Au pays des ajoncs/Notre Dame de la Clarté

Au pays des ajoncs. Avant le soirLibrairie Henri Leclerc (p. 47-56).
La Mer  ►

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ

I


Avec ses tendres yeux que dorent
Les rayons du soleil d’été,
Notre Dame de la Clarté
Est douce à tous ceux qui l’implorent.

On m’a conté qu’au temps lointain,
Au temps fleurissant de l’hermine,
Un chevalier de haute mine
Se lamentait soir et matin.

Ses compagnons tenaient campagne ;
Plus d’un pour la terre de Dieu,
Avait quitté son pays bleu,
Ses blanches landes de Bretagne.


Lui restait seul en son manoir,
Pauvre aveugle noyé dans l’ombre,
Et son âme était toujours sombre,
Et son ciel était toujours noir.

Il invoquait, en sa souffrance,
Tous les saints dont on a parlé,
Guirec, Efflam et Guennolé ;
Saint Yve avait sa préférence.

Mais il aimait encor bien mieux
Évoquer Madame Marie,
Toute verdoyante et fleurie,
Sur le balcon doré des cieux.

« Dame de joie enveloppée,
Très Sainte Vierge, disait-il,
Voici venir le mois d’avril
Que fleurissent les coups d’épée.

Moi, je languis en ma maison
Sans une âme qui me soutienne,
Tendez-moi votre main chrétienne
Et je sortirai de prison.

J’entends les oiseaux sur la lande.
Ah ! si je voyais leurs couleurs !

Dame, ayez pitié de mes pleurs,
Écoutez ma peine si grande ! »

Or, la Vierge un jour l’entendit,
Comme elle regardait la terre.
Elle s’en fut en grand mystère,
Vers son serviteur descendit.

Sur les ajoncs, à la rosée,
Elle flottait si doucement !
Son visage était si charmant
Sous la coiffe de l’épousée !

Lui, morne, toujours anxieux,
Se lamentait encore, encore.
D’un doigt plus léger que l’aurore
Elle effleura ses pauvres yeux.

Ô joie, ô féerie, ô merveille !
Le jour se lève sur les bois,
Et, sauvage et douce à la fois,
La Bretagne au large s’éveille.

Il voit le guetteur à sa tour,
Il voit les campagnes tranquilles,
Et Ploumanac’h et les Sept Îles
La grande mer tout à l’entour !


Plein de larmes comme une femme,
Il laisse déborder son cœur ;
Il voudrait dire son bonheur
À la très chère et bonne dame.

Hélas ! au pays des bandits
À peine l’a-t-on reconnue,
Qu’elle a regagné, dans la nue,
Son clair jardin du Paradis.

Mais il est resté quelque chose
De l’image d’azur et d’or ;
Un bout d’écharpe flotte encor
Entre la mer et le ciel rose.

La mer ! Elle est d’un si doux bleu,
D’un bleu si fin, d’un bleu si tendre !
Sa voix qu’il fait si bon entendre
Monte lentement jusqu’à Dieu.

Une invisible ritournelle
Tourne, tourne autour des ravins ;
Les yeux des fleurs sont plus divins,
La vie est un peu moins cruelle.

Quant au digne et preux chevalier,
Qu’advint-il de lui ? Je l’ignore.

Peut-être bien qu’il court encore
Entre la lande et l’échalier.

Heureux ceux que le Christ appelle !
Il fut de ceux-là sans mentir ;
Mais dévot, avant de partir,
Il fit bâtir une chapelle.

Une chapelle au toit pointu,
Resplendissante comme un cierge,
Qui dit les grâces de la Vierge
Et son mérite et sa vertu.

De tous les points du paysage
Chacun la voit à son réveil.
Son fin granit rit au soleil
Au dessus de la mer sauvage.

Dès que revient le bel été,
Tout franc disciple de saint Yve
Invoque, en son âme naïve,
Notre Dame de la Clarté.

II


C’est le quinze août la grande fête,
Le jour si longtemps attendu.
Le sacristain au pied tordu
Carillonne à fendre la tête.


Et la fanfare de Tréguier,
Bonne à coup sûr parmi les bonnes,
Fait à grand renfort de trombones,
Un bruit qu’on ne peut oublier.

Est-ce un Pardon ? Est-ce une foire ?
Le gwin-ardent coule à pleins bords.
On boit à la santé des morts,
Pauvres gens qui n’ont plus à boire.

Des fûts, largement défoncés,
Coule à flots le cidre mystique.
Le hoquet se mêle au cantique,
La danse au chant des trépassés.

Mais la prière est si fervente
Qu’au Calvaire on entonne en chœur !
Si sincère est le pauvre cœur
Entre l’ivresse et l’épouvante !

De fins garçons tôt sont venus
De la mer ou de la campagne,
Lurons que la Vierge accompagne,
Tous ivrognes, tous ingénus.

Il sont venus du bout du monde,
De Trégastel ou de Pleumeur,

Compagnons de joyeuse humeur,
Gais pèlerins à tête ronde.

Plus d’un marin est débarqué,
Tout goudronné, de la Grande Île.
D’autres arrivent de la ville.
De Louannec ou de Saint-Quay.

Puis voici la horde fidèle
Des commères aux maigres cous ;
Elles font sur leurs vieux genoux
Trois fois le tour de la chapelle.

Triste à mourir comme un adieu,
Se traîne leur boiteuse antienne.
Elle rejoint, humble chrétienne,
Celle des pauvres du bon Dieu.

Oh ! Tous ces pauvres sous la porte !
Boiteux, galeux, rogneux, lépreux,
Comme ils sont beaux les malingreux,
Les yeux morts dans la face morte !

Leurs cris aigus déchirent l’air
Comme la cloche des dimanches.
Mais là-bas, que de coiffes blanches,
Folles mouettes sur la mer !


En châle jaune, en robe noire,
Ce sont les belles d’alentour
Que guette le rustique amour
Cent fois plus doux qu’on ne peut croire.

Les jambes pendant sur le mur
Du cimetière où sont les roses,
Elles vont entendre des choses,
Qui leur feront un cœur d’azur.

Et la fontaine de la Vierge !
Qui n’y voudrait tremper ses mains ?
On y court par tous les chemins,
On s’y presse comme à l’auberge.

Car c’est l’eau pure, sans défaut,
Qui dissipe l’ombre mortelle.
Nulle part on n’en voit de telle,
Sa grande vertu vient d’en haut.

Si la couleur en est peu franche,
Elle ne guérira que mieux.
On s’en frotte cent fois les yeux,
On en verse un peu dans sa manche.

Et Notre Dame sait très bien
Qui mérite d’être à la fête.

Qu’elle fasse un signe de tête,
L’aveugle renverra son chien.

Allez donc, troupeau lamentable,
Procession des affligés !
On portera les plus âgés ;
Tous ont place à la grande table.

Échappez-vous de la prison,
Stropiats et paralytiques ;
Marchez dans le vent des cantiques
À l’éternelle guérison !

Pauvres, tendez votre besace,
Qu’il y tombe un rayon de miel !
Aujourd’hui s’entr’ouvre le ciel.
Et tout chrétien trouve sa place.

La richesse est aux indigents,
La santé revient aux malades !
— Avec de joyeux camarades
J’ai bien ri de ces bonnes gens.

III


J’ai ri de leur naïve offrande,
De leur prière au ciel brumeux,
Et maintenant je suis comme eux ;
Ma misère est encor plus grande.


Depuis longtemps n’a plus souri
Qui me rendait l’âme contente,
L’heure, au matin, n’est plus chantante,
Le vert sentier s’est défleuri.

Aveugle, dans la nuit profonde,
Je m’en vais, les bras en avant.
Dans la rafale, sous le vent,
Je fais le tour du triste monde.

Ô Notre Dame aux yeux d’amour,
Si belle au haut de la montagne,
Lys immaculé de Bretagne,
Vous la candeur et vous l’amour,

Dame trônant dans la lumière,
L’ange d’or à votre côté,
Frappez sur ce cœur irrité,
Rendez-lui sa douceur première.

Ô vous, qui du parvis des cieux
Regardez mon humble souffrance,
Joie, amour pur et délivrance,
Sainte Marie, ouvrez mes yeux !