Augusta Holmès et la femme compositeur/15

Librairie Fischbacher (p. 67-70).


XV

L’œuvre d’Augusta Holmès.
Ses Mélodies.


C’est en comprenant toutes les ressources d’un art, toutes ses forces, qu’on peut juger les œuvres s’y rapportant, les devoirs qu’il impose à qui s’y consacre, les exigences qu’il autorise ; la preuve s’en trouve dans le fait que des musiciens, admirés lorsque nous étions moins instruits sur les mérites de la musique, ne comptent plus aujourd’hui que notre éducation nous rend capables d’appréciations exactes. Ce sont ces appréciations qui furent funestes à Holmès et qui vont m’obliger à des critiques que mes convictions m’imposent mais qui du moins laisseront toute leur valeur aux éloges y succédant avec la même sincérité.

J’ai compté cent vingt-huit mélodies ; elles sont bien écrites pour la voix, de lecture facile et, à de rares exceptions près, chantent l’amour ardent, le patriotisme héroïque, les légendes chrétiennes. Forcément ces compositions manquent de variété. La manière d’Holmès s’y montre en couleurs criardes, en tons violents. Notre musicienne ignorait les demi-teintes, l’infinie gradation des nuances, les coloris indéfinis, les discrètes grisailles, les ombres mystérieuses, les clartés étranges, les doux effacements, les estompages savants, les idéales lueurs, les tonalités chatoyantes, les sombres profondeurs mettant en relief des touches lumineuses, la sobre somptuosité des draperies. Ni l’émouvante simplicité des grands classiques, ni la séduction délicate de l’ancienne école italienne, ni la poésie enchanteresse de Schumann, ni la grâce pathétique de Schubert ne trouvent un écho dans les mélodies d’Augusta Holmès ; tout y est en dehors, tout est pavoisé ; les sentiments s’extériorisent sans rien laisser à deviner, les phrases se déploient sans rien laisser à découvrir et les accompagnements, en général homophones et plus soucieux d’effets faciles que de fines recherches ou d’intéressantes variantes, suivent, sous trois couplets uniformes presque toujours pour la musique.

En considération du nombre de ces pièces de chant, il faut y apprécier de la facilité, de l’abondance dans l’inspiration, de l’élan, des moments d’enthousiasme un peu gros, mais sincère, et quelque agrément pour l’oreille, une oreille un peu complaisante.

On pourrait faire un choix et retenir une vingtaine de mélodies intéressantes ; « Le Chevalier Belle Étoile » offre des strophes variées d’une envolée un peu supérieure, la poésie dépeint une légende assez mouvementée, l’accompagnement n’y demeure pas indifférent ; une partie, dont l’allure est juvénile, élancée comme le fier et pur Chevalier, semble inspiré par le 6/8 si caractéristiquement rythmé qui soutient la deuxième phrase du Scherzo du Concerto en sol mineur de Saint-Saëns. Malgré ce détail la mélodie est originale, fort jolie également.

Dans « l’Heure Rose » l’effet de la voix égrenant ses syllabes par une même note sur l’accompagnement où se forme la mélodie, ne manque pas de charme, c’est expressif et d’un sentiment plus simplement passionné que de coutume avec Holmès, qui ne pratique guère la passion simple ou concentrée. Son « Noël », très connu, bénéficie, texte et musique, d’un caractère populaire naïf et gracieux. « Sous les orangers » est une caressante mélodie qui s’unit au piano par un harmonieux enlacement. « Noël d’Irlande » présente un bon échantillon du style grave d’Holmès. « L’opprimée » (l’Irlande encore, en qui l’auteur chérissait sa patrie d’origine) vibre douloureuse et sincère. « La Chanson des gars d’Irlande » rythme avec éclat une généreuse revendication pour un peuple vaincu.

En d’autres pages encore on rencontre des phrases animées, on sent un tempérament, insuffisamment averti et équilibré, mais plein de sève. Enfin un troisième stock, et le plus important, ne permet que des regrets pour le temps qui lui fut sacrifié.

En dehors de ces mélodies avec piano, une dizaine de morceaux de chant, solis et chœurs avec accompagnement d’orchestre, sont publiés. Les qualités et les défauts déjà signalés y existent dans les mêmes proportions. Du côté de l’orchestration on ne remarque ni beaucoup d’ingéniosité ni beaucoup d’aisance. Certes, Holmès accorda à cette partie de la composition une assez forte dose de travail, mais là aussi, croyant avoir atteint le but, elle s’arrêta prématurément ; là aussi, elle semble par moment en possession de moyens assez appréciables ; d’autres fois elle demeure sensiblement au-dessous de ce qu’on était en droit d’attendre de sa part.