Au bord des terrasses/26

Madame Alphonse Daudet ()
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 73-75).




LES CHARMILLES DE CHARME




Les charmilles de charme, au début de l’automne,
Semblent un treillis clair semé de pièces d’or,
Un bois mystérieux dont le regard s’étonne,
Comme un rêve, flottant, léger comme un décor.

On marche sur un sol ouaté de feuilles mortes.
Nul bruit, nul froissement des rameaux enlacés
S’arrondissant là-bas, formant comme des portes
Sur un ciel aux effets tendrement nuancés.


Je veux y promener, non pas des espérances,
L’avenir, comme un souffle en avant, frappe au cœur,
Mais de vagues regrets et des réminiscences,
Tout ce qui nous rejoint au passé, ce vainqueur !

Sur ces arbres j’épie une date incrustée,
Un chiffre entrelacé que la sève, en pleurant,
Aurait fixé parmi cette mousse argentée
Qui dit l’âge lointain du bocage attirant ;

Rien ; et ceux dont les pas suivaient quelque chimère
Sous l’ombre dentelée, en elle évanouis,
Victimes de l’amour et du temps éphémère,
Sont morts deux fois, de la nature et de l’oubli !

Pourtant je chercherai leur trace en ces allées,
Qui toutes s’unissaient au point du rendez-vous,
Puis s’écartaient, comme les branches étalées,
D’un éventail sylvestre ouvert à petits coups.


Je reconnais leurs voix frôlant comme la feuille,
Leur marche éteinte est en écho parmi le sol,
Dites-moi la chanson pour que je la recueille,
Qui sur vos lèvres, revenants, prenait son vol ?

Les charmilles de charme, en leur grêle ramure,
Depuis plus de cent ans ont dû la conserver…
J’écoute si le vent ou l’oiseau la murmure,
Moi, je ne sais ici que me taire et rêver !