Augusta Holmès et la femme compositeur/11

Librairie Fischbacher (p. 45-47).


XI

La fin


Augusta Holmès ne devait pas se relever du triste sort fait à son opéra, dont la mauvaise fortune sembla s’étendre à tout ce qui portait la même signature ; c’est à dater de ce moment que la vogue d’Holmès déclina.

Déjà frappée durement par des chagrins intimes, la pauvre musicienne avait attendu de son art une revanche sur les cruautés de la vie et sur les trahisons humaines ; mais l’art, dont elle s’était faite si ardemment la prêtresse, la dédaignait ; le succès dont elle avait connu l’enivrement, tournait en indifférence. Et ces revers survenaient alors qu’aux années remplies de sève généreuse, succédait l’infertile automne, si douloureux pour une femme que la nature avait faite séduisante, que l’ambition et la gloire avaient soulevée et qui, sentant le piédestal se dérober, comprenait en même temps le déclin de son énergie et l’impossibilité de ressaisir ce qu’une artiste considère plus que la vie : sa réputation, ses succès. Coup sur coup, elle perdit tout ce qu’elle avait possédé : l’invincible ardeur, les victoires artistiques, la jeunesse, l’amour, la fortune. En dernier travail, elle eut à demander ses moyens d’existence au professorat, si pénible lorsque, inaccoutumé, il s’impose comme unique palliatif à l’adversité.

Dans la composition, Augusta Holmès ne semble pas avoir tenté de nouveaux efforts ; aucune œuvre importante ne surgit dans la période de huit années qui suivit l’échec de sa Montagne Noire et précéda sa mort. La femme même s’abandonna. En deux ou trois ans, constate un de ses familiers, on la vit vieillir de quinze années, au point de devenir méconnaissable ! Son caractère également se métamorphosa et perdit sa vaillance, sa gaieté, son exubérance cordiale.

Elle crut ou voulut croire à l’injustice du public et de la critique ; peut-être douta-t-elle de son talent ! Elle dut sentir qu’elle était vaincue, blessée à mort, et bientôt sombra dans le définitif repos. Elle avait cinquante-six ans quand, à la fin de janvier 1903, elle mourut. La presse enregistra sa perte en manifestant de vifs regrets et une réelle estime pour l’artiste qui disparaissait ; quelques revues reproduisirent son portrait, quelques anecdotes à son sujet se faufilèrent dans les échos, puis le silence, l’oubli recouvrirent son œuvre plus lourdement que la pierre tombale n’ensevelissait son corps.

En prévision de sa fin, Holmès avait fait un testament par lequel elle demandait à reposer à Versailles (où elle passa son enfance et qu’elle avait toujours beaucoup aimée) et léguait à la bibliothèque, sa musique et ses livres exempts de dédicaces. L’autre partie était destinée à la bibliothèque du Conservatoire.

Ces dons faillirent ne pas être acceptés, la minime succession pécuniaire laissant les légataires perplexes sur la possibilité d’acquitter les droits de l’État ; mais il se produisit un fait assez bizarre : un Anglais, qui mourut un peu après Holmès, lui laissait vingt mille francs par un testament qui mentionnait que, dans le cas du décès de Mme Holmès précédant le sien, la somme reviendrait au nom de la musicienne et ferait partie de sa succession ; cet héritage posthume permit l’exécution des dernières volontés de la pauvre grande artiste.