Artevelde (Verhaeren)

PoèmesSociété du Mercure de France (p. 49-50).
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ARTEVELDE


La mort grande, du fond des sonnantes armoires
De l’orgue, érige, en voix de gloire immensément,
Vers les voûtes, le nom du vieux Ruwaert flamand
Dont chaque anniversaire exalte les mémoires.

Superbe allumeur d’or parmi les incendies,
Les carnages, les révoltes, les désespoirs,
Le peuple a ramassé sa légende, les soirs,
À la veillée, et la célèbre en recordies.

Avec un nœud d’éclairs il les tenait, ses Flandres,
Un nœud de volonté — son poing comme un beffroi

Debout dans la colère aimantait de l’effroi
Et s’abattait, et les cages devenaient cendres.

Les rois, il les prostrait devant son attitude,
Impérieux, ayant derrière lui, là-bas,
Et le peuple des cœurs et le peuple des bras
Tendus ! Il était fort comme une multitude.

Et son âme voyait son âme et ses pensées
Survivre et s’allumer par au delà son temps,
Torche première ! et vers les avenirs flottants
Tordre ses feux, ainsi que des mains convulsées.

Il se sentait miraculeux. Toute sa tête
S’imposait à l’obstacle. Il le cassa sous lui,
Jusqu’au jour où la mort enlinceula de nuit
Son front silencieux de force et de tempête.

Un soir, il disparut tué comme un roi rouge.
En pleine ville ardente et révoltée, un soir.