Au Pays de Rennes/La Maison Centrale

Hyacinthe Caillière (p. 80-84).


LA MAISON CENTRALE


La maison centrale de femmes, l’une des plus belles et des plus vastes de France a été édifiée par l’État, au sommet du coteau de Beaumont, au sud de la gare, le long de la route de Châtillon. Les murs de clôture, véritables forteresses, ont un kilomètre de tour.

Ce monument, commencé en 1857 et dont la construction a duré plus de dix ans, a coûté au gouvernement des sommes considérables. Il renferme actuellement 660 détenues. Le premier convoi de prisonnières fit son entrée dans cet établissement le 12 Octobre 1873.

Les dortoirs, les ateliers, les cuisines, les salles de bains, les cours intérieures, font l’admiration des personnes privilégiées admises à les visiter.

Au milieu des jardins est une belle pièce d’eau appelée autrefois par les Rennais, la carrière de Beaumont. C’est, en effet, une ancienne carrière qui fut célèbre jadis en raison du grand nombre de personnes qui s’y noyèrent ou qui y furent noyées.

On évitait d’y passer le soir.

Nous reviendrons sur nos pas, sans nous arrêter à la gare, — qui à part ses grands ateliers de construction occupant beaucoup d’ouvriers — n’a rien de monumental. Nous irons visiter l’escalier des Carmes, rue Vasselot, puis nous dirigerons nos pas vers le Palais du commerce et l’Arsenal, les deux seuls édifices qui nous restent à décrire dans la partie sud de la ville.

Toutefois, avant de quitter la gare, rappelons un souvenir qui s’y rattache :

Vers 1852, lorsqu’on effectua les travaux de terrassement pour la construction de la gare de Rennes, on découvrit plusieurs squelettes dans un champ qui se trouvait situé au sud-est de la gare actuelle, dans la direction de l’entrée de la gare aux marchandises (boulevard Solférino).

Ces restes provenaient des victimes d’un assassin célébre connu à Rennes sous le nom de Poulain de Beauregard. Ils avaient été cherchés sans succès, en 1824, après la disparition d’un marchand de toile de Quintin (Côtes-du-Nord) et de plusieurs filles publiques de notre ville.

Ce Poulain de Beauregard arriva à Rennes au commencement de 1824 et loua, sur la route de Châtillon, non loin de l’auberge du Pot d’Etain, une maison avec jardin qui portait le nom de propriété de Lorette.

Il fit la connaissance d’un M. Turmel, de Saint-Malo, qui venait souvent à Rennes. Il l’emmena à sa propriété de Lorette le 4 août 1824, et à partir de ce jour M. Turmel ne reparut plus.

L’absence prolongée de ce monsieur et la disparition des autres personnes qu’on avait vues entrer chez Poulain de Beauregard, attirèrent l’attention de la justice.

Une perquisition fut faite à la propriété de Lorette, qu’on trouva abandonnée, le maître ayant jugé à propos de prendre la clef des champs.

Des gendarmes gardèrent la maison pendant quelques jours, afin de s’emparer de Poulain de Beauregard, dans le cas où il reviendrait. Ils s’installèrent dans la cuisine, et tout en fumant leurs pipes autour du foyer, ils crurent sentir une odeur nauséabonde venant du parquet. L’un d’eux, avec son sabre, souleva une brique du fond de l’âtre, et alors apparurent des débris de chair humaine. C’était le cadavre de Turmel, coupé par morceaux et salé comme du lard dans un charnier.

L’émotion fut vive dans notre ville.

On chercha vainement les restes des autres victimes du misérable, et ce ne fut que 28 ans plus tard, lorsque des travaux remuèrent toutes les terres du quartier, qu’on les découvrit.

Poulain de Beauregard s’était dirigé sur la Normandie, où il fut arrêté à Saint-Lô, le 14 septembre 1824, au moment où il se disposait à joindre le crime de bigamie à ceux qui pesaient déjà sur sa tête.

Traduit devant la Cour d’assises du Calvados, il fut condamné à la peine de mort. Son exécution eut lieu sur la place de Caen, le lundi 2 mai 1825.

Voici son histoire telle qu’elle est révélée par les pièces du jugement de la condamnation :

Lemaire de Clermont, fils d’honnêtes cultivateurs, était né au Manoir (Calvados), le 26 décembre 1781. Après avoir été quelque temps clerc d’huissier, il s’enrôla dans la 17e compagnie des canonniers gardes-côtes de la direction de Cherbourg. Arrêté pour faux, il passa en jugement à Paris et fut condamné le 4 janvier 1806 à 8 ans de travaux forcés et à la marque. Il subit sa peine dans les bagues de Brest et de Lorient, et reconquit sa liberté le 7 février 1814. Il vint passer quelques jours à Rennes, puis se rendit en Normandie, où, avec l’aide d’anciens compagnons de bagne, il commit une série d’assassinats, de vols et de faux.

Le 25 septembre 1818, le tribunal correctionnel de Bayeux le condamna à plusieurs années d’emprisonnement. Libéré le 23 décembre 1823, Lemaire, dit Poulain de Beauregard, revint à Rennes avec plusieurs de ses complices, où ils commirent les crimes que nous connaissons.