Armand Silvestre (Verlaine)

Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 315-318).


ARMAND SILVESTRE


Silvestre (Paul-Armand), poète français, est né à Paris en 1837.

Je me rappelle très nettement que ce fut chez l’un ou l’autre de ces poètes, alors formeurs de groupes, Louis Xavier de Ricard, Catulle Mendès, que Sully-Prudhomme nous dit un jour le puer natus est nobis au sujet d’Armand Silvestre. « Il paraît, telles furent à peu près ses paroles, qu’un élève de l’École polytechnique vient de faire de très beaux vers. »

Silvestre, en effet, quittait à peine le pimpant bicorne et le coquet manteau rejeté sur l’épaule à l’espagnole, que les alumni de la Science portaient alors, quand il parut de lui un premier volume de vers, plein d’inexpérience rythmique et versificatrice, mais, surtout dans une partie intitulée : Sonnets Payens, surprenant en fait de tendre et haut sensualisme exprimé d’une large, très simple mais riche, harmonieuse et mélodieuse façon toute nouvelle vraiment, à cette époque un peu raide, sinon roide de formalisme parnassien, comme on parlait alors, et de légèrement pesamment fanfaronne im-pas-si-bi-li-té.

L’auteur de ces inégales mais réelles, exquisement fortes et saines beautés, ne tarda pas à figurer, c’est le cas de le dire, dans nos cénacles, si j’ose m’exprimer ainsi. Sa robuste et décorative prestance, son énorme rire bon et franc, et si fin ! faisaient un heureux contraste avec les grâces, un tantinet anémiées parfois, d’abstruses conversations et le galbe paradoxalement maigre, eût-on pu croire, de quelques-uns. Toute sympathie fut vite acquise ou conquise à et par le nouveau venu ; qui ne tarda pas à savantifier, sans nul pédantisme, sa manière ample. Une préface de George Sand avait glorifié les débuts du poète nouveau. Le filleul était digne d’une telle Marraine dont il arborait, dans des clans raffinés exprès, la bonhomie truculente ainsi que son adorable trivialité parfois.

Même ces symptômes non équivoques de grosse bonne humeur chez un poète au fond mélancolique, charnellement mélancolique, ajoutons-le pour tout dire, présageaient aux esprits clairvoyants le dualisme actuel de l’écrivain qui est Silvestre. C’est ainsi par exemple qu’une fois qu’il était question de l’illustre Grande Femme, Silvestre, dont tout le monde connaît la sonore élégie en prose à propos de Finet, le chien favori de la châtelaine de Nohant, nous donna la primeur d’un rébus composé par cette dernière-là même, sur cette phrase éminemment moralisante entre parenthèses :

La Providence a pensé à tout.

J’oublie comment les trois dernières syllabes du problème étaient représentées par l’art du dessin, mais il sied que la Postérité sache de quelle interprétation géniale l’auteur de Mauprat avait engauloisé la principale partie de la susdite proposition. Ça signifiait lapreau vidant sa panse…, et n’est-il pas vrai que tous, Laripète, Ventegras, Plottlabonn et autres fantoches amusamment stercoraires ou polissons sans fiel aucun sont dans cet œuf… de lapin ?

La fortune sourit vite à Silvestre ; ses vers, grâce à sa prose, devinrent tôt aussi célèbres que vers le peuvent, et se succédèrent en volume de plus en plus lus et dignes de l’être par nous autres et plusieurs autres.

En même temps le théâtre le tenta, tout le théâtre, moins le drame, évidemment répugnant à cette nature gauloise. Jusqu’à de l’opéra, il a touché à bien des choses des planches — sans compter qu’il a signé Ange Bosani, une pièce moderne dont je ne vois pas pourquoi Monsieur Alphonse, mieux favorisé de nos Seigneur et Dame le Public et la Critique dramatique, ne serait pas reconnu procéder. Et c’est ainsi que parallèlement, tels l’épique Chevalier de la Manche et son incomparable écuyer, deux Silvestre, l’excellent poète, l’homme d’esprit charmant, chevauchent par nos durs chemins, en quête de ces ennemis à vaincre par fas et nefas. par le rire et par les larmes, des lecteurs !

Et si le Sancho de la prose en tord sans doute davantage, le don Quichotte du Vers ; combien du moins de délicats, de difficiles s’en captive-t-il pas ?

En voilà un d’auteur, Silvestre, dont les libraires ne sont pas à l’hôpital réduits.

Il a dénoué le dur nœud gordien :

Être poète lyrique ET vivre de son état.

Je soupçonne le Poète lyrique dont parle Banville de l’avoir tranché, ce nœud.

Silvestre, j’y insiste, l’a dénoué.

Car c’est du lyrisme encore que la gaieté sereine de ses farces.


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