Au-delà/Pourquoi mourir ?

Au delàFischbacher éd. (p. 63-65).

AU DELÀ


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POURQUOI MOURIR ?

 
La fourmi demanda quelque soir à la rose ;
« Pourquoi faut-il mourir ? » La belle fleur frémit :
« Je ne le sais, fourmi, lui dit-elle et je n’ose
Songer à cet instant où tout sombre et finit.

Va demander au chêne ; il te dira peut-être
Pourquoi, s’il faut mourir, il faut quand même naître. »
La fourmi s’en alla vers le chêne géant :
« On doit savoir beaucoup, chêne, quand on est grand,
Dit-elle; réponds-moi : pourquoi faut-il mourir ?
Il serait si beau d’être et de ne point finir ! »
Mais l’arbre tristement branla sa haute cime :
« Comment saurais-je ça, fourmi, pauvre être infime
Que je suis ? Va plus haut, arrête le nuage ;
Peut-être qu’il pourra t’en dire davantage. »
La fourmi s’en alla : « Ô nuage, dis-moi,
Tu dois bien en savoir la raison, dis, pourquoi
Devons-nous tous mourir et quitter cette terre ?
Exister est si doux ; mourir est chose amère ! »
Le nuage pleura : « Va demander plus haut
Pourquoi nous devons tous disparaître si tôt ;
Je ne fais que passer…, la lune dans la nue
Peut-être le saura ; ce soir, à sa venue,
Va la questionner. » Quand l’astre de la nuit
Sur la terre jeta son doux regard qui luit,
La fourmi s’avança : « Belle lune, dit-elle,
Dis-moi, sais-tu pourquoi tu n’es pas immortelle ? »
La lune soupira : « Monte jusqu’au soleil,
Il est plus grand que moi, va guetter son réveil. »

Quand le jour fut venu : « Soleil dit la fourmi,
Pourquoi faut-il mourir ? On est si bien ici. »
L’astre du jour pâlit : « Ah ! demande à l’étoile !
Pour elle, elle si haut, le ciel n’a point de voile. »
Mais les astres brillants, à la voûte du ciel,
Dirent : « Demande à Dieu, lui seul est éternel ! »


Bevaix, 2 juillet 1879. [1]
  1. Les versificateurs reprocheront une faute à cette pièce, qui est un des premiers essais d’Alice de Chambrier ; on y trouve à trois reprises, la succession immédiate de deux rimes, féminines ou masculines, différentes !… Mais les poètes penseront avec moi qu’il eût été pédant d’exclure pour cette seule raison ce morceau de notre recueil.
    Ph. G.