Astronomie populaire (Arago)/XVI/09

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 238-242).

CHAPITRE IX

théorie des épicycles


Les anciens avaient essayé de rattacher les stations et les rétrogradations des planètes à leurs idées astronomiques. Ne point rendre compte de ce phénomène capital, c’eût été avouer qu’on ne savait rien de positif sur le système du monde. Aussi les explications abondèrent ; mais, grand Dieu ! quelles explications. Nous allons donner en peu de mots une idée de la théorie célèbre des épicycles (cercles se mouvant sur des cercles).

Les anciens croyaient que tous les mouvements planétaires doivent s’exécuter uniformément dans des cercles, parce que, disaient-ils, le mouvement uniforme est le plus régulier, et parce que le cercle est la plus parfaite, la plus noble des courbes. Mais comment concilier cette idée et celle de l’immobilité de la Terre avec les stations des planètes et leurs mouvements successivement directs et rétrogrades ?

Il paraît, si nous nous en rapportons à Ptolémée, qu’Apollonius, de Perge, qui florissait deux cents et quelques années avant notre ère, est le premier auteur de la théorie à l’aide de laquelle ce difficile problème fut résolu, et qui constitue le système des épicycles.

Supposons que la Terre (fig. 179) occupe le centre d’une circonférence de cercle, laquelle sera l’orbite principale, nommée par les anciens le déférent, d’une planète quelconque. Autour d’un point C de cette orbite comme centre, décrivons une seconde circonférence de cercle, et admettons que cette seconde circonférence, qui prend le nom d’épicycle, soit l’orbite que la planète parcourt pendant que son centre se meut uniformément le long de la première.

Fig. 179. - Théorie des épicycles.

Supposons que le centre C se meuve de droite à gauche, suivant la direction de la flèche a, et que la planète P parcoure son épicycle dans le même sens. Partons de la position qu’occupe la planète lorsqu’elle est située sur la ligne TCP ; ce sera relativement à la Terre une sorte de conjonction. Traçons l’épicycle autour d’un point C′ ; supposons que dans le temps pendant lequel le centre de l’épicycle a parcouru l’arc CC′, la planète ait fait une demi-révolution dans l’épicycle ; en d’autres termes, admettons qu’elle occupe sur cet épicycle un point P′, déterminé par la ligne droite TC′P′.

Quand elle partait de sa première position P, le mouvement angulaire de la planète se composait du mouvement du centre de l’épicycle auquel s’ajoutait une certaine quantité provenant du mouvement de la planète qui s’exécutait dans le même sens.

Dans la position actuelle P′, le mouvement apparent de la planète se composera du mouvement du centre de l’épicycle, duquel il faudra retrancher une certaine quantité dépendante du mouvement en sens contraire qu’éprouve alors la planète dans son épicycle. Si cette seconde quantité est égale à la première, la planète semblera stationnaire. Si le mouvement angulaire de la planète dans son épicycle, vu de la Terre, est plus grand que le mouvement du centre, la planète paraîtra rétrograder ou marcher en sens contraire de la direction suivant laquelle le centre de l’épicycle se meut le long de l’orbite principale.

Afin de ne pas revenir sur ce sujet, je dirai ici que, pour rendre compte de certaines inégalités, on a placé quelquefois sur la circonférence du premier épicycle un second épicycle de rayon plus ou moins grand, et que c’était le long de cette courbe qu’on faisait mouvoir la planète. Je crois me rappeler que plusieurs astronomes sont allés jusqu’à imaginer trois épicycles superposés, même lorsqu’ils avaient supposé que le centre de la Terre ne coïncidait pas avec le centre de l’orbite principale ou du déférent. Il est certain, ainsi que Lagrange l’a démontré très-simplement dans les Mémoires de l’Académie des sciences pour 1772, que quelles que fussent les inégalités angulaires dans les mouvements d’une planète, où pourrait toujours les représenter en multipliant suffisamment les épicycles. Mais il faut remarquer que le même système qui rendrait compte ainsi des déplacements angulaires n’expliquerait pas exactement les changements de distance. Or, ces changements dont les anciens n’avaient pas une idée exacte sont de nos jours parfaitement établis par des mesures micrométriques. Pour expliquer les changements de distance, l’hypothèse des anciens consistant à supposer les cercles déférents excentriques par rapport à la Terre, était tout à fait insuffisante ; elle ne saurait rendre compte des inégalités fournies par l’observation.

Le système des épicycles, tout ingénieux qu’il était, ne pourrait aujourd’hui être défendu ; il doit être rejeté, surtout par cette considération empruntée à la mécanique, qu’un corps, dans son mouvement circulatoire, ne peut être retenu autour d’un point idéal dépourvu de matière, et qui de plus se déplace sans cesse.

Je consignerai ici ce que dit Vitruve du phénomène des stations et des rétrogradations, ne fût-ce que pour montrer jusqu’à quel point l’esprit de l’homme peut aller dans ses égarements.

« Quand les planètes, dit le grand architecte, qui font leurs cours au-dessus du Soleil, font un trine aspect avec lui, elles n’avancent plus, elles s’arrêtent ou même reculent en arrière, etc. Il y en a qui croient que cela se fait parce que le Soleil étant alors fort éloigné de ces planètes, il ne leur communique que peu de lumière, ce qui fait que n’en ayant pas assez, s’il faut ainsi dire, pour se conduire dans leur chemin qui est fort obscur, elles s’arrêtent. » (Livre ix, traduction de Perrault.)

Vitruve n’admet point que si les planètes s’arrêtent, ce soit par la difficulté qu’elles éprouvent à trouver leur chemin dans l’obscurité. Il fait intervenir, lui, une certaine attraction que la chaleur solaire exercerait sur les astres, et n’hésite pas, sans doute d’après l’observation mal interprétée du froid qu’on ressent au sommet des hautes montagnes, à admettre avec Euripide : « Que ce qui est éloigné du Soleil est beaucoup plus échauffé, et que ce qui en est proche n’a qu’une chaleur modérée. » (Traduction de Perrault.)

L’explication des stations et des rétrogradations, indiquées dans le chapitre précédent, fondée sur la diminution des vitesses des planètes à mesure qu’elles s’éloignent du Soleil, est, suivant moi, la partie la plus brillante du traité De Revolutionibus, celle qui fait le plus d’honneur à Copernic.