Au jardin de l’infante/Les Colombes

Au jardin de l’infanteMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 1 (p. 141-142).
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LES COLOMBES

Partout la mer unique étreint l’horizon nu,
L’horizon désastreux où la vieille arche flotte ;
Au pied du mât penchant l’Espérance grelotte,
Croisant ses bras transis sur son cœur ingénu.


Depuis mille et mille ans pareils, le soir venu,
L’Âme assise à la barre, immobile pilote,
Regarde éperdument dans l’ombre qui sanglote
Ses colombes s’enfuir vers le port inconnu.



Elles s’en vont là-bas, éparpillant leurs plumes
À travers le vent fou qui les cingle d’écumes,
Ivres du vol sublime enfermé dans leurs flancs ;


Et, chaque lendemain, au jour blême et cynique,
L’arche voit surnager leurs doux cadavres blancs,
Les deux ailes en croix sur la mer ironique.