Astronomie populaire (Arago)/XVII/20

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 367-375).

CHAPITRE XX

des changements d’aspect présentés par la comète de halley


Nous avons dit plusieurs fois que la route suivie pour les comètes pouvait seule servir à reconnaître si une comète nouvellement découverte s’était déjà montrée, et qu’on ne pouvait rien conclure de l’observation de son aspect, cet aspect étant, par sa nature, trop variable. Nulle comète n’est plus propre à démontrer la vérité de notre assertion que celle de Halley, parce qu’elle est visible à l’œil nu, parce qu’elle a été observée d’une manière certaine à sept reprises différentes, et à des époques éloignées en moyenne les unes des autres de 76 ans ; parce qu’enfin son apparition a toujours lieu, chaque fois, pendant assez longtemps pour que les observations soient faciles et nombreuses.

Nous ne parlerons que des apparitions certaines de cette comète,

Nous commencerons par l’apparition de 1456.

La comète, suivant quelques auteurs, paraissait d’une grandeur extraordinaire ; d’autres l’appellent terrible ; deux historiens polonais, au contraire, assurent qu’elle fut toujours d’une grosseur médiocre. Tous ces termes sont très-vagues, et chacun peut les interpréter à sa guise : voici ce qui est plus précis. Trois ou quatre jours avant son passage au périhélie, le noyau de la comète était aussi éclatant qu’une étoile fixe. À cette même époque, la queue n’avait qu’une longueur de 10° ; il paraît cependant qu’on le trouva quelquefois de 60°, ou de deux signes entiers du zodiaque.

La comète de 1456 inspira une grande terreur, bien moins peut-être à raison de son éclat et de la longueur de sa queue que comme un présage supposé des succès des armées ottomanes. Les Angelus ordonnés par le pape Calixte, et dans lesquels on conjurait en même temps la comète et les Turcs, n’étaient certainement pas de nature à calmer les esprits faibles.

La première apparition de la comète de 1456 date du 29 mai. C’était 11 jours avant son passage au périhélie.

1531. Dans son apparition de 1531, la comète n’offrit, quant à l’intensité, rien d’extraordinaire. La queue était assez longue (15°), et c’est en l’observant avec soin qu’Apian reconnut, pour la première fois, qu’en général les queues cométaires sont à l’opposé du Soleil.

En Europe, la première date de l’apparition de la comète de 1531 est le 25 juillet. En Chine et au Japon, on la voyait déjà le 13 de ce mois.

C’était 43 jours environ avant le passage au périhélie.

1607. Kepler dit que la lumière de la comète était pâle et faible. Longomantanus lui donne, à l’œil nu, la grosseur de Jupiter, mais avec une teinte obscure. D’autres la comparent seulement à une étoile de première grandeur peu éclatante. La queue n’offrit rien de remarquable. La première observation de la comète de 1607 précéda de 33 jours le passage au périhélie.

1682. Dans cette apparition, la comète de Halley fut assimilée, par Picard et La Hire, à une étoile de deuxième grandeur. Le 29 août, ils trouvèrent environ 30° pour la longueur de la queue.

Hévélius à Dantzig, Cassini, Picard et La Hire à Paris, l’observaient le 26 août. Le 23, des ecclésiastiques la voyaient déjà à Orléans à l’œil nu.

C’était 22 jours seulement avant le passage au périhélie.

1759. Avant le passage au périhélie de 1759, la comète ne fut jamais aperçue à l’œil nu ; car les observations du berger saxon Palitzch ont été révoquées en doute. Messier, qui la suivit avec des télescopes de différentes forces, ne lui vit pas de queue.

Consignons encore ici les principaux résultats des observations faites après le passage de la comète au périhélie de 1759.

Le 1er avril, 18 jours après ce passage, Messier vit la comète à l’œil nu, mais très-difficilement.

Le ler mai, elle lui parut, en volume, comme une étoile de première grandeur ; cependant sa lumière était moins éclatante. Le même jour, 1er mai, Lacaille aussi comparait la comète à une grande étoile vue au travers d’un léger brouillard : sa lumière, dit Maraldi, était peu éclatante et semblable à celle des planètes vues près de l’horizon. À l’œil nu, elle paraissait plus large que les étoiles de première grandeur.

La queue de la comète fut toujours assez faible à Paris pour que divers astronomes exercés (Lalande entre autres) aient affirmé qu’il n’y en avait aucune trace. Messier, cependant, dit que le ler avril la portion de la queue qui restait visible dans le télescope avait 53 minutes. Il évalue, en outre, son prolongement très-affaibli, et dont l’œil soupçonnait à peine l’existence, à 25°.

Le 15 mai, suivant le même astronome, on ne découvrait point de queue à la vue simple. Dans un fort télescope, on la voyait sur une longueur de 3° 1/4.

Le 16 et le 17 mai, Maraldi apercevait distinctement et mesurait une queue de 2°.

La lueur très-déliée, s’étendant assez loin vers l’Orient, dont parle Lacaille comme l’ayant aperçue le 17 et le 21 mai, ne pouvait être évidemment que la queue de la comète. À Lisbonne, le 30 avril, la queue, d’après les mesures du père Chevallier, n’avait que 5°. Le 15 mai, on lui trouvait la même étendue de 5° à la simple vue.

À Pondichéry, le 30 avril, suivant le père Cœur-Doux, la queue avait plus de 10°.

À l’île Bourbon, La Nux trouvait pour la longueur de la queue :

Le 29
mars 
Le 20
avril 
à 7°
Le 21
Le 28 19° (elle s’amincissait beaucoup).
Le 27 25° (l’amincissement continuait).
Le  5
mai 
47° (l’amincissement était devenu extrême).

Je viens de mettre sous les yeux du lecteur l’ensemble des observations dont on avait cru pouvoir conclure que la comète de Halley va sans cesse en s’affaiblissant. Le fait une fois admis, on en trouvait la cause physique dans la matière qui, près du périhélie, paraît se détacher de la nébulosité pour former la queue. Il est, en effet, difficile de croire que cette matière, transportée au loin, revienne à la comète, qu’elle ne reste pas disséminée dans les cieux.

Chacun concevra maintenant quel intérêt pouvait s’attacher aux observations de la grandeur et de l’éclat de la comète de Halley dans son apparition de 1835. Il était possible que ces observations, comparées à celles de 1456, de 1531, de 1607, de 1682, de 1759, nous apprissent que les comètes ne sont pas des corps éternels ; qu’après quelques révolutions successives autour du Soleil, toutes les molécules dont se composent leurs queues, leurs nébulosités et même leurs noyaux, se dispersent dans l’espace pour y devenir un obstacle au mouvement des planètes, ou bien des éléments de quelques nouvelles formations. Ces conjectures ne se sont pas réalisées. Voyons, en effet, quelles ont été les circonstances de la dernière apparition de la comète de Halley.

1835. Dans son plus grand éclat, vers le milieu d’octobre, à la simple vue, le noyau de la comète de Halley nous paraissait pouvoir être assimilé aux étoiles rougeâtres de première grandeur, telles que α du Scorpion, α d’Orion ou α du Taureau, si même il ne les surpassait en intensité. M. Amici nous écrivait de Florence : « Le 12 octobre, la comète à l’œil nu me semble plus brillante que les étoiles de la Grande Ourse. » Les étoiles de la Grande Ourse sont de seconde grandeur, et le 12 octobre n’était pas la date du plus grand éclat de la comète.

Le 15 octobre, à l’œil nu, la queue de la comète nous parut embrasser une étendue de 20°. Avec le chercheur (résultat singulier), on ne lui aurait donné que la moitié de cette longueur.

Le 16 (toujours à l’œil nu), la queue paraissait avoir 10 à 12° seulement.

Le 26, M. Schwabe, à Dessau, ne trouvait plus que 7°.

Un des élèves astronomes de l’Observatoire de Paris M. Eugène Bouvard, entrevit la comète à la vue simple dès le 23 septembre ; un second élève, M. Plantamour, la vit le 27 ; le troisième, M. Laugier, ne l’aperçut nettement que le 28. À la date du 30 septembre, la comète était visible à l’œil nu pour presque tout le monde.

C’était donc 47 jours avant le passage au périhélie.

De bons dessins des comètes pourraient fournir aux astronomes des siècles futurs des indications bien plus précises que ne peuvent être les meilleures descriptions pour résoudre quelques-uns des problèmes importants que présente la constitution physique de ces astres singuliers. Lorsqu’on pourra en faire des images photographiques, on rendra à la science de véritables services. Nous avons pensé devoir mettre sous les yeux du lecteur quelques-uns des dessins faits au Cap par sir John Herschel ; ils fixeront les idées sur les changements d’aspect sur lesquels j’ai cru devoir appeler l’attention.

La figure 187 représente la comète telle que la vit à l’œil nu sir John Herschel, le 28 octobre 1835, dans Ophiuchus. Le noyau avait l’éclat d’une étoile de 3e grandeur, et la queue présentait une longueur de 3° environ ; son extrémité étant de l’intensité des étoiles de 6e grandeur, c’est-à-dire des étoiles situées à la limite de celles qui sont visibles à l’œil nu. La figure 188 donne l’aspect de la comète regardée, le même soir, à l’aide d’une lunette achromatique de 7 pieds (2m,13) de distance focale. Le lendemain, 29 octobre, la comète présentait, dans un télescope de 20 pieds (6m), un noyau condensé et deux secteurs en forme de croissant (fig. 189). Au bout de quelques jours, la comète devint invisible, à cause de la proximité du Soleil. Le 25 janvier 1836, on put l’observer de nouveau : elle présenta, dans le télescope de 6 mètres, le 25 (fig. 190), le 26 (fig. 191), le 27 (fig. 192), le 28 (fig. 193) et le 31 (fig. 194), les aspects continuellement changeants que montrent les dessins.

Dans deux mesures que prit sir John Herschel, le 25 janvier, à l’aide d’un équatorial, il trouva pour le diamètre de la tête :

Dans le sens de l’ascension droite 
229",4
Dans le sens de la déclinaison 
237 ,3

Et deux heures plus tard

Dans le sens de l’ascension droite 
196",7
Dans le sens de la déclinaison 
252 ,0

De telles différences dans les dimensions semblent démontrer des changements brusques dans la comète.

Le 11 février la comète paraît encore un astre remarquable (fig. 195), mais, à dater de cette époque, sa queue disparaît peu à peu, et le 3 mai (fig. 196), la comète prend l’apparence d’une nébuleuse globulaire.

Si les comètes d’une certaine grandeur ne sont pas lumineuses par elles-mêmes, question que nous examinerons dans un chapitre spécial ; si elles empruntent leur éclat au Soleil, l’époque de leur visibilité, tout étant égal quant aux circonstances atmosphériques, ne doit guère dépendre que de celle du passage au périhélie. Qu’appuyé sur cette remarque le lecteur prenne la peine de comparer ce que je viens de rapporter de la comète de 1835, avec les circonstances de ses anciennes apparitions, et il ne trouvera certainement pas, dans l’ensemble des phénomènes, la preuve que la comète de Halley se soit graduellement affaiblie. Je dirai même que si, dans une matière aussi délicate, des observations faites à des époques de l’année très-différentes pouvaient autoriser quelque déduction positive, ce qui résulterait de plus net des deux passages de 1759 et de 1835, ce serait que la comète a grandi dans l’intervalle.

J’ai dû saisir avec d’autant plus d’empressement cette occasion de combattre une erreur fort accréditée, que je crains d’avoir un peu contribué à la répandre.