Aube Marine - Annonciation - Le Croissant

Aube Marine - Annonciation - Le Croissant
Revue des Deux Mondes4e période, tome 154 (p. 689-691).
POÉSIE


AUBE MARINE


La barque est noire et la mer grise ;

Et dans l’eau calme où dort la brise
Vénus, qui jette un vif éclair,
Semble une perle qui s’irise.

Quelle Cléopâtre de l’Air
A dans ta coupe, ô Mer profonde,
Laissé tomber ce joyau clair ?

Parfois un souffle agite l’onde
Et d’un léger balancement
Berce en son lit la gemme blonde...

Mais voici l’Aube ! — Lentement
Une lueur diffuse et pâle
Monte et blanchit le firmament ;

Tandis que sous le flot d’opale.
Au sein du gouffre, tout au fond,
S’éteint l’Etoile matinale,

Comme une perle qui se fond.

ANNONCIATIONS



I


Je possède un tableau d’un vieux maître inconnu
Qu’eût signé Martin Schœn ou le grand Albert Dure ;
La couleur en est crue et la ligne un peu dure,
Mais c’est d’un art savant et pourtant ingénu.

Au milieu d’un jardin au feuillage ténu
On y voit, sur un fond de ciel et de verdure,
La Vierge agenouillée en une humble posture,
Pâle, et croisant les mains sous son col demi-nu.

Gabriel, nimbe au front, s’avance sur la mousse ;
Il salue, et du bout de l’index et du pouce
Lui présente un beau lys au pistil éclatant ;

Elle, les traits défaits, la prunelle hagarde,
Devant la blanche fleur que l’Archange lui tend
Frissonne d’épouvante et d’extase, et regarde...


II


Ainsi, quand l’Aube monte à l’horizon dormant,
Plus pâle que la Vierge, ô Terre, tu tressailles !
Premier baiser de l’Astre, ô claires fiançailles
De la glèbe féconde avec le firmament !

Mère auguste, déjà tu sens confusément
Sourdre le grain sacré qui germe en tes entrailles ;
Et les fouilles des bois et l’herbe et les broussailles,
Tout palpite à la fois d’un long frémissement...

Le ciel s’ouvre. On dirait qu’un chœur lointain t’acclame,
Grave comme un cantique aux sons de l’orgue uni,
Tendre et voluptueux comme un épithalame ;

Et tu vois resplendir vers l’Orient béni,
Telle une fleur céleste aux pétales de flamme,
L’Étoile du Matin, ce lys de l’Infini !
 

LE CROISSANT


Les pourpres du couchant étalaient leur magie ;
Un autre Phaéton, guidant le char du dieu,
Avait-il de nouveau mis l’horizon en feu,
Comme aux jours merveilleux de la Mythologie ?

Une tache de sang par la brume élargie
S’arrondissait, vermeille, et semblait le moyeu
De quelque roue énorme arrachée à l’essieu,
Et du sang des chevaux encor toute rougie.

Au-dessus de l’immense embrasement, plus haut
Que les débris épars du divin chariot,
Le Croissant dans l’azur courbait sa fine lame ;

Sans doute un des coursiers, dans l’abîme roulant.
Avait derrière lui de son sabot de flamme
Laissé tomber au ciel ce fer étincelant.


PAUL MUSURUS.