Astronomie populaire (Arago)/IX/06

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 364-368).

CHAPITRE VI

diamètres apparents des étoiles


Dès qu’on a déterminé la distance réelle ou conjecturale des étoiles, rien ne serait plus facile que de trouver leurs grandeurs véritables, si l’on connaissait avec exactitude l’angle qu’elles sous-tendent vues de la terre. Malheureusement cet angle est très-difficile à évaluer, à cause de sa petitesse. Par un défaut inhérent à tous les instruments d’optique, les lunettes ou les télescopes qui donnent avec précision les diamètres réels des objets sous-tendant des angles d’une certaine grandeur, comme les planètes, ne fournissent, quand on les applique à l’observation des étoiles, que des résultats supérieurs à la réalité ; et tout étant égal de part et d’autre, ces résultats sont d’autant moindres que le grossissement est plus fort.

Pour constater ce fait par une expérience, on n’a qu’à observer une occultation d’étoile de première grandeur par la lune. Il arrivera rarement que l’étoile sous-tende moins de 2″. La lune parcourt de l’occident à l’orient 1/2 seconde de degré par seconde de temps, le diamètre de l’étoile devrait donc employer, s’il avait quelque réalité, quatre secondes pour disparaître ; il disparaît, au contraire, dans un temps inappréciable lorsque le bord de la lune atteint le centre apparent du disque. Ainsi, ce diamètre est entièrement fictif. On arrive à la même conclusion en observant les étoiles à l’aide de bons micromètres et de grossissements variables.

En thèse générale, on doit donc prendre pour le diamètre des étoiles la plus petite valeur qu’on lui ait jamais trouvée, sans avoir même la certitude que cette plus petite valeur représente le diamètre réel.

Je trouve dans les Mémoires d’Herschel (Transactions philosophiques pour 1803) qu’en octobre 1781 le diamètre angulaire de Wéga de la Lyre, mesuré à l’aide d’un micromètre particulier (micromètre à lampe), et avec un grossissement de six mille fois, n’était que de 36 centièmes de seconde (0″,36) ; que le 7 juillet 1780, Arcturus, vu à travers un brouillard, n’avait que deux dixièmes de seconde (0″,2) de diamètre.

En prenant ces dimensions pour réelles, et d’après les distances les plus petites que l’on puisse supposer de ces étoiles à la terre (distances telles que leur lumière arrive en 3 ans), leurs diamètres réels seraient respectivement de 14 millions et de 8 millions de lieues. Mais, je le répète, ces diamètres, quoique très-atténués à raison de la perfection des instruments dont Herschel se servait, sont probablement fort exagérés.

Le lecteur ne sera pas fâché de trouver ici, au point de vue historique, les résultats auxquels les anciens astronomes étaient arrivés.

Avant la découverte des lunettes,

Kepler attribuait à Sirius 
240 secondes de diamètre.
Tycho plus de 
120
Albategnius 
45

Après la découverte des lunettes,

Gassendi donnait à Sirius 
10 secondes de diamètre.
Jean Cassini (avec une lunette de 11 mètres)[1] 
5

Tycho n’attribuait un diamètre angulaire de 120″ qu’aux étoiles de première grandeur : c’était un résultat moyen. Les étoiles moins brillantes lui paraissaient sensiblement plus petites. Ainsi, en moyenne,

Les étoiles
de deuxième grandeur avaient 
90″
de troisième 
65″
de quatrième 
45″
de cinquième 
30″
de sixième 
20″

L’illusion d’optique qui donnait de l’étendue, de l’ampleur aux images des étoiles, allait donc rapidement en diminuant à mesure que la lumière s’affaiblissait.

Les énormes différences que présentèrent d’abord les valeurs du diamètre d’une même étoile données par divers astronomes, soit qu’on l’eût observée à l’œil nu, soit qu’on se fût servi de lunettes, étaient bien propres à faire supposer que les disques de ces astres n’avaient rien de réel. Hévélius parvint, lui, à rendre les formes des étoiles constantes, rondes, bien terminées, bien définies, en plaçant devant l’objectif de sa lunette une plaque métallique percée d’un trou rond de petit diamètre. Il se persuada alors avoir triomphé de la difficulté du problème. Cependant, en remplaçant la première ouverture par une plus resserrée, il aurait vu ses disques s’agrandir sans rien perdre de leur netteté.

Ce qu’Hévélius gagnait en exactitude par l’affaiblissement de la lumière des étoiles, par la réduction de l’objectif de sa lunette à une très-petite ouverture, surpassait de beaucoup ce que lui faisait perdre l’inflexion des rayons sur les bords du trou circulaire du diaphragme. Aussi trouva-t-il seulement :

Pour le diamètre
de Sirius 
6″,3
de la Chèvre 
6″,0
de Régulus 
5″,1
Pour les étoiles
de seconde grandeur 
4″,5
de troisième 
3″,8
de quatrième 
3″,2
de cinquième 
2″,5
de sixième 
2″,0

Plusieurs astronomes, depuis la découverte des lunettes, cherchèrent par des expériences à défalquer quelque chose de l’angle illégitimement amplifié que les étoiles sous-tendent dans ces instruments ; mais l’histoire de leurs essais nous entraînerait trop loin sans donner de résultat utile.

Remarquons cependant à quelles folles dimensions nous entraîneraient les valeurs angulaires précédentes en les supposant réelles. Prenez pour disques réels, les disques vus à l’œil nu, les disques factices entourés d’une large crinière, comme disait Galilée, et certaines étoiles auront jusqu’à 9 000 millions de lieues de diamètre ; et les évaluations les plus modérées seront de 1 700 millions. En effet, il est prouvé par les observations des parallaxes dont nous parlerons plus loin, observations dans lesquelles les diamètres apparents ne jouent aucun rôle, et qui dès lors ne donnent point d’ouverture au reproche de cercle vicieux, qu’à la distance des étoiles les plus voisines, une seconde de diamètre correspondrait, au moins, à 38 millions de lieues. Or, les résultats limites que je viens de citer sont, en nombres ronds, les produits de 38 millions par 240 et 45, c’est-à-dire par les nombres de secondes que Kepler et Albategnius donnaient au diamètre de Sirius. Les déterminations, déjà si réduites, de Gassendi et de Cassini, laisseront encore aux étoiles des diamètres d’au moins 380 millions de lieues et de la moitié de ce nombre.

  1. Cassini espérait un très-bon effet de la réduction qu’il avait fait subir à son objectif par un diaphragme de carton ; mais si une énorme réduction d’ouverture réelle amoindrissait les aberrations de sphéricité et de réfrangibilité, elle augmentait, d’autre part, l’influence de la diffraction qui s’opérait sur les parois de l’ouverture, et c’est là, sans aucun doute, l’origine du résultat évidemment trop fort trouvé par Cassini.