Astronomie populaire (Arago)/XIX/08

GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 526-531).

CHAPITRE VIII

atmosphère de vénus


Le Soleil étant plus grand que Vénus, doit éclairer plus d’un hémisphère de cette planète. La ligne passant par les deux cornes ne doit pas être conséquemment, même en faisant abstraction des montagnes, un diamètre de l’astre, mais bien une corde située un peu au delà du centre, relativement au Soleil.

L’éloignement de cette corde du diamètre réel est très facile à calculer et ne surpasse pas 1/3 de seconde, mesuré sur la circonférence de Vénus. Cependant, on voit le disque beaucoup au delà de la limite déterminée par le calcul, à l’aide d’une lumière très-pâle. Cette lumière a été assimilée à celle de nos crépuscules. On a supposé que les rayons solaires tangents au bord matériel de Vénus, étaient infléchis par une atmosphère et allaient éclairer des points au-dessus desquels ils auraient passé sans cela. L’étendue de l’espace éclairé par ces rayons secondaires, a montré qu’ils devaient avoir éprouvé une réfraction très-peu supérieure à la réfraction horizontale que la lumière subit en traversant l’atmosphère terrestre.

Parmi les astronomes qui ont examiné Vénus avec attention, il n’en est point qui n’ait remarqué combien la partie circulaire du croissant, combien la partie extérieure ou tournée du côté du Soleil, est plus brillante que la courbe elliptique située à l’opposite et marquant sur la planète la ligne de séparation d’ombre et de lumière. Herschel a prétendu que cette supériorité d’éclat avait lieu par un changement brusque, qu’il y avait un contour, une sorte de collier lumineux d’une égale largeur dans toute l’étendue des bords du demi-cercle. Schrœter, au contraire, a soutenu que la lumière, très-brillante sur le contour circulaire de ce croissant, s’affaiblit graduellement à mesure que l’on s’avance vers la courbe qui le termine du côté opposé au Soleil. Cet affaiblissement a été cité comme une démonstration nouvelle de l’existence d’une atmosphère de Vénus ; il est certain, en effet, que les rayons qui se sont réfléchis sur les parties matérielles de la planète formant le bord circulaire du croissant, ont dû traverser une moindre épaisseur de l’atmosphère, si elle existe, que les rayons solaires qui vont se réfléchir à leur tour sur des parties plus ou moins voisines de la ligne de séparation d’ombre et de lumière.

Les observations postérieures à celles de Schrœter paraissent jusqu’à présent donner raison à sa manière de voir. Les critiques que William Herschel a faites en 1793 du travail de l’astronome de Lilienthal, n’ont pas diminué l’intérêt qui s’attachait à des recherches d’une si haute importance. Du reste, Herschel mit une complète bonne foi dans ses critiques, et je le prouverai en entrant dans quelques détails sur les observations par lesquelles Shrœter démontra qu’il existe une atmosphère autour de Vénus et sur la complète adhésion que l’astronome de Slough finit par lui accorder.

Quand Vénus, voisine de sa conjonction inférieure, était très-échancrée, l’astronome de Lilienthal apercevait le contour de la planète un peu au delà des cornes brillantes directement éclairées par le Soleil ; un peu au delà de la portion du disque, qui seule eût été visible à l’aide d’une lunette ordinaire. Cette lumière problématique était, par sa faiblesse, relativement à la vive lumière du croissant de la planète, ce qu’est la lueur cendrée comparée à la lumière éclatante du reste de la Lune.

Le 12 août 1790, le diamètre total de Vénus sous tendant un angle de 60″, les cordes des deux arcs qu’une très-faible lumière éclairait par delà les cornes brillantes du disque étaient, l’une et l’autre, de 8 secondes. À l’aide d’un calcul très-simple, Schrœter conclut de ces nombres que la lumière secondaire s’étendait sur la planète quinze degrés plus loin que la limite où s’arrêtaient les rayons directs du Soleil. Suivant lui, cette faible lueur de quinze degrés d’amplitude provenait, par voie de réflexion, de l’atmosphère dont la planète était enveloppée ; c’était, avec un peu moins d’étendue, la lumière crépusculaire que l’atmosphère terrestre répand sur les objets longtemps avant le lever du Soleil.

Sur le fait de l’existence de la lumière secondaire, à l’aide de laquelle nous pouvons apercevoir plus de 180 degrés du contour de Vénus, Herschel rendit complète justice à l’astronome de Lilienthal. Ce fait, il le qualifie franchement, et avec toute raison, de véritable découverte.

L’affaiblissement de la lumière, depuis le bord extérieur et circulaire du croissant de Yénus jusqu’au bord elliptique intérieur, est un phénomène que tous les observateurs ont dû remarquer. A cet égard Schrœter et Herschel sont parfaitement d’accord. Seulement, l’astronome de Lilienthal, comme nous l’avons déjà dit, admet que l’affaiblissement entre les deux bords est graduelle, tandis que le second voit, au contraire, un changement brusque à partir de points très-voisins du contour circulaire.

On pourrait admettre que le décroissement de lumière observé entre le contour extérieur du croissant de Vénus, et le contour elliptique intérieur est un effet de pénombre, et l’attribuer au diamètre angulaire assez considérable que sous-tend le Soleil vu de la planète. La géométrie répond catégoriquement à cette supposition.

Le diamètre du Soleil, vu de Vénus, étant en moyenne de 44 minutes, nul doute que vers la ligne de séparation d’ombre et de lumière il n’y ait des parties matérielles de la planète éclairées seulement par une portion presque insensible de cet astre, tandis que d’autres parties, au contraire, reçoivent à la fois des rayons qui émanent de tous les points de son disque.

Mais tout compte fait, sur le globe de Vénus, lorsqu’il sous-tend un angle de 60 secondes, les premiers de ces points, ceux qui sont à peine éclairés, ne doivent paraître distants des parties où la lumière du Soleil arrive tout entière que d’un tiers de seconde environ. L’amplitude angulaire dans laquelle s’opère le décroissement d’intensité observé est bien autrement considérable ; ce décroissement n’est définitivement un effet de pénombre qu’à l’égard d’une part vraiment insignifiante de la phase.

Pour expliquer ces phénomènes, Herschel fut conduit à l’idée que la lumière de Vénus nous est principalement réfléchie par des nuages répandus dans son atmosphère.

Voici comment il s’énonçait touchant la lumière intense du contour extérieur du croissant : « Je m’aventure, dit-il, à l’attribuer à l’atmosphère de la planète ; cette atmosphère, comme celle de la Terre, est probablement remplie de matières qui réfractent et réfléchissent la lumière en abondance et dans toutes les directions. Conséquemment, sur le bord du disque où notre rayon visuel rencontre l’atmosphère obliquement (c’est-à-dire dans sa plus grande épaisseur), il doit y avoir un accroissement apparent d’éclat. »

L’explication est ingénieuse, mais elle prête à quelques difficultés : on ne voit pas bien, par exemple, comment une lumière atmosphérique donnerait lieu à un contour extérieur du croissant de la planète, nettement tranché, parfaitement défini.

Des mesures du décroissement de l’intensité entre les deux bords du croissant, fourniraient des moyens de soumettre l’hypothèse à une discussion motivée ; on doit donc engager les astronomes à tenter tous les moyens possibles d’arriver à ces mesures. Je profiterai de l’occasion pour citer une observation d’où il semble découler que la diminution d’intensité, entre les bords du croissant, est beaucoup plus rapide qu’on ne le suppose généralement. Lorsque dans la mesure du diamètre d’une planète, on fait usage d’un micromètre prismatique, le moment où les deux images sont superposées se reconnaît par une grande et subite augmentation d’intensité dans leurs parties communes. Eh bien, il n’en est pas de même lorsqu’on fait notablement empiéter l’un sur l’autre les deux croissants de Vénus : alors la lumière de la portion elliptique de la phase, en s’ajoutant à celle de la portion circulaire, paraît à peine augmenter l’intensité de celle-ci, comme si elle n’en était qu’une partie aliquote insensible, telle que 1/30e par exemple.

Je me contente de déposer ici cette observation qui, suivie avec précaution et à l’aide des moyens que l’optique indiquera aux observateurs, conduira peut-être au but désiré.