Astronomie populaire (Arago)/X/12

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 465-471).

CHAPITRE XII

mesure du déplacement relatif des étoiles doubles


Pour constater le déplacement relatif des deux étoiles dont se compose un couple d’étoiles doubles, les simples remarques qui précèdent suffiraient ; mais après avoir vu le mouvement, on a désiré savoir suivant quelle loi il s’opère. Dès lors il a fallu multiplier les observations, et leur donner de l’exactitude à l’aide d’une méthode que je vais essayer de faire connaître.

Tendons au foyer d’une lunette deux fils très-fins. L’un passera par le centre de l’espace circulaire qu’on appelle le champ de la vision et sera fixe, c’est-à-dire invariablement fixé au tuyau. L’autre pourra tourner autour du même centre, de manière à coïncider quand on le voudra, avec le fil fixe, ou à faire avec lui, à droite, à gauche, en haut, en bas, tous les angles imaginables. Ces angles on les mesurera sur un cercle gradué intérieur ou extérieur.

Pour faire une observation, l’étoile brillante est d’abord placée, aussi exactement qu’il est possible, au point d’intersection des deux fils. Ensuite, on fait tourner le fil mobile jusqu’au moment où il passe par le centre de la seconde étoile. En lisant le degré auquel le fil mobile s’est arrêté, on connaît l’angle que forme avec la direction du fil fixe, la ligne visuelle qui serait menée du centre de la grande étoile au centre de la petite.

D’après la manière, que nous expliquerons dans une autre occasion, dont la lunette est montée et aussi d’après la direction particulière qu’on a donnée au fil fixe, quelle que soit l’heure où l’on fasse l’observation de l’angle, on trouve toujours le même nombre. Or, si la lunette est tournée vers l’étoile à l’instant où celle-ci décrit la partie la plus élevée de sa course nocturne, c’est-à-dire quand elle arrive au méridien, le fil fixe est horizontal.

L’instrument dont on fait usage donne donc, pour le moment en question, pour le moment du passage au méridien, l’angle que forme avec une horizontale partant de la grande étoile la ligne droite qui unit cette même étoile à la petite. C’est ce qu’on appelle l’angle de position.

D’après cette méthode, les observations de différents astronomes, de différents jours, de différentes années, deviennent comparables entre elles. Le tableau des valeurs successives de l’angle de position apprend, d’un seul coup d’œil, si la petite étoile circule autour de la grande de l’ouest à l’est, ou de l’est à l’ouest ; si le mouvement est uniforme ou non, quels sont les points de la plus grande et de la moindre vitesse.

Un second système composé de deux fils, l’un fixe, l’autre mobile parallèlement au premier, système qui porte le nom de micromètre (liv. iii, chap. xviii), sert à reconnaître si la distance apparente des étoiles est constante ou variable, et quand il y a variation, entre quelles limites elle se trouve renfermée.

Voilà tout ce que l’observation fournit. Ces données, au reste, suffisent amplement pour qu’on puisse déterminer, à l’aide du calcul, la forme de la courbe que chaque étoile décrit, en supposant du moins que les astres situés dans ces régions éloignées, obéissent aux lois de Kepler sur le mouvement elliptique, lois dont nous parlerons ailleurs avec les détails que leur importance comporte.

Quatre valeurs de l’angle de position et des distances apparentes micrométriques correspondantes à des époques connues sont nécessaires, en général, pour déterminer la forme et la position de la courbe que la petite étoile décrit autour de la grande.

Lorsque, par hasard, le plan qui contient cette courbe passe par la terre, le mouvement de l’étoile satellite semble s’opérer le long d’une ligne droite ; il n’y a plus alors d’angles de position successifs à mesurer ; tout se réduit aux observations micrométriques des distances, et il faut cinq de ces observations, pour arriver aux résultats que quatre fournissaient dans l’hypothèse précédente.

Enfin, si l’observateur, dépourvu de micromètre, n’a pu observer que des déplacements angulaires, six angles de position correspondant à des époques connues, seront indispensables quand on voudra calculer la forme de l’orbite de la petite étoile.

Il n’a jamais pu entrer dans mes projets de donner ici, même la plus légère idée des calculs algébriques qui servent à résoudre les problèmes relatifs à la forme et à la position des orbites des étoiles doubles. Je me contenterai de rapporter les résultats[1]. Les premiers auquels on soit arrivé, les éléments de l’orbite du satellite stellaire de ξ de la Grande Ourse, ont été obtenus par Savary, mon ancien confrère à l’Académie des sciences et au Bureau des Longitudes, d’après des méthodes qui lui appartiennent. Les autres sont dus à MM. Bessel, Encke, John Herschel et Villarceau.

Noms
des
étoiles doubles.
Temps qu’emploie
la petite étoile
à faire une révolution
entière autour
de la grande.
Demi-grand axe
de l’orbite telle
qu’elle serait vue
perpendiculairement
de la terre.
Excentricité
de
l’orbite[2]
ζ d’Hercule 
36 ans. 1″,2        0,44    
η de la Couronne 
43 " "
ξ de la Grand Ourse 
58 3″,8 0,42
ζ de l’Écrevisse 
58 0″,9 "
α du Centaure 
78 12″,1 0,71
70e d’Ophiuchus 
88 4″,4 0,47
Castor 
253 8″,1 0,76
σ de la Couronne 
287 3″,7 0,76
61e du Cygne 
452 15″,4 "
γ de la Vierge 
629 12″,1 0,83
γ du Lion 
1 200 " "

Parmi ces étoiles, il en est une, la compagne de η de la Couronne, qui a parcouru le contour entier de son orbite depuis qu’Herschel détermina, pour la première fois, son angle de position. Déjà même elle se trouve assez avancée dans sa seconde révolution. Les plus anciennes observations de ξ de la Grande Ourse considérée comme étoile double, sont de 1782. La durée de la période étant de 58 ans, le satellite stellaire de ξ accompli sous nos yeux une révolution entière, en 1840.

Je disais tout à l’heure que si par hasard, le prolongement du plan dans lequel l’orbite d’une petite étoile se trouve contenue, aboutissait à la terre ; que si cette orbite, en terme d’artiste, se présentait à nous par sa tranche, l’étoile satellite semblerait se mouvoir, tantôt dans un sens tantôt dans le sens contraire, mais toujours le long d’une ligne droite passant par la grande étoile. Ce cas s’est offert aux astronomes.

D’après William Herschel, l’étoile τ du serpentaire est double. À l’époque où ce grand observateur formait le premier catalogue d’étoiles multiples, les deux astres distincts dont τ se compose, étaient notablement séparés. Aujourd’hui ils sont si bien confondus, ils se projettent si exactement l’un sur l’autre, que Struve lui-même, armé de la grande lunette de Fraünhofer, n’a pas aperçu la moindre trace de duplicature. Qu’auraient dit Bradley, Lacaille, Mayer, si de leur temps, on s’était avisé d’annoncer que, dans ce firmament qu’ils avaient tant étudié, il existait des étoiles qui s’occultaient les unes les autres !

ζ d’Orion a présenté la contre-partie de τ du Serpentaire. Aujourd’hui c’est une étoile double facilement reconnaissable ; William Herschel l’inscrivait jadis dans son catalogue, comme décidément simple.

Dans γ de la Vierge, le plan de l’orbite est assez incliné à la ligne visuelle partant de la terre, pour que la distance de l’étoile satellite à l’étoile centrale qui, en 1756, était de 6″, 5 se trouvât réduite, en 1829, à 1″,8. Depuis cette dernière époque, cette distance s’est déjà sensiblement augmentée.

La branche de l’astronomie qui traite des déplacements du système stellaire est née d’hier. Ainsi il ne faut pas s’étonner qu’on sache encore peu de chose sur les mouvements relatifs des étoiles triples. Déjà cependant les observations ont montré que dans ζ de l’Écrevisse, les deux faibles étoiles tournent autour de la principale. Pour ψ de Cassiopée, qui se compose d’une étoile assez brillante et de deux petites étoiles excessivement rapprochées entre elles, il est probable qu’on verra ces dernières circuler l’une autour de l’autre, et leur ensemble tourner autour de l’étoile brillante.

  1. Savary est le premier qui ait montré par quels calculs on peut déduire des observations des étoiles doubles la nature de la courbe décrite par l’étoile satellite. On me permettra, je pense, de me féliciter d’avoir indiqué ce sujet de travail à mon jeune et si regrettable ami. Voici comment il s’exprime à ce sujet dans son Mémoire, inséré dans les additions de la connaissance des temps pour l’année 1830, page 171 : « L’Observatoire de Paris, longtemps dépourvu des instruments qui permettent de multiplier et de rendre plus précises les mesures relatives aux étoiles doubles, possédera bientôt l’équatorial de Gambey. C’est dans une circonstance aussi favorable pour ce genre de recherches que M. Arago a bien voulu m’engager à écrire la note qui précède. »

    Depuis cette époque, des procédés de calculs un peu différents de ceux du jeune membre de l’Institut, ont été donnés par MM. Encke, Bessel, John Herschel, Msedler et Villarceau.

  2. Nous rappelons que l’excentricité est la distance du centre de chaque ellipse au foyer ( liv. i, chap. xi, p. 37). Les nombres contenus dans cette colonne sont le rapport de la grandeur de l’excentricité au demi grand axe.