Hyacinthe Caillière (p. i-v).


PRÉFACE

À M. A. Orain.
Cher Confrère et ami,

La Société Photographique, fondée à Rennes, le 13 Juin 1890, ne ressemble pas à tant d’associations qui, hormis sur leurs papiers où elles grouillent, sont mortes. Elle n’a pas un an d’existence que, bien vivante déjà, elle a tenu à se prouver telle par ses œuvres. Sa première manifestation est aussi heureuse qu’elle fut prompte.

Ses artistes maintenant courent la ville et la campagne, et bientôt, parmi toutes les épreuves rassemblées, les meilleures seront choisies pour illustrer ce livre du Pays de Rennes, que la Société vous a prié d’écrire.

Votre modestie me permettra de vous dire que la Société ne pouvait faire un meilleur choix. Nul, parmi nos compatriotes, ne connait mieux son Pays et nul ne l’aime davantage. Nul n’en saurait mieux parler.

La photographie n’existait pas encore que vous étiez déjà, tout jeune et avant que la mode vînt du folk-lore et des monographies locales, le Pélerin passionné de notre Pays de Rennes. Vous l’avez exploré dans ses moindres détails et vingt charmantes plaquettes sur les Environs de Rennes, votre Guide du Voyageur, et surtout votre Géographie pittoresque d’Ille-et-Vilaine sont des preuves durables d’une vie entièrement dévouée au culte du Pays Natal.

Ce n’est pas devant vous, certes, qu’on pourrait médire de notre cher Pays, que ses habitants eux-mêmes parfois calomnient, faute de le connaitre sans doute.

« Un pays plat, l’Ille-et-Vilaine, point pittoresque, banal, sans lettres, sans sciences, sans industrie ; un pays mort, où l’on s’ennuie, dans les brouillards du ciel et la monotonie de l’existence ; rien à voir, rien à faire. Le touriste y languit et l’habitant y sèche. » Vous avez déjà, cher confrère et ami, répondu d’avance et victorieusement à toutes ces boutades ; ce nouveau livre, qu’illustre le concours des artistes de la Société Photographique, sera comme un nouveau témoignage, avec preuves à l’appui, en faveur de notre beau Pays de Rennes.

Pour moi, je pense souvent que la vie n’y est point si malheureuse ; et j’imagine que le touriste qui fait le projet de s’y arrêter une journée n’est pas à plaindre et n’aura pas perdu son temps.

Je le vois, se réveillant dans l’un de nos hôtels, qui sont maintenant confortables, après avoir savouré un bol de lait crèmeux de Saint-Laurent ou de Saint-Jacques, descendre dans nos rues et parcourir notre ville. Croyez-vous qu’il n’emploiera pas bien sa journée à visiter nos places, nos quais, nos musées, la Bibliothèque, le Palais de Justice, le Thabor et le Jardin des Plantes, le Mail et la Porte Mordelaise, etc. Vos photographies, Messieurs, seront là désormais comme des points de repère pour diriger ses promenades.

Et combien de jours ne faudrait-il pas pour visiter les environs, comme on dit en style de guide. C’est vous, cher confrère et ami, qui serez le Virgile de ces pèlerinages à travers notre Paradis. Vous nous redirez les charmes de vos promenades et nous vous y suivrons reconnaissants.

On nous calomnie, allez ! mais nous ferons des conversions. Que diriez-vous d’un dîner, où nous inviterions un de ces détracteurs de l’Ille-et-Vilaine et où nous aurions rassemblé tant de bonnes choses qui sont les produits de notre pays : huîtres de Cancale, beurre de la Prévalaye, boudins blancs de Rennes, côtes de Présalé, canards sauvages des marais de Redon, petits pois de Paramé, poulardes de Janzé, asperges de Cherrueix, le tout arrosé de quelques bonnes bouteilles de cidre mousseux de Mordelles ; et puis, au dessert, les excellentes pâtisseries de notre ville et quelques beaux fruits du Jardin des Plantes ou de Saint-Vincent ? J’allais oublier nos maingaux, cette crème incomparable, dont on nous envie la mystérieuse recette. Bien des pays de France seraient empêchés d’en fournir autant et notre convive devrait avoir la digestion reconnaissante. Une bonne promenade, au clair de lune, ensuite, le long de ces quais qui partagent notre Rennes en deux quartiers, comme Paris, avec Saint-Germain pour Notre-Dame et le Moulin du Comte pour Trocadéro. Et ne croyez-vous pas que l’incrédule serait déjà fort ébranlé dans ses vieux dédains. Pour en faire le néophyte zélé de notre heureuse vie Rennaise, il suffirait, cher confrère et ami, que, sur sa table, il trouvât, en rentrant au logis, votre beau livre au Pays de Rennes. Vous lui direz l’histoire de nos monuments, de nos institutions ; vous évoquerez pour lui, et pour nous, les souvenirs glorieux de notre vie passée. Bien des traditions se perpétueront grâce à vous, qui êtes un maître dans l’art de sauver ces jolies légendes dont les grâces ont la délicatesse des pastels. Combien n’en avez-vous pas fixé déjà ?

Puisse ce livre, que vous avez écrit avec votre plume savante et amoureuse des choses de l’Ille-et-Vilaine, enrichi des pittoresques illustrations de tant d’artistes, porter très loin la science et l’amour de notre pays.

Bien des Rennais, peut-être, seront tout surpris d’avoir ignoré si longtemps tous ces charmes que vous leur direz si bien. C’est à vous qu’ils devront la joie de pouvoir admirer et faire admirer, autour d’eux, en toute sûreté et sans qu’on les puisse taxer d’hyperbole, la Ville et le Pays que nous, les vieux Rennais, même dans notre ignorance, nous trouverions encore les plus beaux du monde, pour cette triomphante raison que là fut notre berceau, que là est notre foyer et que là sera notre tombe.