Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/23

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XXIII.


Disons-le, cependant ; le résultat d’une révolution armée, en supposant que cette révolution soit généreusement interprétée par un homme de cœur, tout-puissant sur l’opinion, probe, désintéressé et démocrate comme Washington, — le résultat d’une révolution armée, ai-je dit, peut être tourné au profit du droit public.

Les tyrans renversés, avant que d’autres prennent leur place, il apparaît toujours, sur les ruines de la tyrannie, un homme plus grand que les autres, un homme que tout le monde voit, que tout le monde écoute et celui-là est le maître des décombres ; il peut à son gré les disséminer ou reconstruire.

Si M. de Lamartine avait eu le génie des faits, comme il a le génie des choses de l’intelligence, le 24 février aurait été la date de la République française, au lieu de n’en avoir été que l’invective.

La France, à cette date, attendait tout de cet homme radieux que les sympathies nationales avaient spontanément rendu le manœuvre puissant des destinées du peuple.

Il n’avait qu’à nous dire dans le rythme harmonieux de son beau langage :

« Le gouvernement des rois est aboli : la France n’est plus à l’Hôtel-de-Ville !

» Vos maîtres se sont évanouis ; ils ne seront point remplacés !

» Leur droit était dans la force ; la force a disparu : elle ne renaîtra pas ! » Vous êtes rendus à vous-même ; l’étranger apprendra de moi que vous êtes libres.

» Veillez sur vous ; j’ai l’œil sur la frontière ! »

Certes, après des déclarations aussi substantielles, nos Représentants, quels qu’ils eussent été, n’auraient pas perdu de vue qu’ils avaient à définir le droit national, et non pas le droit forcené des gouvernements.

Peut-être, M. de Lamartine eût-il péri, victime des ambitieux laissés sans proie. Le désespoir des apprentis tyrans se serait peut-être déchaîné sur lui ; mais sa mort, comme celle des grands citoyens, aurait été féconde ! et puisque, comme il le dit, les idées végètent de sang humain, le sien serait resté sur l’initiale de l’ère libre, comme une éternelle protestation contre la tyrannie des livrées !

Malheureusement, au lieu de disséminer les éléments du despotisme, il se mit à les rassembler pour reconstruire ; l’édifice est aujourd’hui terminé jusqu’à la clé de voûte. Ce n’est pas lui qui l’habite, mais il est habité ; pas plus mal peut-être, mais pas mieux non plus.

Eh bien ! le moment est venu de laisser là les mots et d’arriver au fait !

Le moment est venu de savoir ce que démocratie veut dire !

Le moment est venu pour tous les Français, dans l’artère desquels bat encore un peu de ce sang gaulois qui, depuis Dioclétien jusqu’à Charlemagne, protesta contre la tyrannie de l’empire, de se redresser dans l’attitude des citoyens libres, et de demander compte à la couardise et à l’incapacité des hommes-peuple, des individualités-République de notre crédit anéanti, de nos capitaux effrayés, de nos industries paralysées, de nos travaux suspendus, de notre commerce éteint, de nos produits sans débouché ; de notre France, enfin, tellement ingrate, tellement aliénée, tellement vénale, tellement prostituée, tellement avilie, tellement inhospitalière, tellement étrangère à nous-mêmes, tellement polluée par le fisc, et tellement voisine du mépris de ses enfants, qu’ils n’auront bientôt plus assez d’amour dans le cœur pour opposer leur courage aux tentatives de ses ravisseurs !

Ce moment est venu, car nous sommes en présence d’un spectacle décisif ; d’un côté, c’est le gouvernement qui se défie de la nation.

D’un autre côté, c’est la nation qui se défie du gouvernement.

Or, il faut, de toute nécessité, ou que le gouvernement dévore le pays, ou que le pays absorbe le gouvernement.


FIN.