Au Long du quai (Verhaeren)
AU LONG DU QUAI
Les mâts semblent un jeu de quilles
Debout sur l’eau ;
La lune est claire et clairs sont les nuages,
Et les voiles et les cordages
Laissent sur les cargaisons sombres
Des longs bateaux
Un seul veilleur est le témoin
Du calme entier et du silence ;
À peine un menu vent rapide et vain
Agite-t-il, au quai du Rhin,
Le branchage aminci et dépouillé des ormes :
Sous le ciel glacial d’un décembre d’argent ;
Dormez, les bateaux et les voiles,
Sous les fixes regards d’un million d’étoiles ;
Dormez, les âtres froids et les bois consumés,
La face ronde d’un marin
Paraît, soudain,
Au trou carré d’une écoutille.
Les yeux d’un chat luisent furtivement ;
Le carillon sursaute et s’exalte un moment,
Le petit port,
Dont la vie est éteinte,
Sous les micas poudreux du givre étincelant,