Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/15

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XV.


Ils ont peur pour leur propriété, pour leur religion, pour leur famille ?

Les derniers sectaires de l’intolérance, ceux qui bredouillent au milieu de nous le langage, encore intelligible, hélas ! des tyrans de l’humanité, répètent sans cesse leurs périodes échevelées au sujet de la religion, de la propriété, de la famille.

Ces ridicules protecteurs de Dieu et de la société n’ont pas l’esprit de comprendre que la faculté de sauver qu’ils s’attribuent, implique nécessairement la faculté de perdre ; ils ne s’aperçoivent point, tant ils mettent de gravité dans leur quichotisme puéril, que la garde qu’ils montent à la porte du temple et du domicile, met, à leurs yeux, Dieu et la société à leur discrétion ; ils ne songent point, ces grands enfants, que tout en disant à Dieu et à la société : nous vous avons sauvés de la destruction ; c’est comme s’ils leur disaient : il a dépendu de nous que vous n’existassiez plus ; vous nous devez la vie !

Voyez-vous d’ici un appareil articulé de la vie organique, revendiquant un droit d’initiative sur l’existence de Dieu et de la société ?

Voyez-vous d’ici l’univers moral et matériel sous la dépendance d’un quadrumane dégénéré, qu’une chiquenaude ou un catarrhe peuvent faire passer de vie à trépas ?

Honte et pitié !

Assez de cette jactance misérable et charivarique !

Assez de cette grandeur fondée sur l’abaissement public !

Assez de cette audace édifiée sur la peur !

La religion, la propriété, la famille, qui ont traversé le rationalisme genevois, le philosophisme voltairien, la confiscation conventionnelle, la dissolution des liens sociaux de l’Antiquité ; la religion, la propriété, la famille sont inattaquables, en fait, par les individus ; les défendre, c’est les exploiter ; les protéger, c’est les spolier !

Que les intrigants de toute couleur, autant ceux qui se croient assez puissants pour les menacer, que ceux qui s’attribuent la faculté de les défendre ; que tous ceux, en un mot, qui, vivant de l’intimidation et du terrorisme, ont intérêt à perpétuer la panique universelle, le sachent bien : la religion, la propriété, la famille, n’ont jamais eu d’autre protecteur efficace que le temps : elles n’ont jamais pu, conséquemment, être attaquées que par le temps.

Le temps, sans que nul y prenne garde, sans que nul ait à formuler une plainte, le temps modifie tout : religion, propriété, famille.

L’état actuel de l’église, avec sa discipline dégénérée et sa neutralité dans la politique du monde, ferait mourir d’un accès de rage l’audacieux Hildebrand.

L’état actuel de la propriété, avec ses morcellements infinis et la mélancolique résignation de ses châteaux, désespérerait les grands tenanciers du dernier siècle.

L’état actuel de la famille, avec le déplacement incessant des individus, l’allégeance du joug domestique, les disjonctions provoquées par le cosmopolitisme, blesserait profondément les traditions patriarcales de nos aïeux.

L’œuvre de la génération future, s’il nous était donné de la voir, choquerait nos préjugés, nos habitudes, notre mode d’être.

Ainsi, tout se modifie sans se détruire, et l’esprit humain n’accepte que ce à quoi il est préparé. Chaque jour il s’ouvre à de nouveaux intérêts, auxquels il s’accommode sans choc. Après une période de temps, la réunion des intérêts nouveaux appelle une institution nouvelle qui, venue en bloc antérieurement, aurait surpris et lésé chacun, mais qui, venue dans l’ordre providentiel de succession, n’a lésé personne et a satisfait tout le monde.

Laissons dire et n’ayons point peur.

La peur n’est que la condamnation de soi-même, et dès qu’on s’est condamné, les exécuteurs ne manquent pas.