Au Pays de Rennes/Hôtel des Monnaies

Hyacinthe Caillière (p. 118-134).


HÔTEL DES MONNAIES


L’Hôtel de France, rue de la Monnaie, en face la rue Saint-Guillaume, est l’ancien Hôtel des Monnaies.

On ne connaît rien de précis sur l’origine de la fabrique des Monnaies, à Rennes, avant 1720. Toutefois il n’est pas douteux que bien avant cette époque on y battait monnaie. L’établissement destiné à cette opération devait être situé sur un terrain dépendant de la porte Mordelaise, près l’ancien hôtel de ville (aujourd’hui l’école d’artillerie) à l’endroit où il existait un temple de Junon Monète, destiné à conserver l’or et l’argent monnoyés.

En 1725, lorsque Rennes commença à renaître de ses cendres, l’on songea à bâtir un hôtel pour les monnaies dans l’une des nouvelles rues projetées. On fit, à cet effet, l’acquisition d’un terrain appartenant en partie au couvent de la Trinité et en partie à M. Chereil de la Rivière.

La construction du bâtiment, dont les dépenses s’élevèrent à 126 200 livres fut commencée en 1728. La Monnaie s’y installa en 1732 et y resta jusqu’en 1774, époque à laquelle un édit de Louis XVI ordonna sa suppression.

En remontant la rue de la Monnaie on arrive aux portes Saint-Michel dont il a été question dans l’histoire des remparts de notre ville.

L’année dernière il fut fait, à cet endroit, une découverte archéologique extrêmement intéressante. En voici le récit exact fait exprès pour le présent ouvrage par notre ami M. Decombe, Directeur du Musée archéologique de Rennes :

« Dans le courant du mois de Mars 1890, les travaux considérables entrepris pour la construction des nouveaux bâtiments du « Bazar parisien », dans le haut et sur le côté occidental de la rue Rallier, nécessitèrent la démolition de plusieurs baraques entassées au fond d’une cour basse dont le sol, formé de remblais anciens, occupait une partie des vieux fossés de la ville. Ces baraques étaient adossées à l’ancien mur fortifié de l’enceinte féodale de Rennes, réédifiée aux IXe et XIIe siècles sur les bases de la muraille romaine, et dans la construction duquel on avait non seulement utilisé des matériaux travaillés par les légions, ou des débris d’édifices ou de monuments de l’époque de l’occupation, mais même parfois laissé en place l’appareil gallo-romain, avec ses assises de granit, ses cordons de briques rouges, ses moëllons cubiques et son indestructible ciment.

Le dégagement de la cour basse du « Bazar parisien » amena la découverte d’une ancienne poterne pratiquée dans le mur de ville, et dont le sol reposait sur un rang de bornes milliaires couchées côte à côte. De plus, les murs latéraux de cette poterne étaient composés de débris gallo-romains de toute sorte, et notamment de bornes milliaires mêlées à des blocs de granit ou de calcaire de grande dimension.

Lorsque ces bornes furent dégagées et nettoyées, on put constater que l’on se trouvait en présence d’un trésor épigraphique de la plus haute importance. En effet, on recueillit en cet endroit dix-neuf milliaires, ou fragments de milliaires, couverts d’inscriptions en l’honneur de Septime Sévère, Caracalla et Géta, de Maximin et de son fils Maxime, de Postume, de Victorin et de Tétricus le père.

Ces précieux monuments épigraphiques peuvent généralement être datés d’une façon précise : ils représentent une période de près de trois quarts de siècle, de Septime Sévère à Tétricus, c’est-à-dire de l’an 198 à l’an 273 de l’ère chrétienne.

Les bornes milliaires de la rue Rallier sont aujourd’hui la propriété du Musée archéologique de Rennes. Malheureusement, l’exiguité des locaux affectés aux collections d’art et d’antiquité de la ville n’ont pas permis de les exposer à la vue du public, et elles se trouvent reléguées dans un étroit vestibule qu’elles encombrent, sans qu’on puisse les étudier et les examiner à loisir.

Il faut espérer que l’Administration municipale se décidera enfin à mettre à la disposition de la direction du Musée archéologique, (qui le réclame depuis longtemps), un local quelconque dans lequel pourront être exposés non seulement les milliaires découverts en 1890, mais encore les nombreux et intéressants monuments ou fragments qui, depuis l’époque gallo-romaine jusqu’au XVIIIe siècle, constituent le Musée lapidaire de la ville de Rennes.

Des portes Saint-Michel à la place du Champ-Jacquet il n’y a qu’un pas.

La fontaine qui se trouve sur cette place devant bientôt disparaître, nous indiquerons succinctement son origine et le drame qui la fit supprimer.

Avant 1822, il existait au milieu de la place du Champ-Jacquet, un puits dans lequel un malheureux artiste du Théâtre se précipita, dans un moment de désespoir et y trouva la mort.

M. de Lorgeril, alors maire de Rennes, ému par ce suicide, fit fermer le puits et pria M. Chaumont, son ami, un peintre de talent, d’exécuter le dessin d’une fontaine.

À eux deux, ils firent édifier cette affreuse chose que nous possédons encore et qu’on appela longtemps à Rennes : « Le tombeau du génie », par ironie sans doute envers ses ingénieurs.

Espérons que la statue de Leperdit fera bientôt disparaître ce mausolée.

On raconte sur l’existence du comédien qui se noya dans le puits du Champ-Jacquet des détails navrants :

Ce malheureux avait de nombreux enfants qu’en raison de son extrême misère il avait toutes les peines du monde à nourrir. Le soir, il leur disait : « Ceux de vous qui consentiront à aller se coucher sans souper, je leur donnerai un sou. » Quelques-uns acceptaient et allaient dormir le ventre vide.

Le lendemain matin, les pauvres petits êtres criaient la faim et alors le père leur disait : « Ce matin, pour déjeuner, il faut payer un sou. »

Il avait ainsi gagné un repas !

N’est-ce pas épouvantable !

Ce récit doit être vrai, car il nous a été fait bien souvent par de nombreuses personnes de Rennes.

En suivant la rue Leperdit on arrive sur les Lices, l’un des vieux quartiers de Rennes qui évoque de lugubres souvenirs :

Les paisibles habitants de la place du haut des Lices ne se doutent pas aujourd’hui des spectacles affreux et des scènes de sauvagerie qui ont eu lieu sur cette place.

C’était là que s’élevait, avant la Révolution, le gibet où l’on pendait les condamnés à mort.

Le dernier fut pendu le soir, à la lueur des flambeaux.

On transporta son corps, comme celui de ses prédécesseurs, dans un champ près de Saint-Hélier, pour être exposé, tout nu, à la cime d’un arbre.

Tous les pendus, hommes et femmes, complètement nus, étaient transportés dans ce champ et accrochés aux arbres. On les y laissait à la merci des oiseaux de proie et des animaux qui mangeaient la chair corrompue lorsque les membres pourris se détachaient du corps et tombaient par terre.

À l’heure actuelle, on trouve encore des os humains dans ce champ, qui porte le nom de Champ de la carrée. Il était autrefois entouré de murs formant un carré et appelé par ironie Roque mignon (grimpe mignon).

On nous y a conduit, il y a quelques jours, et nous y avons vu un péroné et une vertèbre. Une paysanne nous a dit y avoir trouvé une tête de mort il y a peu de temps.

Une dame — digne de foi — décédée à Saint-Hélier en 1870, à l’âge de 86 ans, racontait souvent avoir vu les squelettes de sept pendus se balancer aux branches des arbres de Roque mignon.

M. Dupont, ancien receveur d’octroi du bureau de Saint-Hélier, se souvient avoir vu des poulies au haut des arbres du champ des pendus, poulies qui avaient servi à hisser les cadavres.

C’était aussi sur les Lices qu’on rouait les condamnés. On leur brisait les membres les uns après les autres et le bourreau leur donnait le coup de grâce en leur défonçant la poitrine avec une barre de fer.

Le dernier ainsi martyrisé fut un bas-breton qui avait commis un crime horrible.

C’était un enfant naturel. Un jour il demanda à sa mère où était son père. Elle lui répondit qu’il n’en avait pas.

Ce misérable entra dans une colère féroce et, s’emparant d’un couteau, l’enfonça à plusieurs reprises dans la gorge de sa mère.

Sa rage ne s’arrêta pas là : il ouvrit la poitrine de la malheureuse femme, lui arracha le cœur, le fit cuire sur un gril et le mangea.

Il fut pour ce fait condamné à être roué vif.

Quand il eut les quatre membres brisés, il dit au bourreau : « Ne m’achevez pas. Qu’on me porte à l’hôpital, je suis fort, je guérirai. » Mais le bourreau ne l’écouta pas et acheva son œuvre.

C’était également sur les Lices − le samedi − que les condamnés étaient exposés au pilori, et que certains d’entre eux étaient marqués à l’épaule avec un fer rouge.

Une estrade en planches, haute de quatre-vingt-dix centimètres environ, s’élevait, près de l’escalier de pierre qui se trouve devant les magasins du haut de la place, au côté sud.

Des poteaux étaient dressés aux coins de l’estrade, suivant le nombre des condamnés. Ceux-ci étaient amenés entre deux gendarmes et attachés aux poteaux par le carcan qu’ils avaient au cou, sorte de collier de fer bordé comme ceux des chiens de garde.

Ils avaient en outre les mains liées derrière le dos.

Sur leur tête était un écriteau indiquant leur nom et les crimes qu’ils avaient commis.

L’exposition durait deux heures.

À leurs pieds était une sébille dans laquelle les passants déposaient des liards ou des sous pour apporter quelques adoucissements aux condamnés dans leur prison.

Lorsque l’un d’eux devait être marqué, on voyait le bourreau arriver avec son réchaud. Il se dirigeait vers la boutique d’un cloutier appelé Rageaud, qui demeurait rue des Innocents, chez lequel il allait allumer son charbon et faire chauffer ses fers.

Quand les instruments étaient rouges, il se rendait sur l’estrade, découvrait l’épaule du pauvre diable, posait le fer rouge sur l’omoplate. La chair grillait, la brûlure fumait, un cri perçant se faisait entendre, puis, si c’était un voleur, un V apparaissait ou bien les lettres T F P, s’il s’agissait d’un condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Le bourreau frottait la blessure avec de la graisse, revêtait le patient et l’opération était terminée.

On emmenait le condamné.

Les amateurs de ce spectacle attendaient le samedi suivant avec impatience.

Le pilori de la place des Lices fut, paraît-il, transféré plus tard sur la place du Palais.

Plusieurs vieillards de Rennes nous ont affirmé qu’ils avaient vu marquer des condamnés sur la place du Palais, jusqu’en 1823.


Marché de la place des Lices

On rencontre sur les Lices, de vieilles maisons de bois intéressantes, et tout au bas, au numéro 34, l’hôtel du Molan, que fit construire en 1689, le célèbre jurisconsulte Pierre Hévin, pour sa fille, qui avait épousé René du Boberil, seigneur du Molan. Cet hôtel possède encore un vestibule décoré d’inscriptions et de peintures allégoriques rappelant les victoires de Louis XIV et la rentrée du Parlement à Rennes.

En montant la rue Saint-Louis on passe devant l’hôpital militaire, superbe monument, avec de très grands jardins au sommet d’un coteau. Sa façade attire les regards par sa régularité et sa belle disposition. Cet édifice fut construit, vers 1750, pour servir de grand séminaire. À l’époque de la Révolution on en fit un hôpital militaire, destination qu’il a conservée.

La rue Saint-Louis aboutit à la place Sainte-Anne, au nord de laquelle s’élève la nouvelle église Saint-Aubin, véritable cathédrale qui prendra le nom de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Elle sera, suppose-t-on, ouverte au culte le 8 septembre 1892, jour de la fête patronale de la Nativité. Elle est l’œuvre de l’habile architecte M. Martenot et de l’intelligent entrepreneur M. Poivrel.

Au moment où nous écrivons ces lignes les ogives de l’étage supérieur de la nef sont fermées, et la corniche sur laquelle sera posée la charpente est placée sur cette partie de l’édifice. Bientôt l’étage supérieur du chœur et de la chapelle de Bonne-Nouvelle va être terminé, sa corniche posée et les travaux du transept seront très avancés. On verra alors s’ouvrir les larges baies où doivent s’épanouir de magnifiques rosaces.

La charpente sera achevée prochainement. L’église une fois couverte, on construira la voûte ogivale, haute de 27 mètres.

La place Sainte Anne possède encore de vieilles maisons moyen-âge qui ne manquent pas d’un certain cachet.

À l’entrée de la rue d’Échange, vis-à-vis la porte de l’ancienne église Saint-Aubin, est une petite maison de bois, avec pignon sur rue, dont le rez-de-chaussée est occupé par une épicerie. C’est là que demeurait Leperdit, Maire de Rennes, doyen des tailleurs.


Maison de Leperdit, Contour Saint-Aubin

Le 26 Avril 1891 on a posé sur cette maison une plaque de marbre sur laquelle on lit :

LEPERDIT

Maire de Rennes

(1794-1795)

habita cette maison

où il est mort le 3 Août 1823.

La pose de cette pierre commémorative se fit avec une très grande solennité. À deux heures de l’après-midi le maire de Rennes, le conseil municipal, les membres du comité formé dans le but d’élever une statue à Leperdit, et le représentant du Préfet se réunirent sur la place de l’hôtel de Ville. Le cortège, précédé de la musique municipale et escorté de la compagnie de sapeurs-pompiers, se dirigea sur l’ancienne demeure du grand citoyen.

Lorsqu’on enleva la toile qui recouvrait la plaque de marbre, la musique joua la Marseillaise, tout le monde se découvrit et M. Morcel, président du comité retraça la vie de Leperdit. Après lui M. Lebastard, maire de Rennes, prononça une chaleureuse allocution qui fut très applaudie.

La maison de Leperdit fera l’objet d’une photographie dans le présent volume. On aura soin de placer tout à côté de cette maison un porteur d’eau, afin de conserver le souvenir d’une industrie fort ancienne à Rennes et qui ne tardera pas à disparaître. En effet, déjà dans un grand nombre de maisons le service des eaux est installé et bientôt il le sera partout.

Lorsqu’on descend la rue d’Échange on aperçoit, à droite, sur une petite place, une vieille église qui desservait autrefois une paroisse qui portait le nom de Saint-Étienne-es-Rennes. Cette paroisse remontait au XIIe siècle et, selon toute apparence, formait un bourg séparé, puisqu’au XVe siècle, la rue qui conduisait de la ville à cette église portait le nom de rue du Vieil-Bourg-Saint-Étienne.

La vieille église depuis 1798 sert de magasin de campement à l’armée.

En 1843, un cimetière existait encore autour de l’église et était entouré de murs tombant en ruine. Afin de permettre aux charriots d’artillerie d’arriver jusqu’à l’église, on abattit les murs du cimetière et l’on fit quelques travaux de terrassements pour niveler la place.

Ces travaux amenèrent la découverte, à l’endroit où se trouve actuellement le bas de la rue d’Échange, près de l’hôpital militaire, d’un nombre assez considérable de squelettes qui, chose extraordinaire, avaient le crâne percé d’une ou de plusieurs balles.

M. le docteur Godefroy, professeur à l’École de médecine, alla prendre quelques-uns de ces crânes pour les examiner.

On questionna les vieillards et l’on apprit qu’à l’époque de la Révolution, sous la Terreur, des suspects considérés comme traîtres à leur pays, avaient été fusillés à cet endroit, au pied d’un mur du cimetière.

Ces malheureux — hommes et femmes — étaient tombés sous les balles d’un bataillon de volontaires recrutés parmi des jeunes gens âgés de moins de 18 ans, et appelés : « L’Espoir de la Patrie ».

Les squelettes du cimetière de Saint-Étienne furent enfouis dans un trou à côté de la vieille église, dans le coin qui se trouve près de l’École d’apprentissage de la ville.

Des exécutions du même genre eurent lieu, en 1794, sur la Motte, contre un mur de l’Hôtel Cuillé.

La rue basse est au-dessous de la place Saint-Étienne. Si on la suit, en allant vers le nord, on arrive aux ruelles Saint-Martin et au pont qui se trouve sur la rivière d’Ille.

Près de ce pont est une maison de bois, à galeries à jour, qui semble s’incliner sur le bord de l’eau, et que tous les habitants de Rennes connaissent.

Elle a été photographiée souvent et dessinée par un grand nombre d’artistes.

Eh bien ! cette maison, le croirait-on ? est l’ancienne demeure de Cadet Rousselle.

Ne riez pas. C’est la vérité.

Cadet Rousselle n’est point un personnage légendaire comme on pourrait le supposer. Non seulement il a existé, mais c’est lui qui, au commencement du siècle dernier, a fait construire la maison de bois du pont Saint-Martin.

Jadis, une famille Rousselle, appartenant à la bourgeoisie de Rennes, était composée du père, de la mère et de trois fils.

Le second des garçons, appelé familièrement Cadet par ses parents lorsqu’il était petit, s’habitua si bien à ce nom que plus tard il signa ses œuvres, — car il devint poète et chansonnier, — du nom de Cadet Rousselle.

C’est sa maison des bords de l’Ille, dans laquelle il a vécu, qui lui inspira la chanson qui porte son nom. C’est peut-être de ses poésies la seule qui nous reste, mais en revanche elle est connue du monde entier.

Un de nos honorables concitoyens, très digne de foi, occupant une haute situation honorifique, — de qui nous tenons ces détails, nous a dit : « Cadet Rousselle fut le cousin de ma grand’mère, et chaque fois que, dans mon enfance, je suis passé sur le pont Saint-Martin, avec mes parents, ils m’ont fait remarquer la curieuse maison, en ajoutant : c’est l’ancienne demeure de notre cousin Cadet Rousselle. »

Cadet était un joyeux gaillard, goûtant fort la plaisanterie et qui a signé, paraît-il, de son nom de chansonnier, Cadet Rousselle, tous les actes de l’état-civil dans lesquels il comparut comme témoin.

On nous assure qu’avec de la patience on retrouverait sa signature sur les registres du greffe du tribunal.

Du pont Saint-Martin on aperçoit le petit monument funéraire qui précède l’ancien cimetière.

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle il était d’usage d’enterrer les morts autour des églises ; mais vers cette époque on attribua différentes épidémies à la présence des sépultures au milieu des vivants, des réclamations furent faites et l’on s’occupa d’exiler nos morts. C’est un regret que nous avons bien des fois exprimé.

Nos chers morts reposaient au milieu du village
À l’ombre des tilleuls étendant leur feuillage
Sur la tombe ou la croix. Ils ne nous quittaient pas
Ces parents, ces amis, qui dormaient à deux pas.


Ils entouraient l’église, entendaient la prière
Que le vent apportait jusqu’au fond de leur bière.
À chaque instant du jour ils étaient sous nos yeux,
Et l’on priait pour eux en sortant des saints lieux.

Combien j’aurais aimé, près de ma vielle église,
Sous un saule pleureur balancé par la brise
À goûter le repos. Mais non, car les savants
Disent que l’air des morts corrompt l’air des vivants !

En 1784, un arrêt du Parlement imposa à la communauté de ville la création d’un cimetière qui rencontra une hostilité très-vive dans les diverses paroisses. Et ce ne fut qu’en 1789 que notre ville, en vertu d’un arrêt du Conseil du 11 Octobre 1785 et de lettres patentes du 21 Décembre de la même année, acquit des Bénédictins de Saint-Melaine le champ de l’Estival au nord-ouest de Rennes, sur le bord du chemin de Saint-Grégoire.

Cette propriété municipale a reçu, à diverses reprises, de l’extension par suite de l’acquisition de parcelles dépendant de la propriété de Gros-Malon. Elle est ornée d’une sorte de chapelle à son entrée, élevée en 1829, sous l’administration de M. de Lorgeril, Maire de Rennes, qui donna quatre colonnes de granit pour sa construction.

On avait d’abord projeté de faire dire dans cette chapelle des messes pour les défunts, mais ouverte à tous les vents, elle ne pouvait évidemment être consacrée au culte et régulièrement desservie.

Dans la partie basse de ce monument on a ménagé des caveaux destinés à recevoir les restes des hommes que la Cité jugerait dignes de cette distinction. En 1838, le Lieutenant Général de Bigarré y fut inhumé. Un second caveau renferme les restes du général Péchot tué au combat de Neuilly devant Paris, le 7 Avril 1871.

Ce lieu servant de passage aux enterrements était peu propre à recevoir des cercueils, aussi y a-t-on renoncé.

Le cimetière actuel, avec ses larges allées, ses beaux grands arbres, ses mausolées, véritables œuvres d’art, est d’un aspect sévère et grandiose.

Des monuments superbes sont dus au sculpteur Léofanti, l’un représente la Résurrection, sur la tombe de sa mère, l’autre a été fait pour son ami et maître le sculpteur Barré, et le troisième lui avait été commandé pour le poète Turquety.

Presque toutes nos illustrations rennaises reposent dans ce cimetière : le grand patriote Leperdit ; le poète Turquety, qui fut surnommé le fils aîné de Lamartine ; le philosophe Henri Martin, doyen de la Faculté des lettres, dont les ouvrages — chose triste à dire — sont plus appréciés à l’étranger que chez nous ; le chimiste éminent Malaguti ; l’illustre professeur Duhamel, membre de l’Institut ; le savant ingénieur Durocher, auteur de la carte géologique du département ; les sculpteurs Lanno, Barré, Léofanti ; les peintres Desnoyers, Jourjon, Logerot, Briand, Francis Blin, Laloue, Vaumort, Robbes ; les généraux de Bigarré, Rapatel, Péchot, Pongérard ; le philanthrope Le Graverend, qui a légué sa fortune aux pauvres ; le docteur Drouadaine, qui a doté le Lycée ; le géologue Marie Rouault ; et enfin les quelques poètes et artistes qui furent nos amis : Victor Lemonnier, Édouard Alix, Delatouche, Théophile Langlois, etc. etc.