Au bord des terrasses/29
DEUX NOVEMBRE
ui, je sais, aujourd’hui donnons notre pensée
Tout entière aux absents qui prirent notre cœur
À la terre pesante où leur marche est tracée,
Au ciel qui les retient dans sa froide splendeur.
Pensons aux morts !
Pourtant, nous le savons, à chaque heure sonnante,
À chaque jour portant son hymne et son devoir,
Nous songeons, esprit faible, inquiet, âme errante,
À tout cet infini qu’on ne peut concevoir,
À nos chers morts !
Et devant le miroir où tient mon espérance,
Je les vois revêtus de calme et de beauté :
Soit dans leur attitude et leur pli de souffrance,
Ou le rayonnement de leur activité :
Sont-ils bien morts ?
Mon père se penchait ainsi sur sa lecture,
Ou vers son chevalet, unissant des couleurs,
Et relevait son front qu’éclaire et transfigure
La présence de ses enfants contre son cœur.
Cruelle mort !
Ma grand’mère, au soleil, en robe claire et mauve
Parcourait ses jardins, du parterre au verger,
Résignée au sourire ; ayant la foi qui sauve,
Un sort de dévouement si doux à prolonger.
Sereine mort !
Toi, tu n’as pas cessé de vivre en ta famille,
Ta table de travail est au milieu de nous,
Je t’y vois méditant ; et tes fils et ta fille
Se haussant à ses bords, et te défendant tous
Contre la mort !
Le frère de mon père, et la sœur de ma mère,
Si proche parenté qui nous fait ressemblants
À nos communs aïeux, au lointain cimetière
De province, ont trouvé le terme de leurs ans
Absents et morts !
Aujourd’hui nous portons des gerbes, des couronnes
Moins lourdes que le poids multiple des regrets,
Des fleurs, beaucoup de fleurs aux senteurs des automnes
Que détrempe la pluie, en pleurs sur les bouquets.
Parons nos morts !