Arrêt du Conseil d’État du roi du 30 août 1784

France. Conseil d'État.
(p. 1-10).


ARRÊT
DU CONSEIL D’ÉTAT
DU ROI,

Concernant le Commerce étranger dans les Iſles
Françoiſes de l’Amérique,


Du 30 Août 1784.


Extrait des Regiſtres du Conſeil d’État.


LE ROI, toujours occupé du ſoin de concilier l’accroiſſement des cultures de ſes colonies d’Amérique, avec l’extenſion du Commerce général de ſon Royaume, n’a jamais perdu de vue les moyens qui pouvoient contribuer à la proſpérité de ſes poſſeſſions au-delà des mers, ſans diminuer les avantages que la métropole devait retirer de ſes établiſſemens ; mais les principes à ſuivre pour parvenir à ce but, préſentoient des difficultés qui ne pouvoient être vaincues qu’à meſure que l’expérience auroit éclairé ſur les changemens à introduire dans cette partie importante de l’adminiſtration. Par le compte que Sa Majeſté s’eſt fait rendre de ceux qui ont eu lieu juſqu’à préſent, Elle a reconnu qu’il avoit été néceſſaire de tempérer ſucceſſivement la rigueur primitive des Lettres patentes du mois d’octobre 1727, dont les diſpoſitions écartent abſolument l’Étranger du Commerce de ſes Colonies ; & que pour maintenir dans un juſte équilibre des intérêts qui doivent ſe favoriſer mutuellement, il avoit fallu en différens temps apporter les modifications à la ſévérité des Règlemens prohibitifs. Conſidérant que les circonſtances actuelles ſollicitent de nouveaux adouciſſemens, Elle a jugé qu’en les accordant, il convenoit encore de multiplier les Ports d’entrepôt dans les Iſles françoiſes du Vent & ſous le Vent, d’en rectifier le choix, & de les ouvrir dans des lieux où ils fuſſent ſous la main du Gouvernement & ſous l’inſpection du Commerce national, afin de prévenir l’abus d’une contrebande deſtructive, ou de le réprimer avec d’autant plus de ſévérité, que Sa Majeſté ayant pourvu aux beſoins de ſes Colonies, les infracteurs de ſes loix en deviendroient plus inexcuſables. À quoi voulant pourvoir : Ouï le rapport ; Le Roi étant en son Conseil, Sa Majeſté a ordonné & ordonne ce qui ſuit :


ARTICLE PREMIER.

L’entrepôt ci-devant aſſigné au carénage de Sainte-Lucie, fera maintenu pour ladite Iſle ſeulement, & il en ſera établi trois nouveaux aux Iſles du Vent ; ſavoir, un à Saint-Pierre pour la Martinique, un à la Pointe-à-Pitre pour la Guadeloupe & dépendances, un à Scarboroug pour Tabago. Il en ſera pareillement ouvert trois pour Saint-Domingue, ſavoir, un au Cap François, un au Port-au-Prince, un aux Cayes Saint-Louis : celui qui exiſte au Mole Saint-Nicolas dans la même Colonie, ſera & demeurera ſupprimé.

II.

Permet Sa Majeſté, par proviſion & juſqu’à ce qu’il lui plaiſe d’en ordonner autrement, aux Navires étrangers, du port de ſoixante tonneaux au moins, uniquement chargés de bois de toute eſpèce, même de bois de teinture, de charbon de terre, d’animaux & beſtiaux vivans de toute nature, de ſalaiſons de bœufs de & non de porcs, de morue & poiſſon ſalés, de riz, maïs, légumes, de cuirs verds en poil ou tannés, de pelleteries, de réſines & goudron, d’aller dans les ſeuls Ports d’entrepôt déſignés par l’article précédent, & d’y décharger & commercer leſdites marchandiſes.


III.

Il ſera permis aux Navires étrangers qui iront dans les Ports d’entrepôt, ſoit pour y porter les marchandiſes permiſes par l’article II, ſoit à vide, d’y charger pour l’Étranger, uniquement des ſirops & taffias, & des marchandiſes venues de France.


IV.

Toutes les marchandiſes dont l’importation & l’exportation ſont permiſes à l’Étranger dans leſdits Ports d’entrepôt, ſeront ſoumiſes aux droits locaux, établis ou à établir dans chaque Colonie, & payeront en outre Un pour cent de leur valeur.


V.

Indépendamment du droit d’Un pour cent, porté en l’article ci-deſſus, les bœufs ſalés, la morue & le poiſſon ſalés, payeront Trois livres par quintal ; & ſera le produit dudit droit de Trois livres, converti en Primes d’encouragement pour l’introduction de la morue & du poiſſon ſalés, provenans de la pêche françoiſe.


VI.

Les chairs ſalées étrangères qui ſeront introduites dans les Colonies par des Bâtimens françois, expédiés directement des Ports du Royaume, ne ſeront point aſſujetties au payement des droits mentionnés dans les deux articles précédens.


VII.

Il ſera établi dans chaque Port d’entrepôt un nombre ſuffiſant de Commis, pour veiller à ce qu’il ne ſoit introduit ni exporté d’autres marchandiſes que celles qui ſont ſpécifiées dans les articles II & III du préſent arrêt ; & afin qu’il ne reſte aucun ſoupçon d’inexactitude dans cette ſurveillance, autoriſe Sa Majeſté les Négocians françois réſidans dans chacun deſdits Ports d’entrepôt, ainſi que les Capitaines de Navires qui pourront s’y trouver, à nommer reſpectivement entr’eux des Commiſſaires, leſquels ſeront chargés de dénoncer les négligences ou abus qu’ils pourroient reconnoître, & aſſiſteront, lorſqu’ils l’eſtimeront convenable, à toutes les viſites qui auront lieu, ſoit à l’arrivée, ſoit au départ des Navires étrangers.


VIII.

Les Capitaines deſdits Navires étrangers, qui iront dans les Ports d’entrepôt, ſeront tenus, ſous peine de confiſcation deſdits Navires & de leurs cargaiſons, & de mille livres d’amende, de ſe ſignaler au large, & d’avertir dans l’inſtant de leur arrivée, pour qu’il ſoit ſur le champ envoyé deux Commis, & autant que faire ſe pourra, une garde à leur bord, à l’effet d’empêcher qu’il ne ſoit rien déchargé avant la viſite. Si leſdits Capitaines arrivent le matin, ils feront dans le jour, & s’ils arrivent le ſoir, au plus tard dans la matinée du lendemain, une déclaration exacte, tant au bureau de Sa Majeſté qu’au greffe de l’Amirauté où ils rempliront d’ailleurs toutes formalités d’ordonnance, de l’eſpèce & de la quantité des marchandiſes dont les chargemens ſeront composés ; repréſenteront leurs connoiſſemens & charte-parties, & ne pourront procéder au déchargement que ſur le congé ou permis du Bureau, en préſence de deux Commis qui viſiteront les marchandiſes, & dreſſeront procès-verbal de leur aſſiſtance audit déchargement. Lorſque leſdits Navires s’expédieront en retour, il ne pourra être fait aucun chargement ſans une pareille déclaration, ſans la préſence d’un nombre égal de Commis, ſans un ſemblable procès-verbal d’aſſiſtance audit chargement, & ſans un permis du Bureau pour le départ du Bâtiment.


IX.

Si lors de la viſite, avant, pendant ou après le chargement ou déchargement, il ſe trouvoit ſur les Navires étrangers, venus dans les Ports d’entrepôt, ou partant deſdits Ports, d’autres marchandiſes que celles dont l’importation & l’exportation ſont permiſes par les articles II & III, les Commis en dreſſeront procès-verbal, & le remettront ſur le champ au greffe de l’Amirauté, pour être, à la diligence du Procureur de Sa Majeſté, procédé par les Officiers dudit ſiége, à la ſaiſie des Navires & de leur chargement, dont la confiſcation ſera prononcée, avec amende de mille livres, ſauf l’appel au Conſeil ou autre Tribunal ſupérieur du reſſort.


X.

Les Armateurs françois, ſoit du Royaume, ſoit des Iſles & Colonies françoiſes, qui voudront concourir à l’importation des marchandiſes étrangères, permiſes par l’article II, comme auſſi à l’exportation dans les Ports étrangers, des marchandiſes pareillement permiſes par l’article III, ſeront ſoumis aux mêmes précautions, aux mêmes formalités & viſites qui ſont ordonnées pour les Navires étrangers ; ſubiront les mêmes peines, en cas de contravention, & ſupporteront les mêmes droits, à l’exception ſeulement du droit d’Un pour cent, fixé par l’article IV, dont ils ſeront diſpenſés.


XI.

Tous Capitaines & Patrons de Bâtimens françois, armés, ſoit dans les Ports du royaume, ſoit dans ceux des Colonies françoiſes, qui voudroient s’expédier eſdites Colonies pour aller aux mers de l’Amérique, même à Saint-Pierre & Miquelon, ne pourront partir que d’un des Ports d’entrepôt, ſous peine de confiſcation des Bâtimens & de leurs cargaiſons, & de mille livres d’amende. Leſdits Capitaines & Patrons, ſeront tenus de prendre, ainſi qu’il eſt d’uſage, la permiſſion limitée du Gouverneur & de l’Intendant, & le paſſeport de l’Amiral, qui ſeront enregiſtrés au greffe de l’Amirauté ; ils fourniront, en outre, toutes les déclarations, & ſubiront toutes les viſites néceſſaires pour conſtater l’état de leurs chargemens, leſquels ne pourront conſiſter qu’en ſirops, taffias & marchandiſes venues de France, ainſi & de la même manière que s’ils étoient étrangers.


XII.

Les expéditions vers des Ports étrangers, ne ſeront délivrées que pour ceux où Sa Majeſté entretient des Conſuls, Vice-conſuls ou Agens, auxquels elles ſeront préſentées, tant à l’arrivée qu’au départ, pour être par eux viſées, & par les Capitaines exhibées au retour, ſoit en France ou dans les Colonies.


XIII.

Les Bâtimens françois qui ſeront partis d’un des Ports d’entrepôt, pour aller aux mers de l’Amérique, même à Saint-Pierre & Miquelon, comme auſſi ceux qui étant expédiés des Ports du royaume, auront touché à un Port étranger, ou même auxdites Iſles de Saint-Pierre & Miquelon, ne pourront, ſous pareilles peines de confiſcation des Bâtimens & de leurs cargaiſons, enſemble de mille livres d’amende, rentrer ou entrer dans les IſLes & Colonies françoiſes, que par l’un des Ports d’entrepôt, à l’effet d’y ſubir les viſites & inſpections auxquelles ſont aſſujettis les Bâtimens étrangers. Ils ſeront tenus aux mêmes déclarations & formalités, & ne pourront introduire que les mêmes marchandiſes dont l’importation eſt permiſe. Après leſdites viſites & inſpections pour leſquelles le déchargement aura toujours lieu, & dont il ſera délivré certificat aux Capitaines & Patrons par le Directeur du bureau de Sa Majeſté, il ſera libre auxdits Bâtimens de paſſer dans tel Port ou rade de la Colonie qu’ils jugeront à propos.


XIV.

Lesdits Bâtimens françois, expédiés ſoit des Iſles Françoiſes, ſoit des Ports du royaume, qui ayant touché à un Port étranger, ou à Saint-Pierre & Miquelon, entreront dans un des Ports d’entrepôt, ſeront tenus, ſous les mêmes peines de confiſcation & d’amende, d’arborer, à trois lieues au large, une flamme ou marque diſtinctive, telle quelle ſera indiquée par l’Amirauté, afin qu’au moment de leur arrivée il puiſſe être envoyé des Commis à bord par le Bureau de Sa Majeſté.


XV.

Veut Sa Majeſté, toujours ſous les mêmes peines, que les Bâtimens étrangers auxquels il a été permis pour un temps déterminé, d’introduire aux Iſles du Vent ſeulement, des cargaiſons de Noirs, dans les différens Ports d’Amirauté deſdites Iſles, ne puiſſent plus dorénavant les introduire pendant ledit temps, que dans les ports du Carénage, de Saint-Pierre, de la Pointe à Pitre & de Scarboroug uniquement ; dérogeant, quant à ce, à l’arrêt de ſon Conſeil du 28 juin 1783, lequel au ſurplus continuera d’être exécuté ſelon ſa forme & teneur.


XVI.

Le produit des amendes & confiſcations prononcées, ſera attribué en totalité aux Commis des Bureaux de Sa Majeſté, qui auront fait ou provoqué la ſaiſie ; à l’égard des Navires qui auront été pris en fraude, par les Vaiſſeaux & Bâtimens Gardes-côtes de Sa Majeſté, la totalité dudit produit appartiendra aux Commandans, États-majors & Équipages-preneurs, à la ſeule déduction des frais de juſtice, du dixième de l’Amiral, & de Six deniers pour livre au profit des Invalides de la Marine : lorſqu’il y aura des dénonciateurs, un tiers du même produit ſera prélevé à leur profit.


XVII.

Fait Sa Majeſté très-expreſſes inhibitions & défenſes à tous François, de prêter leur nom à des franciſations ſimulées de Bâtimens étrangers, ſous peine de trois mille livres d’amende, applicables aux Hôpitaux des lieux, ſans préjudice de la confiſcation du Bâtiment, ordonnée par les divers Règlemens intervenus ſur le fait de la Navigation : Enjoint à ſes Procureurs ès ſiéges des Amirautés, de faire à ce ſujet toutes pourſuites & diligences contre les contrevenans, à peine d’en répondre.


XVIII.

Se réſerve Sa Majeſté d’ouvrir à l’avenir, s’il y a lieu, un Entrepôt pour Cayenne & la Guyane françoiſe, après l’expiration du temps qu’Elle a fixé par l’arrêt de ſon Conſeil du 15 mai dernier, pour la liberté générale du Commerce dans ladite Colonie ; Veut & entend que juſqu’à la révolution de ladite époque, les Bâtimens étrangers ou françois qui auront touché à quelque port ou rade de Cayenne & de la Guyane Françoiſe, ne puiſſent aborder que dans les ſeuls Ports d’entrepôt des Iſles du Vent ou ſous le Vent, aux mêmes conditions, précautions, règles & peines qui ſont énoncées dans les articles XIII & XIV ci-deſſus.


XIX.

Seront au ſurplus exécutées les diſpoſitions des Lettres patentes du mois d’octobre 1727, & des Ordonnances & Règlemens ſubſéquens, concernant le Commerce étranger dans les Iſles & Colonies françoiſes, en ce qui n’y eſt pas dérogé par le préſent arrêt.

Mande Sa Majeſté à Monſ. le duc de Penthièvre, Amiral de France, & aux Gouverneurs, Lieutenans généraux, Commandans particuliers, Intendans, Commiſſaires généraux, Ordonnateurs, & tous autres qu’il appartiendra, de tenir la main, chacun en droit ſoi, à l’exécution du préſent arrêt : Mande pareillement Sa Majeſté aux Conſeils & Tribunaux ſupérieurs des Colonies françoiſes de l’Amérique, de procéder à l’enregiſtrement d’icelui, pour être lû, publié & affiché par-tout où beſoin ſera. Fait au Conſeil d’État du Roi, Sa Majeſté y étant, tenu à Verſailles le trente août mil ſept cent quatre-vingt-quatre. Signé la Croix M.al de Castries.


LE DUC DE PENTHIÈVRE,
Amiral de France,


Vu l’arrêt du Conſeil ci-deſſus, & des autres parts, à nous adreſſé : Mandons à tous ceux ſur qui notre pouvoir s’étend ; & ordonnons aux Officiers des Amirautés des Iſles & Colonies françoiſes, de tenir, chacun en droit ſoi, la main à ſon exécution, & de s’y conformer en ce qui les concerne : Ordonnons aux Officiers deſdites Amirautés, de le faire enregiſtrer au Greffe de leur Siège. Fait à Paris, le trente-un août mil ſept cent quatre-vingt-quatre. Signé L. J. M. DE BOURBON. Et plus bas, Par Son Alteſſe Séréniſſime.

Signé Perier.



À PARIS,
DE L’IMPRIMERIE ROYALE.
M. D C C L X X X I V.