Asie Anglaise : Le recensement de la population. — La réorganisation de la frontière du Nord-Ouest. — Les chemins de fer de Birmanie

ASIE ANGLAISE

Le recensement de la population.

recensement qui vient d’être opéré montre que les sujets de l’Angleterre dans l’Empire des Indes sont maintenant au nombre de 294 millions, en augmentation de près de 7 millions sur les chiffres du dernier recensement décennal. Sur ce nombre, les états indigènes figurent pour 66 millions d’habitants. La Birmanie en compte 10 millions et demi, y compris les pays Chans.

L’augmentation aurait été bien plus forte si la famine n’était venue ravager une partie de l’Inde, surtout les États indigènes. La population de quelques-uns de ces derniers a diminué de 17 à 18 %, par exemple celle du Radjpoutana.

Dans tous les districts où les Anglo-Indiens ont fait de sérieux travaux d’irrigation qui ont permis de remédier à la sécheresse, cause de la famine, la population a augmenté.

Le vice-roi, lord Curzon, parlant devant son Conseil législatif, a déclaré que l’étendue des terres cultivées augmentait sans cesse. Elles ont, en effet, passé de 194.000.000 d’acres en 1880 à 215.000.000 en 1900.

La réorganisation de la frontière du Nord-Ouest.

On vient de publier à Londres un Livre Bleu contenant les documents relatifs à l’administration de la frontière du Nord-Ouest, depuis 1897. A cette date, en effet, le gouvernement britannique, qui venait de terminer toute une série de guerres, commencées après le traité Durand de 1893 — par lequel avait été fixée la frontière afghane — contre les tribus Pthanes de la Montagne, a cherché une manière rationnelle et économique d’administrer ce territoire. Jusque-là ce dernier avait relevé de l’administration du Pendjab qui, obligée de se consacrer à une grande province, ne s’occupait pas spécialement du rôle de diplomatie indigène qu’elle avait à jouer dans la difficile zone frontière. Depuis très longtemps on proposait de confier cette zone à une administration spéciale ; la plupart des vice-rois de l’Inde l’avaient demandé : il était réservé à l’actif vice-roi actuel de régler cette question. À l’avenir, un commissariat spécial aura l’administration des territoires des belliqueuses tribus du Nord-Ouest. Son ressort comprendra les districts de Peichawer, Kohal-Bamou, Déra-Ismail Khan, Dir, Swat, Tehitral, Khaibar, Kourram, Tochi, Wana.

Au point de vue militaire, le système adopté doit être le suivant : on évitera d'enfermer des troupes régulières dans des postes isolés et coûteux ; — il faut se rappeler, en effet, la peine qu’ont eue les Anglais à débloquer, pendant les dernières guerres, certaines garnisons, entre autres celles de Tchitral. Pour remplacer ces troupes, on se servira de forces levées sur place, soit de simples contingents des tribus qui recevraient un subside, soit des milices organisées sous la direction d’officiers anglais. Les troupes régulières seront concentrées sur les vraies lignes de défense. Étant moins mêlées aux indigènes, leur présence risquera moins d’irriter les tribus, portées du reste à la fidélité par les subsides dont nous venons de parler. D’ailleurs, pour aider les levées locales, des colonnes mobiles seront toujours tenues prêtes sur certains points choisis : à Malakand pour le Tchitral ; à Peïchawer pour le Khaïbar ; à Miranzaï pour la chaîne de Samana et la vallée de Kourram.

Dans ces conditions, les troupes régulières devront être retirées de Lundi Kotal, de Tchitral, de Samana, de la vallée de Kourram. Outre les avantages politiques, il en résultera une sérieuse économie.

Déjà, dans ces derniers temps, des troupes ont été levées parmi les Pathans de la montagne : deux bataillons de tirailleurs de Khaibar ; un bataillon d’Afridis-Orakzai dans le Samana ; deux balaillons pour la milice du Kourram ; deux bataillons de la milice du Waziristan.

Ce projet faisait partie de l’ensemble des préoccupations impériales que lord Curzon a apportées dans l’Inde, dont il veut faire la base de plus en plus puissante de la politique asiatique de l’Angleterre.

Les chemins de fer de Birmanie.

Un grand travail d’art, dont l’absence retardait beaucoup la construction de la ligne de Mandalay à Kunlong-Ferry, sur la frontière de Chine, le viaduc de Gokteik, à 127 kilomètres de Myohaung, la station d’embranchement voisine de Mandalay, vient d’être achevé. On espère que la facilité qui va en résulter pour la poursuite des travaux permettra d’ouvrir bientôt la ligne jusqu’à Thibaw, la principale ville des Etats-Chans du Nord, à 240 kilomètres de Mandalay, sinon jusqu’à Lasho, un peu plus loin (Kunlong-Ferry est à 48 kilomètres de Mandalay). Cependant, à en croire le correspondant du Times à Rangoun, l’administration des chemins de fer ne serait pas très pressée de continuer le chemin de fer jusqu’à Kunlong-Ferry, parce que lon ne peut pas espérer un trafic rémunérateur : « Jusqu’à Lasho, dit-il, on peut compter sur un trafic qui ira en augmentant annuellement, mais il est néanmoins fort douteux que cette partie de la ligne, qui a coûté très cher, rapporte jamais assez, pendant la durée des prochaines générations, pour payer même les frais d’exploitation. De Lasho à Kunlong-Ferry il y a peu ou pas d’espoir d’un trafic appréciable, soit en voyageurs, soit en marchandises. Aussi ne semble-t-il y avoir aucune raison pour qu’une entreprise commerciale comme la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie pousse la ligne plus loin que Thibaw ou Lasho ; à moins, évidemment, qu’on puisse montrer que le commerce de la partie du Yunnan qui serait drainée par un chemin de fer de Kunlong-Ferry à Chun-ning et à Tali-fou doive être suffisant pour donner une perspective de bénéfices proportionnés aux énormes dépenses à faire. Autant qu’on peut en juger par les récents rapports de nos officiers consulaires, et par l’excellent rapport sur les possibilités commerciales de la Chine méridionale, rédigé par M. Bourne pour la Chambre de commerce de Blackburn, un chemin de fer pénétrant dans le Yunnan par les États-Chans ne paierait pas pendant de longues années.

« Aussi la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie a-t-elle, dans ces derniers temps, dépensé ailleurs ses efforts ; certes, le viaduc de Gokteik est achevé et on construit la ligne des pays Chans sur la moitié de la longueur d’abord projetée ; mais les projets de chemins de fer de frontière ou de transfrontière paraissent avoir été abandonnés. tandis que l’on travaille aux lignes reliant les ports de Bassein et de Moulmein avec Rangoun, la première ne devant pas tarder à être achevée, et la seconde étant tracée. L’une et l’autre seront certainement rémunératrices pour la compagnie et avantageuses pour le public. »

Cette lettre du correspondant du Times est intéressante : la politique anglaise de pénétration en Chine par la Birmanie serait donc moins avancée et surtout moins décidée qu’on l’imagine généralement. Il ne faudrait cependant pas s’y fier et profiter de ces apparences rassurantes pour ne pas pousser avec toute l’énergie désirable la construction de notre ligne du Yunnan. Ce qu’une entreprise commerciale, telle que la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie, pour parler comme le correspondant du Times, peut ne pas vouloir entreprendre, le gouvernement de l’Inde peut fort bien le réaliser — à titre d’œuvre impériale — plus ou moins directement. Sans doute, les difficultés et les dépenses sont énormes et le trafic doit être nul, mais on sait que ce ne sont pas des raisons pour que l’impérialisme britannique recule nécessairement. Nous ne saurions donc nous imaginer que nous avons devant nous un délai illimité pour assurer notre position dans l’arrière-pays du Tonkin. D’ailleurs, le correspondant du Times le fait observer lui-même, le gros œuvre du viaduc de Gokteik a été établi de manière à pouvoir porter une double voie. Cela n’indique pas que les Anglais aient complètement renoncé à y faire passer mieux qu’une petite ligne s’arrêtant bien avant d’atteindre la frontière.

Il est à remarquer que la formidable poussée industrielle des États-Unis vient de se manifester une fois de plus à l’occasion de la construction du viaduc de Gokteik. Comme le pont de l’Atbara au Soudan et plusieurs ouvrages d’art de la ligne de l’Ouganda, le viaduc de Gokteik a été confié à des entrepreneurs américains. La concurrence était impossible pour les Anglais : la Steel Philadelphia Company a souscrit à 20 liv. st. la tonne, tandis les meilleurs souscripteurs anglais demandaient presque deux fois ce prix.