Au service de la France/T6/Ch III

Plon-Nourrit et Cie (6p. 85-140).


CHAPITRE III


Divergences entre Alliés. — Le front anglais. — Constantinople et les détroits. — Projets garibaldiens. — L’Adriatique et l’amiral Boué de Lapeyrère. — Démission de M. Venizelos ; le cabinet Gounaris. — La commission Payelle. — Les premiers désirs de l’Italie. — La blessure du général Maunoury. — Le sort de Sainte-Sophie. — Un volontaire de soixante-sept ans. — Un rapport de Joffre. — Conversations de l’Italie à Londres et à Vienne. — Des zeppelins sur Paris. — Conférence entre Joffre et les ministres. — Une ambulance américaine. — Pierre Loti et le roi des Belges. — Visite à la 4e et à la 3e armées. — Le général de Langle de Cary et le général Sarrail.


Les combats redoublent en Champagne, entre Perthes et Beauséjour. Ils redoublent dans l’Argonne, autour de Boureuilles et sur la hauteur de Vauquois. Nous enlevons des tranchées, on nous les reprend, nous y pénétrons de nouveau, et nous devons nous estimer heureux si finalement nous restons accrochés au terrain bouleversé et arrosé de sang. De percée, il n’y a jusqu’ici nul espoir. Joffre a écrit à Millerand une longue lettre où il se plaint encore du commandement britannique. Par ordre, paraît-il, de Kitchener, French ne veut ni étendre son front, ni libérer les corps français qui flanquent ses deux ailes et dont nous avons besoin pour renforcer notre armée de manœuvre. Le field-marshal a cependant déjà reçu trois divisions nouvelles, sur les quatre qui lui ont été Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/93 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/94 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/95 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/96 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/97 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/98 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/99 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/100 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/101 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/102 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/103 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/104 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/105 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/106 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/107 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/108 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/109 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/110 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/111 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/112 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/113 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/114 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/115 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/116 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/117 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/118 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/119 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/120 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/121 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/122 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/123 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/124 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/125 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/126 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/127 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/128 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/129 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/130 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/131 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/132 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/133 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/134 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/135 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/136 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/137 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/138 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/139 Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 6, 1930.djvu/140 est celle-ci. On a eu tort de retenir, au grand quartier général, le pouvoir de mettre les réserves à la disposition du commandant d’armée ; on a ainsi ralenti les mouvements et donné aux Allemands le temps de se rétablir dans les secondes lignes, aussi fortifiées que les premières.

Dimanche 28 mars.

Je pars de Châlons vers sept heures et demie du matin, seul en automobile avec le général de Langle. Duparge et Pénelon suivent dans une autre voiture. Nous descendons la vallée de la Tourbe, par Somme-Tourbe, Saint-Jean-sur-Tourbe, Laval, Wargemoulin. Spectacle d’une épouvantable désolation. Tous les arbres ont été coupés au ras du sol. Plus une plante, plus un brin d’herbe. Ce ne sont que terres arides et crayeuses. Des hommes, des convois, des chevaux, appartenant aux XVIe et XVIIe corps, vont et viennent dans la poussière. Nous nous arrêtons à Wargemoulin, village entièrement détruit, dont les caves servent d’abris à nos soldats. Tout le long de la vallée, des huttes en planches, des gourbis, des trous de troglodytes, quelques tentes, forment les logements des troupes. Pour que nos automobiles n’attirent pas l’attention des aviatiks, nous nous rendons à pied, dans une zone souvent balayée par l’artillerie allemande, jusqu’au poste de commandement du général Vidal, chef d’une des deux divisions du XVIe corps. Le terrain que nous suivons est ça et là creusé par des « marmites ». À peine le général Duparge est-il descendu de son automobile qu’elle est, derrière lui, fort exactement encadrée par deux bombes, qui éclatent avec un dégagement d’épaisse fumée noire, mais qui n’atteignent personne. Avant d’arriver au poste de ment, nous passons à côté de batteries de 75 en action et les laissons derrière nous. Puis, nous gravissons une hauteur boisée, où le général Vidal est installé avec quelques hommes, en un point que les Allemands ont repéré depuis déjà quelques jours et qu’ils ont pris l’habitude d’arroser de projectiles. En ce moment, ils s’abstiennent de tirer. Le haut de la colline est sillonné de tranchées et de boyaux de communication qui conduisent à des observatoires recouverts de rondins et de feuillages. Les hommes appellent ce poste de commandement le balcon. De là, nous voyons parfaitement la cote 196 et le terrain gagné dans les dernières batailles, mais constamment aspergé depuis lors par l’artillerie ennemie. Nous revenons à pied dans les terres labourées par les obus. Nous visitons à Wargemoulin les cantonnements établis dans les caves ou dans de véritables cavernes. Les hommes sont pleins d’entrain. Nous remontons la vallée de la Tourbe. À Laval, nous nous arrêtons un instant au P. C. du général Grossetti, aujourd’hui chef du XVIe corps ; il commandait précédemment la division qui s’est si brillamment conduite à Nieuport. À Saint-Jean-sur-Tourbe, nous faisons halte à des ambulances installées dans l’église et sous des tentes. Beaucoup de plaies de poitrine ou de tête. À Somme-Tourbe, grands baraquements en planches, très bas et hâtivement construits, où les hommes sont heureux de venir se reposer sur la paille, les jours de relève. De là, nous rejoignons, à quatre ou cinq kilomètres vers le nord-ouest, le parc d’aérostation du XVIIe corps, installé dans des boqueteaux de sapins. Officiers et sapeurs se sont bâti des baraques en planches, autour desquelles ils ont dessiné de petits jardins avec de la rocaille et des décors de coquillages. Nous entrons dans plusieurs de ces maisonnettes, qui sont vraiment charmantes, et nous y trouvons de gais Toulousains. Nous déjeunons dans la chaumière du capitaine qui commande le parc. Malgré un grand feu de bois qui brûle dans la petite cheminée, le vent et le froid s’insinuent à travers les rondins qui forment les parois de la chambrette, et il ne pénètre pas beaucoup de lumière par la lucarne. Mais avec quel appétit nous mangeons l’omelette, les pommes de terre et le bœuf, qui nous sont aimablement offerts !

Après un excellent café noir, nous assistons à la manœuvre d’un nouveau ballon captif que vient de recevoir l’armée et qui ressemble tout à fait aux drachen allemands. C’est un ballon allongé, en forme de chenille ; il a, à l’arrière, un appendice gonflé qui lui sert de gouvernail et il porte, en outre, une longue queue comme un cerf-volant. Il est très laid, mais il est plus stable que les ballons sphériques.

L’après-midi, nous allons voir le général Gouraud qui, après avoir été blessé dans l’Argonne, à la tête de la 10e division, commande maintenant en Champagne le corps colonial. Les troupes nous font partout un accueil très empressé. Vers la fin de l’après-midi, nous partons enfin pour Sainte-Menehould, où m’a été réservée, dans une maison particulière, la chambre où, hélas ! a couché le kronprinz.

Je dîne avec le général Sarrail qui commande toujours la 3e armée. Je le trouve beaucoup moins confiant que le général de Langle dans la possibilité de percer le front ennemi. Il préférerait une opération sur un autre théâtre. En tout cas, affirme-t-il, on ne peut, en Argonne, que gagner très peu de terrain et en le payant très cher. À son avis, si l’on voulait briser les lignes allemandes, l’effort devrait être fait soit en Belgique, soit du côté de Spincourt, soit en Alsace, en tâchant de passer par un pont du Rhin jusqu’au grand-duché de Bade ; mais ses préférences sont pour Spincourt. Sarrail parle avec amertume des ordres et contre-ordres qu’il reçoit, dit-il, du quartier général. Il paraît très monté contre Joffre. Il me confie que le général en chef lui a demandé de lui rapporter exactement notre conversation. Est-ce défiance à l’égard de Sarrail ? Est-ce défiance à l’égard de moi ? Quoi qu’il en soit, autant d’uniformes je rencontre, autant d’opinions je recueille.

Lundi 29 mars.

Ce matin, par les Islettes, Clermont, Aubréville, malheureuses communes échelonnées sur des routes qui me sont familières, nous sommes allés, Sarrail et moi, suivis de Duparge et de Pénelon, dans la forêt de Hesse, à une cote 290, du haut de laquelle on voit à merveille, sur la colline de Vauquois, où a coulé tant de sang, les restes lamentables de ce pauvre village meusien. Un régiment français et un régiment allemand y sont retranchés nez à nez dans les caves des maisons détruites. À Clermont et à Aubréville, nous rencontrons précisément des troupes qui descendent de Vauquois et dont l’allure est magnifique. Nous passons quelques heures à parcourir des tranchées dans le bois de la Chalade, à visiter des baraquements improvisés par les hommes, et à regarder dans des bouquets d’arbres des pièces d’artillerie lourde, savamment camouflées. Je rentre à Paris dans la soirée, les yeux remplis d’images guerrières.

Mardi 30 mars.

Millerand vient me voir avant le Conseil et me rapporte la conversation qu’il a eue hier à Paris avec Kitchener. Le ministre anglais promet d’envoyer en France deux divisions nouvelles d’ici à la fin d’avril, de manière qu’à cette date Joffre puisse dégager le IXe et le XXe corps et avoir huit corps d’armée de manœuvre. Pour l’opération des Dardanelles, Kitchener est d’avis de faire débarquer le corps expéditionnaire par la mer Egée dans le sud de la presqu’île de Gallipoli, derrière Sedil Bahr, en face de Tchanak.

D’après les renseignements d’Augagneur, les forts ont été endommagés par notre bombardement, mais un seul canon a été mis hors de service et les résultats sont, en somme, très médiocres. Cependant, M. Winston Churchill voulait que la marine continuât son action sans attendre les troupes de terre ; l’amiral anglais de Robeck n’a pas été du même avis et ses observations l’ont emporté.

Sur la question du commandement des armées de terre, Kitchener a déclaré qu’il était entièrement d’accord avec Joffre pour considérer l’unité comme nécessaire. Il a, dès le début de la guerre, donné des instructions à French et il est prêt à les communiquer à Paul Cambon pour qu’au besoin Joffre puisse s’en prévaloir. « Mais, dit-il, pourquoi ne nommez-vous pas Joffre maréchal ? French ne cesse de m’objecter que lui, il est maréchal et que Joffre n’est que général. »

Pour la base maritime, Kitchener persiste à réclamer Dunkerque, mais il a été frappé de certaines observations de Joffre et il demande que la question soit examinée sur place dans une conférence mixte. Kitchener affirme que, d’après ses renseignements, l’Allemagne va déclarer la guerre à la Hollande pour se ménager de nouvelles bases maritimes et avoir les coudées franches derrière la Belgique. « Que pourra-t-on faire, en ce cas, pour soutenir la Hollande ? » s’est écrié le ministre anglais. Pour toute réponse, Joffre s’est borné à lever les bras au ciel.

Millerand est, au total, très satisfait de son entretien avec son collègue britannique, mais il a trouvé le maréchal French et son ministre assez crêtés l’un contre l’autre.

Delcassé annonce joyeusement au Conseil qu’il y a maintenant neuf chances sur dix pour que l’Italie entre en action. Mais autant il était prêt, au début, à sacrifier exagérément les intérêts de la Serbie, autant Sazonoff est tombé dans l’excès contraire et s’est d’abord montré disposé à négliger les avantages de l’intervention italienne. Delcassé a dû envoyer avant-hier à Paléologue un télégramme (492 et, s.), que j’ai trouvé hier en rentrant, qu’il a lu ce matin au Conseil et qui a enthousiasmé Ribot, Thomson et Sembat. L’Italie a fait un pas. (Londres, n° 544.) D’après une note communiquée par M. Isvolsky, la Russie, de son côté, en a fait un. (Petrograd, nos 482 et 483.) Elle a chargé le comte Benckendorff de dire à Grey qu’elle comptait sur lui pour obtenir le plus possible en faveur de la Serbie, mais elle n’a pas maintenu une position intransigeante. Tout semblait donc en voie d’arrangement, quand Sazonoff, sous prétexte de ne pas violenter la conscience slave, s’est encore ravisé et a répondu aux télégrammes de Delcassé que l’Italie n’était plus libre de ne pas attaquer l’Autriche, qu’elle sortirait de la neutralité en tout état de cause et qu’il n’y avait donc aucune bonne raison de se montrer aussi généreux envers elle. (Petrograd, n° 488.)

Mercredi 31 mars.

La Triple-Entente continue à étudier le futur régime provisoire de Constantinople. Des télégrammes s’échangent quotidiennement entre Paris, Londres et Petrograd. On dirait que déjà nos drapeaux flottent à la Corne d’Or et que trois cultes se disputent Sainte-Sophie.