Astronomie populaire (Arago)/XXI/04

GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 384-392).

CHAPITRE IV

phases de la lune


Le phénomène le plus curieux et le plus anciennement remarqué dans chaque mois lunaire, est celui des phases (fig.291).

Lorsque la Lune commence à se dégager, le soir, des rayons du Soleil, elle a la forme d’un croissant très-délié (A) dont la convexité est circulaire et se trouve tournée vers le Soleil, et dont la concavité légèrement elliptique fait face à l’orient.

Ce cercle et cette ellipse paraissent se couper sous des angles très-aigus en deux points diamétralement opposés, qu’on appelle les cornes.

La ligne droite qui joint les deux cornes est un diamètre de la demi-circonférence de cercle qui termine la phase du côté de l’occident.

Fig. 291. — Phases de la Lune.

La largeur du croissant va graduellement en augmentant (B), mais en conservant à ses deux limites les mêmes formes géométriques circulaires et elliptiques, à mesure qu’on s’éloigne du jour où la Lune a commencé à devenir visible ; enfin, lorsque l’astre est arrivé à une distance angulaire du Soleil égale à très-peu près à 90°, sa portion visible (C) est terminée par un cercle à l’occident et par une ligne droite à l’opposite. La Lune a pour ce jour-là la forme d’un demi-cercle ; c’est pour cela qu’on dit alors que notre satellite est à son premier quartier ; il passe alors au méridien vers six heures du soir.

Le lendemain du premier quartier, la portion de la Lune visible de la Terre (D) surpasse un demi-cercle, sa partie occidentale est toujours circulaire et sa partie orientale elliptique ; mais à l’inverse de ce qui avait lieu avant le premier quartier, la concavité de l’ellipse se trouve alors tournée vers l’occident.

La phase va en augmentant graduellement de jour en jour ; enfin, quand la Lune est en opposition avec le Soleil, lorsqu’elle passe au méridien à peu près à minuit, la portion orientale et la portion occidentale de l’astre ont exactement la même forme ; ces deux portions sont toutes deux circulaires (E), et l’on dit que la Lune est pleine.

Immédiatement après le moment de la pleine Lune, l’astre commence à perdre une partie de sa lumière du côté occidental de son disque (F) ; il se trouve alors terminé à l’orient par un cercle et à l’occident par une ellipse.

Le jour de la seconde quadrature il se montre à moitié éclairé (G), sa partie orientale est circulaire, et à l’occident sa ligne de séparation d’ombre et de lumière est droite ; il passe alors au méridien à peu près à six heures du matin ; ensuite, à partir de cette époque où l’on dit que la Lune est à son dernier quartier, sa phase se creuse, une ligne courbe elliptique, concave vers l’occident (H), termine la portion de la Lune visible de la Terre, qui, du côté de l’orient, a toujours la forme circulaire. Le phénomène se présente en sens inverse de ce que nous avions observé pendant la Lune croissante, c’est-à-dire entre la conjonction et la pleine Lune.

Enfin, lorsque l’astre précède de très-peu le Soleil à son lever, il a la forme d’un croissant très-délié (K), terminé à l’orient par un cercle et à l’occident par une courbe légèrement elliptique dont la convexité est tournée vers l’orient.

On comprendra la cause de ces apparences singulières si l’on remarque que la Lune est un corps opaque et rond ; que le Soleil qui l’éclaire est aussi un corps rond, fort éloigné de la Lune. Quoique le diamètre du Soleil soit en réalité beaucoup plus considérable que celui de la Lune, les diamètres angulaires apparents de ces deux astres ne diffèrent pas beaucoup, de manière que les rayons partant des bords du Soleil, qui iront raser les bords correspondants du corps lunaire formeront un cône très-peu ouvert, presque un cylindre, dont l’axe sera la ligne qui joindra les centres des deux astres.

Sur la Lune la ligne de séparation d’ombre et de lumière, c’est-à-dire la ligne qui séparera la portion éclairée du globe lunaire de celle qui ne l’est pas, formera un grand cercle de la Lune dont le plan sera perpendiculaire à l’axe dont il vient d’être question.

Un corps sphérique tel que la Lune, vu de très-loin, d’un point de la Terre, par exemple, s’il était lumineux partout, se présenterait sous la forme d’un cercle dont la circonférence serait la section faite par un plan mené par le centre de cet astre perpendiculairement à la ligne qui joint ce centre à l’œil de l’observateur.

Mais les portions de la Lune ou de l’hémisphère, que nous appellerons l’hémisphère en vue n’étant pas toutes éclairées par le Soleil, il en résultera que l’astre se montrera à nous sous des formes variables et dépendantes des positions relatives du Soleil, de la Lune et de la Terre.

Nous avons vu que la ligne de séparation d’ombre et de lumière est un grand cercle de la Lune ; que la courbe qui sépare, pour un observateur situé sur la Terre, l’hémisphère en vue de l’hémisphère opposé, est aussi un grand cercle contenu dans un plan perpendiculaire au rayon visuel partant de l’observateur. Ce dernier plan doit couper l’hémisphère éclairé suivant un demi grand cercle.

Mais ce qu’on aperçoit perpendiculairement se voit dans sa forme réelle, donc la portion éclairée de la Lune, située dans l’hémisphère en vue, sera toujours terminée par un demi-cercle ; donc, la Lune paraîtra constamment circulaire vers le côté d’où lui viennent les rayons du Soleil, c’est-à-dire à l’occident dans la première partie du mois lunaire et vers l’orient pendant la seconde partie de ce même mois.

Examinons maintenant comment doit se terminer la phase du côté opposé. En réalité, cette ligne terminatrice ou la ligne de séparation d’ombre et de lumière sur la surface de la Lune, est la circonférence d’un grand cercle ; cette circonférence sera coupée en deux parties égales, par le plan qui sépare, pour un observateur situé sur la Terre, l’hémisphère en vue de l’hémisphère opposé. Deux circonférences de grands cercles se coupent toujours sur la sphère en deux parties égales, ayant pour diamètre commun le diamètre de la sphère. Ainsi, la ligne droite qui joindra les points de rencontre de cette courbe avec la ligne circulaire du croissant, la ligne, en un mot, qui joindra les deux cornes, sera un diamètre de la Lune. Or, comme ce diamètre est situé dans le plan qui sépare l’hémisphère en vue de l’hémisphère opposé, c’est-à-dire, dans un plan perpendiculaire au rayon visuel, il sera aperçu dans sa véritable grandeur. L’observation de la ligne des cornes fournira donc toujours un moyen de déterminer exactement le diamètre de la Lune et la position de son centre.

Allons plus loin et voyons sous quelle forme le croissant doit se présenter dans la partie ôpposée à la portion circulaire de la phase.

Un cercle vu obliquement a la forme d’une ellipse, un demi-cercle semblera donc être une demi-ellipse. La demi-circonférence de cercle appartenant à la ligne de séparation d’ombre et de lumière et située dans l’hémisphère en vue, paraîtra donc toujours elliptique, puisqu’elle est en vue obliquement, excepté dans le cas où l’œil est situé dans le plan de cette circonférence, auquel cas, elle sera vue sous la forme d’une ligne droite, ce qui arrivera le jour où la ligne menée du centre du Soleil au centre de la Lune, sera perpendiculaire à la ligne qui joint le centre de la Lune au lieu que l’observateur occupe.

Avant cette époque l’observateur était situé à l’orient du plan qui contient la demi-circonférence du cercle, ligne de séparation d’ombre et de lumière. Cette demi circonférence paraîtra donc sous la forme d’une ellipse, dont la convexité sera tournée vers l’occident. Après l’époque où cette demi-circonférence s’est montrée une ligne droite, l’œil étant situé à l’occident du plan qui la contient, la demi-ellipse sous laquelle la demi-circonférence sera aperçue, aura sa convexité tournée vers l’orient. Enfin, le jour où l’hémisphère en vue coïncidera avec l’hémisphère éclairé, la demi-ellipse correspondant à la séparation d’ombre et de lumière deviendra, un cercle, et la Lune sera tout à fait pareille à l’orient et à l’occident.

Pour expliquer les phases de la Lune, Bérose, astronome chaldéen qui vivait, dit-on, du temps d’Alexandre, soutenait que cet astre était moitié de feu et qu’il tournait sur lui-même de manière à nous montrer successivement ses différentes parties. Cette opinion est d’autant plus étrange, que Thalès, quoique beaucoup plus ancien que Bérose, professait déjà l’opinion que la Lune était éclairée par le Soleil, et qu’Aristarque, à peu près contemporain de l’astronome chaldéen, avait non-seulement trouvé la véritable explication des phases lunaires, mais en avait déduit une méthode ingénieuse, propre théoriquement à déterminer les rapports des distances de la Lune et du Soleil à la Terre. Cette méthode repose sur la remarque très-juste que le rayon même du centre de la Terre au centre de la Lune, au moment où la ligne de séparation d’ombre et de lumière paraît droite, doit être perpendiculaire au rayon qui joint le centre de la Lune et celui du Soleil. Aristarque dit que la dichotomie, l’état où l’on voit exactement la moitié de notre satellite, arrive quand l’angle à la Terre entre la Lune et le Soleil est de 87°, tandis qu’il est réellement de 89° 50′.

Par la résolution du triangle rectiligne aux trois angles duquel se trouvent le Soleil, la Lune et la Terre, Aristarque déduit de l’angle à la Terre qu’il adopte, que la distance de notre globe au Soleil est 19 fois la distance de la Lune à la Terre.

Cette méthode, recommandée chaudement par Kepler à tous ceux qui dans leurs observations pouvaient se servir de lunettes, fut employée par Vendelinus à Mayorque, et par Riccioli en Italie, mais elle ne conduisit qu’à des déterminations illusoires, surtout parce qu’il est impossible, à cause des irrégularités que les montagnes lunaires produisent sur la ligne de séparation d’ombre et de lumière, de dire exactement quand cette ligne est droite.

« N’oublions pas de consigner ici, avant de terminer ce chapitre, une observation très-fine de Geminus, qui vivait 70 ans avant Jésus-Christ :

« La preuve, disait-il, que la Lune emprunte sa lumière au Soleil, c’est que la perpendiculaire menée sur la ligne des cornes est dirigée vers le Soleil. »

On trouve, dans des écrivains postérieurs à Geminus, que la théorie de Thalès et d’Aristarque ne régnait pas sans partage au commencement de notre ère. Cependant Cléomène, quoiqu’il professât l’opinion très-erronée que la Lune est moins dense que les nuages, ne la faisait briller que de la lumière du Soleil réfléchie.

La fausseté de l’explication de Bérose a été facile à établir depuis qu’on a observé la Lune avec des lunettes et des télescopes.

On vit, en effet, alors que la ligne de séparation d’ombre et de lumière passe successivement par des points matériels différents de la surface de la Lune, en s’avançant graduellement de l’occident à l’orient, ce qui est directement contraire à l’opinion professée par l’astronome chaldéen.

S’il y a quelque chose de clairement démontré en astronomie, c’est que les phases de la Lune dépendent de la lumière solaire. Cependant on trouve dans un ouvrage d’Albergotti, de 1613, que, se fondant sur plusieurs passages de l’Écriture, tels que ceux où il est question de la lumière de la Lune, qui, pris à la lettre, sembleraient impliquer que la Lune a une lumière propre, divers contemporains de cet auteur n’admettaient pas la théorie que nous avons donnée des phases.