Astronomie populaire (Arago)/I/04

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 9-16).

CHAPITRE IV

rapport de la circonférence du cercle au diamètre


L’astronome a souvent à résoudre ce problème :

Étant donnée la circonférence d’un cercle, trouver le diamètre ;

Et réciproquement, étant donné le diamètre, trouver la circonférence.

On y arrive en divisant, dans le premier cas, la circonférence par un certain nombre toujours constant, quel que soit le cercle, et, dans le second cas, en multipliant le diamètre par ce même nombre. On comprend toute l’utilité de la détermination d’un pareil nombre.

Puisque nous regardons comme établi que les circonférences du cercle sont mathématiquement entre elles comme leurs rayons, de sorte qu’à un rayon double correspond une circonférence de cercle double, à un rayon triple correspond une circonférence exactement triple, à un rayon décuple, une circonférence décuple et ainsi de suite, il résulte de cette proposition que si l’on connaissait le rapport du rayon, ou ce qui revient au même, de la longueur du diamètre à celle de la circonférence développée en ligne droite pour un cercle d’une étendue donnée, ce même rapport pourrait être appliqué à tout autre cercle d’un diamètre plus grand ou plus petit.

Les praticiens ont pu déterminer le rapport du diamètre à la circonférence, ou inversement de la circonférence au diamètre, avec toute l’exactitude que les besoins des arts exigeaient, en comparant simplement la longueur développée d’un fil inextensible qui avait été enroulé sur une circonférence de cercle, à la longueur du diamètre ; mais il n’est resté aucune trace écrite de ces opérations en quelque sorte mécaniques.

Archimède, qui vivait de 287 à 212 avant Jésus-Christ, est le plus ancien auteur dans lequel on rencontre une détermination obtenue par voie intellectuelle du rapport du diamètre à la circonférence.

L’immortel géomètre de Syracuse trouva que si le diamètre d’un cercle est divisé en sept parties égales, vingt et une de ces parties forment une longueur plus petite et vingt-deux une longueur plus grande que la circonférence développée.

Pierre Métius, qui vivait au milieu du XVIe siècle, le père d’un artiste qui éleva des prétentions sur l’invention des lunettes, donna les deux nombres cent treize et trois cent cinquante-cinq comme exprimant très-approximativement le rapport de la longueur du diamètre à celle de la circonférence. Lorsqu’on transforme ce rapport en décimales, on trouve un nombre qui ne s’écarte du rapport, donné plus tard plus exactement, que sur le huitième chiffre.

Le rapport de cent treize à trois cent cinquante-cinq , a la propriété, comme on l’a démontré depuis, d’être le plus exact de tous ceux qui pourraient être exprimés par un aussi petit nombre de chiffres. Ce rapport a aussi cela de remarquable qu’on n’y voit figurer que les trois premiers nombres impairs 1, 3, 5, répétés chacun deux fois ; on peut donc facilement se le rappeler.

On ne sait pas par quels procédés Métius obtint le rapport qui porte son nom.

Dans les calculs destinés à déterminer plus exactement le rapport de la circonférence au diamètre, on s’est servi d’un principe qui peut être énoncé ainsi : la circonférence d’un cercle est plus grande que le contour de tout polygone inscrit, et plus petite que le contour du polygone circonscrit.

Les contours de ces deux genres de polygones ADCDEF et PQRSTV (fig. 2) peuvent être calculés en parties du rayon OC du cercle circonscrit au polygone intérieur, et en parties de ce même rayon, qui est, pour l’autre polygone, celui du cercle inscrit GHKLMN. Lorsque dans le calcul des développements rectilignes de deux polygones d’un même nombre de côtés en parties du rayon du même cercle, on trouve les mêmes résultats jusqu’à la dixième décimale, par exemple, on peut être assuré d’avoir exactement, jusqu’à cette même décimale, le rapport de la circonférence au diamètre du cercle, puisque ce rapport, répétons-le, doit être intermédiaire entre le rapport que fournit le développement du polygone circonscrit et celui du polygone inscrit, ou en prenant les lettres de la figure, le rapport de la circonférence GHKLMN au rayon OC est plus petit que le rapport du polygone PQRST à ce rayon OC, et plus grand que le rapport du polygone ABCDEF, toujours au même rayon OC.

Fig 2. — Démonstration du rapport de la circonférence au diamètre.

C’est en partant de ce principe que Viete, qui vivait vers la fin du XVIe siècle, exprima le rapport du diamètre à la circonférence avec la précision de onze décimales. Cette exactitude fut bientôt dépassée par le résultat des recherches d’Adrianus Romanus. Ce calculateur belge eut la patience de déterminer les contours de deux polygones, l’un inscrit et l’autre circonscrit à un cercle, et composés chacun de 1 073 741 824 côtés. Les longueurs de ces deux polygones, évaluées en parties du rayon du cercle, avaient seize décimales communes ; dès lors le rapport du diamètre à la circonférence pouvait être donné jusqu’à la précision d’une unité sur la seizième décimale.

Ludolph Van Ceulen, de Cologne, étendit la précision en suivant la même méthode jusqu’à la trente-sixième décimale.

Par des moyens de calcul plus abrégés, plus simples, mais reposant aussi implicitement sur la proposition que la longueur de la circonférence du cercle est toujours intermédiaire entre les longueurs des contours des polygones inscrits et circonscrits, on est arrivé à des degrés d’approximation surpassant beaucoup tout ce qu’on avait obtenu antérieurement. Lagny, par exemple, prenant le diamètre du cercle comme unité, détermina la longueur de la circonférence jusqu’à la cent vingt-huitième décimale.

Véga poussa l’approximation jusqu’à cent quarante et un chiffres.

Dans un manuscrit conservé à la bibliothèque Ratcliffe, d’Oxford, on trouve, dit-on, le rapport exprimé jusqu’à cent cinquante-cinq décimales.

Ces approximations n’ont aucune utilité pratique. Il n’est pas de cas dans les applications les plus abstruses de la science, où l’on soit obligé, à beaucoup près, d’aller aussi loin que les nombres de Lagny, de Véga et de la bibliothèque Ratcliffe permettraient de le faire. C’est ce que je vais démontrer, après avoir consigné ici le rapport en question, jusqu’à la cinquantième décimale. Le diamètre étant 1, la circonférence sera :

3, 141 592 653 589 793 238 462 643 383 279 582 884 197 169 399 375 105.

Il faut bien comprendre qu’en se contentant pour le rapport d’un certain nombre de décimales, celle à laquelle on s’arrête est trop faible et qu’en l’augmentant d’une unité, elle serait trop forte. En sorte que dans tous les cas, on obtiendra deux limites de longueur entre lesquelles la véritable circonférence sera toujours contenue. Ainsi le diamètre, étant 1, le nombre 3,1 donnera une circonférence trop petite ; 3,2 donnerait une circonférence trop grande ; 3,14 donnerait un résultat trop faible, et 3,15 serait trop grand ; 3,141 donnerait une longueur de circonférence trop faible, mais 3,142 serait un résultat trop grand, et ainsi de suite.

Cela posé, voyons avec quel degré d’approximation il serait possible de calculer, en s’aidant de tous ces chiffres, la circonférence d’un cercle ayant pour rayon la distance moyenne de la terre au soleil. Cette distance est de 38 millions de lieues, ou 152 billions de mètres ; le diamètre du cercle est donc de 304 billions de mètres.

Une unité d’erreur sur la première décimale du rapport de la circonférence au diamètre, produirait sur la circonférence une erreur égale au dixième du diamètre, ou de 30 billions de mètres. Une unité d’erreur sur la seconde décimale, produirait une erreur de sur la circonférence, ou de 3 billions de mètres. Une erreur d’une unité sur la troisième décimale, donnerait une erreur de de diamètre, ou de 300 millions de mètres sur la circonférence. En continuant ainsi, on verrait qu’une unité d’erreur sur la sixième décimale engendrerait une erreur de un millionième, ou de 300 000 mètres sur la circonférence.

En supposant l’erreur d’une unité sur le neuvième chiffre, l’erreur résultante sur la circonférence serait un billionième, ou de 300 mètres seulement.

Une erreur d’une unité sur le douzième chiffre conduirait sur la circonférence à une erreur égale à un trillionième ou à 3 dixièmes de mètre.

Une erreur d’une unité sur la quinzième décimale, correspondrait sur la circonférence à une erreur de 3 dixièmes de millimètre.

En prenant dix-huit décimales dans le rapport en question, une unité d’erreur produirait sur la circonférence une erreur de 3 dix-millièmes de millimètre ou beaucoup moins que l’épaisseur d’un cheveu.

Nous nous sommes arrêtés dans ces raisonnements à la dix-huitième décimale. On peut concevoir à quelles erreurs inconcevablement petites on serait exposé malgré l’immense contour de la circonférence en question, si l’on voulait déduire l’étendue de cette circonférence des rapports connus.

Ainsi, au point de vue de l’exactitude, on ne gagnerait rien par la connaissance d’un rapport exact entre le diamètre et la circonférence. On voit par là combien se trompent ceux qui s’imaginent que les sciences changeraient d’aspect et que leurs applications gagneraient beaucoup par la découverte d’un tel rapport, s’il existait.

Les personnes peu familiarisées avec les conceptions mathématiques, conçoivent difficilement qu’en multipliant indéfiniment les divisions, on ne doive pas arriver à une quantité qui sera contenue un nombre exact de fois dans le diamètre et dans la circonférence ; c’est dire qu’elles ne croient point à l’existence de quantités incommensurables, ou de quantités qui n’ont aucune mesure commune, car c’est bien là le sens de l’expression incommensurable.

Mais qu’elles songent à un carré dont les côtés soient représentés par l’unité, la diagonale aura alors pour longueur, mathématiquement, le nombre qui, multiplié par lui-même, donne 2 pour produit. Ce nombre n’est évidemment pas entier, puisque 1 multiplié par 1 donne pour produit 1, et que le nombre suivant entier 2 multiplié par lui-même, donne déjà pour produit 4. Or, quelle que soit l’étendue qu’on donne à la fraction qui accompagnera 1, le produit de ce nombre fractionnaire ne sera jamais 2, mais on approchera aussi près qu’on voudra.

Lorsqu’on a un exemple si simple et si vulgaire d’incommensurabilité, quelle raison peut-on produire pour refuser de croire que le diamètre d’un cercle et sa circonférence sont dans le même cas.

L’existence de cette incommensurabilité a été établie par Lambert, et ensuite par Legendre, à l’aide d’une démonstration mathématique, qui est trop compliquée pour qu’il me soit possible d’en donner ici une idée, même superficielle.