Astronomie populaire (Arago)/XVII/25

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 402-409).

CHAPITRE XXV

aspect et nature physique des queues des comètes


Les longues traînées lumineuses qui accompagnent les comètes ont été appelées, comme on l’a vu plus haut (chap. ii), du nom de queues. Les Chinois, faisant allusion à la forme qu’elles affectent ordinairement, les nommaient, au dire de M. Édouard Biot, des balais. Suivant le même sinologue, les astronomes du Céleste-Empire avaient observé, dès l’année 837, que la queue est opposée au Soleil. Cette découverte ne remonte chez les astronomes modernes qu’à l’année 1531, et fut faite par Apian. Empressons-nous de le dire, elle a été prise trop à la lettre ; la ligne qui joint la comète au Soleil ne se confond presque jamais exactement avec l’axe de la queue. Quelquefois le défaut de coïncidence est considérable : on peut même citer des cas dans lesquels ces deux lignes formaient entre elles un angle droit. En général, on a trouvé que la queue incline vers la région que la comète vient de quitter, comme si, dans son mouvement à travers un milieu gazeux, la matière dont elle est formée éprouvait plus de résistance que celle du noyau. Si l’on remarque que la déviation est d’autant plus grande qu’on considère des points plus éloignés de la tête, n’arrivera-t-on pas même à croire qu’il y a dans ce que je viens de dire d’une résistance plus qu’une simple comparaison ? Ces différences de déviation en divers points sont telles quelquefois que la queue totale en acquiert une courbure très-sensible. La queue de la comète de 1744 (n° 70 du catalogue), par exemple, formait presque un quart de cercle dans l’étendue de quelques degrés. La matière nébuleuse était plus agglomérée, plus dense, la queue était conséquemment plus lumineuse, mieux terminée du côté convexe, c’est-à-dire du côté vers lequel le mouvement s’opérait, que du côté opposé.

Les queues uniques s’élargissent ordinairement vers leurs extrémités et sont divisées à leur milieu par une bande obscure qui les partage en deux portions presque égales. Les bords présentent une lumière beaucoup plus intense comparativement.

Ces résultats de l’observation, convenablement étudiés, ont conduit à une conséquence très-singulière et cependant inévitable en apparence, à cette conséquence que la queue est ou bien un cône (fig. 213), ou bien un cylindre creux (fig. 214), dont les bords ont une certaine épaisseur.

Fig. 213. — Cône creux figurant la queue d’une comète.
Fig. 214. — Cylindre creux figurant la queue d’une comète.
Faisons, en effet, dans cette queue hypothétique une section transversale qui fournira extérieurement le cerclereprésenté dans la figure 215 ; le cercle de moindre diamètreconcentrique au premier déterminera l’épaisseur de la matière lumineuse ou réfléchissante, réunie près de la surface extérieure de la queue.
Fig. 215. — Explication de l’éclat des bords des queues des comètes.

Eh bien, il est facile de voir que les rayons visuels passant entre les deux cercles, suivant les directions OA, OM, dessinées dans la figure, que les rayons visuels qui marquent les bords de la queue rencontrent une plus grande quantité de matière lumineuse AB ou MN que les rayons tels que OD qui passent par le centre ou près du centre ; ceux-ci ne traversent, même dans le cas où l’anneau de matière réfléchissante est complet, que des épaisseurs Cc, Dd, dont la somme est moindre que AB ou MN. Or, soit que les particules brillent par elles-mêmes, soit qu’elles réfléchissent seulement les rayons du Soleil, c’est leur nombre total qui, dans chaque direction, doit déterminer l’intensité de la lumière. La plus grande clarté des bords de la queue se trouve ainsi expliquée naturellement ; mais pour donner à cette explication le caractère d’une démonstration rigoureuse, il sera nécessaire d’y joindre, quand l’occasion se présentera, des mesures photométriques propres à décider si l’intensité lumineuse varie depuis les bords jusqu’au centre, suivant la loi que la conception mathématique que nous venons d’exposer entraîne avec elle.

Les queues, comme nous l’avons dit, vont ordinairement en divergeant. C’est pourquoi les Chinois les appelaient des balais. Il arrive cependant quelquefois que les queues se terminent en pointe. En outre, la divergence des rayons qui terminent la queue d’une comète n’est pas constante. M. Valz, en suivant avec soin la queue de la comète de 1825 (n° 145 du catalogue), trouva, le 12 octobre, pour l’épanouissement à l’extrémité 1° 1/2. Le jour suivant, quoique la queue eût augmenté de longueur, il n’y eut pas d’épanouissement sensible.

La comète de 1689 (n° 53 du catalogue) était courbe comme un sabre turc, rapportent les observateurs contemporains.

Pingré dit avoir observé, entre Ténériffe et Cadix, que la queue de la comète de 1769 était doublement courbée ; elle présentait la figure de l’S couché ( S ). Cette remarque fut faite aussi par La Nux à l’île Bourbon.

« La queue de la comète de 1769, dit Messier dans les Mémoires de l’Académie des sciences pour 1775, peut être regardée comme une des plus grandes et des plus considérables qui aient été observées jusqu’à présent ; la nuit du 9 au 10 septembre, je l’observai de 60° de longueur ; elle parut de 40° à Marseille, et de 70° à Bologne ; et M. Pingré qui était sur mer entre Ténériffe et Cadix, observa, le 11 septembre, que la queue avait 90° de longueur, mais si faible vers son extrémité, que le lever de Vénus fut suffisant pour en faire disparaître plusieurs degrés.» La figure 198 (p. 384), dessinée d’après la planche donnée par Messier, représente les aspects de cette remarquable comète le 30 août, les 2, 3 et 4 septembre. La circonférence du noyau de la comète était mal terminée ; ce noyau était comme entouré d’une atmosphère brunâtre semblable à de la fumée et à des vapeurs qui s’exhaleraient d’un corps humide. Le 30 août au soir, la queue présentait une obscurité dans son milieu sur une étendue de 4°, et il y avait latéralement deux jets de lumière de pareille étendue. Le 2 septembre, le jet supérieur s’éloignait de la queue de manière à former avec elle un angle double de celui formé par le jet inférieur. Le 3 septembre, les jets latéraux avaient disparu, et ils ne furent plus revus par la suite. La queue présentait toujours une partie centrale plus obscure et des bords formés de traits de lumière parallèles entre eux. Le 4 septembre, la queue était divisée en sept parties, les unes lumineuses, les autres obscures. Messier aperçut les étoiles télescopiques du Taureau au travers des parties obscures de la queue et des deux jets latéraux observés du 30 août au 3 septembre.

Il n’est pas rare que les comètes aient plusieurs queues distinctes et entièrement séparées. Celle de 1744 (n° 70 du catalogue), le 7 et le 8 mars, en avait jusqu’à 6. Elles étaient larges chacune d’environ 4°, et longues de 30 à 44°. Elles avaient le même caractère optique que les queues uniques, leurs bords paraissaient tranchés et assez vifs ; leurs milieux n’émettaient qu’une lumière très-atténuée ; l’entre-deux de ces diverses queues était aussi sombre que le reste du Ciel.

La comète de 1823 (n° 140 du catalogue) avait deux queues, et, chose singulière, tandis que l’une, comme à l’ordinaire, était située à l’opposite du Soleil, la seconde était tournée vers cet astre ; ce qui lui donnait quelque ressemblance avec la grande nébuleuse d’Andromède. Le 23 janvier 1824, la queue ordinaire paraissait embrasser un espace d’environ 5° ; la longueur de la seconde queue n’était guère que de 4° ; leurs axes formaient entre eux un angle très-obtus d’environ 160°. Près de la comète, la queue extraordinaire se voyait à peine ; le maximum d’éclat était à 2° de distance du noyau. Dans les premiers jours de février, on n’apercevait plus que la queue opposée au Soleil ; l’autre avait disparu ou s’était tellement affaiblie, que les meilleures lunettes de nuit, par le temps le plus serein, n’en présentaient aucune trace. Ces résultats sont le résumé des observations faites à Paris, Marseille, Marlia, Brème, Gœttingue et Prague. Aucune comète n’avait jusqu’alors présentée une forme aussi bizarre.

La queue de la comète de 1825 (n° 145 du catalogue), observée à la Nouvelle-Hollande par M. Dunlop, se composait de cinq branches distinctes et de diverses longueurs. À la date du 19 octobre, les rayons partant des queues extrêmes paraissaient se croiser derrière la comète comme le font les rayons qui divergent du foyer d’une lentille. À la date du 1er novembre, on trouve dans la relation de M. Dunlop ces expressions non moins catégoriques : « A 1° 1/2 de la tête, les rayons des diverses queues se croisent et divergent ensuite indéfiniment. En telle sorte que les rayons formant le bord de droite de la queue proviennent du bord de gauche de la tête, et réciproquement. »

La comète découverte en 1845 par M. Colla (n° 171 du catalogue) présentait une queue de 2° 1/2 de long, divisée en deux branches par une ligne noire. Enfin la comète découverte en 1851 par M. Brorsen (n° 193 du catalogue), avait deux queues inégales dont la plus courte était dirigée vers le Soleil.

L’intensité de la queue et sa longueur sont loin d’ailleurs d’être proportionnelles à l’éclat de la lumière de l’astre. Ainsi, les comètes remarquables des années 1585, 1665, 1682 et 1763 (nos 35 et 44 du catalogue, 5e apparition de la comète de Halley, n° 80 du catalogue) n’offrirent aucun vestige de queue.

Nous avons dit que la comète à courte période ou d’Encke est également dépourvue de queue (chap. xxiii). Les queues des comètes se réduisent donc quelquefois à zéro, et d’autres fois embrassent d’immenses espaces. Nous avons donné les longueurs en lieues des queues de quelques comètes (chap. xiv). Voici les résultats de diverses mesures, quant aux dimensions angulaires :

Comètes de Longueurs
des queues.
1851 (n° 191) 1/2
1811 (n° 124) 23°
1843 (n° 164) 60°
1689 (n°   53) 68°
1680 (n°   49) 90°
1769 (n°   84) 97°
1618 (n°   40) 104°

Ainsi les comètes de 1680, de 1769 et de 1618 pouvaient atteindre l’horizon et se coucher, tandis qu’une portion de leur queue était encore au zénith.