Astronomie populaire (Arago)/XXXI/03

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 509-523).

CHAPITRE III

historique de la découverte de neptune


On possédait, en 1820, quarante années d’observations méridiennes régulières d’Uranus. En outre, cette planète avait été observée dix-neuf fois depuis 1690 jusqu’en 1771 par Flamsteed, Bradley, Mayer et Lemonnier qui ne soupçonnaient pas alors que la prétendue étoile de sixième grandeur dont ils fixaient accidentellement les coordonnées astronomiques appartenait à notre système planétaire. On devait penser qu’en s’aidant de toutes ces données de l’observation et leur appliquant les expressions analytiques des perturbations produites par Jupiter et par Saturne, qui se trouvaient développées dans le tome iii de la Mécanique céleste de Laplace, on pourrait construire des tables représentant exactement le mouvement de la planète découverte par Herschel. Le nombre des observations était assez considérable, et ces observations étaient réparties sur des intervalles de temps assez grands pour qu’on n’eût pas à redouter les erreurs qui se présentent forcément lorsqu’on détermine l’orbite d’un astre par les observations d’une trop petite portion de son parcours. Cependant, quand, en 1821, Alexis Bouvard publia les tables d’Uranus, il n’avait pu arriver à satisfaire convenablement tant aux observations modernes qu’aux observations anciennes. « Telle est l’alternative que présente la formation des tables de la planète Uranus, disait alors l’infatigable calculateur, que si l’on combine les observations anciennes avec les modernes, les premières seront passablement représentées, tandis que les secondes ne le seront pas avec la précision qu’elles comportent ; et que, si l’on rejette les unes pour ne conserver que les autres, il en résultera des tables qui auront toute l’exactitude désirable relativement aux observations modernes, mais qui ne pourront satisfaire convenablement aux observations anciennes. Il fallait se décider entre ces deux partis : j’ai dû m’en tenir au second, comme étant celui qui réunit le plus de probabilités en faveur de la vérité, et je laisse aux temps à venir le soin de faire connaître si la difficulté de concilier les deux systèmes tient réellement à l’inexactitude des observations anciennes, ou si elle dépend de quelque action étrangère et inaperçue qui aurait influencé la marche de la planète. »

L’avenir ne tarda pas à montrer que cette dernière hypothèse, avancée timidement par Bouvard, était la vraie. Quelques années s’étaient à peine écoulées que déjà il était prouvé que les tables de Bouvard ne pourraient satisfaire aux observations nouvelles d’Uranus. L’idée de l’existence d’une force perturbatrice inconnue vint à l’idée de tous les astronomes. Quelle était cette force ? En juin 1829, M. Hansen écrivait à Bouvard que pour expliquer les différences qui existaient entre les observations de chaque jour et les tables d’Uranus, il fallait recourir aux perturbations de deux planètes inconnues. Bouvard admit dès cette époque que l’on devait reconstruire les tables de la planète d’Herschel afin de les perfectionner et de pouvoir connaître exactement la valeur des perturbations, et il confia ce soin en 1834 à son neveu, M. Eugène Bouvard. Il avait l’espérance que, retournant le problème ordinaire des perturbations qui consiste à déterminer leur grandeur d’après la connaissance des mouvements des astres troublants, on pourrait conclure les éléments de l’orbite du principal de ces astres d’après les valeurs observées des différences existant entre les positions réelles d’Uranus et les positions assignées par les calculs qui ne tenaient compte que de l’action de Saturne et de Jupiter. Cette espérance était partagée par Bessel qui, à la date du 8 mai 1840, écrivait à mon illustre ami, Alexandre de Humboldt :

« Vous me demandez des nouvelles de la planète située au delà d’Uranus. Je pourrais vous adresser à quelques-uns de mes amis de Kœnigsberg qui croient en savoir plus que moi-même sur ce point. J’avais choisi pour texte d’une leçon publique, le 28 février 1840, l’exposé des rapports qui existent entre les observations astronomiques et l’astronomie elle-même. Le public ne fait pas de différence entre ces deux objets ; il y avait donc lieu de redresser son opinion. La part de l’observation dans le développement des connaissances astronomiques me conduisait naturellement à remarquer que nous ne pouvions être certains d’expliquer par notre théorie tous les mouvements des planètes. Je citai comme preuve Uranus ; les anciennes observations dont cette planète a été l’objet ne s’accordent nullement avec les éléments déduits des observations plus récentes faites de 1783 à 1820. Je crois vous avoir déjà dit que j’ai beaucoup étudié cette question ; mais tout ce que j’ai retiré de mes efforts, c’est la certitude que la théorie actuelle, ou plutôt l’application que l’on en fait au système solaire tel que nous le connaissons aujourd’hui, ne suffit point à résoudre le mystère d’Uranus. Ce n’est pas, à mon sens, une raison pour désespérer du succès. Il nous faut d’abord connaître exactement et d’une manière complète tout ce qui a été observé sur Uranus. J’ai chargé un de mes jeunes auditeurs, Flemming, de réduire et comparer toutes les observations, et maintenant j’ai là réunis sous la main tous les faits constatés. Si les anciennes déterminations ne conviennent déjà point à la théorie, celles d’aujourd’hui s’en écartent plus encore ; car actuellement l’erreur est d’une minute entière, et elle s’accroît de 7 à 8 secondes par an, de sorte qu’elle sera bientôt plus considérable. J’ai eu l’idée, d’après cela, qu’un moment viendra où la solution du problème serait peut-être bien fournie par une nouvelle planète dont les éléments seraient reconnus d’après son action sur Uranus et vérifiés d’après celle qu’elle exercerait sur Saturne. »

Le problème de la détermination de la planète qui pouvait causer les perturbations mystérieuses d’Uranus était donc posé publiquement, lorsque, en 1845, je conseillai vivement à M. Le Verrier de s’en occuper. Il était temps, puisque, en Angleterre, un jeune astronome de l’Université de Cambridge, M. Adams, traitait la question dès cette même année et parvenait de son côté à la résoudre. Mais, je me hâte de le dire, M. Adams ne publia rien, et son travail, très-bien fait d’ailleurs, ne servit en aucune façon à faire découvrir l’astre inconnu.

M. Le Verrier dut avant tout chercher à obtenir les valeurs véritables des parties des perturbations d’Uranus que ne pouvaient pas expliquer les planètes jusqu’alors connues. Il dut d’abord corriger les éléments adoptés pour Uranus, puis construire des éphémérides exactes qui pussent être comparées avec les observations, de manière à mettre en évidence les perturbations dues à l’astre cherché. L’habile géomètre fit ses comparaisons non-seulement avec les anciennes observations de Flamsteed, de Lemonnier, de Bradley, de Mayer, de l’Observatoire de Greenwich et de l’Observatoire de Paris qui avaient été publiées ; il put en outre profiter, comme il le dit lui-même, « des excellentes observations inédites faites à Paris de 1835 à 1845, et que je lui confiai. » Après une réduction attentive des observations, il obtint des valeurs certaines des perturbations dont la théorie ne pouvait rendre compte, et les introduisant dans les formules qui les expliquaient par l’existence d’une nouvelle planète, il obtint les éléments approximatifs de celle-ci. Le 31 août 1846, M. Le Verrier publia les résultats définitifs de ses recherches : il indiqua que la planète devait se trouver alors dans la constellation du Capricorne, à une petite distance à l’est de l’étoile δ de cette constellation. M. Le Verrier communiqua ces résultats aux divers astronomes des observatoires de l’Europe. M. Galle, de Berlin, lui répondit le 25 septembre : « La planète dont vous avez signalé la position existe réellement. Le jour même où j’ai reçu votre lettre, je trouvai une étoile, de huitième grandeur, qui n’était pas inscrite dans l’excellente carte Hora xxi (dessinée par M. le docteur Bremiker), de la collection de cartes célestes publiée par l’Académie royale de Berlin. L’observation du jour suivant décida que c’était la planète cherchée. » La position dans laquelle M. Galle avait vu la planète ne différait que d’un degré environ de celle que lui avait assignée M. Le Verrier. Le calcul avait dit que la longitude héliocentrique de la planète cherchée était de 327° 24′ au 1er janvier 1847 ; l’observation de l’astre découvert donna 326° 32′.

Une telle découverte doit occuper une place importante dans l’histoire de l’astronomie. La méthode suivie par M. Le Verrier diffère complétement de tout ce qui a été tenté auparavant par les géomètres et les astronomes. Ceux-ci ont quelquefois trouvé accidentellement un point mobile, une planète, dans le champ de leur télescope ; M. Le Verrier a aperçu le nouvel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel ; il l’a vu au bout de sa plume ; il a déterminé par la seule puissance du calcul la place et la grandeur approximatives d’un corps situé bien au delà des limites jusqu’alors connues de notre système planétaire, d’un corps dont la distance au Soleil surpasse 1 100 millions de lieues, et qui, dans nos plus puissantes lunettes, offre à peine un disque sensible. Ainsi la découverte de M. Le Verrier est une des plus brillantes manifestations de l’exactitude des systèmes astronomiques modernes. Elle encouragera les géomètres d’élite à chercher avec une nouvelle ardeur les vérités éternelles qui restent cachées, suivant une expression de Pline, dans la majesté des théories.

Je suis certain que dans l’appréciation à laquelle je viens de me livrer de la grande découverte qui a tenu le monde scientifique en émoi, je n’ai pas été entraîné au delà des plus strictes limites de la vérité et de la justice. Voici au surplus, comment d’illustres astronomes parlent du travail de notre compatriote. Les lignes qui suivent sont extraites d’une lettre de M. Encke à M. Le Verrier, en date du 28 septembre 1846 :

« Permettez-moi, Monsieur, de vous féliciter avec une entière sincérité, de la brillante découverte dont vous avez enrichi l’astronomie. Votre nom sera à jamais lié à la plus éclatante preuve de la justesse de l’attraction universelle qu’on puisse imaginer. » Je crois que ce peu de mots renferme tout ce que l’ambition d’un savant peut souhaiter. Il serait superflu d’y ajouter quelque chose.

M. Schumacher s’exprime en ces termes dans une lettre d’Altona, en date du 28 septembre :

« Quoique vous sachiez par M. Encke, que votre planète a été trouvée, presque précisément à la place et sous les circonstances que vous avez prédites (le diamètre même étant de 3″ ), je ne peux pas résister au penchant de mon cœur, en vous transmettant sans retard mes félicitations les plus sincères sur votre brillante découverte. C’est le plus noble triomphe de la théorie que je connaisse. »

Comment les astronomes de Paris, ceux d’Angleterre ; comment les astronomes d’Italie, surtout, placés sous un ciel si favorable, n’ont-ils pas devancé ceux de Berlin dans la vérification de la découverte de M. Le Verrier ? Pour qui connaît les méthodes astronomiques, la réponse est très-simple.

On appelle planète, tout astre doué d’un mouvement propre et décrivant autour du Soleil une orbite peu allongée. En vertu de son mouvement propre, une planète se transporte à la longue dans diverses constellations ; les étoiles proprement dites, au contraire, n’éprouvent annuellement que des déplacements angulaires insignifiants ; leurs positions relatives restent à peu près constantes pendant des siècles. Ceci une fois posé, tout le monde comprendra en quoi consiste ordinairement la découverte d’une planète.

Un astronome, ayant dirigé sa lunette vers le firmament, compare ce qu’il aperçoit à la carte détaillée de la même région du ciel dessinée antérieurement. Y a-t-il dans le champ de la vision, un astre qui n’y figurait pas à l’époque où la carte fut tracée, cet astre est doué d’un mouvement propre, cet astre est une planète ou une comète. Manque-t-il dans la région explorée un point lumineux, jadis enregistré comme une étoile, ce point était mobile, on avait méconnu son vrai caractère ; il faut se hâter de faire une révision attentive de toutes les parties du ciel, afin d’y découvrir l’astre errant.

La planète dont M. Le Verrier avait proclamé l’existence pouvait être moins brillante que les étoiles marquées dans les cartes célestes les plus renommées. Il était donc indispensable de procéder à l’exécution de cartes nouvelles et embrassant jusqu’aux étoiles de dixième grandeur, avant de se livrer, avec des chances assurées de réussite, à la recherche du nouvel astre. Tel était pour l’espace très-circonscrit au dehors duquel, suivant M. Le Verrier, la planète ne pouvait pas se trouver, le travail minutieux qu’on dut commencer à Paris. À Berlin, ce soin devint superflu ; on y possédait déjà des cartes détaillées du ciel. Par une heureuse coïncidence, la carte de la 21me heure, la carte de la région où se mouvait en 1846 la nouvelle planète, venait d’être gravée et publiée. Ceci explique comment M. Galle, sur les instructions envoyées de Paris, aperçut l’astre, le jour même où lui parvint la lettre de M. Le Verrier. Sans la carte de M. Bremiker, l’astronome de Berlin se fût trouvé dans les conditions défavorables des observateurs de France, d’Angleterre, d’Italie, et la constatation de la découverte de notre compatriote eût été retardée de une à deux semaines. Toutes ces explications seront confirmées, en point de fait, par le passage suivant d’une lettre de M. Encke :

« Il y a eu beaucoup de bonheur dans notre recherche : La carte académique de M. Bremiker, qui, peut-être, n’est pas encore arrivée à Paris, mais que je ferai expédier tout à l’heure, comprend précisément près de sa limite inférieure le lieu que vous avez désigné. Sans cette circonstance infiniment favorable, sans une carte où l’on pût être sûr de trouver toutes les étoiles fixes jusqu’à la dixième grandeur, je ne crois pas qu’on eût découvert la planète. Vous verrez vous-même, en observant cet astre, que le diamètre est beaucoup trop faible pour attirer l’attention, même quand on l’examine avec un grossissement assez fort. Je vous suis donc personnellement obligé d’avoir démontré le prix qu’une telle carte peut avoir dans des recherches scientifiques. »

Si quelques astronomes de la Grande-Bretagne d’un mérite incontestable n’ont pas rendu, dans le principe, une si éclatante justice à la belle découverte de notre compatriote, s’ils ont cherché à attribuer une part de la gloire de cette découverte à un Anglais, à M. Adams, cette tentative n’a pu avoir d’autre succès que de démontrer que, malgré l’habileté incontestable de ce dernier, les astronomes anglais n’avaient pas eu assez de confiance dans ses calculs pour les prendre comme point de départ de recherches assidues dans le firmament étoilé. Ainsi qu’il arrive tous les jours dans les concours ouverts entre savants sur diverses questions scientifiques, M. Adams n’a pas satisfait à toutes les questions du programme. Je l’ai dit souvent, il n’existe qu’une manière rationnelle et juste d’écrire l’histoire des sciences : c’est de s’appuyer exclusivement sur des publications ayant date certaine ; hors de là tout est confusion et obscurité. M. Adams n’ayant communiqué ses travaux analytiques qu’à des astronomes anglais qui les ont tenus secrets et qui n’en ont pas tiré parti pour la recherche de Neptune, il n’a aucun droit à prendre une part quelconque de la gloire de la découverte de cette planète. C’est là un arrêt définitif que l’histoire enregistrera, et contre lequel d’ailleurs, M. Adams, dont les calculs postérieurement publiés sont très-remarquables, ne s’est jamais élevé.

Les calculs de M. Le Verrier destinés à faire connaître la place occupée par Neptune au moment même de sa découverte étaient d’une justesse qui devait exciter l’admiration ; mais on a eu tort de vouloir trouver dans les éléments approximatifs de l’orbite hypothétique de la nouvelle planète donnés pour servir à sa recherche, une exactitude qui devait s’étendre à l’avenir. Le problème qu’il s’était agi de résoudre consistait à indiquer le lieu où il fallait chercher, à un moment donné, la planète extérieure qui expliquerait les variations anomales des rayons vecteurs d’Uranus. Ce problème, M. Le Verrier l’a complétement résolu, et c’est en faisant l’application du résultat de son travail analytique que M. Galle, de Berlin, a trouvé l’astre nouveau. L’histoire de toutes les autres planètes démontre que jusqu’alors une seule, Vesta, avait été découverte autrement que par l’effet d’un heureux hasard.

Les détails que j’ai donnés dans le chapitre ii du livre xxx de cet ouvrage sur les recherches d’Herschel relatives à Uranus démontrent que la découverte de cette planète n’a été la conséquence, ni d’une idée préconçue, ni d’une combinaison systématique d’observations. Je rappellerai ici l’histoire de la découverte des petites planètes.

Kepler ayant remarqué un hiatus, c’est son expression, entre les orbites de Mars et de Jupiter, imagina qu’une planète devait exister entre ces deux corps du système solaire. L’hiatus devint très-manifeste lorsqu’on eut enchaîné les rayons des orbites des anciennes planètes, et même celui de l’orbite d’Uranus, par la loi empirique connue sous le nom de loi de Bode, mais qui devrait s’appeler, comme je l’ai expliqué (liv. xxv, chap. i), la loi de Titius. Persuadés de l’existence de cette planète, intermédiaire entre Mars et Jupiter, vingt-quatre astronomes allemands s’associèrent, sous la présidence de Schrœter, pour en faire la recherche. Leurs efforts n’amenèrent aucun résultat.

Piazzi, occupé de la formation d’un catalogue d’étoiles, découvrit Cérès, à Palerme, le premier jour du xixe siècle.

Deux ans après, le 28 mars 1802, Olbers, de Brême, apercevait fortuitement Pallas, en étudiant la région du firmament où se mouvait alors Cérès.

Harding constata l’existence de Junon, pendant qu’il explorait le ciel pour y puiser les éléments de ses belles cartes.

Jusqu’ici, le hasard seul a présidé à ces intéressantes observations. La découverte de Vesta, au contraire, fut amenée par une idée d’Olbers, fort étrange, mais appuyée cependant sur des considérations assez spécieuses dont j’ai déjà donné un aperçu (liv. xxv, ch. xliv).

Le célèbre astronome de Brême avait cru remarquer que les orbites de Cérès et de Pallas se coupaient en deux points de l’espace par lesquels vint à passer ultérieurement l’orbite de Junon. Ce fait remarquable, et quelques observations sur des irrégularités du reste fort difficiles à constater, dans la forme des nouveaux astres, l’amenèrent à supposer qu’ils étaient les fragments d’une grosse planète qui fit jadis explosion dans l’un des deux points communs aux trois orbites. Il imagina que d’autres fragments de cette planète primitive devaient exister dans les mêmes régions, et passer, à chacune de leurs révolutions autour du Soleil, par les points d’intersection dont il vient d’être parlé. Ces points se trouvaient dans la Vierge et dans la Baleine. Olbers s’attacha donc à observer chaque année les étoiles de ces constellations, particulièrement aux époques où elles sont en opposition. Un brillant succès couronna ses efforts, et, le 29 mars 1807, il découvrit Vesta.

Je demanderai maintenant aux personnes les plus prévenues, d’expliquer quelle ressemblance, quelle analogie il peut y avoir entre l’idée ingénieuse, mais si bizarre, d’Olbers ; entre la supposition qui conduisit ce célèbre astronome à la découverte de Vesta, et les calculs de M. Le Verrier, fondés, sans hypothèse d’aucune sorte, sur la théorie de l’attraction universelle. À l’aide de ces calculs, on a pu, non pas seulement annoncer qu’une planète, si elle existait, viendrait à passer à une époque indéterminée dans telle ou telle constellation ; mais on a démontré qu’une planète existait nécessairement au delà d’Uranus, dans une direction déterminée et à une distance déterminée.

On a dit qu’en se fondant sur la loi empirique de Titius, quelques astronomes avaient annoncé qu’il existait une nouvelle planète au delà d’Uranus. La loi de Titius n’autorisait aucune conclusion de ce genre ; tout ce qu’on pourrait déduire logiquement, c’est que si une planète existait dans les régions indiquées, sa distance au Soleil devait être à peu près double de celle d’Uranus. Remarquons, d’ailleurs, que cette prétendue loi, si souvent citée sous le nom de Bode, n’a aucun fondement théorique, qu’elle manque d’exactitude, qu’elle ne pouvait pas indiquer la direction dans laquelle il fallait placer le nouvel astre, ni même servir à constater son existence.

L’importance qu’auraient pour la recherche des planètes nouvelles, des cartes astronomiques renfermant toutes les étoiles de neuvième grandeur et même celles de dixième grandeur, a été signalée d’une manière éclatante par la découverte de la planète Neptune faite à Berlin par M. Galle aussitôt après la réception des indications de M. Le Verrier. C’est en grande partie aux cartes dites de l’Académie de Berlin que l’on doit la découverte des petites planètes si nombreuses qui parcourent leurs orbites à des distances du Soleil comprises entre celles de Mars et de Jupiter. Les astronomes modernes ont fondé sur la construction de pareilles cartes une méthode féconde de recherches, et c’est à Bessel que doit être reportée la gloire de ce service immense rendu aux sciences. Dans son éloge de Bessel, M. Encke s’est exprimé à cet égard dans les termes suivants, que nous reproduisons afin de compléter ces rapides indications relatives à l’histoire de l’astronomie planétaire, « On sait, dit M. Encke, que Harding a puisé, dans l’Histoire céleste de Lalande, les éléments de son Atlas où le ciel étoilé se trouve si admirablement représenté. De même Bessel, après avoir terminé, en 1824, la première partie de ses zones, proposa de baser des cartes célestes encore plus détaillées sur ces nouvelles observations. D’après le plan de Bessel, il ne s’agissait pas de retracer seulement les lieux observés ; il fallait encore rendre ces cartes assez complètes pour qu’en les comparant plus tard avec le ciel, il fût possible de reconnaître immédiatement les planètes les plus faibles, et de les distinguer au milieu des étoiles fixes, sans avoir besoin d’attendre un changement de position, toujours long et difficile à constater. Le projet de Bessel n’était pas exécuté dans toute son étendue que déjà cependant les cartes de l’Académie de Berlin avaient réalisé de la manière la plus brillante les espérances du promoteur de cette entreprise. »

L’histoire que je viens de tracer de la découverte de toutes les planètes prouvera, j’espère, que pour tout homme impartial, la conquête de la planète Neptune est un des plus magnifiques triomphes des théories astronomiques, une des gloires des Académies de Paris et de Berlin, un des plus beaux titres de notre siècle à la reconnaissance et à l’admiration de la postérité.