Astronomie populaire (Arago)/XXIII/08

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 34-39).

CHAPITRE VIII

densité de la terre


Les masses des planètes déterminées suivant les méthodes exposées dans le chapitre précédent, ne nous présentent que des rapports entre les grands corps du système solaire, sans nous donner aucune idée de ce qu’elles peuvent être par rapport aux masses des corps que nous avons sous la main. On sait que, pour comparer les unes aux autres les masses des différents corps qu’on rencontre à la surface de notre globe, on est convenu de les rapporter à la masse, c’est-à-dire au nombre de points matériels du même volume d’eau. La masse d’un centimètre cube d’eau considérée à la température de son maximum de condensation, ou de 4 degrés centigrades, est ce qu’on appelle l’unité des densités. La densité d’un corps quelconque est le rapport de la masse d’un centimètre cube de ce corps à celle d’un centimètre cube d’eau. Le problème que les physiciens et les astronomes se proposent, en cherchant la densité de la Terre, est en conséquence de trouver le rapport de la masse d’un centimètre cube moyen de la Terre à celle d’un centimètre cube d’eau. Ce problème a été résolu par Cavendish, à l’aide d’une série remarquable d’expériences faites avec une balance que nous allons décrire. Cavendish a admis que les lois de l’attraction universelle sont applicables à tous les corps terrestres. Or on connaît l’action exercée par la Terre sur une petite balle de plomb, qui, en un lieu donné, est distante du centre de la Terre d’une longueur donnée par le calcul ; cette action, en effet, est mesurée par le poids de la balle de plomb, poids obtenu par une balance ordinaire. Si donc on peut mesurer à l’aide d’une balance spéciale l’action d’une grosse boule de plomb sur la même petite balle, lorsque les centres des deux boules de plomb sont à une distance connue, il est évident que, comme on sait que les attractions sont proportionnelles aux masses, et en raison inverse du carré des distances, on aura une relation dans laquelle le rapport des masses de la Terre et de la grande boule sera seul inconnu. La résolution de cette question donne immédiatement ce rapport d’où on déduit la densité moyenne de la Terre, puisqu’on connaît la densité du plomb. Telle est la méthode dont s’est servi Cavendish en modifiant un appareil qui avait été imaginé dans le même but par un physicien nommé Michell, mort avant d’avoir pu mener à bonne fin les expériences qu’il avait projetées.

Fig. 306. — Coupe verticale de l’appareil de Cavendish pour la mesure
de la densité moyenne de la Terre.

La figure 306 représente la coupe verticale, et la figure 307 le plan de l’appareil de Cavendish. Deux petites boules de plomb xx sont suspendues aux extrémités d’un levier horizontal hh, formé d’une planchette légère. Ce levier est supporté en son milieu m par un fil d’argent gl, et pour qu’il ne fléchisse pas sous l’action des boules xx, deux fils d’argent obliques hg, hg le fortifient. Afin que ce système ne soit pas influencé par les agitations de l’air, il est renfermé dans une boîte légère ABC DDC BAE FFE ; cette boîte est montée sur quatre supports ssss à l’aide d’écrous destinés à lui donner une position horizontale.

Fig. 307. — Plan de l’appareil de Cavendish pour la mesure
de la densité moyenne de la Terre.

Deux grosses boules de plomb WW sont portées par deux tiges de cuivre rR, rR ; celles-ci sont maintenues par la barre en bois rr et suspendues, par une tige à boulon Pp, à la poutre HH verticalement au-dessus du centre de l’appareil. La poutre HH repose sur les murs GG qui forment l’enveloppe générale de la balance. La tige boulonnée Pp est concentrique avec une poulie horizontale MM sur la gorge de laquelle sont enroulés deux cordons qui passent à travers deux ouvertures pratiquées dans les murs de la grande chambre, et qui, après s’être enroulés sur des poulies verticales y, sont tendus par de petits poids. Il suffit de tirer l’un de ces cordons pour donner un mouvement de rotation à la poulie MM, et pour amener par conséquent les boules WW à telle position qu’on désire dans l’appareil par rapport aux boules xx.

On commence par mettre le levier hh au milieu de la petite boîte, en faisant mouvoir le bouton K qui est placé à l’une des extrémités d’une tige horizontale KE ; cette tige est, à son autre extrémité, en communication avec le fil d’argent vertical lg. On conçoit qu’on est maître de donner au levier hh la position voulue, sans que le fil d’argent ait aucune torsion. En ce moment les boules WW doivent être dans un plan perpendiculaire au levier hh ; elles n’exercent alors aucune influence sur les boules xx. Mais si on amène les boules WW à une petite distance des boules xx, ainsi qu’on le voit dans la figure 307, elles attirent ces dernières qui ne peuvent se déplacer qu’en faisant subir au fil lg une torsion croissante qui finit par équilibrer l’attraction réciproque des boules de plomb. En observant avec les lunettes TT, on peut voir passer devant le fil du réticule les divisions de deux petites règles nn éclairées par les lampes LL. Il suffit alors d’amener les boules WW dans une position ww inverse et symétrique de celle qu’on leur a d’abord donnée, pour qu’on lise un angle double de la déviation produite.

Une fois ce résultat obtenu, on enlève le système des grosses boules WW ; on dérange le levier hh de sa position d’équilibre, et on l’abandonne à lui-même de manière à le faire osciller de part et d’autre de cette position. Les oscillations sont déterminées par la force de torsion, et leur durée est dans un rapport connu avec cette force qui est ainsi déterminée. Or c’est cette force de torsion qui précédemment faisait équilibre à l’attraction réciproque des boules de plomb W et x. Cette attraction est dès lors connue et sa comparaison à celle exercée par la Terre sur la boule x, donne, comme nous l’avons expliqué plus haut, la densité cherchée.

Nous n’avons pas besoin de dire que Cavendish a eu soin de corriger les causes d’erreur provenant de la résistance du levier au mouvement, de l’attraction exercée sur les masses par le levier lui-même, de l’attraction des verges de cuivre et de la cage sur les masses, etc. Par un grand nombre d’expériences fort concordantes, il a trouvé que la densité moyenne de la Terre est 5,448 ; celle de l’eau était 1. Des expériences analogues ont été faites plus tard à Freyberg par M. Reich et elles ont conduit au nombre 5,4383 qui ne diffère de celui de Cavendish que dans la limite des erreurs que comportent des observations aussi délicates.