EN MER, SUR LE PONT DU « FRAM ».


AU PÔLE SUD

PAR ROALD AMUNDSEN


I. — DE NORVÈGE À LA GRANDE BARRIÈRE


Mon programme. — Les préparatifs à bord du Fram. — Le branle-bas du départ. — Croisière d’essai. — Psychologie canine. — Relâche à Madère. — Je dévoile à mes compagnons la destination du navire. — La zone des vents d’ouest. — Vers Kerguelen. — La banquise antarctique. — Fête de Noël 1910. — En vue de la Grande Barrière.


UN DE NOS NOURRISSONS.


Depuis plusieurs années, je préparais une expédition dans le bassin arctique. Avec le Fran, je me proposais d’entreprendre une nouvelle dérive à travers l’océan Glacial, en partant du détroit de Behring. Explorer le grand blanc qui occupe encore la majeure partie de la calotte polaire boréale et compléter l’œuvre de Nansen, tel était mon dessein. Les préparatifs étaient très avancés, la date même du départ fixée au début de l’été 1910, lorsque soudain se répandit la nouvelle de l’arrivée de Peary au Pôle Nord. Tout de suite je compris que l’avenir de mon projet était menacé. Seule une décision rapide pouvait le sauver ; aussi immédiatement, je résolus de changer mes batteries et de faire volte-face vers le Sud.

J’avais, il est vrai, annoncé que mon exploration garderait un caractère exclusivement scientifique et ne se préoccuperait point d’établir un record ; d’autre part, les souscripteurs de l’expédition ne m’avaient apporté leur contribution que sur la foi d’un programme précis relatif à l’Arctique. En raison du fait nouveau, comme du peu de chances qui me restaient de pouvoir réaliser mon projet primitif, je jugeai que, sans manquer de loyauté envers les donateurs, je pouvais tenter une entreprise qui, en cas de succès, remettrait immédiatement l’affaire sur pied. Ce fut donc avec une conscience très calme que je décidai de retarder l’exécution de mon plan primitif d’un an ou deux, afin d’essayer de réunir dans l’intervalle les fonds qui me faisaient défaut. Le Pôle Nord était atteint ; le plus important des problèmes arctiques, aux yeux du grand public, se trouvait résolu. Pour éveiller l’intérêt de la foule en faveur de mon voyage dans le Nord, il ne me restait d’autre ressource que de frapper un grand coup en m’attaquant au Pôle Sud. Mais je résolus de garder secrète ma résolution jusqu’au jour que j’avais choisi.

Voici le programme de l’expédition : le Fram, l’ancien et glorieux navire de Nansen nous portera. Il quittera la Norvège avant le 15 août au plus tard. Madère sera notre première et unique escale. De là, prenant la route des voiliers, — car le Fram ne peut guère être considéré autrement, — nous irons d’abord au Sud, à travers l’Atlantique ; puis nous nous dirigerons sur l’Est, en passant en dessous du cap de Bonne-Espérance et de l’Australasie, pour entrer dans la mer de Ross vers le 1er janvier 1911. Comme base d’opérations, j’ai choisi la baie des Baleines, le point le plus méridional qu’un navire puisse atteindre sur les bords de la Grande Barrière. Nous espérons être rendus à destination le 15 janvier environ. Dix hommes s’installeront sur ce glacier avec deux ans de vivres dans une maison dont nous apporterons les matériaux de construction. Le débarquement opéré, le Fram reprendra la mer et gagnera Buenos Aires. De ce port comme point de départ il accomplira ensuite une campagne océanographique dans l’Atlantique Sud, jusqu’à la côte d’Afrique. Cette croisière terminée en octobre 1911, le navire reviendra à la baie des Baleines embarquer l’expédition, qui aura ou n’aura pas réussi à atteindre le Pôle, mais qui, de toute façon, sera prête à s’embarquer sur le Fram dans les derniers jours de janvier 1912.

CARTE DE LA DÉCOUVERTE DU PÔLE SUD, PAR ROALD AMUNDSEN.

Tel fut élaboré dans ma petite maisonnette des bords du Bundefjord, le programme que je viens d’exposer ; tel il fut accompli de point en point. La dernière phrase de mon projet prouve l’exactitude avec laquelle j’avais évalué le temps nécessaire à son exécution. « Nous serons de retour du Pôle Sud le 22 janvier 1912 », écrivais-je ; or, ce fut ce jour même que nous rentrâmes à nos quartiers d’hiver, après avoir conquis le but suprême. Bien d’autres fois nos prévisions tombèrent juste. Sous ce rapport le capitaine Nilsen était un véritable devin. Tandis que je me contentais de supputer les dates, lui n’hésitait pas à calculer les heures. Il avait annoncé pour le 15 janvier 1911 notre arrivée à la Barrière, située à environ 30 000 kilomètres de la Norvège. Vingt-quatre heures avant cette date nous parvenions au terme de notre navigation.

Un vote du Parlement norvégien m’accorda la disposition du Fram et un crédit de 105 000 francs pour les réparations et les transformations nécessaires.

Depuis le commencement du mois de mai 1910, le Fram est amarré à son corps mort, devant les vénérables remparts de la vieille citadelle d’Akershus. Aussitôt commence le chargement, sous la direction du lieutenant Nilsen, une opération singulièrement délicate. Il ne s’agit pas simplement, en effet, d’entasser au petit bonheur les colis dans les cales, mais de les ranger avec ordre de manière que l’on sache où tout se trouve. En même temps que les approvisionnements, on embarque le matériel et l’équipement. Chacun de mes collaborateurs a une spécialité et doit, sous sa responsabilité, s’occuper de tout ce qui la concerne. Le 2 juin, tout est à peu près terminé. Ce jour-là, le roi et la reine nous font l’honneur de visiter le Fram. Le lendemain, dans l’après-midi, nous allons mouiller devant mon habitation sur les bords du Bundefjord pour y charger la cabane destinée à nous abriter pendant l’hiver.

L’OBSERVATION AU SEXTANT.

Après une campagne préliminaire de quelques semaines dans les mers voisines de Norvège, pour nous assurer de la bonne condition du bateau, nous arrivons le 24 juillet à Christiansand, où nous avons à embarquer le reste des approvisionnements : 400 ballots de poisson sec, toute notre pacotille de skis, les traîneaux, des bois de charpente, etc. Enfin nous avons à prendre à bord les 97 chiens eskimos cantonnés depuis le milieu de mars dans un îlot désert voisin de Flekkerö. Éprouvée par une longue et pénible traversée, la meute n’était pas arrivée en très bon état, mais une bonne alimentation l’avait remise d’aplomb.

Seul le lieutenant Nilsen connaît la destination de l’expédition. Aussi bien mes camarades qui ne prévoient pour le moment qu’un voyage à San Francisco par le cap Horn sont-ils tous intrigués par un tas de choses que l’on charge à Christiansand. Pourquoi, dès maintenant, nous embarrasser de tous ces chiens et leur faire effectuer une aussi longue traversée ? En Alaska, ne trouverons-nous pas toutes les bêtes dont nous aurons besoin et d’aussi bonne qualité ? Pourquoi toutes ces planches, alors qu’à San Francisco il sera si facile d’en acheter ? Personne n’ose m’interroger ; en revanche, Nilsen est assailli par des flots de questions. Aussi quelques jours avant le départ je mets les lieutenants Prestrud et Gjertsen dans la confidence, après qu’ils se sont engagés d’honneur et par écrit à garder le silence.

À Christiansand, deux membres de l’expédition, Hassel et Lindström, nous rejoignent ; par contre, le mécanicien est remercié. Pour le remplacer, la maison Diesel, de Stockholm, nous envoie un des ouvriers qui ont monté le moteur, nommé Kunt Sundbeck. Cet excellent homme nous a rendu les plus grands services.

Tous les approvisionnements arrivés, nous établissons au-dessus du pont une sorte de faux-pont pour que les chiens se trouvent à l’abri du soleil et de l’humidité.

Dans l’après-midi du 9 août, a lieu l’embarquement de nos 97 compagnons à quatre pattes. Ils arrivent vingt par vingt, dans une grande gabare, et sont aussitôt attachés. L’opération, menée avec célérité, est achevée en deux heures. Maintenant, le pont se trouve complètement occupé ; la passerelle même est envahie par nos passagers. Quatorze bêtes y sont installées, laissant à peine la place suffisante pour le barreur. Quant à l’officier de quart, il ne pourra remuer ; peut-être même devra-t-il se tenir à cloche-pied. Le dernier chien embarqué, l’ancre est aussitôt levée et maintenant, en route pour l’Antarctique, un voyage de 16 000 milles !

Pendant toute la traversée de la mer du Nord, un temps magnifique. Grâce à cette heureuse circonstance, l’acclimatation de la meute à son nouveau milieu se trouve singulièrement facilitée. Que n’a-t-on pas dit avant le départ ? Qu’elle serait enlevée par les lames, qu’elle succomberait aux ardeurs du soleil des tropiques, que nous ne pourrions la nourrir, etc. Le succès de notre entreprise dépend de l’état dans lequel les chiens arriveront sur le théâtre des opérations. Dès le début, je me préoccupe donc d’assurer leur bien-être. En premier lieu, la troupe est divisée en groupes de dix têtes, et chaque groupe confié à un ou deux hommes qui en prendront la charge et la responsabilité. La distribution de la pitance n’est pas une petite affaire ; elle n’exige rien moins que la présence de tout l’équipage ; par suite a-t-elle lieu au moment du changement de bordée. Manger à sa faim est l’idéal du chien eskimo, et le meilleur moyen de trouver le chemin de son cœur est de lui donner un morceau de viande. Sur ce principe est réglée toute notre conduite à l’égard de nos pensionnaires ; le résultat de cette politique fut excellent, et, au bout de quelques jours, toutes les escouades étaient dans les meilleurs termes avec leurs gardiens respectifs.

Le régime de la chaîne n’était point du goût des chiens ; leur tempérament est beaucoup trop ardent pour s’en accommoder. Mais il serait dangereux de leur accorder la liberté avant que leur éducation ne soit plus complète. S’il est aisé de gagner leur affection, les éduquer est plus difficile. La satisfaction de ces animaux est touchante quand nous nous occupons d’eux. L’entrevue du matin est particulièrement cordiale. Dès que leurs maîtres font leur apparition sur le pont, ils expriment leur joie par un chœur de hurlements ; ils demandent toutefois davantage et ne se montrent heureux qu’après avoir été caressés. Si dans cette visite on en oublie un, immédiatement celui-ci manifeste des signes évidents de mécontentement.

RÖUNE SE SENT PLUS EN SÛRETÉ QUAND LES CHIENS SONT MUSELÉS.

De jour en jour leur acclimatation à bord devient plus complète ; dès maintenant nous entrevoyons l’espoir de les débarquer tous en bonne santé sur la Barrière. Ce résultat pourra être obtenu par une nourriture copieuse et de bonne qualité. Leur alimentation se compose principalement de poisson sec ; pour la varier, trois fois par semaine, on leur sert une soupe faite de poisson haché, de suif et de farine de maïs. Ce plat a toutes leurs préférences. Promptement ils apprennent à connaître les jours où on le leur distribue, et, dès qu’ils entendent le cliquetis des gamelles, ils poussent de tels hurlements de joie qu’il devient impossible de s’entendre.

À mesure que je fais plus ample connaissance avec mes collaborateurs, je suis de plus en plus convaincu que tous accepteront avec enthousiasme de partir pour l’Antarctique, lorsque, après avoir quitté Madère, je leur dévoilerai mes projets. J’ai hâte d’arriver le plus tôt possible à cette escale. Cela sera si bon de pouvoir enfin parler ! Il n’est ni amusant, ni facile de garder un secret, surtout à bord d’un navire, où l’on vit les uns sur les autres. Dans nos conversations quotidiennes, tout naturellement on discutait au sujet des difficultés qui nous attendaient autour du cap Horn. Si les chiens franchissent une première fois les tropiques sans encombre, disait l’un, il est douteux que la chance nous soit aussi favorable dans le Pacifique, et de tout ainsi. L’obligation de peser tous mes mots me cause une véritable fatigue. Encore si j’avais affaire à des novices ; mais la plupart de mes compagnons ont passé des années dans les régions polaires, par suite la moindre allusion eût suffi pour leur révéler tout le plan de campagne.

Le 5 septembre à dix heures du soir, nous relevons le feu de San Lorenzo, sur la petite île de Foca, voisine de Madère, et le lendemain nous mouillons en rade de Funchal. À peine l’ancre est-elle tombée que la Santé arrive, représentée par un petit monsieur plein d’importance. Parvenu à la coupée, à la vue de toutes les gueules ouvertes des chiens pantelants de chaleur, il ne demande pas son reste et dégringole au plus vite l’escalier. Comme Funchal sera notre unique escale, nous y embarquons des vivres frais et une provision d’eau considérable. Trois jours après nous en partons. Voici arrivé le moment, si longtemps attendu, d’informer mes camarades de la décision que j’ai prise il y a près d’un an. Tout l’équipage est appelé sur le pont. Quelles furent les pensées de mes compagnons lorsque cet ordre leur fut donné, je l’ignore ; sûrement ils ne songèrent ni à l’Antarctique, ni au Pôle Sud.

Le lieutenant Nilsen apporte une grande carte roulée, dont l’apparition éveille aussitôt la curiosité. Quelques mots suffisent pour que chacun se rende compte de quoi il retourne, et de la direction que nous allons prendre. Sur la carte de l’hémisphère Sud, j’expose brièvement mon programme, ainsi que les motifs qui me l’ont fait tenir secret jusqu’à ce jour. De temps en temps, en parlant, je regarde mes auditeurs pour me rendre compte de leurs impressions. Au début, et comme cela était naturel, la plus profonde surprise se lit sur toutes les figures, mais cette expression se transforme promptement, et, avant que j’aie terminé, les physionomies sont souriantes. Je suis donc sûr de la réponse qui me sera faite. Mes explications achevées, j’invite les hommes à me faire connaître individuellement leurs intentions.

Immédiatement, tous se déclarent prêts à me suivre ; le oui solennel qu’ils prononcent ne trahit ni hésitation, ni émotion. D’avance, j’étais persuadé de leur concours ; néanmoins, très vive est ma satisfaction devant cette marque de confiance absolue de la part de mes collaborateurs dans une aussi grave circonstance. Je ne suis d’ailleurs pas le seul heureux à bord. Ce soir, l’entrain est général.

GRAND REPOS À BORD.

Pour le moment, il n’y a pas de temps à perdre en palabres ; il faut partir au plus vite. Deux heures sont accordées à mes compagnons pour leur permettre d’écrire à leurs familles et de les informer de notre nouvelle destination. Les lettres ne furent probablement pas longues ; en tout cas, elles furent rapidement achevées. Le courrier est remis ensuite à mon frère qui va nous quitter et se charge de le porter à Christiania, où il sera posté, après que notre changement de programme aura été communiqué à la presse. Si mes nouveaux plans sont chaleureusement accueillis par mes camarades, en sera-t-il de même par l’opinion publique ? Plus tard, nous sûmes qu’à cet égard les avis avaient été partagés. En ce moment, ce sujet ne saurait nous préoccuper. Mon frère est chargé d’annoncer notre résolution ; j’avoue ne pas lui envier cette mission. Nous lui serrons tous la main, et à son tour il pousse du bord. Nos relations avec le monde extérieur sont coupées pour longtemps ! Désormais, nous n’avons plus à compter que sur nous-mêmes. Pas la moindre émotion, pas trace de cette tristesse qui accompagne toujours les séparations. Les hommes rient et plaisantent. Nous mettons à la mer pour notre long et périlleux voyage avec la même insouciance que si nous partions pour une croisière de plaisance.

Une fois sorti de la rade, le Fram, couvert de toile, file rapidement vers le Sud, poussé par l’alizé de nord-est. Après les étouffantes journées passées au mouillage, cette brise délicieuse cause une sensation exquise de bien-être. Les chiens, qui ont sans doute trouvé le séjour de Funchal un peu trop chaud, saluent l’arrivée de la fraîcheur par un concert. Eux aussi doivent avoir leur part de l’allégresse générale ; pour cette fois, nous les laissons donc se livrer à leur manifestation favorite.

Le lendemain matin, en montant sur le pont, j’ai l’impression d’être accueilli avec encore plus de cordialité que d’habitude ; je ne vois que des visages souriants. Mes camarades s’amusent surtout de n’avoir pas deviné plus tôt mes intentions. « Ces chiens, cette cabane avec sa cuisine et son mobilier complet, s’écrie l’un. Comment ai-je été assez naïf pour ne pas m’en douter ? Est-ce que cela pouvait servir au cours d’une dérive sur un bateau rivé à la banquise ? » Je console ceux qui s’accusent le plus bruyamment en essayant de leur prouver que leur défaut de perspicacité a servi la cause de l’expédition. Les officiers auxquels j’avais confié mes projets ne sont pas les moins heureux d’être relevés du secret. Désormais, ils peuvent parler sans crainte de commettre une indiscrétion.

Le nouveau programme de l’expédition constitue un sujet de conversation inépuisable. Grâce à l’intérêt qu’excite la nouvelle entreprise, notre longue navigation s’écoulera rapidement. Un grand nombre de mes collaborateurs ont passé de longues années dans l’Arctique ; en revanche, ils ne savent rien de l’Antarctique. Seul, j’ai fait campagne dans la zone polaire australe, en qualité de lieutenant à bord de la Belgica ; en outre, peut-être un ou deux hommes de l’équipage ont-ils aperçu un iceberg dans les parages du cap Horn. Mes compagnons ne connaissent rien non plus de l’abondante littérature antarctique publiée dans ces dernières années. D’ailleurs, pourquoi se seraient-ils adonnés auparavant à cette étude ? Maintenant, les conditions sont différentes. Je considère comme une impérieuse nécessité que chaque homme soit au courant des explorations antérieures. C’est le seul moyen de nous familiariser d’avance avec les difficultés contre lesquelles nous aurons à lutter. Dans ce dessein, j’ai emporté une bibliothèque très complète, comprenant toutes les relations de voyages antarctiques depuis Cook et James Ross jusqu’au commandant Scott et à Sir Ernest Shackleton. Ces divers ouvrages furent lus avec avidité, surtout les deux derniers. Les livres de Scott et de Shackleton, d’une lecture très attachante et accompagnés d’une magnifique illustration, furent particulièrement demandés. Si l’éducation théorique de mes collaborateurs est activement poussée, la pratique n’est point négligée non plus. Pendant la traversée de la zone des alizés, la direction et la force du vent demeurant constantes, le nombre des hommes de quart peut être réduit sans inconvénient et les spécialités du bord employées à la mise en état du matériel d’exploration.

UNE OPÉRATION CHIRURGICALE.

Quoique, avant le départ, les précautions les plus minutieuses aient été prises pour que les diverses parties de l’équipement soient aussi parfaites et aussi pratiques que possible, une révision complète n’en est pas moins nécessaire. On n’en a jamais fini avec un matériel aussi compliqué que le nôtre ; on découvre toujours quelque perfectionnement à y apporter. On verra ultérieurement que les préparatifs de la marche vers le Pôle nous ont donné plus de travail que nous n’en pûmes exécuter, non seulement durant notre longue traversée, mais encore pendant notre hivernage.

Durant les quatorze premiers jours après le départ de Madère, grâce à l’alizé du nord-est, nous atteignons à la voile une assez bonne vitesse moyenne. Les mécaniciens en profitent pour nettoyer et fourbir leur moteur. Lorsqu’il a bien astiqué, Nödtvedt consacre ses loisirs à l’enclume. Nous avons besoin de diverses pièces pour les traîneaux, de couteaux, de harpons, de barres, de centaines de crochets et de chaînes pour les chiens. Jusqu’au milieu de l’océan Indien, notre camarade ne se lasse pas de battre le fer ; une fois que nous sommes dans la zone des vents d’ouest, l’ampleur du roulis rend son travail malaisé.

BRISE FRAÎCHE DANS LA ZONE DES VENTS D’OUEST.

Avant l’appareillage de l’expédition, que n’avait-on dit et écrit sur le Fram ? Les uns prétendaient qu’il faisait eau de toutes parts, les autres qu’il était complètement pourri. Les deux longues traversées accomplies par le navire de 1910 à 1912 montrent l’inanité de ces racontars.

Pendant vingt mois sur vingt-quatre, le Fram a navigué à travers des mers tumultueuses qui mettent à l’épreuve la solidité des navires. Actuellement, il est en aussi bon état qu’au moment du départ, et il pourrait recommencer les mêmes voyages sans réparations. D’ailleurs nous savions parfaitement à quoi nous en tenir sur la solidité de sa coque. Est-ce que tous les bâtiments en bois ne font pas une certaine quantité d’eau ? Quand le moteur est stoppé, chaque matin, la manœuvre des pompes à bras pendant dix minutes suffit à vider la cale. Oh ! non, la coque du Fram est solide. Par contre, le gréement nous donna moins de satisfaction : faute d’un budget suffisant, je n’avais pu le faire établir aussi complet que je l’eusse désiré. Le mât de misaine porte seulement deux voiles carrées, alors qu’il en aurait fallu quatre. En second lieu, nous n’avons que deux focs. Dans la zone des alizés, nous agrandîmes la misaine au moyen d’une bonnette et hissâmes une flèche au-dessus du hunier. Cette voilure de fortune ne donna pas précisément un aspect élégant au navire ; mais elle accéléra sa marche, c’était l’essentiel.

Pendant cette partie de septembre, nous faisons bonne route vers le Sud ; avant le 15 nous sommes déjà fort en avant dans la région des tropiques. La chaleur ne nous incommode plus ; d’ailleurs, elle est toujours supportable en pleine mer, tant que le navire marche. Par contre sur un bâtiment à voiles, immobilisé par le calme avec le soleil au zénith, la température n’est pas précisément agréable. En pareil cas, nous mettons le moteur en mouvement, et de suite nous avons un peu de brise, tout au moins sur le pont. Les logements, en revanche, sont de véritables fours. Les cabines, si confortables à d’autres points de vue, ne possèdent point de hublots, d’où l’impossibilité d’y établir de courant d’air.

À LA ROUE DU GOUVERNAIL.

Dans le voisinage de l’Équateur, entre l’alizé de nord-est et celui de sud-est, se rencontre la zone des calmes. Sa position et son étendue varient avec les saisons ; il peut même arriver qu’elle fasse pour ainsi dire défaut et qu’un vent régulier vous pousse à travers toute la zone équatoriale. Le plus souvent, cette bande de calmes retarde singulièrement les voiliers. Nous arrivons dans ces parages à une époque défavorable ; dès le 10° de latitude nord, nous sommes abandonnés par l’alizé de nord-est. Si les brises nous avaient fait défaut, ce n’eût été que demi-mal ; on aurait mis en marche le moteur. Mais nous eûmes la malchance de trouver un vent de sud constant qui nous retarda notablement. De plus nous ne reçûmes pas les averses diluviennes habituelles sous ces latitudes qui en quelques instants renouvellent la provision d’eau ; nous ne recueillîmes que quelques gouttes. Pour ne pas être pris de court, la plus stricte économie s’impose désormais. À partir de maintenant, la ration des chiens est mesurée avec parcimonie et la nôtre réduite au strict nécessaire. Pour cette raison, les potages sont proscrits et les lavages à l’eau douce défendus. Une abondante provision de savon, qui se dissout dans l’eau de mer, nous permet de continuer à nous laver et à faire la lessive. Si pendant quelques semaines nous éprouvons des inquiétudes à l’endroit de notre provision d’eau, ces craintes sont bientôt dissipées, la réserve embarquée dans la baleinière ayant duré près de deux fois plus de temps que nous ne l’avions escompté. En cas de disette nous aurions relâché dans un des nombreux archipels situés sur notre route.

LE PONT DU « FRAM » DANS LA ZONE DES VENTS ALIZÉS.

Depuis plus d’un mois et demi, les chiens sont restés à l’attache. Ce régime les à rendus si obéissants que nous leur donnons la liberté. Ce changement leur sera très agréable et leur fera du bien, sans compter que le spectacle de leurs ébats apportera une distraction à la monotonie de notre existence.

Avant de lâcher les captifs, il est indispensable de les désarmer. Sans cette précaution, immédiatement une bataille s’engagerait et se terminerait par une mort ou deux. Donc chaque chien est solidement muselé. L’opération terminée, aucun ne bouge ; tous semblent avoir renoncé à l’idée de quitter la place qu’ils occupent depuis si longtemps. Après un instant de réflexion, l’un d’eux s’enhardit pourtant à faire quelques pas. Le spectacle de sa liberté réveille ses voisins, et incontinent ils se précipitent sur le promeneur, heureux de cette occasion de pouvoir enfin planter leurs crocs dans la chair de leur prochain. Ils avaient compté sans les muselières : quelques touffes de poils furent les seuls trophées de cette violente attaque. Ce n’était qu’une escarmouche ; une fois le branle donné, la bataille devint bientôt générale. Durant deux heures, des hurlements épouvantables accompagnèrent de terribles mêlées. Les poils volaient, mais les peaux restaient intactes. Cet après-midi-là, les muselières sauvèrent nombre d’existences.

Le combat est le plaisir favori des chiens eskimos. Le mal ne serait pas grand s’ils n’avaient l’habitude de se concerter pour tomber sur une bête isolée, choisie comme victime. Si on les laissait libres, ils ne lâcheraient leur pauvre proie qu’après l’avoir tuée. Des chiens de grande valeur peuvent ainsi passer de vie à trépas en quelques minutes,

RÖUNE RÉPARE DES CÂBLES.

Nous nous efforçâmes de faire perdre à nos élèves cet amour de la bataille, et ils comprirent vite que ce genre de divertissement ne nous était pas agréable. Nous avions, il est vrai, à lutter contre une sorte d’instinct, et il eût été vain de croire que la discipline dompterait les habitudes ataviques. Les chiens restèrent en liberté jusqu’à la fin du voyage : on les attachait seulement aux heures des repas. Naturellement ils allaient se blottir dans tous les coins et recoins du navire ; ainsi souvent, le matin, on ne voyait plus une bête sur le pont ; toutes étaient cachées dans des trous et des encoignures. Naturellement, elles se faufilaient partout où nous n’avions que faire d’elles. Plusieurs profitèrent de l’ouverture des écoutilles pour sauter dans les cales ; une chute de 7 m. 50 les laissait indifférentes. Un chien réussit même à se glisser dans la machinerie, bien que l’accès en fût très difficile.

Après les premières batailles, le calme s’établit. Les champions de la lutte manifestaient une sorte de honte et de désappointement devant l’inutilité de leurs efforts. À leurs yeux, le sport perdait d’ailleurs son principal attrait du moment qu’ils ne pouvaient plus goûter au sang de leurs adversaires.

BÊTES ET GENS VIVENT DANS LES MEILLEURS TERMES.

Les relations des chiens ne revêtent pas toujours ce caractère d’hostilité ; entre eux naissent souvent des affections, parfois si fortes que deux amis ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Avant de donner la liberté à nos passagers, nous avions remarqué l’air triste et malheureux de plusieurs d’entre eux. Le jour où ils furent libres, nous découvrîmes que cette mélancolie provenait simplement de ce qu’ils se trouvaient séparés d’amis très chers, placés dans une autre partie du pont. Nous mîmes aussitôt à profit cette indication pour grouper dans un même attelage les animaux qu’unissait une vive affection.

… Lentement, mais sûrement, nous avançons dans le Sud, et progressivement la température rentre dans les limites qui conviennent aux hommes du Nord. Bientôt même les tauds peuvent être amenés. Ce fut un vrai soulagement d’être débarrassés de ces toiles et de pouvoir circuler partout.

Le 16 octobre, à midi, l’observation nous place dans les environs de la Trinité du Sud, une oasis isolée du désert humide de l’Atlantique austral. Nous avions l’intention de tenter un débarquement ; dans la journée, le moteur ayant dû être arrêté pour un nettoyage, force nous est de renoncer à ce projet. Au crépuscule, nous apercevons vaguement la terre ; cela suffit cependant pour assurer le contrôle de nos chronomètres. Dans ces parages, nous pouvons avoir la chance de rencontrer un vent favorable. Actuellement nous avons couvert 6 000 milles ; il nous en reste 10 000 à parcourir, et les jours s’enfuient avec une étonnante rapidité. Vers la fin d’octobre se produit le changement souhaité : une fraîche brise de nord s’élève et pousse allègrement le navire vers le Sud. Avant le 31 nous avons atteint le 40°, c’est-à-dire la zone où nous sommes presque sûrs de trouver des vents frais soufflant dans la bonne direction. Notre route est désormais dans l’Est, le long de la zone australe des brises d’ouest, entre le 40e et le 50e parallèle.

Nous avons placé notre confiance dans ces vents ; s’ils nous faisaient défaut, grande serait notre déconvenue. Dès que nous entrons dans leur domaine, ils nous font sentir leur force. Le traitement qu’ils infligent au navire n’est pas précisément doux, mais ses effets sont excellents ; nous filons à toute vitesse vers l’Est. Une escale projetée à l’île Gough est abandonnée, en raison de la hauteur de la mer qui ne permet pas l’approche de l’étroit mouillage de cette terre.

… Nous sommes en train de regagner le temps perdu en octobre. Comme je l’avais prévu, nous passons dans le sud du cap de Bonne-Espérance deux mois après le départ de Madère. Le jour même où nous franchissons le méridien de la pointe australe de l’Afrique, une véritable tempête arrive sur nous, accompagnée de lames extrêmement hautes ; sur cette mer énorme, notre bateau se comporte admirablement et montre ce dont il est capable. Si une seule de ces gigantesques montagnes d’eau s’abattait sur le pont, elle enfoncerait tout. Mais le Fram est un merveilleux navire. Quand la vague arrive par l’arrière, menaçant de nous submerger, il s’élève d’un mouvement élégant, et la lame monstrueuse glisse sous ses flancs. Un albatros ne ferait pas mieux.

Kerguelen se trouvant sur notre route, pour diverses raisons nous décidons d’y faire escale et de rendre visite à nos compatriotes, qui ont installé une station de chasse à la baleine dans cette île. Depuis quelque temps, nos chiens maigrissent, probablement parce que leur alimentation ne comprend pas de corps gras en quantité suffisante : or, à Kerguelen, le chantier de dépècement nous fournira toute la graisse dont nous avons besoin. En outre, quoique la provision d’eau soit suffisante, à condition de la ménager, j’aimerais remplir les caisses, J’espérais de plus pouvoir nous adjoindre trois ou quatre hommes. Une fois l’escouade de terre débarquée, l’équipage ne comprendra plus que dix hommes : un effectif très faible pour sortir le navire de la banquise et l’amener ensuite à Buenos Aires en doublant le cap Horn. Enfin un débarquement sera une agréable diversion à la monotonie de notre vie. Poussés par des brises d’ouest très fraîches, nous approchons rapidement de l’île. À cette époque, la distance parcourue chaque jour s’élève en moyenne à 150 milles ; une fois, elle atteint même 174 milles, la meilleure moyenne de toute la traversée, une belle vitesse pour un navire lourdement chargé et n’ayant qu’une voilure réduite.

Dans l’après-midi du 28 novembre, l’île appelée Cap Bligh, située à quelques milles au nord de Kerguelen, est en vue. Le temps n’étant pas très clair et ne connaissant pas ces parages, nous passons la nuit à la cape. Le lendemain matin, une éclaircie nous permet de prendre des relèvements. Nous nous dirigeons vers le Royal Sound, où se trouve, croyons-nous, la station des baleiniers. Sous la fraîche brise du matin, nous allions doubler le dernier promontoire, quand soudain un coup de vent s’abat sur nous ; en même temps, cette côte inhospitalière disparaît derrière un épais rideau de pluie. Donc point d’autre alternative : que de tenir de nouveau la cape pour je ne sais combien de temps ou de nous remettre en route. Sans hésitation, nous décidons de reprendre la mer. Certes, il eût été agréable de rencontrer des compatriotes, mais il était plus utile encore d’avancer rapidement sur le chemin de la Barrière, dont 4 000 milles nous séparent encore. L’avenir prouva que nous avions eu raison d’agir ainsi.

Décembre amène des vents favorables, plus frais encore que ceux qui ont soufflé en novembre. Au milieu du mois, nous sommes déjà à plus de moitié route entre Kerguelen et notre destination.

Nous sommes tous en parfaite santé, et plus nous approchons du but, meilleur est notre moral. À l’excellente qualité de nos vivres doit être attribué le remarquable état sanitaire du bord pendant ce long voyage. Après avoir eu, de Norvège à Madère, une table somptueuse, alimentée principalement par de jeunes porcs que nous avions embarqués, nous dûmes nous rabattre sur les conserves. Le changement de régime ne sembla pas désagréable, grâce à la variété de nos provisions. Il y avait à bord deux tables, mais toutes deux avaient le même menu. Le déjeuner qui a lieu à huit heures comportait des hot-cakes, des confitures, de la marmelade d’orange ou du fromage, du pain frais, du café ou du cacao. Le dîner était composé d’un plat de viande et d’un dessert. Pour économiser l’eau, le dimanche seulement on servait de la soupe. Des conserves de fruits de Californie formaient la base de nos desserts. Manger le plus souvent possible, et en grande quantité, des fruits, des légumes, des confitures, est le meilleur remède préventif contre les maladies. À dîner, comme boisson, de l’eau ou du sirop ; tous les mercredis et tous les dimanches, on buvait un schnaps. Par expérience, je connais les effets miraculeux d’une bonne tasse de café chaud, lorsque l’on est réveillé en pleine nuit pour prendre la garde. Une gorgée suffit à mettre d’aplomb un homme grincheux et à moitié endormi. Aussi le café pour les quarts de nuit fut une institution permanente.

ON SERRE UNE VOILE DÉCHIRÉE.

Vers Noël, nous touchons presque le 150° de longitude est, par 58° de latitude sud ; 900 milles nous séparent encore de la banquise. Fini, cet admirable vent d’ouest, qui nous a poussés pendant des semaines. Durant quelques jours ensuite, nous rencontrons des calmes ou des brises contraires. L’avant-veille de Noël, nous sommes gratifiés de pluie et d’un vent frais de sud-ouest.

Pour pouvoir célébrer cette fête, il est nécessaire que le temps soit de la partie ; sans quoi l’éternel roulis rendra impossible tout préparatif. Quoique la mer soit toujours grosse, Lindström confectionne avec ardeur les gâteaux traditionnels. Nous essayons de le persuader de nous les donner de suite, lui représentant que les gâteaux ne sont bons que lorsqu’ils sont servis chauds. Notre chef fait la sourde oreille et met sous clé ses pâtisseries. En attendant le plaisir de les déguster, nous devons nous contenter de leur fumet.

La veille de Noël arrive et avec elle un temps magnifique. La mer est calme comme depuis des semaines elle n’a pas été. Le navire ne bouge plus ; rien ne s’oppose donc à ce que l’on commence les préparatifs. Dans la journée, c’est un remue-ménage complet. Le salon avant est fourbi ; les panneaux en ripolin luisent comme des glaces ; les cuivres étincellent comme des ors et les pavillons disposés le long des panneaux jettent partout des notes claires. Au-dessus de la porte, un transparent porte la formule traditionnelle : Glœdelig Jul (Heureux Noël).

Le phonographe est installé dans une cabine sur une planche suspendue au plafond ; le piano étant complètement désaccordé, nous devons malheureusement renoncer à un concert. L’un après l’autre, les membres de notre petite communauté font leur apparition, rasés de frais et vêtus de leur complet le plus neuf, si bien que la plupart sont méconnaissables.

À cinq heures, le moteur est stoppé, puis tout le monde s’assemble dans le carré avant, à l’exception du barreur. Sous la douce lumière des lampes de couleurs, les logements ont un aspect vraiment féerique, et dans ce milieu éclatant de gaîté, instantanément tous nous nous sentons monter la joie au cœur. La décoration fait honneur à son auteur, le lieutenant Nilsen, comme aux excellents amis qui nous en ont donné les matériaux. Nous prenons place autour de la table, chargée des chefs-d’œuvre de Lindström. À ce moment le phonographe entame le Glade Jul (Heureux Noël !) À ce chant nous nous sentons profondément émus, et plus d’un parmi nous sent perler une larme aux souvenirs qu’il évoque. Nos pensées s’envolent vers le vieux pays, tout là-bas, dans le Nord, vers les êtres chers que nous y avons laissés ; au fond du cœur nous souhaitons qu’ils soient en aussi bonne santé que nous. Mais ce nuage de tristesse disparaît vite, et aussitôt jaillissent les rires et les plaisanteries. Pendant le dîner, le second nous régale d’une chanson de sa composition qui met en scène les petits travers de tous les camarades. Son succès est très vif. Dans le salon arrière, le café est servi, accompagné des gâteaux de Noël. Tandis que nous faisons honneur à toutes ces bonnes choses, Lindström travaille à l’avant ; lorsque nous remontons sur le pont, un superbe arbre de Noël apparaît tout flamboyant. Alors commence la distribution des cadeaux. Nous en avons des piles, dus à la généreuse prévoyance de nos amis. Les Comités des dames d’Horten et de Frederikstad et les demoiselles du téléphone de Christiania nous avaient particulièrement gâtés. À dix heures du soir, les bougies sont éteintes. De cette fête, il nous reste un souvenir qui ne s’effacera pas de longtemps.

Après une étude attentive des navigations de nos prédécesseurs, nous mettons le cap de manière à couper le 65° parallèle par 175° de longitude est. Il s’agit de franchir le plus rapidement possible la banquise qui ferme l’accès de la mer de Ross. Si des navires ont été retenus six semaines dans ces glaces, d’autres les ont traversées en quelques heures, en suivant précisément la route que nous prenons.

La largeur de la banquise est naturellement très variable ; en règle presque générale, elle semble toutefois présenter une zone de moindre résistance entre le 175° de longitude ouest et le 180° ; en aucun cas, il ne faut l’aborder plus à l’ouest. Le 31 décembre, nous atteignons le 62° 15′ de latitude sud.

Voici la fin de l’année : comme elle à passé vite ! De même que ses aînées, elle nous a apporté tour à tour des succès et des déboires. Au moment où elle se termine, nous nous trouvons tout près du point où nos prévisions nous plaçaient à cette date, et tous nous sommes en parfaite santé. Le soir, un verre de grog en main, nous saluons la venue de 1911, en nous souhaitant mutuellement la meilleure chance possible dans notre grande entreprise.


(À suivre.) Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


L’AVANT DU « FRAM ».