Association de Demi-Vierges Vol.I/V

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V


Le cabinet de travail de l’abbé était une vaste pièce, garnie de toutes sortes de meubles bizarres, disséminés de ci, de là, dans un apparent désordre, ne choquant en rien l’harmonie de l’ensemble.

Il s’assit devant son bureau, tandis que Miss s’emparait d’une large chaise rembourrée, et que Balbyne, toujours nue, demeurait debout. L’abbé dit :

— Je vous remercie, ma chère Blettown, de cette perle que vous nous amenez et qui nous fera le plus grand honneur. Elle est digne d’être prêtresse du temple. Je suis très satisfait, très content de la façon dont elle a supporté la légère épreuve de connaître l’homme et de la confiance quelle me témoigne en ne pas s’étonnant de ma liberté à la conduire ici dans sa nudité ; je la félicite par la même occasion de sa patience à attendre mes instructions et mes décisions. Dans tout ce que nous accomplissons, ma belle mignonne, vous le comprenez, il faut une certaine discipline, discipline qui ne pèse sur aucune volonté, sans quoi on ne limiterait pas les extases recherchées. Donc, vous sollicitez bien de votre plein gré à entrer dans notre association, et vous le sollicitez en toute conscience de vos devoirs et du lien que vous contractez ?

— J’ai supplié Miss de m’ouvrir la porte du tabernacle.

— La porte du tabernacle est ici et c’est moi qui l’ouvre. Miss vous a écouté et je viens de l’en remercier. Le tabernacle s’ouvrant, vous devez appartenir à un groupe de votre quartier, qui vous instruira à nos usages et vous préparera à briller dans les lumières de notre association. Votre beauté, votre situation de famille, votre fortune, tout vous favorisera parmi nous.

— Je sais que j’ai à être utile à l’œuvre du temple et je le serai de ma personne et de mes moyens.

— Très bien, très bien, vos réponses sont précises. Dès aujourd’hui, vous êtes postulante priekeuse, jusqu’au jour de votre baptême. Par ce titre, vous appartenez aux frères priekeurs du monde, qui peuvent vous rencontrer, comme ils vous appartiennent. Vous vous reconnaîtrez à un signe distinctif qui, pour cette année, est le suivant : tout cavalier porte au dessous de la cravate un bouton de chemise en forme de V qui signifie : « Voulez-vous ? » Toute demoiselle qui veut prieker, porte au corsage un bleuet, un petit bijou, barré d’un A qui signifie : « À vous ». Je vous remettrai cet insigne, que vous arborerez aux réunions mondaines ou en vous rendant à votre groupe, et qui permet pour l’un et l’autre sexe d’échapper aux embarras préliminaires d’un désir à satisfaire. Le cavalier, vous désirant en priekage, en passant près de vous, pose discrètement un pouce sur votre bras. Vous répondez en touchant le bleuet avec le petit doigt. Comprenez-vous et acceptez-vous ?

— Parfaitement.

— L’âge et la position ne sont pas pour vous arrêter. Du reste, vous n’avez nulle inquiétude à concevoir. Le silence le plus absolu sur ce qui se passe est la règle de l’Association et le recrutement ne s’opère que parmi des gens d’éducation offrant toutes les garanties. Approchez, mon enfant, que je vous examine encore. Elle se plaça tout près devant lui, il la pelota sur tout le corps et dit :

— Vous êtes fille d’élite, je le répète, vous aurez de grands succès. Vous êtes maîtresse de votre personne. Il vous revient de la garder contre les entraînements que nous prescrivons. Agenouillez-vous et prêtez-moi serment de ne jamais rien révéler de ce que vous verrez et des rites que vous apprendrez. Si vous violiez ce secret, je ne vous le cache pas, les pires dangers vous menaceraient et le moindre serait votre déshonneur. Vous jugez bien qu’il est nécessaire que nous nous préservions contre toute fâcheuse éventualité.

— Je ne révélerai jamais rien.

— Elle s’agenouilla et répéta les paroles que lui dicta le prêtre.

— Je jure de mourir plutôt que de parler à qui que ce soit de la société de priekage à laquelle je m’associe, en toute indépendance de cœur et d’esprit, et dont je ferai partie jusqu’au jour de mon mariage. Ni mon mari, ni même un amant si jamais j’en prenais un, ni personne au monde ne connaîtront ce qu’il en est, et je signe mon engagement, appuyant ce serment, en parfaite quiétude d’esprit.

Le serment prononcé, l’abbé sortit d’un tiroir une feuille de papier le reproduisant et mentionnant les noms et qualité de la postulante, que Balbyne signa sans un tremblement de main.

L’acte signé et enfermé dans le tiroir, l’abbé reprit :

— Nous sommes certains de votre bonne foi, mon enfant, et vous pouvez dormir en paix. Jamais il ne sera fait usage contre vous de cet engagement et on vous le rendra le jour même de votre mariage, où vous cesserez d’être des nôtres. Votre passage parmi nous garantira votre silence et vous n’aurez plus qu’à vous ignorer.

Miss Blettown assistait en spectatrice muette à la scène : elle aida son élève à se revêtir et l’abbé Tisse ayant remis le bleuet, elles partirent après avoir versé cent francs pour la caisse sociale et avoir pris l’adresse du groupe où, dès le lendemain, dans l’après-midi, Balbyne irait s’incorporer pour suivre les périodes d’initiation.