Maisonneuve (p. 52-54).


CHEZ LES LANGOUASSIS


La Kèmo, d’une largeur variant de 40 à 80 mètres roule ses eaux troubles, entre deux rives encaissées couvertes de grands arbres. En quittant l’Oubangui, c’est un plaisir indicible de naviguer à l’étroit. Ces grandes rivières aux rives éloignées sont d’une monotonie désespérante. Ici, on se ressaisit, pour ainsi dire, entre les îlots qu’on n’est plus exposé à prendre, à cause de l’éloignement, pour la terre ferme, et la navigation devient intéressante.

Après deux journées, on rencontre les Langouassis : ce sont des hommes plus grands, moins râblés et moins bien faits que les Banziris ; ils ont généralement une demi-couronne sur le front, et leurs cheveux, nattés en fines tresses, sont réunis en une sorte de queue maintenue par un morceau d’étoffe. D’autres portent un vrai chapeau d’arlequin formé de deux crépons allongés, accolés de chaque côté d’un troisième plus long et placé en travers sur la nuque : c’est d’un effet bizarre.

Ils ont les narines percées et y fixent des boutons de verre, de métal, ou même notre vulgaire bouton de culotte en os. La lèvre supérieure est très déformée par le port d’un bijou en métal blanc ressemblant à l’étain, mais qui n’en a pas la densité et ne salit pas le papier. C’est une barrette, recourbée en forme d’U, dont le poids atteint jusqu’à 80 grammes ; cela déforme la bouche complètement et lui donne l’apparence d’un bec. La lèvre inférieure est percée de plusieurs trous dans lesquels ils enfilent des morceaux de quartz polis. Leurs oreilles sont percées aussi ; mais ils y portent rarement des anneaux. Leurs armes sont la lance, l’arc, le bouclier en vannerie, et l’inévitable trombache.

En cet endroit, la rivière traverse une chaîne de collines assez élevées. La limonide ferrugineuse affleure le sol sur de vastes étendues.

Le poste français de la Kémo est bâti dans la tribu des Togbos, à environ 55 kilomètres du poste des Ouaddas. Un grand espace de quatre hectares a été débroussé, au fond d’une plaine d’alluvion, sur le bord de la rivière. Face à la rive se présentent deux grandes maisons couvertes en chaume avec véranda. À droite et à gauche de celle-ci, sur deux rangées perpendiculaires à la rive, une quinzaine de constructions servant de magasins et de logements aux Sénégalais. Le carré est fermé par des cases où nichent les naturels.