Imprimerie du Saint-Laurent (p. 11-13).

INTRODUCTION



C’est Charles Nodier, je crois, qui a dit quelque part : « hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du peuple, avant qu’il les ait oubliées, » et votre humble serviteur, s’inspirant de ces paroles sincèrement vraies, vient aujourd’hui vous entretenir de ces histoires du passé, merveilleux récit où la légende et la fable se donnent parfois la main pour mieux captiver les auditeurs, mais où l’on découvre facilement un fond de vérité, que l’histoire ne refuse pas d’accepter comme étant de son domaine, tout en faisant une large part à la fiction qui n’y ajoute que son charme et son attrait indéniables.

Nous vivons à une époque qui contraste singulièrement avec celle où nos ancêtres se livraient aux durs métiers de colons et de soldats. C’était le temps alors, où les canadiens-français burinaient au temple de l’avenir les épisodes héroïques, qu’immortalisaient la foi, le dévouement, l’amour du sol et l’aveugle enthousiasme d’une nation éprise d’idéal sublime et de devoir surhumain. C’était le temps où les Iroquois faisaient trembler plus d’un brave, où l’on sentait un ennemi embusqué derrière chaque tronc d’arbre que l’on venait d’abattre sur le lot que l’on défrichait — Dieu sait au prix de quelles peines et de quelles abnégations ; — où le soleil radieux qui se levait à l’horizon, sur une cabane de bois, abri des seuls trésors que l’on appréciait d’autant plus que la solitude était plus grande : la femme et les petits, menaçait d’éclairer de ses rayons mourants le massacre des êtres chers, et la destruction d’un patrimoine gagné à la sueur des fronts.

Aujourd’hui tout cela n’est plus, il y a encore des luttes, des embuscades, des tortures mêmes ; mais ce sont les luttes contre le vice qui, vague immense, monte et monte sans cesse ; ce sont les embuscades où nous guettent le luxe, les folles passions, les heures d’enivrement, les désirs de parvenir, la vie à outrance en toute chose, tous ces ennemis qui torturent, mutilent, scalpent et annihilent tout aussi sûrement une nation, que le couteau du Peau-Rouge des premiers temps de la colonie.

Bien plus, les belles choses du passé, les annales de notre histoire si belle, immense épopée qui a tenté les efforts de plus d’un poète, nos légendes émouvantes où les lutins, la chasse-galerie, les feux-follets et les revenants jouent un rôle si impressionnant et plein d’attirance, nous les avons négligées, mises à l’arrière-plan, couvertes du linceul de l’oubli, pour nous plonger dans la lecture des romans à sensation.

Je ne voudrais pas tourner en moraliste dans l’étude qui nous occupe ; mais je ne puis m’empêcher de constater un fait, c’est que le roman — dans la pire acception du mot — prend une trop large part dans la vie d’un grand nombre. Arsène Houssaye écrivait un jour : « notre siècle est arrivé sans foi en lui-même, presqu’à la fin de sa course. Le moment est venu pour l’art et la littérature de jeter un regard en arrière, de s’interroger la conscience et de se demander : Où allons-nous ?

Et Faucher de St-Maurice, le doux littérateur, le poète soldat, qui a fait tressaillir nos âmes de viriles émotions, ajoutait : « Où allons-nous en effet, emportés sur ce flot terrible et grondeur de romans, de contes, de nouvelles que la librairie fait déborder depuis soixante-quatorze ans ? Où nous mènent ces écoles de beaux penseurs, fantaisistes échevelés qui, ne pouvant se tenir dans un juste milieu, nous montrent d’une main la vie réelle à travers un faux prisme, faisant rayonner sur elle, des couleurs chatoyantes qu’elle n’a pas, et de l’autre disséquant froidement, — à grands coups de scalpel, muscles par muscles, lambeaux par lambeaux, toutes les monstruosités de la nature humaine ?

« On ne saurait s’imaginer combien ces productions indigestes, incrustent au fond de l’âme, un acide qui corrode et ronge les inspirations les plus pures. Elles donnent une fausse direction au jugement, ouvrent une carrière trop vaste à l’imagination et à l’enthousiasme — ces compagnes folles de toute jeunesse — font pencher mélancoliquement l’âme vers le mal, la jettent petit à petit dans la dégradation et conduisent la plupart de leurs adeptes à l’irréligion, aux entreprises folles, au désespoir, au déshonneur et quelque fois, malheureusement, au bagne. »

Combien plus aimables sont les productions saines et fortes dégageant de leur ensemble un parfum de devoir accompli, de récompenses bien méritées, de consciences calmes et heureuses comme après une bonne action faite sans ostentation. Et quel pays plus fertile que le nôtre pour la production de tant d’œuvres saines et viriles, où l’on retrouve tout ce qui peut plaire aux cœurs, et enthousiasmer les âmes. Le passé avec ses héroïsmes, le passé avec ses légendes qui s’en vont, le passé avec ses douces histoires qui menacent de s’oublier, est là qui nous invite et nous tend la main. Il me semble, attiré par leur charme séduisant, entendre une voix d’aieule nous les conter, lorsque le soir tombe et que sur la grande route, au bord du fleuve, les passants ont disparu, entré sous un toit hospitalier, et que l’on entend, comme apaisée la voix des flots qui bruissent sur le rivage dans nos paroisses françaises d’en bas de Québec.

J’ai encore dans l’oreille le son de la voix aimée de grand’-mère, redisant pour la centième fois les choses merveilleuses de l’Histoire du Rév. Père de la Brosse, la vie et la mort de l’hermite de l’île Saint-Barnabé, vis-à-vis de Rimouski ; l’horreur du massacre des sauvages dans un ilot du Bic ; le merveilleux avertissement chez le seigneur Rioux des Trois-Pistoles ; la mort du Père Ambroise Rouillard, et le miraculeux scapulaire de la morte de Saint-Epiphane, dans le comté que j’ai l’honneur de représenter au Parlement Fédéral.

Et c’est sous l’empire de ces douces émotions que l’âge n’a pas diminuées, que je vais à mon tour, essayer de faire passer sous vos yeux les scènes diverses, quelques-uns des faits que l’histoire et la légende ont enregistrés et que l’on retrouve vivaces parmi toute la population au bord du fleuve, en bas de Québec, demandant à l’avance non pas votre attention, mais votre bienveillance pour me pardonner le décousu, la longueur, le peu de mérite littéraire, même, de ces histoires du bon vieux temps, ne vous rappelant qu’une chose : mon désir de vous intéresser aux choses de « Chez nous » !