Astronomie populaire (Arago)/VI/08

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 242-244).

CHAPITRE VIII

les cieux solides


Dans son commentaire de l’ouvrage d’Aristote sur le ciel, Simplicius nous révèle la répugnance des anciens observateurs à admettre qu’un astre pût rester suspendu dans l’espace ; qu’il pût se mouvoir librement de lui-même, c’est-à-dire sans être entraîné. Voilà probablement ce qui donna naissance aux prétendus cieux solides. Cette conception, toute singulière qu’elle doit paraître aujourd’hui, a formé pendant un grand nombre de siècles la base des théories astronomiques. Déterminons, si cela se peut, à quelle époque elle remonte ; voyons quels philosophes l’adoptèrent.

Anaximènes, qui vivait vers 543 avant Jésus-Christ, prétendait déjà que le ciel extérieur est solide, cristallin, et que les étoiles sont attachées à sa surface sphérique comme des clous. Plutarque ne dit pas sur quelles conjectures se fondait Anaximènes ; mais Anaximandre, dont ce philosophe était le disciple, n’ayant pas cru pouvoir imprimer de mouvement aux astres sans les placer sur des appuis solides, il est présumable que les mêmes considérations donnèrent naissance à l’hypothèse d’Anaximènes.

Divers auteurs prétendent que Pythagore (car Pythagore n’a rien écrit) considérait aussi le firmament comme une voûte sphérique et solide à laquelle les étoiles étaient attachées. Avait-il emprunté cette idée aux Perses ? On pourrait le supposer, car chez ce peuple, les plus anciens astronomes croyaient, dit le Zend-Avesta, à des cieux solides emboîtés. Nous n’avons, toutefois, sur ce point d’histoire scientifique, aucune donnée certaine.

Pythagore vivait de 580 à 500 avant Jésus-Christ.

Eudoxe, qui vivait vers 405 avant Jésus-Christ, admettait également la solidité des cieux. Aratus, le reproducteur en vers des opinions de l’astronome de Cnide, le déclare sans aucune équivoque ; seulement il ne nous apprend rien concernant les observations qui, dans l’opinion d’Eudoxe, rendaient cette supposition nécessaire.

Aristote (on sait avec assez de certitude qu’il vécut de 384 à 322 avant notre ère), a été pendant longtemps considéré, dans nos écoles, comme l’inventeur du système des cieux solides, mais il lui donna seulement l’appui de sa haute et entière adhésion. La sphère des étoiles était pour lui le huitième ciel. Les cieux solides, moins élevés, dont il admettait également l’existence, servaient à expliquer, tant bien que mal, les mouvements propres du soleil, de la lune et des planètes.

Aristote admettait que le mouvement de son huitième ciel solide, le plus élevé, était uniforme ; que jamais aucune perturbation ne le troublait.

« Dans l’intérieur du monde (dit ce philosophe, si toutefois l’ouvrage intitulé De mundo est de lui), il y a un centre stable et immobile que le sort a donné à la terre… Au dehors du monde il y a une surface qui le termine de toutes parts et en tout sens. La région la plus élevée du monde est appelée le ciel… Elle est remplie de corps divins que les hommes connaissent sous le nom d’astres ; et elle se meut d’un mouvement éternel, emportant dans la même révolution ces corps immortels, qui suivent tous la même marche en cadence, sans interruption et sans fin. »

Euclide, le géomètre (voir l’ouvrage intitulé Phénomènes) enchâssait les étoiles dans une sphère solide ayant l’œil de l’observateur à son centre. Ici la conception était présentée comme la déduction de ces observations exactes et fondamentales : La révolution se fait tout d’une pièce ; elle n’altère, à aucune époque de la journée, ni la forme ni les dimensions des constellations.

Ces opinions, ces résultats d’observations remontent à environ 275 ans avant notre ère.

Cicéron, à une époque comprise entre l’an 106 et l’an 43 avant notre ère, se déclarait le partisan de la solidité des cieux. Suivant lui l’éther était trop peu dense pour imprimer le mouvement aux étoiles ; il fallait donc qu’elles fussent placées sur une sphère particulière et indépendante de l’éther.

Du temps de Sénèque, l’existence des cieux solides avait dû soulever déjà des difficultés, car le philosophe n’en fait mention que sous la forme de question et avec l’expression du doute. Voici ses propres paroles : « Le ciel est-il solide et d’une substance ferme et compacte ? » (Questions naturelles, livre ii.)

Au Ve siècle, Simplicius, commentateur d’Aristote, parlait aussi de la sphère des fixes. Cette sphère ne s’offrait pas seulement à lui comme un artifice propre à caractériser avec précision les phénomènes du mouvement diurne : elle était à ses yeux un objet matériel et solide.