Imprimerie du Saint-Laurent (p. 43-45).

CHAPITRE VII

NOS PREMIERS MILICIENS !


AUX TROIS-PISTOLES



Pendant que la petite colonie des Trois-Pistoles augmentait lentement le cercle de ses opérations, les ennemis de la Nouvelle-France se donnaient du trouble pour reconquérir le Canada. Chaque jour apportait la nouvelle d’hostilités de la part des voisins de la Nouvelle-Angleterre, et c’étaient des alarmes dont les colons ressentaient assurément les contre-coups. En 1744, la guerre éclata soudain ; l’Angleterre jusque là neutre, s’étant jetée du côté de Marie Thérèse d’Autriche, prenait fait et cause contre la France et par là recommençait la guerre en Amérique.

À Québec, cette nouvelle ne causa pas plus d’émoi que dans le passé, accoutumé que l’on y était d’apprendre chaque jour de nouvelles menaces, de nouvelles invasions. Toutefois on augmenta de prudence, et comme les ennemis devaient d’abord s’emparer de l’Acadie, par la prise de Louisbourg, pour remonter le Saint-Laurent jusqu’à Québec, ordre fut donné aux habitants d’en bas de la Pointe de Lévy de se tenir sur leur garde.

Voici le précieux document que M. Napoléon Rioux, Seigneur des Trois-Pistoles, un descendant direct de Vincent Rioux, frère de Nicolas, nous passe au sujet de cette défensive que les autorités militaires de Québec entendaient suivre dans le cas de guerre avec les colons de la Nouvelle-Angleterre. Ce document qui a près de 150 ans d’existence, est une relique du passé, et nous l’insérons ici avec plaisir, afin de la conserver dans sa forme, et d’en donner connaissance publique à ceux qui aiment les antiquités.

Voici ce morceau dans son entier :


Rivière des Trois-Pistoles.


Nous, Jean Baptiste de St-Ours d’Echaillon, Chevalier de l’Ordre militaire de St-Louis, Lieutenant de Roy du Gouvernement de Québec, Commandant en l’absence de Monsieur Le Général.

Il est ordonné au S. Riou Lainé, propriétaire de la Rivière des Trois-Pistoles d’exécuter les ordres qui lui seront donnés par les Srs. de Paline et Céry que M. L’intendant et nous envoyons à l’occasion des feux et fumées à faire dans les endroits de la dite paroisse qui lui seront indiqués par les Srs. de Paline et Céry, à l’effet de quoi il fera monter la garde le jour et la nuit par deux habitants qui seront relevés de trois heures en trois heures afin que les feux puissent êtres faits exactement et à propos et de faire assembler les milices aussitôt qu’on apercevra les feux ou les vaisseaux ennemis pour se rendre ensuite à Québec avec leurs armes avec injonction à tous les habitants de son district d’apporter avec eux chacun pour 20 jours de vivres en pois, en farine ou légumes supposé que les secours de France ne seraient pas encore arrivés ou que les récoltes ne soient pas faites, dans le cas que l’ennemi paraisse, ils auraient attention de faire mettre leurs bestiaux dans les bois le plus à l’écart qu’il sera possible. Au surplus recommandations au Sr. Rioux Lainé de tenir sa milice en bon ordre et prête à marcher s’il en était question.

Nous prévenons le dit Sr. que lorsque le dernier feu paraîtra à la pointe de Lévy il sera tiré un coup de canon ou deux pour avertir qu’on a vu les feux à Québec : Ces deux coups de canon seront le signal pour répéter les feux depuis la pointe de Lévy jusqu’à St-Barnabé.


À Québec, 21 juillet 1744.

St-Ours Dechaillons.

Vu par nous intendant de la Nouvelle France.

HOCQUART.


Comme on le voit c’est une pièce inédite de valeur ; elle nous donne l’idée de la manière dont on s’y prenait, alors, pour donner des signaux depuis Québec jusqu’à Rimouski. Il n’y a pas de doute qu’un dépôt d’armes existait à la grande maison du Seigneur Rioux, sur la pointe, à l’usage des militaires du district dont Nicolas Rioux était le capitaine en chef. Le district militaire comprenait alors tout le territoire depuis la Rivière-du-Loup jusqu’au dernier avant-poste à Rimouski, à « St-Barnabé, » comme dit l’ordre de milice que nous venons de citer.

Nicolas Rioux et ses miliciens furent-ils obligés de faire le coup de feu ? Nous l’ignorons. Une chose certaine, c’est qu’ils furent utiles à leur pays de quelque manière et ressentirent vivement au cœur les larges blessures que l’on faisait à la Nouvelle-France par ces guerres continuelles qui l’épuisaient et allaient la jeter sanglante sur les plaines d’Abraham, soumise au pouvoir d’un ennemi plus fort.