Augusta Holmès et la femme compositeur/05

Librairie Fischbacher (p. 27-29).


V

Maître et Élève


Avec César Franck, Holmès travailla la composition. On est autorisé à penser que dans la hâte de produire, poussée par la tyrannique inspiration, notre jeune impatiente n’approfondit pas ses études ainsi qu’il l’eût fallu. Rien de la science de l’auteur de Rédemption n’apparaît chez l’auteur de la Montagne noire, et Holmès, qui professait un culte pour son maître, n’en subit l’influence ni dans le style ni dans la forme. Il est même curieux de constater que sa musique, en quelques passages inspirés de divers compositeurs, ne contient aucune réminiscence de Franck. Le tempérament de l’élève était d’ailleurs le plus opposé qu’on puisse mettre en regard avec celui de l’illustre Maître belge ; on se demande même si cet écart extrême, entre des tendances naturelles et une direction inspirée de principes tout différents, ne desservit pas Augusta Holmès. À tort on s’imagine réprimer certains défauts en les combattant par le maximum de qualités contraires ; de trop loin on ne peut s’entendre ; d’une discussion entre personnes ne parlant pas la même langue, il ne résulte jamais un accord bien net ; les concessions et éclaircissements ne se produisent que dans le cas où les opinions, non complètement divergentes, sont susceptibles de se fondre un peu et de s’amalgamer l’une avec l’autre.

Sans doute César Franck reconnaissait chez son élève un réel tempérament de musicienne, mais il est difficile de croire qu’il prit au sérieux un talent aux antipodes de ce qu’il cultivait dans ses propres compositions : l’élévation, la sérénité, une écriture et un style aussi savants que châtiés. Il eût fallu, chez Holmès, réglementer l’exubérance, car on ne pouvait la lui ôter ; épurer, sans l’exiger trop éthérée, la passion où Holmès appuyait trop, et modérer un goût extrême pour les gros effets. Cela était encore bien loin de l’idéal de Franck pour qu’il se limitât à ces régions tempérées, où son élève eût trouvé atmosphère à sa convenance.

Augusta Holmès pouvait admirer son maître, elle ne communiait pas avec lui, qu’elle s’en rendît ou non compte. Dans ces conditions elle ne devait rien glaner des gerbes hors de sa portée. Si ce désaccord ne favorisa pas le perfectionnement d’Holmès, elle n’en est pas responsable ; on ne peut l’acquitter de même pour ce qui tient au côté matériel de l’enseignement. Sur ce terrain ferme reposent des règles ne permettant aucune liberté d’interprétation et ne se pliant à aucune considération personnelle ; il est inadmissible que Franck ne les ait pas indiquées à son élève, et si l’élève avait voulu s’y astreindre, elle eût possédé des ressources techniques dont l’absence se fait fréquemment sentir dans ses ouvrages.

Mais allez donc, si César Franck que vous soyez, confiner dans les beautés de la fugue et les charmes du contrepoint, une jeune personne que les voix de l’inspiration sollicitent et qui sont son front nimbé de l’auréole des élus ! L’auteur des Béatitudes se découragea, sans doute, de lutter contre une nature indépendante, et le désintéressement dut suivre à l’égard de la disciple trop impatiente de succès immédiats.