Astronomie populaire (Arago)/Avertissement

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. i-vi).

AVERTISSEMENT

DE L’AUTEUR

La mode des discours préliminaires est devenue tellement générale qu’il y aura de ma part une sorte de hardiesse à m’en affranchir, à commencer cet ouvrage, tout prosaïquement, par le commencement. Ma détermination est cependant très-facile à justifier : je ne crois pas devoir, au début, adopter une tonique qu’il me faudrait inévitablement laisser aussitôt que j’entrerai en matière. Je ne pense pas, d’ailleurs, que l’astronomie ait besoin de recourir à des ornements étrangers : la rigueur, la clarté des méthodes d’investigation dont elle fait usage, la magnificence et l’utilité des résultats, voilà ses vrais titres à l’attention des lecteurs éclairés. En semblable matière, des chiffres nets, précis, incontestables, seront plus saisissants que tout ce qu’il serait possible d’emprunter aux formes du langage.

Pourquoi, m’ont dit des amis à qui je faisais part de mon projet, ne pas présenter tout d’abord un aperçu historique des progrès de l’astronomie depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque ? J’ai répondu : « Pour qui veut être clair et compris, cette idée n’est pas réalisable dans le préambule d’un traité d’astronomie. Comment parler de précession des équinoxes, de parallaxes, de perturbations, à des personnes qui sont censées ne pas connaître la véritable signification de ces expressions techniques ? L’histoire partielle de chaque question scientifique trouvera sa place à la suite des divers chapitres consacrés à l’exposition des magnifiques phénomènes de la voûte étoilée et à la démonstration des lois qui règlent le mouvement des corps répandus dans l’espace.

Les livres, depuis que les livres existent, se composent d’une préface, d’une table des matières et du corps de l’ouvrage. Dans la préface l’écrivain se fait pour ainsi dire connaître. Il expose les motifs qui l’ont dirigé, signale sa méthode, son but ; il énumère ses titres à la confiance. La table des matières renferme l’indication détaillée de toutes les questions que l’auteur a soulevées, abordées, discutées, des résultats auxquels il est arrivé. La préface et la table des matières doivent donc d’abord attirer et attirent en effet l’attention des lecteurs de tout ouvrage nouveau, excitent en première ligne la curiosité.

La préface de ce traité n’exige selon moi que quelques lignes. La table, au contraire, occupera une grande étendue ; mais aussi j’ai à faire passer successivement sous les yeux du lecteur, du moins par leur énoncé, les plus sublimes phénomènes du monde physique.

A part quelques additions rendues nécessaires par les progrès incessants de la science, l’ouvrage élémentaire que je donne aujourd’hui au public sous le titre d’Astronomie populaire, est la reproduction à peu près textuelle du Cours que j’ai fait à l’Observatoire pendant dix-huit années consécutives ; et comme je viens de dire qu’il est élémentaire, je dois expliquer le sens précis que j’attache à cette expression.

Il existe des traités dans lesquels leurs auteurs ont réuni tout ce que l’astronomie offre de plus simple, par exemple : notions sur le lever et le coucher des astres, sur l’inégale durée des jours solaires et leur influence sur les températures diverses qu’on éprouve dans différentes saisons, sur les éclipses de soleil et de lune, etc., etc. ; mais de telles notions sont loin de composer la science astronomique ; je me suis proposé d’embrasser, dans ma publication, la science tout entière ; mon livre sera complet, quant au but ; il ne sera élémentaire que par le choix des méthodes.

En publiant son élégant ouvrage sur les mondes, Fontenelle écrivait : « Je ne demande à mes lecteurs que la mesure d’intelligence qui est nécessaire pour comprendre le roman d’Astrée, et en apprécier toutes les beautés. » Je serai un peu plus exigeant, mais aussi je ne me bornerai pas, comme l’ancien secrétaire de l’Académie des sciences, à développer les théories plus ou moins plausibles qui ont trait à l’habitabilité des diverses planètes et de notre satellite ; j’aborderai les questions les plus délicates de la science. Pour atteindre ce but, j’aurai besoin de plusieurs définitions et théorèmes de géométrie, d’optique et de mécanique, dont l’énoncé, et même quelquefois la démonstration précéderont les développements de l’astronomie proprement dite. Ces théorèmes, très-simples, composent à vrai dire la géométrie, l’optique et la mécanique du sens commun. Je prie le lecteur de me pardonner l’aridité de ce début ; j’ose lui assurer qu’après qu’il se sera rendu maître de ces notions préliminaires, le reste de l’ouvrage ne lui offrira aucune difficulté. J’aurais pu, à toute rigueur, ne développer ces vérités que dans le cours du livre, au fur et à mesure des besoins, mais la marche que j’ai suivie me semble devoir être plus claire, et c’est pour cela que je l’ai adoptée. Au reste, des renvois à ces divers théorèmes ou définitions permettront à ceux qui le jugeraient préférable, de suivre cette dernière méthode.

On raconte que pour prémunir les voyageurs contre l’ennui et le découragement qui souvent s’emparent d’eux dans la traversée des déserts sablonneux et brûlants de l’Afrique, les chefs des caravanes ne manquent jamais de leur dépeindre à l’avance les merveilles, les délices de l’oasis. Ainsi n’ai-je pas cru devoir faire ; mais j’ai cherché à enlever aux considérations techniques, sans lesquelles la marche du lecteur n’aurait rien d’assuré, tout ce qu’elles peuvent présenter de trop ardu dans la forme, en m’attachant cependant à leur laisser la plus entière exactitude. D’ailleurs, les méthodes astronomiques, vues en elles-mêmes, indépendamment des résultats merveilleux qu’elles ont donnés, sont très-dignes d’intérêt, dût-on les considérer seulement comme un exercice destiné à familiariser l’esprit avec la rigueur des déductions, et à le dispenser de l’étude des règles empiriques de la logique.

Il est de prétendues sciences qui perdraient presque tout leur prestige si on y faisait pénétrer la lumière. L’astronomie n’a rien à redouter de pareil. Quelque clarté que l’on répande sur les méthodes et les démonstrations, on n’aura pas à craindre que personne s’écrie : Ce n’est que cela ! l’immensité des résultats préviendra toujours une semblable exclamation. Je rechercherai donc tous les moyens d’être compris. Copernic disait, en 1543, dans son livre Des Révolutions : « Je rendrai mon système plus clair que le soleil, du moins pour ceux qui ne sont pas étrangers aux mathématiques. » Quant à moi, je trouve la restriction superflue ; je crois à la possibilité d’établir avec une entière évidence la vérité des théories astronomiques modernes, sans recourir à d’autres connaissances que celles qu’on peut acquérir à l’aide d’une lecture attentive de quelques pages. Je maintiens qu’il est possible d’exposer utilement l’astronomie, sans l’amoindrir, j’ai presque dit sans la dégrader, de manière à rendre ses plus hautes conceptions accessibles aux personnes presque étrangères aux mathématiques.

L’Annuaire du Bureau des Longitudes renferme plusieurs chapitres de mon ouvrage, que je n’y ai d’ailleurs insérés qu’en prévenant le lecteur qu’ils étaient extraits de mon Traité d’Astronomie populaire ; je les ai repris en y apportant seulement quelques modifications et développements. Fontenelle, que je cite pour la seconde fois, ne disait-il pas, en parlant d’un auteur qui reproduisait en propres termes des pages tout entières de ses anciens écrits : « À quoi bon changer de tours et d’expressions, quand on ne change pas de pensées ? »

Je n’ai pas tardé à m’apercevoir que ma détermination de placer l’historique de chaque question après l’exposition des faits servant de base aux solutions que j’adopte, rendait inévitables un grand nombre de répétitions ; mais cet inconvénient ne m’a pas arrêté, car les répétitions, sagement combinées, sont en matière de science un très-bon moyen d’éclaircir ce qui, de prime abord, avait paru douteux ; et la clarté est, selon moi, la politesse de ceux qui, voulant enseigner, s’adressent au public.

Je me suis, de plus, attaché à faire connaître les vrais auteurs des découvertes astronomiques que j’avais à mentionner ; et j’ai toujours scrupuleusement indiqué les traités de mes prédécesseurs où j’ai puisé des modes d’exposition à l’aide desquels je pouvais donner une forme élémentaire aux théories qui semblaient jusque-là exiger l’emploi de calculs difficiles et minutieux.

Si les auteurs de quelques traités récents avaient procédé avec la même justice, je n’aurais pas à faire remarquer que plusieurs démonstrations qu’ils présentent comme leur appartenant avaient été déjà exposées dans mes cours, auxquels ils ont souvent assisté. Mais ce n’est pas ici le lieu d’examiner la question de savoir s’il leur était permis de s’approprier mes leçons ; j’ai voulu seulement, en écrivant ce paragraphe, mettre le lecteur en garde contre des ressemblances, qui me feraient peut-être considérer comme un simple emprunteur, tandis que mon rôle véritable a été celui de prêteur.

Les historiens et les archéologues, tous les membres enfin de l’Académie des inscriptions, ne manquent pas de signaler, de reconnaître le travail ou la bonne fortune de ceux de leurs confrères qui ont été chercher des faits intéressants dans un livre perdu, caché sous la poussière de nos bibliothèques. Il n’en est pas de même dans le domaine de la science. Les faiseurs de livres en ce genre (en anglais Bookmakers) trouvent tout naturel de prendre à leur compte les travaux et les découvertes d’autrui ; les choses en sont même arrivées à ce point que le savant qui n’a pas fait mystère du fruit de ses labeurs court le risque de passer pour un plagiaire, de se voir confondu avec tels écrivains, que je pourrais nommer, qui n’ont composé leurs ouvrages qu’à l’aide de leurs souvenirs et d’une paire de ciseaux. Loin, bien loin d’envier les profits matériels d’une pareille industrie, je la dénonce, et je déclare que ceux-là qui l’exercent n’ont pas le moindre droit au titre de savant, au titre même d’érudit.

Galilée, déjà aveugle depuis quelque temps, écrivait, en 1660, que se servir des yeux et de la main d’un autre, c’était presque comme jouer aux échecs les yeux bandés ou fermés. Pour moi, dans l’état de santé où je me trouve au moment où je dicte ces dernières lignes, ne voyant plus, n’ayant que quelques jours à vivre encore, je ne puis que confier à des mains amies, actives et dévouées, une œuvre dont il ne me sera pas donné de surveiller la publication.