord après ; la fracture est simple, et j’espère que la guérison n’en sera pas bien longue : mais l’opération ne pouvait pas ne pas être douloureuse. Je n’ai pas eu le courage d’assister au moment le plus douloureux. Je suis arrivé à la fin du pansement, et son courage simple et calme aurait pu, si je n’avais rien su d’ailleurs, me faire croire qu’il était tout uniment à sa toilette. On l’a saigné par précaution, et il est aussi bien que son état peut le comporter.

« Mais si son physique est en mauvais état, son moral est, grâce à votre lettre, dans un état bien différent, et son seul regret est de ne pas vous exprimer lui-même son bonheur.

« — Peignez bien, mon cher oncle, m’a-t-il dit, peignez bien à mon aimable cousine tous les sentimens dont j’ose à peine l’entretenir. Elle veut bien désirer de contribuer à ma félicité ; elle ne sait pas combien elle y réussit par ce seul désir. C’est à moi de désirer de contribuer à la sienne, et tous mes jours, tous mes instans y seront consacrés sans réserve. Je sens bien vivement, j’ose même interpréter en ma faveur ce qu’elle me dit de votre amitié pour moi. Les cruels exemples qu’elle a eus sous les yeux ont sans doute contribué à redoubler son courage ; mais si le mien faiblissait jamais, ce serait auprès d’elle que j’irais chercher un modèle, et le désir d’être toujours digne d’elle suffirait pour me faire bannir toute pensée indigne de moi.

« Voilà, mot pour mot, ce que j’ai entendu de sa bouche, il n’y a pas une heure, mais je voudrais pouvoir vous peindre l’expression avec laquelle ces paroles m’ont été dites : elles vous feraient la même impression. »

Quelle que fût très probablement la part de l’éloquence coutumière du Roi dans la tirade passionnée de son neveu, elle était bien faite pour dissiper les griefs de Madame Royale et apaiser son ressentiment. Sa réponse démontre qu’elle en avait fait aussitôt litière. Elle remerciait son oncle de lui avoir écrit « tout de suite » et son cousin d’avoir « au milieu de ses douleurs » pensé à elle. « Mais, j’oserai vous prier, mon cher oncle, de lui défendre de m’écrire jusqu’à ce qu’il soit complètement rétabli, la tranquillité lui étant complètement nécessaire. Je suis charmée du courage et de la tendresse qu’il vous a marqués, faisant encore une lieue après cet accident pour aller vous trouver ; je compatis bien aux douleurs qu’il doit ressentir et espère qu’il sera bientôt guéri. »

Il semble bien, à lire ces propos, qu’ils eussent dissipé le nuage. Mais un peu de négligence du côté de Blanckenberg à transmettre des nouvelles ultérieures le ramena, On l’aperçoit dans une lettre qu’écrivait la princesse quinze jours plus tard en réponse à celle qu’elle venait de recevoir de son oncle au retour d’un pèlerinage qu’elle avait fait à un sanctuaire de la Vierge, situé « à neuf postes » de Schœnbrun : « Je commençais à être inquiète, ne recevant pas de nouvelles ; j’ai même demandé à l’évêque si vous ne lui aviez rien mandé à ce sujet. Mais, il m’a paru très surpris que je lui aie dit cela et ne m’a pas paru instruit de l’accident. »

Au bout de peu de temps, le Duc d’Angoulême fut entièrement rétabli. Un mot du Roi glissé dans une lettre en prévint la fiancée, mais avec si peu de détails qu’elle soupçonna qu’on ne lui disait pas toute la vérité. Elle craignait que son cousin ne fût resté estropié. Elle n’osa cependant faire part au Roi de ses craintes. Il n’en est pas moins vrai que, durant la période dont nous racontons les incidens, il s’inquiéta plus vivement qu’il ne l’avait fait jusque-là des dispositions de sa nièce. Il ne trouvait plus dans ses lettres « le style d’une résolution aussi fixe et aussi déterminée qu’elle semblait l’être à sa sortie de France. » Confident de ses inquiétudes, d’Avaray qui les partageait, fut d’avis de tout faire pour savoir si elles étaient ou non fondées.

Un brillant gentilhomme français, le marquis de Bonnay, jadis familier de la Cour de France, maintenant émigré et souvent employé par les princes à des missions de confiance, se trouvait alors à Blanckenberg. Il s’y était arrêté en allant en Autriche, afin de présenter ses hommages à son maître et de prendre ses ordres pour Vienne. Sur le conseil de d’Avaray, le Roi résolut de se confier à lui et d’utiliser son zèle pour pénétrer le véritable état d’âme de Madame Royale[5].

« — J’ai une plaie qui me ronge, mon cher Comte, lui dit-il. Les lettres de ma nièce me font craindre qu’on ne soit parvenu à l’autrichienniser. Il me semble que ses résolutions ne sont plus aussi fermes, et l’on m’affirme que les Français admis à lui faire leur cour ne trouvent plus auprès d’elle l’accueil qu’ils sont en droit d’en attendre. Je ne doute pas de son obéissance si j’en venais à lui ordonner de se rendre auprès de moi pour accomplir le vœu de ses parens. Mais, n’a-t-on pas cherché à lui inspirer et n’a-t-elle pas fini par concevoir de l’éloignement pour l’état de médiocrité momentanée où pourrait la condamner son mariage avec mon neveu ? Voilà ce qui me préoccupe. Vous allez à Vienne ; vous la verrez ; tâchez de savoir ce qu’elle pense et de la rattacher, s’il y a lieu, à l’idée de cette union, à lui en inspirer le désir ; appliquez-vous enfin à seconder mes vœux qui sont aussi ceux du Duc d’Angoulême et de la France.

Bonnay commença par se récuser. Il manquait de moyens à Vienne pour remplir les intentions du Roi. Mais celui-ci insista. Il connaissait le dévouement et l’habileté de ce royaliste fidèle, son esprit de pénétration et ne lui demandait après tout qu’à se rendre utile dans la mesure où il le pourrait. Bonnay finit par céder et promit tous ses efforts pour donner satisfaction à son prince. En arrivant à Vienne et après avoir été reçu par Madame Royale, de laquelle il n’eut qu’à se louer, il put d’abord constater que si l’Empereur avait espéré, en traitant pour la liberté de sa cousine, la faire contribuera l’agrandissement de sa maison, il y avait ensuite renoncé devant la résistance opposée par elle à ses suggestions. Cette résistance, on la devait surtout à Mme de Soucy. C’est elle qui s’était attachée à armer Madame Royale et à la mettre en garde contre les vues de la Cour de Vienne, ne craignant pas « pour ajouter l’arme du dégoût à toutes les autres, » de lui faire sur la personne et la santé de l’archiduc Charles des confidences très intimes : c’est elle aussi qui lui avait conseillé d’écrire au Roi, dès sa sortie de France et avant d’arriver à Vienne.

Ainsi prévenue, peu accoutumée à dissimuler, la princesse, au lieu de se livrer aux caresses de sa famille, avait manifesté tant de froideur et si mal répondu aux avances de l’Empereur que celui-ci, au bout de quarante-huit heures, s’était cru obligé de provoquer une explication. Elle avait eu lieu et il en était résulté une promesse solennelle faite par François il de ne pas entraver le désir de Madame Royale. Depuis, la situation n’avait pas changé et il n’était pas exact de prétendre que la fille de Louis XVI eût été « autrichiennisée, » à moins qu’on n’entendit par là qu’elle n’avait pas dû, dans les lieux qu’elle habitait, apprendre à connaître et à apprécier les Français :

« En général, nous ne sommes guère aimés chez les étrangers, déclarait Bonnay en rendant compte à d’Avaray. Nous le sommes moins à Vienne qu’ailleurs ; nous le sommes moins encore dans le Palais impérial que dans les autres classes de la société. Il n’y a pas six semaines que l’Impératrice, pour ravaler Mgr le duc d’Enghien disait de lui :

« — Oh ! pour celui-là, il est bien Français ! »

Madame avait donc dû recueillir sur sa famille et ses compatriotes plus de traits satiriques que d’éloges. Mais cela ne l’avait pas empêchée de bien recevoir tous ceux d’entre eux qu’elle jugeait dignes de son estime et de sa confiance. A cet égard, les exemples étaient nombreux : le duc d’Enghien, ses officiers, le comte d’Albignac, le comte du Cayla, le marquis de Bonnay lui-même et tant d’autres. Très pieuse, elle ne s’était montrée froide et réservée que pour les gens dont elle avait ouï dire que leur conduite était peu régulière.

Quant aux craintes conçues par le Roi en ce qui touchait les intentions de sa nièce, craintes résultant de ce que son style n’était plus aussi « prononcé » qu’au moment de sa sortie de France, Bonnay, ses informations prises, jugea qu’elles n’étaient pas fondées. Lorsqu’elle avait été mise en liberté, Madame Royale avait « la tête montée » et par les insinuations de Mme de Soucy et par le mécontentement que lui causait ce qu’on lui avait dit des intentions de l’Empereur. A peine hors de sa prison, mise au courant des vœux de ses parens et résolue à y obéir, elle n’avait pas cru pouvoir mettre trop de force à le déclarer De là, le ton énergique des lettres qu’elle écrivait alors, à l’effet de ne laisser planer aucun doute sur sa volonté. Mais, deux années s’étaient écoulées depuis. Cette volonté était connue, acceptée ; personne ne songeait à la contrarier ; il n’était donc pas utile qu’elle se manifestât avec autant de chaleur qu’à l’époque où la Cour de Vienne paraissait y mettre obstacle.

Bonnay ne méconnaissait pas cependant que si les résolutions de la princesse semblaient ralenties, ce pouvait bien être aussi parce que son cœur et son amour-propre avaient été blessés du peu de soin déployé pour lui plaire, pour l’attacher et pour s’en faire aimer, ou encore parce qu’on avait voulu hâter son mariage sans sa participation et contre ses idées. Sur ce point, il s’exprimait sans réticences dans le rapport qui nous guide. Pouvait-on croire qu’à moins d’une disposition romanesque que son éducation ni les circonstances de sa vie n’avaient pu lui donner, Madame Royale aimât son cousin avec assez de passion pour tout braver, afin d’accélérer le moment de son mariage ?

« Non, monsieur le comte, Mme Thérèse n’est point passionnée : elle est essentiellement raisonnable ; elle voit et juge les choses de sang-froid, Elle voit que le Roi n’a eu jusqu’ici et n’a même encore qu’un asile précaire et incertain. Elle en a fait elle-même la remarque : « Où aurait-elle pu se réunir à lui ? Est-ce à Vérone d’où on l’a contraint de s’éloigner ? Est-ce à l’armée de Condé où il n’a pu rester ? Est-ce à Blanckenberg d’où un simple signe du roi de Prusse, d’où la seule arrivée de Madame, peut-être, l’aurait obligé de partir et où il est douteux qu’il pût demeurer, si l’invasion du pays de Hanovre avait lieu ? » Voilà. ce que Madame a pensé, ce qu’elle a dit, et ce qui l’a éloignée jusqu’ici du désir et de l’idée de terminer une affaire qui ne lui semble pas devoir péricliter pour être un peu différée.

«… Elle se croit libre, elle veut être libre et toute idée de contrainte ne peut que l’effaroucher. C’est à la gagner et non à presser sa décision qu’il faut porter toutes ses vues. Il serait à craindre, si l’on en usait autrement, non pas peut-être qu’elle prît un autre engagement, sa religion et ses principes l’en défendraient, mais qu’elle différât, qu’elle éludât de remplir celui qu’elle a contracté, tout sacré qu’il lui paraisse encore aujourd’hui… Avec son caractère, si une fois elle se portait à un acte de résistance, ou si l’on veut de désobéissance, il serait à craindre qu’elle n’en revînt jamais et on ne peut douter qu’elle n’y fût appuyée par cette Cour. Enfin, si elle se forçait à l’obéissance et que cette obéissance fût un sacrifice, Mgr le Duc d’Angoulême pourrait-il être flatté, pourrait-il être heureux d’un acquiescement que le cœur de Madame n’aurait pas ratifié ? »

Pour conjurer les tristes conséquences qu’il venait d’envisager sans y croire, il n’était qu’un moyen, disait le marquis de Bonnay, c’était de tout faire pour prouvera Madame Royale qu’elle était aimée. Mais, ce moyen n’était pas à Vienne, où elle vivait seule, retirée, surveillée, ne recevant que de rares visites, toujours en présence de Mme de Chanclos ou de la nièce de celle-ci, Mlle de Roisin, « jeune personne fort aimable et d’un rare mérite. » Ce moyen était à Blanckenberg, dans les mains du Roi et du Duc d’Angoulême. A eux seuls, il appartenait de ne pas se faire oublier et de prouver qu’ils n’oubliaient pas. Essayer d’en convaincre Madame par l’intermédiaire des Français résidant à Vienne serait peine perdue. Les communications de « bouche à bouche, ou même par écrit, » outre qu’elles étaient à peu près impossibles, vu l’entourage de la princesse, composé de personnes toutes dévouées à l’Empereur et en qui, néanmoins, elle avait toute confiance, tourneraient contre ceux qui s’en seraient chargés et « gâteraient infailliblement les affaires. »

« Il faudrait des lettres fréquentes et des lettres de toutes les personnes de la famille royale. Monsieur, qui se trouve plus en retard que tout autre, devrait écrire, écrire avec amitié et écrire souvent. Il devrait envoyer son portrait ; le Roi, le Duc d’Angoulême, les autres princes et princesses devraient en faire autant. Sans entrer dans aucune affaire politique, on devrait aussi parler à Madame avec détail de sa famille, de sa situation, de ses déplacemens, en un mot la tenir au courant de tout et lui prouver en toute occasion qu’on l’associe au présent et à l’avenir.

« Il est de petits détails sur la vie intérieure de Mgr le Duc d’Angoulême qui transmis à propos et avec adresse ne pourraient manquer de produire un bon effet. Par exemple, Monseigneur a de la religion et en remplit les devoirs. J’ai su qu’à son départ d’Edimbourg et de lui-même, il avait demandé à faire ses dévotions et les avait faites. Madame Thérèse, qui est extrêmement pieuse, aurait appris ce fait avec un extrême plaisir et M. l’Evêque de Nancy a eu beaucoup de regret de l’avoir ignoré. Vous connaissez, Monsieur le comte, ce que peut auprès des femmes en général — et pourquoi pas auprès des princesses ? — l’art de faire valoir les hommes que l’on cherche à leur faire aimer ; il faut que tous vos ressorts soient tendus pour faire valoir en toute occasion et surtout sous les rapports qui sont plus du ressort et du genre de cette princesse.

«… Courageuse, pieuse et éprouvée comme elle l’est, Madame Thérèse qui a langui deux ans et demi dans une affreuse prison, Madame Thérèse qui a épuisé toute la coupe des malheurs presque avant d’avoir bu dans celle de la vie, ne sera jamais arrêtée par des considérations secondaires, telles que les inconvéniens d’un sort malheureusement trop au-dessous de celui auquel elle est en droit de prétendre. Mais, si le spectacle d’une malaisance honorable ou la crainte d’avoir des enfans qui ne jouiraient pas d’un rang digne de leur naissance pouvaient jamais balancer en elle le sentiment de son devoir et ébranler sa résolution, ce serait une raison de plus pour essayer d’intéresser d’avance son cœur en faveur du parti qu’on attend d’elle. »

Gagner ce jeune cœur, par tous les moyens, tel était donc le conseil par lequel l’auteur de ce rapport couronnait les curieuses confidences et les piquantes réflexions auxquelles il venait de se livrer. Pour finir, il y ajoutait cette dernière information qui achève d’éclairer la situation délicate en laquelle Madame Royale se trouvait à la Cour d’Autriche :

« Le bruit de Vienne a été et est même encore que l’Impératrice n’aime pas Madame Thérèse ou plutôt qu’elle en est jalouse. Les uns croient qu’elle a craint l’effet de ses charmes sur l’Empereur, les autres, en plus grand nombre, pensent qu’elle a redouté le crédit ou l’influence qu’elle pourrait prendre. J’ose être d’un avisa part et croire que l’Impératrice, si elle éprouve réellement le sentiment qu’on lui prête, est jalouse de l’amour du peuple, qui lui est généralement refusé et qui est universellement acquis à Madame Thérèse… Quoi qu’il en soit et à quelque cause que soit dû le petit éloignement que l’on a cru remarquer, il n’a point influé sur les égards et les procédés de décence et s’il faut même dire tout ce que j’en pense, je trouve qu’il ne peut que servir à merveille les vues du Roi et les intérêts de Mgr le Duc d’Angoulême. »

Le rapport que nous venons d’analyser porte la date du 24 décembre 1797. Lorsque, au commencement de l’année suivante, le Roi en prit connaissance, les révélations et les conseils qu’il lisait avaient perdu beaucoup de leur utilité ; il s’était convaincu de l’exagération de ses craintes relativement à sa nièce. Cette conviction, il l’avait puisée dans le spectacle de l’élan généreux avec lequel elle s’associait dès ce moment à deux nouvelles épreuves qu’il venait de subir : à Paris, dans la journée du 18 fructidor (5 septembre), l’autre à Blanckenberg même où le duc de Brunswick avait dû lui faire signifier un ordre du roi de Prusse, qui le mettait en demeure de quitter cet asile.


III

Ce n’est pas ici le lieu de raconter les circonstances qui, à Blanckenberg, précédèrent et suivirent le coup de force exécuté à Paris, le 18 fructidor, par la majorité du Directoire. Il surprenait l’Europe dans l’attente de la paix générale en vue de laquelle des négociations se poursuivaient entre le gouvernement de la République et les puissances encore en guerre avec elle ; il compromettait cette paix, car, on pouvait craindre que maintenant l’Europe refusât de traiter avec un gouvernement qui, pour consolider sa victoire, ne craignait pas de recourir aux procédés de la Terreur. Cette victoire était en outre un désastre pour la cause royale. Tous les projets des émigrés étaient dévoilés, leurs complots, leurs menées, leurs espérances, livrés par des traîtres, odieusement dénaturés par les vainqueurs et dénoncés à la France comme une preuve des alliances coupables contractées par les royalistes avec l’étranger. L’événement était donc lamentable pour le Roi et pour sa cause ; personne ne s’y méprit. La nouvelle en étant parvenue à Vienne, le 23 septembre, Madame Royale se hâta d’écrire à son oncle sans attendre d’avoir été avertie par lui :

« J’ai appris par les journaux avec bien de la peine ce qui vient de se passer en France. Mon Dieu ! si ce qu’ils disent est vrai, vous y êtes compromis avec bien du monde. Il est heureux au moins que jusqu’à présent, il n’y ait pas eu de sang répandu ; mais je crains bien que cela n’arrive. Le bruit même court ici que Pichegru a été tué ainsi que Carnot. Je ne les connais ni l’un ni l’autre, mais il me paraît qu’ils étaient de la bonne cause. La personne qui me fait le plus de pitié dans tout cela c’est la pauvre Duchesse d’Orléans, à qui on avait rendu ses biens et qu’on expatrie à présent, je crois, en Afrique. Celle-là au moins a toujours été vertueuse et malheureuse. Il paraît que ce sont les Jacobins qui triomphent à présent. C’est ce qui pouvait arriver de plus mauvais. Je suis bien curieuse de savoir à présent si la paix aura lieu, si ceux-ci la voudront encore. Je crains que non, parce qu’ils auront peur de leurs armées qui sont mécontentes et qui, rentrant dans la France, y amèneraient le mécontentement. D’un autre côté, cependant, je crois qu’ils ne peuvent pas continuer la guerre car ils ne doivent plus avoir d’argent. Je suis curieuse et empressée de savoir comment les choses s’arrangeront. J’attends avec bien de l’impatience des nouvelles de Paris pour savoir ce qui s’y passe. »

Le Roi répondit : «… J’ai bien reconnu la bonté de votre cœur dans ce que vous me mandez au sujet de ce qui vient de se passer à Paris. C’est sûrement un grand bonheur que cette crise n’ait pas fait verser de sang ; mais je crois qu’il faut l’attribuer moins à la modération des triumvirs qu’à la conscience de leur faiblesse. Je gémis profondément avec vous sur le sort de ceux qui ont été dans cette occasion les victimes de leur zèle pour le bien de notre patrie, mais notre courage n’en doit pas être ébranlé ; il ne sera pas arrêté. Quant à moi, peu m’importe que mon nom soit prononcé dans cette affaire. Mes sujets fidèles n’avaient pas besoin de ce qui vient de se passer, pour savoir que la première de mes occupations est de leur rendre le bonheur, ni les usurpateurs de mon autorité pour croire que je me tiendrai en repos, tandis qu’ils tyranniseraient ma patrie. »

Quelques jours plus tard, Madame Royale ayant exprimé les alarmes qu’excitait en elle la confusion tragique des événemens qui se déroulaient de toutes parts, terriblement gros de complications nouvelles, le Roi reprenait :

«… L’avenir est en effet, comme vous le dites fort bien, environné d’un voile épais, et le passé ne nous engage pas à croire que ce voile cache rien de bon. Cependant on peut en soulever un coin, et la perspective que je découvre n’est pas si effrayante qu’on pourrait se le figurer. Les prêtres et les émigrés sont, j’en conviens, persécutés en ce moment ; mais les uns et les autres seront rappelés par l’opinion publique, et sa tendance vers la religion et la monarchie est toujours la même. Elle est comprimée, il est vrai ; mais elle ne peut l’être longtemps que par le régime révolutionnaire, et la preuve que les tyrans actuels n’osent en revenir à cet effroyable régime, c’est qu’ils n’ont pas osé faire exécuter, quoiqu’elle ne soit pas abrogée, la loi de sang qui condamne à la mort tout émigré rentré. Un gouvernement usurpateur et monstrueux ne peut se soutenir que par la violence, et toute demi-mesure de ce genre ne fait que déceler sa faiblesse et irriter les sujets. Tel est l’état de la France, et quoique le moment soit dur à passer, cet état offre de grandes espérances pour l’avenir. Plût à Dieu qu’il fût possible d’y voir aussi clair sur la grande question de la paix ou de la guerre ! »

La paix fut signée peu après :

«… Je savais la nouvelle de la paix, mais je ne suis pas plus instruit que vous sur les conditions ; elles sont bien importantes. Quant aux événemens, un nuage épais les couvre, et bien habile serait celui qui pourrait percer ce nuage, et découvrir l’avenir. C’est un grand problème que de savoir si la paix est un bonheur ou un malheur pour nous, c’est-à-dire pour la France, car ces mots sont synonymes. Le temps en donnera la solution, et je me trompe fort, ou cette solution ne se fera pas attendre longtemps. »

En fait de solution, il n’en existait qu’une qui pût plaire au Roi : celle qui lui rouvrirait son royaume, en prouvant aux Français rendus à eux-mêmes, grâce à la paix, que l’unique remède à leurs maux, c’était la restauration de leur légitime souverain. On lui disait de toutes parts que cette opinion se répandait de plus en plus en France, que le parti royaliste ne cessait de grossir, que les vœux de tous les bons citoyens étaient en faveur du Roi. Mais était-ce vrai ? Ne le trompait-on pas ? L’avenir seul pouvait le lui apprendre. En attendant, rien ne lui réussissait. Tous les événemens semblaient tourner contre lui, et la gloire de Bonaparte se préparait à retarder de dix-sept ans le retour des Bourbons dans leur patrie.

Quiconque eût alors prédit à leur chef que son exil devait durer si longtemps encore eût sûrement provoqué d’énergiques dénégations ; il ne pouvait croire, il ne croyait pas que son triomphe fût si lointain. Cependant les événemens se prononçaient au rebours de ses vœux. Quoiqu’il vînt de s’installer à Blanckenberg dans une maison plus commode et plus vaste que celle qu’il avait habitée jusque-là, il se savait toujours exposé à être chassé de cette pauvre bourgade, n’osait plus compter sur l’asile qu’il avait espéré en Westphalie et se voyait au moment d’être contraint d’accepter l’hospitalité que le Tsar lui offrait à Mitau.

À ce même moment, l’armée de Condé, — sa dernière ressource, — passée au service de Paul Ier, s’acheminait tristement vers la Pologne, tournant le dos à la France, et lui-même devrait bientôt la suivre, aller encore plus loin qu’elle, jusque dans ces contrées perdues de la Courlande où l’accueil qu’on lui réservait, si flatteur qu’il fût, ne le consolerait pas d’être si loin de son frère, si loin des Tuileries et de Versailles, si loin des frontières françaises et des villes de l’étranger où s’agitaient ses partisans. Ces douloureuses perspectives n’ébranlaient cependant ni son courage, ni sa confiance ; elles n’altéraient en rien non plus la tendresse qu’il avait vouée à sa nièce et qui semblait s’augmenter au fur et à mesure qu’il pouvait craindre davantage de voir s’élargir la distance qui le séparait de son pays. Elle s’exprimait toujours plus vive et plus ardente, comme s’il eût déjà prévu tout ce que lui verserait de bonheur et de consolation, au fond de son exil, la vaillante fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, devenue sa fille d’adoption.

Les lettres qu’il échange alors avec elle accusent de part et d’autre un redoublement d’affection, un plus pressant besoin de s’unir pour résister aux coups de l’adversité. Au commencement de novembre, le duc d’Enghien allant vers la Pologne avec l’armée de son grand-père fait un crochet par Vienne afin de voir sa cousine. Elle se hâte de le mander au Roi :

« Je vous demande pardon de ne vous avoir pas écrit la poste passée, mais c’est que j’étais dans l’attente du duc d’Enghien et je ne voulais vous écrire que quand je l’aurais vu. On l’attend ici depuis dimanche et il n’est arrivé que mardi soir. Je l’ai vu hier. Mon Dieu ! cela m’a fait grand effet de revoir enfin quelqu’un de ma famille. C’est extraordinaire que le sort fasse que je revoie celui-là le premier qui cependant m’est le parent le plus éloigné. Je regrette toujours beaucoup que le prince de Condé ne soit pas venu ici ; j’aurais tant désiré de le voir pour l’admirer et lui témoigner la reconnaissance que j’ai pour tout ce qu’il fait pour la bonne cause. Ne le voyant pas, j’ai bien chargé son petit-fils de le lui dire. Le duc d’Enghien mérite aussi bien des éloges, car à son âge, il s’est déjà bien signalé. Je ne me ressouvenais plus du tout de lui ni de sa figure ; cependant je l’ai reconnu aisément à son air noble et malheureux.

« Il y a ici assez de Français, presque tous de l’armée de Condé. Aujourd’hui je les verrai tous, du moins ceux qui sont à Vienne. C’est une chose qui me déchire l’âme que de voir ces malheureuses gens qui vont par cette saison-ci dans un pays tel que la Russie et qui les éloigne si fort de leur patrie, des vieillards qu’on mène sur des chariots par le froid, et pourquoi ? pour vivre dans des déserts, car on dit que les pays où ils vont ne sont presque pas habités que par des Cosaques. Là, ils seront seuls, sans savoir à peine des nouvelles de ce qui se passe. Je sais ce que c’est que d’ignorer ce qui se passe quand surtout cela vous intéresse. J’ai été deux ans entiers sans rien savoir du tout ni de mes païens qui sont morts en France, ni de ma famille, ni de la guerre, ni de ce qui se passait même à Paris. Il n’y a rien de pis que cette position. Ainsi je compatis bien sincèrement à celle des autres. Ces pauvres gens qui vont en Russie ont peut-être encore une famille en France. Là, ils en ignoreront totalement les nouvelles. C’est une chose qui me fait une peine affreuse à penser. Il est vrai que cela vaut mieux que de mourir de faim, mais c’est une triste existence que celle-là. Je ne veux plus parler de tout cela, cela m’afflige trop, et je suis persuadée du chagrin que vous en ressentez aussi. »

Ces témoignages de la pitié de sa nièce vont au cœur du Roi ; la sienne s’excite au spectacle du sincère chagrin qu’inspire à Madame Thérèse le sort de ces pauvres exilés et il s’attache à lui prouver que celui qu’elle a subi fut encore plus cruel :

« L’effet que la visite de M. le duc d’Enghien vous a fait m’a touché jusqu’au fond du cœur. Je l’envie de vous avoir vue. Mais quand je songe que ce n’a été qu’un moment, j’en suis moins jaloux. Je paierais sans doute bien cher un pareil moment. Mais il ne me suffirait pas ; car ce n’est pas seulement vous parler de ma tendresse que je désire, c’est vous la prouver, en contribuant de tout mon pouvoir à vous rendre heureuse.

« Je ne suis pas moins touché des sentimens que l’armée de Condé excite en vous. Mais pensez que tous ceux qui la composent, sont soutenus par l’honneur, et qu’avec un pareil appui, on peut tout braver. D’ailleurs, leur sort en Pologne ne saurait être comparé au vôtre pendant cette cruelle captivité. La plus grande difficulté qu’ils éprouveront pour avoir des nouvelles de ce qui leur est cher existait déjà en Allemagne : c’est celle de franchir la frontière. Cet obstacle une fois levé, il n’y a plus que des retards, au lieu que vous, dans l’horrible séjour que vous avez habité plus de trois ans, une porte vous séparait de tout, et vous sentiez que c’était une barrière insurmontable. Je ne veux pas ramener plus longtemps votre imagination sur les maux que vous avez soufferts : mais soyez sûre qu’ils vous rendent plus chère à mon cœur. »

Quatre jours plus tard et, comme pour lui prouver que ce ne sont point là de vaines paroles, le Roi envoie à sa nièce un souvenir qu’il lui promettait depuis longtemps et qu’il avait été empêché de lui faire passer.

« J’ai enfin trouvé, ma chère enfant, l’occasion que j’attendais depuis si longtemps pour vous transmettre le précieux dépôt dont je me suis chargé pour vous. J’espère que vous serez contente de la ressemblance, quoique votre malheureuse mère fût bien plus jeune, lorsque cette pierre a été gravée, que lorsque vous avez pu la connaître. Celle qui vous en fait l’hommage, et dont je n’ai pas voulu confier le nom à la poste, parce qu’elle est en France, est Mme de Champcenetz qui, toute née à Clèves qu’elle est, n’en est pas moins bonne Française, et a par devers elle plusieurs traits aussi courageux que touchans de secours envers nos pauvres émigrés. Je n’ai dans ceci d’autre mérite que d’être le canal par lequel elle vous transmet cette preuve certaine de son attachement. Mais je n’en jouis pas moins du plaisir douloureux que vous éprouverez, et il me semble qu’en vous faisant passer l’image de votre mère, j’acquiers un droit de plus à votre tendresse, que cette bague est un lien de plus entre nous, et vous pouvez juger de l’empressement avec lequel je saisis cette idée. »

Le 29 novembre, la princesse annonce la mort du roi de Prusse qu’elle vient d’apprendre :

« On dit ici que le roi de Prusse est mort. Je ne sais si dans ce moment-ci cet événement est heureux ou malheureux. Son fils, je crois, est peu disposé pour les émigrés français ; on dit même qu’il en a fait arrêter déjà deux. C’est un mauvais commencement. Je crois cependant que nous n’avons pas lieu de beaucoup regretter l’autre. La campagne de Champagne qu’il a faite et sa malheureuse réussite est une chose que je ne peux pas comprendre. Dans le temps, j’ai toujours cru qu’on nous faisait des histoires quand on disait que le roi de Prusse reculait, c’était une chose qui me paraissait impossible étant si près de Paris. Enfin, il faut oublier tout ce qui s’est passé car on n’y voit que choses tristes et affligeantes. »

Le Roi est bien de cet avis. Mais il ne résiste pas au désir de prouver que ces douloureux souvenirs ne se sont pas effacés de sa mémoire.

«… La mort du roi de Prusse vous a rappelé une bien cruelle époque. Jugez de ce que je souffrais de notre fatale retraite ! Nous n’étions plus qu’à vingt-cinq lieues de vous, je voyais vos bras tendus vers nous, et il fallut s’éloigner. J’aurais supporté de quitter une seconde fois ma patrie : mais je sentais tout ce que vous deviez éprouver, et la certitude que vous sentiez aussi ce que j’éprouvais moi-même rendait encore ma peine plus aiguë. Adorons la Providence, ma chère enfant ; c’est la seule ressource qui reste dans des pensées aussi douloureuses. »

Enfin le 19 décembre, l’anniversaire de la naissance de sa nièce lui fournit l’occasion de résumer sous une forme en quelque sorte plus solennelle les tendres engagemens que, depuis plus de deux ans, il n’a cessé de prendre envers elle, et cette occasion, il se garde bien de la laisser échapper.

«… Il y a aujourd’hui dix-neuf ans que vous êtes née ; je n’ai besoin d’aucune époque pour penser à vous : mais celle-ci semble appeler davantage mon attention. Je me rappelle les souhaits que je formais pour vous en vous présentant à l’autel ; je les renouvelle avec plus d’ardeur aujourd’hui. J’étais loin de prévoir les malheurs qui devaient sitôt nous accabler, et les engagemens que je prenais, en représentant votre parrain, j’y serai fidèle, et si je n’ai ni pu, ni même dû donner des soins à votre enfance, je les donnerai à votre jeunesse. Le premier, le plus important, comme le plus doux, sera d’assurer le bonheur du reste de votre vie, et j’espère, comme je vous l’ai déjà dit, que ce sera un des premiers fruits de la paix. »

Sur ce point, le Roi ne se trompait pas. La paix devait avoir pour conséquence, en effet, de rendre possible le mariage de sa nièce. Quand il traçait les lignes qui précèdent, il le croyait prochain. Mais, il restait toujours dans l’incertitude quant à la question de savoir où il pourrait le célébrer. Sans doute le Tsar lui avait assuré un asile à Yever en Westphalie. Mais, dans ce pays voisin de la Hollande, ne serait-il pas exposé à quelque coup de main des républicains ? Il jugeait, en tous cas, imprudent de s’y rendre. Voudrait-on le recevoir ailleurs où il eût été en sûreté, dans la Lusace ou dans le Mecklenbourg ? Il n’avait que trop de raisons d’en douter. Il lui restait, il est vrai, la Russie. Mais, ce ne pouvait être là qu’un pis aller. Plus que jamais il tenait à ne pas s’éloigner des frontières de son royaume. Il allait cependant y être contraint.

Au mois de décembre, le Cabinet de Berlin, à l’instigation du Directoire, lui retirait brusquement l’autorisation de résider dans le duché de Brunswick, et le contraignait ainsi à accepter l’hospitalité que l’empereur de Russie lui offrait à Mitau. Ce fut à grand’peine que ce malheureux prince obtint que le roi de Prusse tolérât sa présence jusqu’à ce qu’il eût reçu de l’Empereur une réponse à sa lettre. Elle lui arriva le 26 janvier ; elle était favorable. Les résolutions définitives furent bientôt prises. En remerciant Paul Ier, il lui annonçait qu’il se mettrait en route le 10 février, sous le nom de comte de l’Isle.

Depuis qu’il avait été invité à quitter Blanckenberg, il s’était refusé la satisfaction d’écrire à sa nièce, ce qui semble d’autant plus extraordinaire que le fidèle Cléry arrivé dans l’intervalle lui avait apporté une lettre d’elle et le récit qu’il venait de consacrer au séjour de Louis XVI dans la prison du Temple et qu’il allait faire imprimer à Londres.

Le 30 janvier seulement, le Roi se décida à rompre ce long silence et à l’expliquer à Madame Royale :

« J’ai reçu, ma chère enfant, votre lettre par Cléry ; je l’ai revu lui-même avec ce tendre intérêt qu’il est toujours sûr d’inspirer à tout bon Français, et j’ai lu son déchirant Journal. Il m’a fait d’autant plus souffrir que j’y ai appris des particularités que j’ignorais sur la barbarie de vos infâmes geôliers. Mais je ne pouvais m’arracher de cette lecture. Tout ce qui me rappelle ce que nous avons perdu, même dans l’état le plus déplorable, me sera toujours cher. Je lisais en même temps votre lettre. Le désir que vous m’exprimiez d’une manière si touchante d’être auprès de moi, adoucissait ma peine : mais je me disais en même temps : — Qui suis-je pour tenir lieu de tant et de si cruelles pertes ? Je n’ai pour moi que ma tendresse pour vous ; mais aussi, ma chère enfant, vous la possédez tout entière. Puisse ce faible dédommagement suffire à votre âme sensible !

« Cette tendresse ne m’a cependant pas garanti d’un tort envers vous. Il y a six semaines que je ne vous ai écrit : mais j’ai passé tout ce temps dans une incertitude complète sur ce que j’allais devenir : certain de ne pas rester longtemps ici, mais ne sachant ni quand j’en partirais, ni où j’irais, et croyant à chaque moment que j’allais en être éclairci. Cette situation était pénible ; je craignais de vous la faire partager en vous la faisant connaître, et je me disais à chaque courrier : — Ne l’affligeons pas aujourd’hui ; je pourrai lui dire quelque chose de plus positif la première fois.

« Je suis bien plus coupable encore, car le même motif m’a empêché de vous envoyer trois lettres du Duc d’Angoulême, et une de son frère, que je joins ici. Enfin mon sort est éclairci depuis deux jours. L’empereur de Russie, avec cette grâce et cette générosité qui caractérisent toutes ses actions, m’a offert un asile dans son château de Mitau en Courlande, et je pars, le 10 du mois prochain, pour m’y rendre avec le Duc d’Angoulême. Son frère partira en même temps, si ce n’est avant, pour l’Ecosse, et reviendra au printemps en Russie. Je vous prie de faire part de tous ces détails à l’évêque de Nancy, auquel je n’ai le temps d’écrire que quatre mois.

« Ce n’est pas sans un regret extrême que je m’éloigne encore davantage de ma patrie : mais j’entrevois, dans cet asile très solide et dans l’amitié de Paul, le premier acheminement véritable vers l’objet de mes vœux les plus ardens ; cet espoir me console et me soutient. »

Ce langage, on le reconnaîtra, n’est pas d’un homme que trouble et déconcerte l’excès de ses infortunes. Il est celui d’un homme ferme qui ne doute ni de son bon droit, ni de son étoile, qui croit que l’éternelle justice le remettra tôt ou tard à la place qui lui est due et qui, fort de cette confiance indomptable, conserve toujours son sang-froid, sa sérénité, toute sa liberté d’esprit, même aux heures les plus douloureuses de sa vie. Celui dont nous parlons et que tant de lettres de lui, publiées pour la première fois, montrent sans cesse animé de la même espérance, eût été excusable de plier sous le fardeau de ses dures épreuves au moment où il allait quitter le duché de Brunswick. A la suite de tant d’autres qu’elle devait nécessairement lui rappeler, celle-ci lui prouvait que le destin acharné contre lui ne désarmait pas et qu’il n’en avait pas épuisé les rigueurs. Mais ce fut son mérite à toutes les étapes de son exil, d’être toujours plus haut que son infortune, « d’être soutenu par une voix intérieure qui lui disait que ses malheurs auraient leur terme. » Les dernières lettres qu’il date de Blanckenberg le dépeignent tel qu’on l’avait vu à Coblentz, à Hamm, à Riegel, partout enfin où ses efforts avaient rencontré une volonté plus forte que la sienne : calme, confiant, courageux et résigné.

Peut-être aussi la certitude d’être traité en roi par le souverain qui lui donnait asile, contribuait-elle à le réconforter. Le comte Schouwaloff envoyé de Russie pour le chercher était arrivé à Blanckenberg avec des équipages et une escorte. Il en était même mécontent : « Avec les meilleures intentions du monde, écrivait-il à son frère la veille de son départ, on m’oblige à une magnificence de voyage qui me désole, parce que je vais jeter sur le chemin des sommes ridicules que je pourrais économiser, qu’à mon arrivée à Mitau, un peu de fierté, encore plus de délicatesse, m’empêcheront de demander et que si l’on ne me prévient pas, je serai bientôt à sec. »

Sa pauvreté ne justifiait que trop cette confidence. En envoyant à son frère par le Duc de Berry vingt-cinq mille roubles, il lui disait : « La moitié de cette somme appartient à nos créanciers. Mais comme je crains que le gouvernement britannique ne vous laisse dans l’embarras, je vous l’envoie à telle fin que de raison. Si vous en usez, le paiement des créanciers sera retardé jusqu’à ce que l’Angleterre vous donne de nouveaux fonds. En ce cas, il faudrait en prévenir Dutheil. L’autre moitié est à votre disposition, à celle de Berry, tout comme il vous plaira. »

Le départ retardé de vingt-quatre heures par une indisposition du comte Schouwaloff eut lieu le 12 février. « Le Duc de Berry nous a accompagnés à cheval jusqu’à la première poste. Là s’est faite la séparation des deux frères. Elle ne sera pas, je crois, bien longue. Mais, elle n’en a pas moins été douloureuse de part et d’autre. » C’est à sa nièce qu’il donnait ce détail, dans un billet qu’il lui écrivait, le surlendemain, en arrivant à Leipsick. Il était sans nouvelles d’elle depuis quinze jours, et n’en reçut pas durant son voyage qui fut long et pénible[6]. Ce n’est qu’en arrivant à Mitau le 25 mars, qu’il trouva une réponse à l’explication qu’il lui avait donnée le 30 janvier pour justifier son long silence.

« Mon très cher oncle, j’ai eu un plaisir infini de recevoir enfin de vos nouvelles car j’en sentais vivement la privation et ces six semaines m’ont paru bien longues ; mais c’est par bonté que vous m’avez privée de vos lettres ; aussi je ne puis que vous en remercier. J’avais déjà appris que vous deviez partir de Blanckenberg, ce qui est le cas, et je ne vous ai pas écrit aussi de bien longtemps ne sachant où vous adresser mes lettres. Enfin l’évêque de Nancy vient de m’en procurer le moyen que je saisis avec empressement pour m’informer de vos nouvelles. J’espère que votre voyage se sera continué heureusement. Il est bien triste d’avoir été obligé de vous éloigner si loin. Il faut espérer qu’enfin vous serez tranquille du moins à Mitau. J’ai partagé bien vivement toutes les inquiétudes que vous avez dû souffrir ; mais en même temps, je ne peux assez admirer l’empereur de Russie ; il se distingue entre tous les souverains, et sa manière d’agir lui fait bien de l’honneur. Vous êtes trop bon, mon très cher oncle, de m’avoir encore écrit en chemin à Leipzick, cela m’a fait le plus grand plaisir, et je ne doute pas que votre voyage ne se soit continué aussi heureusement : du moins je fais bien des vœux pour cela. Je vous remercie des lettres de mon cousin. Il est impossible d’être plus attentif qu’il n’est et me fait toujours grand plaisir quand il me donne de vos nouvelles. Je me flatte cependant que, malgré l’éloignement de Mitau, je recevrai quelquefois de vos nouvelles, ce sera une de mes plus grandes consolations. »

Ainsi, au moment où de douloureuses circonstances les éloignaient encore davantage l’un de l’autre, le Roi et sa nièce ne doutaient plus des sentimens dont les témoignages remplissaient leurs lettres. À la faveur de la longue correspondance où ils avaient appris à se connaître, ils étaient étroitement unis. Ils l’étaient par la reconnaissance réciproque que leur inspirait la volonté visible chez chacun d’eux de remplir tout son devoir envers l’autre, lui son devoir de père et de roi, elle son devoir de fille de la maison de France ; ils l’étaient aussi par la communauté du malheur ; ils l’étaient enfin par l’affection qu’ils portaient à ce jeune Duc d’Angoulême, objet des espérances de la monarchie et à qui, pour cette cause, Madame Royale s’était promise volontairement, sans même se demander si son cœur, qu’un passé tragique avait pour toujours assombri, pourrait jamais s’ouvrir à l’amour.


ERNEST DAUDET.


  1. Voyez la Revue du 15 novembre et du 15 décembre.
  2. Allusion à l’attentat de Dillingen.
  3. Bien que cette lettre ait été déjà publiée, elle était trop bien à sa place ici pour que j’aie pu hésiter à la reproduire.
  4. « On dit l’électeur de Bavière mort. Il laisse une jeune et jolie veuve. J’ai fait ce que j’ai pu pour persuader à mon neveu de l’épouser. Je n’en ai jamais pu venir à bout. » Le Roi à Monsieur, 5 juin 1797. — L’année suivante, il ouvrit avec la cour de Naples en vue du mariage du Duc de Berry, des négociations qui n’aboutirent pas.
  5. Ces détails et les suivans sont extraits du rapport dans lequel le 24 décembre, le marquis de Bonnay rendait compte de sa mission. Ce rapport adressé au comte d’Avaray était destiné à passer sous les yeux du Roi.
  6. « Je ne vous parle pas des roues et des essieux cassés, des voies où il a fallu que des hommes portassent ma voiture à bras : ce ne sont là que des roses. J’arrive à une lieue d’ici : impossible de pénétrer jusqu’à l’endroit où on passe ordinairement le Niémen. Je le traverse dans un bateau. M. le général de Sackhen, des attentions duquel je ne saurais trop me louer, m’envoie des voitures et j’arrive ici avant-hier à bon port. Mais, quand on veut mettre ma voiture sur le bateau, il est prêt à couler bas. On en amène un second ; on les attache tant bien que mal, on veut partir ; même accident ; la nuit vient ; il faut rester là. Hier, voilà la débâcle du haut qui se fait, la rivière charrie, monte de huit pieds ; encore vingt-quatre heures de perdues. Pendant ce temps-là, la Willia n’était pas plus passable que le Niémen et il a bien fallu me dire que j’étais sur terre russe pour ne pas regretter le Strand et Tilsitt. » Le Roi au prince de Condé. Kowna, 19 mars 1798.