Armance/Notice biographique

Calmann Lévy (p. i-lxxii).


NOTICE
SUR LA VIE ET LES OUVRAGES
DE HENRI BEYLE
(DE STENDHAL)


Par R. COLOMB, son exécuteur testamentaire[1].


« Qu’ai-je été ? que suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé de le dire. »
(Tiré des papiers de Beyle.)


Que de peine n’éprouve-t-on pas souvent pour se rendre un compte exact de ses propres sentiments ! Que sera-ce donc, s’il s’agit d’analyser ceux d’un autre ! de dire ce qu’il a pensé, éprouvé, voulu, dans les principales circonstances de sa vie ! Telles sont les réflexions qui se sont naturellement présentées à mon esprit, lorsque m’est venue l’idée de mettre en ordre les observations et les faits qu’une constante amitié m’a mis à portée de recueillir, sur l’homme le moins aisé à connaître que j’aie encore rencontré. Comme on le voit, je ne me suis point abusé sur les difficultés que présente le sujet. J’ai donc hésité longtemps, avant de commencer ce travail, quelque plaisir que je pusse d’ailleurs me promettre à passer en revue des années contemporaines des miennes, et pendant lesquelles se formèrent des liens que la mort seule devait rompre. Mais un sentiment supérieur à toute considération personnelle m’a déterminé : le désir, la certitude d’honorer la mémoire de Beyle, en le faisant mieux connaître.

D’ailleurs, quelqu’un pouvait-il savoir, et raconter aussi fidèlement que moi, cette vie éparse, pour ainsi dire, sans unité, sans suite, comme moi, son allié, qui ai passé mes années de jeunesse, les jours riants de la vie, en parfaite communauté de plaisirs avec lui, qui l’ai retrouvé plus tard dans l’âge mûr, et qui ne l’ai pas quitté un seul jour, si ce n’est de fait, au moins par la pensée et par le cœur ; comme moi, qui ai été le dépositaire de ses papiers, comme de ses pensées les plus intimes. On n’a point encore présenté l’ensemble des traits qui caractérisent Beyle ; on ne s’est pas complètement expliqué cette curieuse réunion de facultés, dont plusieurs sembleraient devoir s’exclure. Serai-je plus heureux que ceux qui m’ont devancé ? Je l’espère au moins.

Ayant eu à ma disposition, en 1838, des notes écrites par mon ami, sur certaines circonstances de sa vie, j’en copiai quelques passages, que je reproduirai dans le cours de mon récit, lorsque le sujet le comportera.

Peut-être me reprochera-t-on d’avoir trop insisté sur de petits faits de l’enfance et de la jeunesse ; mais c’est là ce qui manque généralement aux biographies ; on passe trop légèrement sur l’époque de la vie avec laquelle nous sympathisons le plus ; l’auteur met ses spéculations à la place de détails qui lui manquent souvent à la vérité.

La biographie, si je ne me trompe, a pour mission de s’enquérir des détails intimes ; on attend d’elle les bons mots, les secrets de la vie privée, les traits de mœurs. Elle doit, autant que faire se peut, dater sa chronique du berceau même de celui dont elle s’occupe ; elle doit dire quelle a été son éducation, quels principes politiques et religieux y ont présidé.

Un homme aussi distingué par l’originalité, les tendances et la supériorité de son esprit, ne saurait être oublié tout de suite ; sa trace ne s’effacera pas instantanément. Un jour, quelque écrivain de talent s’occupera de Beyle ; il voudra connaître et expliquer cet être semi-mystérieux : j’aurai mis les matériaux sous ses yeux ; il ne lui restera plus qu’à les coordonner, et à en déduire les conséquences morales ou philosophiques qu’ils lui paraîtront comporter. Mon ambition se bornera à avoir été pour lui un chroniqueur sincère.

Tels sont, en résumé, les motifs qui m’ont encouragé à publier cette notice, dernier devoir dont j’avais à m’acquitter. Se défiera-t-on de mon témoignage ? Sera-t-on fondé à me récuser ? Je dirai, avec franchise, qu’assurément je ne voudrais pas nuire, mais que je n’ai pas l’intention de flatter. On peut promettre d’être sincère, sans avoir la certitude d’être complètement impartial.

Marie-Henri Beyle naquit à Grenoble, département de l’Isère, le 23 janvier 1783, de parents que leurs opinions et leur condition rangeaient parmi ceux que, dans la langue du temps, on appelait aristocrates. Sans être nobles, les membres de sa famille fréquentaient habituellement la noblesse, et en avaient contracté les manières. Ils se trouvaient à la tête de la haute bourgeoisie ; ils avaient pour amis Mounier et Barnave.

Parmi leurs relations de société, je me rappelle, entre autres, de madame de M*** ; cette femme, boiteuse, riche, d’un esprit assez distingué, et de mœurs tellement équivoques, qu’on a pu dire, dans le temps, que c’était elle que Choderlos de Laclos s’était proposée pour modèle de sa marquise de Merteuil, des Liaisons dangereuses. Sans doute il faut croire que ce fut une abominable calomnie que de lui trouver de la ressemblance, quelque faible qu’elle pût être, avec ce type du génie infernal le plus odieux. Quoi qu’il en soit, madame de M***, dont Beyle me citait de temps en temps des particularités, est morte à Grenoble, en 1822, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, et à la fin d’une soirée où nombreuse société se trouvait réunie dans son salon.

M. Beyle père, avocat considéré au parlement de Grenoble, avait épousé, le 16 août 1781, la fille aînée de M. Gagnon, médecin, qui passait, à juste titre, pour l’homme le plus lettré de la ville, et qui en était certainement l’un des habitants les meilleurs et les plus distingués. Cet homme, aimable, indulgent et d’un caractère un peu faible, adorait son petit-fils Henri, enfant de la fille chérie qui lui fut enlevée à trente-trois ans, en 1791.

Beyle pensait que les Gagnon étaient originaires d’Italie ; sa grand’tante Élisabeth le lui avait laissé entendre, plutôt qu’elle ne le lui avait dit. L’émigration pouvait remonter au grand-père du grand-père de mademoiselle Élisabeth, c’est-à-dire en 1650. Ce qui ajoutait, pour Beyle, à la probabilité de cette origine italienne, c’est que la langue de ce pays était en grand honneur chez ses parents ; chose bien singulière dans une famille bourgeoise de 1780. Sa mère lisait le Dante et le Tasse, ce qui n’était pas commun alors parmi les femmes, et ce qui ne l’est guère encore de nos jours.

La famille Gagnon avait des sentiments d’honneur et de fierté qu’elle communiqua au jeune Henri, d’ailleurs très-heureusement disposé pour les partager.

Madame Beyle, en mourant, laissa trois enfants en bas âge, un fils et deux filles. Après la mort de cette charmante femme, ses enfants vinrent habiter la maison de M. Gagnon, leur grand-père, chez qui se passa leur jeunesse. Par sa situation, cette maison était l’une des plus gaies de Grenoble, car elle avait sa façade sur la principale place de la ville, et, d’une jolie terrasse, garnie de fleurs et d’arbustes, la vue embrassait une partie du beau jardin public, donnant sur la rive gauche de l’Isère.

On voyait peu M. Beyle : il s’était réservé, pour lui seul, son ancien appartement et s’y tenait habituellement, sauf aux heures des repas qu’il prenait en famille chez M. Gagnon. De fréquentes excursions à son domaine[2] de Claix, à deux lieues de Grenoble, le tenaient encore éloigné de ses enfants, avec lesquels il n’avait que des rapports sans intimité.

M. Beyle tenait sa bibliothèque à Claix, elle était toujours fermée : mais Henri ayant découvert le lieu où il mettait la clef, l’ouvrit quelquefois, et trouva le moyen de s’emparer de la Nouvelle Héloïse et de Grandisson ; il lisait ces deux romans, les yeux pleins de larmes de tendresse, et dans un galetas où il se livrait à ce plaisir délicieux en toute sécurité.

L’excellent M. Gagnon avait auprès de lui mademoiselle Élisabeth Gagnon, sa sœur, M. Gagnon, son fils, et une seconde fille, non mariée. Cette dernière, d’une humeur assez difficile, imposait à tout le monde, et s’était emparée à peu près exclusivement de l’autorité dans la maison. Mademoiselle Séraphie n’aimait pas grand’chose sur la terre, mais elle abhorrait son neveu Henri, favori de M. Gagnon père, et ne laissait échapper aucune occasion de lui donner des témoignages de son aversion.

M. Gagnon le fils[3], joli garçon, bien tourné, fort aimable, gai, élégant au physique comme au moral, était l’un des ornements de la bonne compagnie à Grenoble. Le plaisir était beaucoup pour lui ; l’intérêt d’argent absolument rien, la vanité bien peu. Sa gaieté même, à le bien prendre, n’était que de l’imagination ; il faisait rire plus qu’il ne riait lui-même. Son neveu Henri commençait à entrer en jouissance des avantages que lui procurait sa cohabitation avec ce charmant jeune homme, lorsqu’ils lui furent enlevés par un événement tout naturel : M. Gagnon fils se maria aux Échelles, bourg de Savoie très-pittoresque, à huit lieues de Grenoble. C’est là que Henri a passé quelques délicieuses semaines, loin de la sombre austérité et de la tyrannie minutieuse régnant dans la maison de son digne grand-père. Ici on gémissait toujours ; chacune des brillantes victoires des armées républicaines y était sujet de tristesse amère.

La sévérité du gouverneur de la maison (mademoiselle Séraphie) qu’habitait le jeune Beyle était tempérée par le noble caractère de mademoiselle Élisabeth Gagnon. Cette vertueuse fille, qui renonça au mariage parce qu’un accident lui avait enlevé l’homme qu’elle aimait, était douée de plus d’esprit, et surtout de plus de fermeté, que tout le reste de la famille. Henri l’affectionnait beaucoup, ainsi que M. le docteur Gagnon ; sa reconnaissance pour leur amitié, pour leurs bontés était entière, et sa parole prenait un accent visiblement tendre, chaque fois qu’il parlait de ces deux grands-parents.

Henri perdit sa mère à l’âge de sept ans ; sa douleur fut profonde, et tout indique que c’est la plus grande qu’il ait ressentie. Fort souvent, dans nos entretiens, j’ai pu apprécier l’amertume de ses regrets.

Toute l’existence du jeune Beyle était réglée d’après des principes d’une excessive sévérité ; ses rapports avec des enfants de son âge furent tellement restreints, qu’arrivé à quatorze ans il en avait connu à peine trois ou quatre.

La direction de ses études appartint, à peu près exclusivement, à M. Gagnon, son grand-père. Personne, sans doute, n’était plus capable de mieux remplir cette délicate mission ; mais, soit penchant naturel, soit que le malheur des temps parût l’exiger, on préféra l’éducation privée à l’éducation en commun. De là, peut-être, ces défauts de caractère et ces accès d’irritabilité qui, chez Beyle, ont voilé si souvent de rares qualités, découvertes à grand’peine par le très-petit nombre d’amis dont la sollicitude s’est appliquée à les rechercher.

Ses précepteurs furent de pauvres prêtres qui, de temps en temps, se trouvaient forcés d’abandonner leur élève pour fuir la persécution. Doué d’un esprit vif, d’une intelligence prompte, il fit de rapides progrès dans ses études, bornées d’abord, en quelque sorte, à celle de la langue latine. Mais une vie tant soit peu claustrale ne pouvait convenir à un être aussi bouillant ; il prit en égale haine ceux qui la lui imposaient, et les ecclésiastiques, ses professeurs. Un d’eux, un certain abbé Ralliane, homme fort colère, le frappait souvent assez rudement.

Voulant à tout prix secouer ce joug si humiliant pour un caractère d’une telle trempe, notre écolier se résolut à une démarche passablement étrange. Il écrivit à son grand-père une lettre, signé Gardon, pour l’inviter à envoyer Henri au temple décadaire (l’église Saint-André), où on inscrivait le nom des enfants qui se présentaient pour s’enrôler dans le bataillon de l’Espérance, sorte d’institution empruntée à des souvenirs de Sparte, et qui faisait battre violemment nos jeunes cœurs.

Henri était fou de bonheur en songeant qu’il pourrait défiler sur la place Grenette, sous les croisées mêmes de la maison de M. Gagnon, avec de petits camarades. Mais le faux fut bientôt reconnu par un bossu nommé Tourte, qui venait habituellement donner des leçons de calcul et d’écriture aux enfants de M. Beyle. On peut se figurer la scène qu’amena cette fatale découverte !

Dès l’âge de dix ans, Henri annonça un tempérament ardent. Ce mouvement des sens, désordonné et purement instinctif, comme chez tous les enfants d’une nature précoce, l’agitait violemment ; il imprimait à tous ses penchants une sorte d’âpreté passionnée qui dominait dans ses études, dans ses plaisirs, partout enfin. Il était en révolte habituelle contre l’obligation de se dompter, de se plier aux usages imposés par la société. Sa vivacité, son entraînement, lui donnaient sans cesse des torts ; il commettait mille étourderies, et ses parents y attachaient beaucoup trop d’importance. De là sans doute, en grande partie, l’éloignement qu’il a pu ressentir pour des membres de sa famille, sans jamais confondre dans son ressentiment ceux dont il pouvait attendre quelque indulgence.

Connaissant la famille de Beyle, ainsi que ses habitudes morales, on peut déjà pressentir l’influence qu’exercèrent sur son caractère des principes et des croyances offrant un tel contraste avec ses goûts, ses penchants, son imagination. Cette compression si forte, si absolue, appliquée avec une extrême sévérité et une inflexible persistance, préparait une explosion violente pour le moment où son action cesserait : la chose était inévitable. D’autre part, cette lutte de tous les instants entre les désirs de l’enfant et les volontés absolues de ses parents imprima une fâcheuse direction aux sentiments de Beyle ; la défiance devint insensiblement une habitude de son esprit ; jamais il n’a pu s’en débarrasser complétement ; la crainte d’être trompé venait trop souvent se mettre en tiers dans ses relations les plus intimes, et leur enlevait ce qu’elles ont de plus doux, la confiance poussée jusqu’à l’abandon. Les conséquences que je déduis de l’éducation de Beyle sur son caractère me semblent naturelles ; le caractère procède presque toujours de circonstances qui remontent jusqu’à nos premières années.

Je place ici une étude sur le caractère dauphinois faite par Beyle ; bien qu’on n’en retrouve pas les traits principaux dans le sien, on la lira sans doute avec plaisir.

« Le Dauphinois a une manière de sentir à soi, vive, opiniâtre, raisonneuse, que je n’ai rencontrée dans aucun pays. À Valence, sur le Rhône, la nature provençale finit ; la nature bourguignonne commence à Valence, et fait place, entre Dijon et Troyes, à la nature parisienne, polie, spirituelle, sans profondeur ; en un mot, songeant beaucoup aux autres.

» La nature dauphinoise a une ténacité, une profondeur, un esprit, une finesse, que l’on chercherait en vain dans la civilisation provençale et dans la bourguignonne, ses voisines. Là où le Provençal s’exhale en injures atroces, le Dauphinois réfléchit et s’entretient avec son cœur.

» Tout le monde sait que le Dauphiné a été un État séparé de la France, et à demi italien, par sa politique, jusqu’à l’an 1349. Ensuite, Louis XI, dauphin, brouillé avec son père, administra ce pays pendant plusieurs années ; et je croirais assez que c’est ce génie profond et profondément timide, et ennemi des premiers mouvements, qui a donné son empreinte au caractère dauphinois. De mon temps encore, dans la croyance de mon grand-père et de ma tante Élisabeth, véritable type des sentiments énergiques et généreux de la famille, Paris n’était point un modèle ; c’était une ville éloignée et ennemie dont il fallait redouter l’influence. »

En quittant la maison paternelle pour aller habiter les Échelles, M. Gagnon le fils avait oublié quelques volumes, soigneusement cachés dans le coin le plus obscur d’une armoire ; Beyle les découvrit et me fit part de sa trouvaille. Il y avait là, en effet, de quoi exciter notre curiosité, fort novice, comme on peut le supposer. Un petit in-douze, surtout, nous intéressa vivement, il portait ce titre :

Vie, faiblesses et repentir d’une femme.

L’auteur anonyme s’était proposé d’offrir le tableau des malheurs, et des crimes même, auxquels une première faute peut entraîner ; rien de plus saisissant que cette effrayante peinture, dont les vives couleurs laissèrent une profonde impression dans nos jeunes têtes.

En juin 1794, tous les membres de ma famille ayant été jetés dans les prisons de Grenoble, je restai seul, avec une bonne, au milieu de l’appartement qu’occupaient mes parents. Le lendemain de leur arrestation je passai la journée chez M. Gagnon. Après le dîner, je sommeillais sur un fauteuil, dans le salon, où Beyle et moi étions restés seuls. Croyant que je dormais profondément, il parlait à haute voix des inquiétudes que faisait naître ma présence dans la maison de son grand-père. Après tout, disait-on, recueillir ainsi chez soi l’enfant de détenus politiques, c’était attirer l’attention de la Commune et s’exposer gratuitement à de graves dangers. Des membres influents de la famille, mademoiselle Séraphie, entre autres, opinaient pour mon renvoi immédiat. Cette disposition poltronne et malveillante à mon égard mettait Beyle au désespoir, et il l’exhalait en termes bien propres à resserrer encore davantage les liens de notre amitié ; car je lui avouai que j’avais tout entendu.

La belle institution d’une école centrale[4], au chef-lieu de chaque département, produisit une immense et heureuse révolution dans l’existence du jeune Beyle. La mode et la raison s’accordèrent alors pour faire adopter universellement le système de l’enseignement public ; les instituteurs particuliers furent remerciés, et chacun envoya ses enfants à l’école centrale. Les parents de notre étudiant se résignèrent et firent comme tout le monde : ce fut pour lui une demi-émancipation. Dès ce moment, il eut la faculté de sortir de la maison, sans être accompagné, et put choisir ses camarades parmi les quatre cents élèves qui suivaient les divers cours professés à l’école centrale de Grenoble. On voit tout de suite les modifications importantes que dut subir ce caractère déjà si original, jeté brusquement au milieu d’une atmosphère à peine entrevue jusqu’alors.

« Tout m’étonnait, disait-il, dans cette liberté tant souhaitée, et à laquelle j’arrivais enfin. Les charmes que j’y trouvais n’étaient cependant pas ceux que j’avais rêvés ; ces compagnons, si gais, si aimables, si nobles, que je m’étais figurés, je ne les trouvais pas ; mais à leur place des polissons très-égoïstes. Ce désappointement, je l’ai eu à peu près dans tout le courant de ma vie.

» Je ne réussissais guère auprès de mes camarades ; je vois aujourd’hui que j’avais alors un mélange fort ridicule de hauteur et de besoin de m’amuser. Je répondais à leur égoïsme le plus âpre par mes idées de noblesse espagnole ; j’étais navré quand, dans leurs jeux, ils me laissaient de côté. »

« Vers 1796, je me liai avec François B. C’était un homme simple, naturel, de bonne foi. Nous faisions de longues promenades ensemble vers la tour de Rabot et la Bastille. La vue magnifique dont on jouit de là, surtout vers Eybins, derrière lequel apparaissent les plus hautes Alpes, élevait notre âme.

» Dans ces promenades nous nous faisions part, avec toute franchise, de ce qu’il nous semblait de cette forêt terrible, sombre et délicieuse, dans laquelle nous étions sur le point d’entrer : on voit qu’il s’agit de la société et du monde.

» B. avait de grands avantages sur moi.

» 1o Il avait vécu libre depuis son enfance, étant fils d’un père qui ne l’aimait point trop, et savait s’amuser autrement qu’en faisant de son fils sa poupée.

» 2o Ce père, bourgeois de campagne fort aisé, habitait un village situé à une poste de Grenoble, vers l’est, dans une position fort agréable de la vallée de l’Isère. Ce bon campagnard, amateur du vin, de la bonne chère et des fraîches paysannes, avait loué un petit appartement à Grenoble pour ses deux fils, qui y faisaient leur éducation. L’aîné, suivant l’usage de notre province, se nommait B. tout court. Le cadet, R. B., humoriste, homme singulier, vrai Dauphinois, mais généreux et peu jaloux, même alors, de l’amitié que B. et moi avions l’un pour l’autre ; fondée sur la plus parfaite bonne foi, cette amitié fut intime au bout de quinze jours.

» Les B. habitaient la rue Chenoise. Dans cet appartement situé au troisième étage, vivait avec les B. leur sœur, mademoiselle V…, fort simple, fort jolie, mais nullement d’une beauté grecque ; au contraire, c’était une figure profondément allobroge ; elle était même, en y réfléchissant, plutôt laide que jolie, mais piquante et bonne fille. V. jouait avec nous sans se douter que nous étions de sexes différents.

» Mademoiselle V. avait de l’esprit et réfléchissait beaucoup ; elle était la fraîcheur même ; son visage était parfaitement d’accord avec la fenêtre à croisillons de l’appartement qu’elle occupait avec ses deux frères. Là, souvent j’assistais au souper des frères et de la sœur ; une servante de leur village, simple comme eux, le leur préparait. Ils mangeaient du pain bis, ce qui me semblait incompréhensible à moi qui n’avais jamais mangé que du pain blanc. Quant à eux, ils préféraient le pain bis au pain blanc, car il ne dépendait que d’eux de faire bluter la farine pour avoir du pain blanc.

» Nous vivions là en toute innocence, autour de cette table de noyer, couverte d’une nappe de toile écrue. B., l’aîné, pouvait avoir quatorze ans, R., son frère, douze, mademoiselle V., treize, moi treize, la servante dix-sept. C’était un ménage bien jeune comme on voit ; nous formions une délicieuse petite société et aucun grand-parent pour nous gêner. Quand M. B. le père venait à la ville, pour un jour ou deux, nous n’osions pas désirer son départ, mais il nous gênait.

» Nous vivions alors comme de jeunes lapins jouant dans un bois, tout en broutant le serpolet. Mademoiselle V. était la ménagère ; elle avait des grappes de raisin séché au four, dans une feuille de vigne serrée par un fil, qu’elle me donnait et que j’aimais presque autant que son gracieux visage. Quelquefois je lui demandais une seconde grappe et souvent elle me refusait, disant : Nous n’en avons plus que huit et il faut finir la semaine.

» Tous les trois ou quatre jours des provisions arrivaient de Saint-Ismier ; c’est l’usage à Grenoble. La passion de chaque bourgeois est son domaine, et il préfère une salade qui vient de son domaine à Montbonot, Saint-Ismier, Correnq, Saint-Vincent, Claix, etc., et qui lui revient à quatre sous, à la même salade qui lui coûterait deux sous, achetée sur la place aux Herbes. Ce bourgeois avait dix mille francs, placés à cinq pour cent dans la maison Périer ; il en a acheté un domaine qui lui rend le deux ou le deux et demi pour cent, et il est ravi. Je pense qu’il est payé en vanité et par le plaisir de dire d’un air important : Il faut que j’aille à Montbonot.

» Dans ce troisième étage de la rue Chenoise se passèrent les moments les plus heureux de ma vie… J’étais fort timide envers mademoiselle V… dont j’admirais le sein naissant. Le sévère R… aurait vu de fort mauvais œil que je fisse la cour à sa sœur ; B. me le fit entendre, et ce fut le seul point sur lequel il n’y eut pas franchise complète entre nous. Souvent, vers la chute du jour, après la promenade, comme je faisais mine de monter chez mes amis, je recevais un adieu hâtif qui me contrariait fort.

» La famille B. avait reçu saint Bruno à la Grande Chartreuse en 1080 ; rien n’était mieux prouvé. »

Au milieu de ce grand nombre d’enfants venus de tous côtés pour suivre les cours de l’École centrale, Beyle distingua particulièrement le jeune de la Bayette de Brest, neveu de l’amiral Morard de Galles, transplanté, je ne sais trop comment à Grenoble, pour y faire les études qui devaient lui donner l’entrée de l’école polytechnique. C’était, en effet, un être singulièrement attachant que la Bayette ; il était bon, aimant, plein de naturel, de sincérité, d’expansion, avec une grande noblesse de sentiments et de manières. Il avait une âme tendre, non susceptible peut-être de passion profonde, mais donnant de l’élégance à son expression.

Nous ne pouvions, Beyle et moi, nous éloigner sans regrets, de la petite chambre au troisième étage, qu’il occupait sur la place derrière Saint-André. De sa croisée on voyait promener dans le bois (la partie basse) du jardin de ville.

Un de nos plus grands plaisirs était de partager le goûter de pommes et de pain bis de notre ami. Quelquefois même nous faisions des pique-niques, à cinq ou six sous par tête, pour manger ensemble du fromage du Mont-d’Or avec des griches[5], le tout arrosé de quelques gorgées d’un petit vin blanc assez âpre, mais qui nous semblait délicieux.

M. Gagnon le père, comme on sait, adorait les lettres et l’instruction, et depuis quarante ans avait été le promoteur de tout ce qui s’était fait de littéraire et de philanthropique à Grenoble. Aussi, lorsqu’il fut question d’organiser l’école centrale, on le plaça à la tête du jury, et, en cette qualité, il présenta à l’administration départementale les professeurs qui devaient y faire les cours. Déjà fondateur de la bibliothèque publique de Grenoble, il dut à sa considération dans le monde d’être le chef de l’école centrale.

Dès lors le goût de Beyle pour les livres était déjà très-développé ; en avoir en toute propriété lui semblait le bonheur suprême. Aussi l’un des premiers actes d’indépendance que lui permit la faculté de sortir seul, fut l’achat des Œuvres de Florian ; il y employa un louis d’or de vingt-quatre livres, formant tout son avoir. Nous dévorions en cachette les candides romans du bon Florian. Que de battements de cœur, que de sensations nouvelles ne nous firent pas éprouver Estelle, Galatée, Gonsalve, Numa !

À cette époque, nous ressentions, avec toute la vivacité de l’enfance, les émotions patriotiques excitées journellement par les victoires des armées républicaines ; d’autre part, nous partagions les opinions royalistes de nos parents. On le voit, notre éducation politique n’était guère avancée.

Un soir de janvier 1797, entre sept et huit heures, Beyle et moi, en compagnie de dix autres camarades, nous commîmes un attentat. On avait accroché à l’arbre de la Fraternité, joli tilleul, transplanté à son grand regret sur la place Grenette, une toile peinte encadrée, portant, avec quelques attributs, ces mots en gros caractères :

Haine à la royauté, constitution de l’an III.

Un de nous tira sur l’emblème républicain un coup de pistolet fortement chargé de gros plomb et de chevrotines : le tableau en fut complètement défiguré. Cette espièglerie fort compromettante, prise d’abord au sérieux, jeta nos familles, déjà très-mal notées à la Commune, dans une mortelle inquiétude. Ces douze écoliers, se rendant coupables d’un semblable outrage envers le gouvernement existant, furent considérés, au premier moment, comme les sentinelles avancées d’une vaste conspiration. Par bonheur l’autorité jugea la chose plus sainement ; elle ne vit dans cette agression que le résultat d’un défi ou d’une gageure entre des étourdis. Aucune arrestation n’ayant pu être effectuée au moment du délit, l’affaire n’eut pas de suite, et nos parents en furent quittes pour la peur.

Parmi les élèves de l’école centrale, on pouvait remarquer un grand et gros garçon, aux cheveux blonds, à la figure commune, aux formes athlétiques et aux manières rustiques. Ce pauvre jeune homme, malgré la supériorité bien établie de ses forces musculaires, endurait assez patiemment le feu roulant des quolibets dont ses condisciples l’accablaient à tout propos : nous l’appelions Goliath. Un jour, cependant, il se mit en insurrection. Beyle, auquel on avait donné le surnom de la Tour ambulante, à cause de sa forte taille, lui lança une épigramme bien acérée, accompagnée d’un soufflet ; le rustaud ne resta pas en arrière, comme on peut croire. Nos deux champions, séparés par des camarades, convinrent de vider la querelle dans un duel régulier ; rendez-vous fut donné dans les fossés de la ville, entre les portes de Bonne et de Trécloître. Les combattants s’y rencontrèrent en compagnie des témoins désignés. Mais comme le cartel et l’heure prise pour le combat étaient à la connaissance de tous les élèves de l’école centrale, qui en avaient fait confidence à leurs amis,quatre à cinq cents personnes se trouvaient réunies sur le terrain lors de l’arrivée des adversaires. Néanmoins les pistolets furent chargés, on mesura la distance qui devait séparer les deux acteurs de cette scène mi-burlesque, on les mit en place, et le signal pour tirer allait être donné, lorsque la foule intervint, dans un but de conciliation, et termina l’affaire à l’honneur de tout le monde.

Les études de Beyle à l’école centrale eurent à la fois pour objet, le perfectionnement de celles auxquelles il s’était déjà adonné, et l’acquisition de nouvelles connaissances. Son travail s’appliqua successivement à la langue latine, aux belles-lettres, au dessin, aux mathématiques, à la grammaire générale.

À la fin de l’année scolaire de 1798, Beyle obtint un triomphe qui dut singulièrement flatter son jeune amour-propre. Il suivait le cours de grammaire générale, professé avec distinction par M. l’abbé Gattel ; tout indiquait chez lui une telle supériorité sur ses condisciples, qu’au jour de l’examen aucun d’eux ne voulut en subir l’épreuve. Beyle parut donc seul devant les examinateurs ; il répondit pendant deux heures consécutives, avec une grande netteté, à toutes les questions qui lui furent adressées sur cette branche de l’enseignement, et reçut les diverses couronnes dont le programme l’avait dotée.

Pendant quatre années (1795 à 1799), ses succès furent éclatants dans les divers cours qu’il suivit ; il y obtint constamment tous les premiers prix, disputés alors avec beaucoup de zèle. Mais dès le commencement de 1798, son ardeur se porta en particulier sur les mathématiques. Il avait horreur de l’hypocrisie, et pensait, avec raison, qu’en mathématiques elle était impossible.

Indépendamment des leçons reçues à l’école centrale, il en prit de particulières, entre autres de M. Gros ; ces dernières à l’insu de son père et avec de l’argent donné par sa grand’tante, mademoiselle Élisabeth Gagnon. Puisque l’occasion m’en est offerte, je dirai quelques mots sur M. Gros, dont la renommée n’a pas franchi les murs de Grenoble.

M. Gros, né de parents pauvres, avait comme l’intuition de toutes les sciences ; mais sa haute raison le portait plus spécialement vers les mathématiques, dans lesquelles il pénétra profondément. M. Gros donnait d’ailleurs la parfaite image du républicain pur, modeste, désintéressé ; les excès et les palinodies qui se produisirent sous la Convention et sous le Directoire n’altérèrent nullement ses croyances politiques ; il était resté comme un noble représentant de cette forme de gouvernement dans les temps antiques ; tel enfin qu’on nous peint les sages de la Grèce. N’ayant que peu de besoins, ne comprenant aucune ambition, pas plus celle de la renommée que celle de l’argent, M. Gros ne s’occupait guère du soin de sa fortune : le charme de la méditation l’emportait sur tout. Aussi était-ce chose fort difficile que d’obtenir des leçons de lui ; on n’en recevait qu’à la dérobée, en quelque sorte, et sans régularité aucune.

M. Gros occupait toute l’âme de Beyle, qui l’adorait et le respectait plus que qui que ce fût : ce fut sa première passion d’admiration. Un jour de grande nouvelle, M. Gros ayant parlé politique pendant une partie de la leçon, refusa d’en recevoir le prix. Il y avait là bien de la délicatesse et de l’honnêteté ; car cet homme était pauvre, et vivait dans une petite chambre de la rue Saint-Laurent, le quartier le plus ancien et le plus nécessiteux de Grenoble ; mais dans cette âme grande et pure, toute capitulation de conscience était chose complètement inconnue.

M. Gros, comme on le voit, offrait plus d’un point de ressemblance avec le chansonnier populaire, que je n’ose appeler illustre, tant je craindrais de blesser sa modestie ! Je ne voudrais pas, non plus, m’exposer à troubler par un peu de bruit le calme tout philosophique de la petite chambre où, quand la Muse se tait, le burin de Plutarque commence son œuvre. Chez M. Gros, comme chez M. Béranger, le naturel des personnes et la simplicité des lieux rappelaient tout de suite ces vers d’Horace :

Non ebur, neque aureum
Mea renidet in domo lacunar.
[6]

Chacun recherchait M. Gros pour sa science et pour son aménité. M. Fourier, l’ancien secrétaire de l’Institut d’Égypte, devenu préfet de l’Isère, en 1802, l’appréciait justement, et il employait toutes les séductions de son amabilité à l’attirer dans son cabinet. Si M. Gros, cédant aux conseils de M. Fourier, fût venu se fixer à Paris, il eût bientôt appartenu à l’Institut.

Ceux qui ont connu Beyle, avec son esprit si souvent paradoxal, ne pourront s’expliquer le puissant attrait que lui offrit l’étude des mathématiques, sous M. Gros. Cette branche de l’instruction jouissait alors, il est vrai, d’une haute faveur ; le général auquel la victoire avait si souvent prodigué ses plus brillantes couronnes dans les champs de l’Italie sortait de l’artillerie. Tous les jeunes Dauphinois brûlaient de marcher sur ses glorieuses traces, et aspiraient à l’école polytechnique. C’était d’ailleurs pour Beyle, en particulier, le moyen d’arriver à sa complète émancipation, de voir Paris !

Ses professeurs, ses condisciples eux-mêmes, le désignaient comme le plus fort élève ; cette supériorité bien constatée lui conquit le consentement de ses parents. Malgré toute leur répugnance pour les carrières dépendantes du gouvernement d’alors, ils cédèrent à l’entraînement universel : Beyle obtint donc la permission de se présenter comme candidat à l’école polytechnique. Une maladie assez grave, provenant d’excès de travail, retarda son départ de trois semaines. Enfin, sa santé à peu près rétablie, nous nous embrassâmes en pleurant, car c’était notre première séparation, et il partit pour Paris, où tout allait si mal, en 1799, que l’examinateur Louis Monge ne reçut pas même l’ordre de se rendre à Grenoble ; les candidats à l’école polytechnique subirent tous leur examen à l’école même. Beyle arriva à Paris, le 10 novembre 1799, juste le lendemain du 18 brumaire an VIII.

Le portefeuille du jeune voyageur contenait quelques lettres de recommandation ; ses parents lui en avaient remis, entre autres, pour la famille Daru, à laquelle ils étaient alliés.

Les premiers moments du séjour de Beyle à Paris furent donnés aux mille émotions résultant du seul aspect des lieux. Cette grande ville se livrait alors à son enthousiasme pour le héros qui, de sa puissante main, venait de saisir les rênes de l’État. On se figure ce que ce fracas populaire et national dut produire sur l’esprit d’un écolier, dont l’horizon ne s’était jamais étendu au delà des remparts d’une ville de vingt-cinq mille âmes.

Tout cependant ne fut pas bonheur à son début. Logé dans la rue du Bac, il y tomba bientôt malade : c’était une sorte d’hydropisie de poitrine, accompagnée de délire. M. Daru le père lui amena, dans sa petite chambre, le docteur Portal, dont la figure effraya le malade.

Immédiatement après son rétablissement, Beyle alla loger rue de Lille, dans la maison de M. Daru, laquelle avait appartenu à Condorcet. On lui donna un cabinet ayant vue sur des jardins. Là, il travaillait sérieusement à son examen pour l’école polytechnique, où il eût été infailliblement reçu, lorsque ce projet, préparé depuis trois années, fut tout à coup abandonné, d’après les conseils de la famille Daru.

Beyle prenait ses repas chez M. Daru père, ce qui l’ennuyait mortellement, bien qu’il eût pour commensaux les deux fils de la maison, MM. Pierre (plus tard le comte) et Martial Daru. La cuisine insipide et les appartements exigus de Paris lui étaient insupportables ; ses yeux accoutumés aux majestueuses montagnes du Dauphiné, ne se reposaient qu’avec dégoût sur une plate campagne, dépourvue de tout accident pittoresque. Ce dégoût était si profond, qu’il allait presque jusqu’à la nostalgie. Quant à l’argent de poche, il en avait suffisamment, assez même pour se donner le plaisir de bouquiner sur les quais. Ce goût que l’âge développa considérablement, fut toujours pour lui le sujet d’une dépense quotidienne. Dans toutes ses résidences il achetait des livres, pour les y oublier assez ordinairement lorsqu’il s’en éloignait.

Après le 18 brumaire, M. Pierre Daru était devenu secrétaire général de la guerre, avec rang d’inspecteur aux revues. Au commencement de 1800, il fit attacher Beyle à son ministère, en qualité de surnuméraire. On le plaça dans un bureau, dont la seconde table était occupée par un M. Mazoyer, auteur d’une tragédie de Thésée, pâle imitation de Racine. Le ministère de la guerre était alors rue Hillerin-Bertin.

Un jour M. Daru dicta une lettre à Beyle : il écrit cela par deux l, cella. « Voilà donc ce brillant humaniste qui a remporté tous les prix dans son endroit ! » s’écrie l’heureux traducteur d’Horace. Qu’on juge du malheur et de l’humiliation de notre lauréat.

Pour se consoler un peu de la confusion que lui avait occasionnée son ignorance en orthographe, Beyle, qui avait obtenu le premier prix de ronde bosse à l’école centrale de Grenoble, voulut essayer de la peinture ; M. Regnault, l’auteur de l’Éducation d’Achille, dont l’atelier était dans une salle du Louvre, l’initia à cet art, qu’au reste il n’a pas cultivé depuis lors.

Voici une page qui pourra faire juger de l’état de l’âme de Beyle pendant son premier séjour à Paris.

« Je me rappelle le profond ennui des dimanches ; je me promenais au hasard. C’était donc là ce Paris que j’avais tant désiré ! L’absence de montagnes et de bois me serrait le cœur. Les bois étaient intimement liés à mes rêveries d’amant tendre et dévoué, comme dans l’Arioste. Tous les hommes me semblaient prosaïques et plats dans les idées qu’ils avaient de l’amour et de la littérature. Je me gardais de faire confidence de mes objections contre Paris. Ainsi, je ne m’aperçus pas que le centre de Paris est à une heure de distance d’une belle forêt, séjour des cerfs sous les rois. Quel n’eût pas été mon ravissement, en 1800, de voir la forêt de Fontainebleau où il y a quelques petits rochers en miniature, les bois de Versailles, Saint-Cloud, etc. Probablement j’eusse trouvé que ces bois ressemblaient trop à un jardin.

« Quand je m’ennuyais dans un salon (de décembre 1799 à mai 1800), j’y manquais la semaine d’après, et n’y reparaissais qu’au bout de quinze jours. Avec la franchise de mon regard et l’extrême malheur de prostration des forces que l’ennui me donne, on voit combien je devais avancer mes affaires par ces absences. D’ailleurs, je disais toujours d’un sot : c’est un sot. Cette manie m’a valu un monde d’ennemis. Depuis que j’ai eu de l’esprit (en 1826) les épigrammes sont arrivées en foule, et des mots qu’on ne peut plus oublier, me disait un jour cette bonne madame Mérimée. »

En 1800, les sociétés littéraires pullulaient à Paris ; M. Daru était à la fois le président de quatre de ces sociétés, qui alors, on peut le dire en toute assurance, n’étaient pas aussi vides d’intérêt que le sont généralement celles d’aujourd’hui. Un soir, M. Daru conduisit Beyle à l’une des sociétés qu’il présidait. La poésie que l’on y débita lui parut plate et bourgeoise ; en un mot, lui fit horreur. Quelle différence avec l’Arioste et Voltaire ! Mais il admira fort dans cette réunion la beauté si séduisante de madame Constance Pipelet[7], qui lut une pièce de vers. Plus tard, lorsqu’elle fut devenue princesse de Salm-Dyck, Beyle eut occasion de la rencontrer dans le monde, et lui avoua la vive impression que ses charmes avaient produite sur son jeune cœur à cette réunion littéraire où l’avait mené M. Daru. Beyle racontait d’une manière piquante les circonstances assez singulières qui précédèrent les secondes noces de cette femme adorable avec le prince de Salm.

L’existence de Beyle allait changer entièrement ; encore un moment, et il s’ouvrira devant lui une carrière semée des sensations les plus variées.

Carnot, ministre de la guerre, préparait secrètement la mémorable campagne de 1800, et le premier consul méditait l’une de ses plus belles conceptions militaires. M. Martial Daru, en qualité de sous-inspecteur aux revues, secondait son frère dans les travaux qu’exigeait la réunion à Dijon de ces troupes qui, sous le nom d’armée de réserve, avaient des états-majors pour six divisions, et offraient à peine un effectif de quinze mille hommes, placés sous le commandement de Brune. Leur mission étant remplie, MM. Daru reçurent l’ordre de partir pour l’Italie ; ils engagèrent Beyle à venir les y rejoindre, sans trop savoir en quelle qualité. Il accepta dans la joie de son cœur cette proposition aventureuse, et fourra dans son portemanteau une trentaine de volumes d’éditions stéréotypes, nouvelle invention dont il affectionnait particulièrement les produits.

Beyle quitta Paris vers le milieu d’avril 1800, traversa Dijon, et arriva à Genève. Son premier soin fut de courir rue Chevelue, voir la petite maison où était né Rousseau, en 1712 (on sait que cette chétive masure a été démolie en 1833, et remplacée par une superbe maison donnant sans doute un revenu élevé).

Quelque temps auparavant, M. Daru l’aîné, passant par Genève, y avait laissé un cheval malade : ce fut sur cette monture convalescente que Beyle alla le rejoindre à Milan.

Mais laissons-lui raconter son départ de Genève.

« Ce cheval, qui n’était pas sorti de l’écurie depuis un mois, au bout de vingt pas, s’emporte, quitte la route et se jette vers le lac, dans un champ planté de saules. Je mourais de crainte, mais le sacrifice était fait ; les plus grands dangers n’étaient pas capables de m’arrêter ; je regardais les épaules de mon cheval, et les trois pieds qui me séparaient de terre me semblaient un précipice sans fond ; pour comble de ridicule, je crois que j’avais des éperons. Mon jeune cheval fringant galopait donc au hasard au milieu de ces saules, quand je m’entendis appeler : c’était le domestique, sage et prudent, du capitaine Burelviller qui, enfin, en me criant de retirer la bride et s’approchant, parvint à arrêter le cheval, après une galopade d’un quart d’heure au moins dans tous les sens. Il me semble qu’au milieu de mes peurs sans nombre, j’avais celle d’être entraîné dans le lac.

» Que me voulez-vous ? dis-je à ce domestique, quand enfin il eut pu calmer mon cheval. — Mon maître désire vous parler. »

» Aussitôt je pensai à mes pistolets ; c’est sans doute quelqu’un qui veut m’arrêter. La route était couverte de passants, mais toute ma vie j’ai vu mon idée et non la réalité, comme un cheval ombrageux, me disait, dix-sept ans plus tard, M. le comte de Tracy.

» Je reviens fièrement au capitaine, que je trouvai obligeamment arrêté sur la grande route. « Que me voulez-vous, monsieur ? lui dis-je, m’attendant à faire le coup de pistolet.

» Le capitaine, d’un air narquois et fripon, n’ayant rien d’engageant, bien au contraire, m’expliqua qu’en passant la porte Cornavin, on lui avait dit : « Il y a là un jeune homme qui s’en va à l’armée, sur ce cheval, et qui n’a jamais vu l’armée, ayez la charité de le prendre avec vous pour les premières journées. »

» M’attendant toujours à me fâcher et pensant à mes pistolets, je considérais le sabre droit et immensément long du capitaine Burelviller qui, ce me semble, appartenait à l’arme de la grosse cavalerie, habit bleu, boutons et épaulettes d’argent.

» Je crois que pour comble de ridicule j’avais aussi un sabre ; même en y pensant, j’en suis sûr. Autant que je puis en juger, je plus à ce M. Burelviller, qui peut-être avait été chassé d’un régiment et cherchait à se raccrocher à un autre.

» M. Burelviller répondait à mes questions et m’apprenait à monter à cheval ; nous faisions l’étape ensemble, allions prendre ensemble notre billet de logement, et cela dura jusqu’à Milan.

» Comme le sacrifice de ma vie à ma fortune était fait et parfait, j’étais excessivement hardi à cheval ; mais hardi en demandant toujours au capitaine Burelviller : Est-ce que je vais me tuer ? Heureusement mon cheval était suisse, pacifique et raisonnable comme un Suisse ; s’il eût été romain et traître, il m’eût tué cent fois.

» Le capitaine s’appliqua à me former en tout ; et il fut pour moi, de Genève à Milan, pendant un voyage de quatre à cinq lieues par jour, ce qu’un excellent gouverneur doit être pour un jeune prince. Notre vie était une conversation agréable, mêlée d’événements singuliers et non sans quelque petit péril ; par conséquent impossibilité de l’apparence la plus éloignée de l’ennui. Je n’osais dire mes chimères, en parlant littérature à ce vieux roué de vingt-huit ou trente ans, qui paraissait le contraire de l’émotion. Dès que nous arrivions à l’étape, je le quittais, je donnais l’étrenne à son domestique pour bien soigner mon cheval ; puis j’allais rêver en paix. »

Malgré la difficulté des chemins et la saison encore rigoureuse, ici commence pour Beyle une époque d’enthousiasme et de plaisirs vifs. Plusieurs fois je lui ai entendu dire :

« J’ai eu un lot exécrable de sept à dix-sept ans ; mais depuis le passage du mont Saint-Bernard, je n’ai plus eu à me plaindre du destin ; mais, au contraire, à m’en louer. »

Nos deux voyageurs passèrent à Rolles, jolie petite ville du canton de Vaud, le 10 mai. Le son des cloches du temple protestant, joint à la beauté du site, et la vue du lac Léman, jetèrent Beyle dans une véritable extase. Des sensations d’une tout autre nature l’attendaient au grand Saint-Bernard, qu’il traversa le 22 mai, deux jours après le premier consul[8]. Ce ne fut pas sans courir quelques dangers que l’écuyer novice se tira sain et sauf de routes à peine tracées sur des rochers en pente couverts de neige, de glace, et par un froid aigre, malgré le soleil de mai.

Le capitaine Burelviller croyait toute notre armée à quarante lieues en avant, lorsqu’ils en trouvèrent une brigade arrêtée devant le fort de Bard[9], situé entre Aoste et Ivrée. Cette forteresse, bâtie sur un mamelon conique et entre deux montagnes, à vingt-cinq toises l’une de l’autre, ayant le torrent de la Doria qui coule à son pied, fut, pour nos soldats, un obstacle plus considérable que celui du grand Saint-Bernard lui-même. Toutefois, la ville de Bard étant tombée en notre pouvoir, le 25 mai, pendant que deux régiments faisaient le siège du fort, le gros de l’armée française continua sa marche à travers la ville avec de grandes difficultés, mais emmenant cependant son artillerie avec elle. C’est devant le fort de Bard que Beyle vit le feu pour la première fois ; une canonnade épouvantable, retentissant au milieu de ces rochers si hauts et dans une vallée si étroite, le rendit fou d’émotion.

Le général Lannes étant entré de vive force à Ivrée le 24 mai, toute l’armée de réserve y arriva les 26 et 27. Beyle assista à Ivrée à une représentation du Matrimonio segreto, de Cimarosa, qui l’affecta délicieusement. Ce fut, m’a-t-il répété souvent, l’un des plus grands plaisirs de sa vie.

Beyle fit son entrée à Milan dans les premiers jours de juin (1800) ; c’est-à-dire, par une charmante matinée de printemps. M. Martial Daru, qu’il rencontra au détour d’une rue, le conduisit à la casa Dadda ; jamais ravissement ne fut plus complet que celui du jeune voyageur ! Tout le charmait dans cette grande ville, l’architecture, la peinture, la musique, les femmes, la société, avec sa physionomie demi-étrangère. Et puis, comment ne pas participer aux émotions patriotiques, tant italiennes que françaises, que faisait naître la présence du premier consul à Milan. C’était, il faut en convenir, une admirable époque d’espérances pour tous les cœurs généreux ! La Lombardie échappait miraculeusement à son plus grand danger : celui de retomber sous le joug de l’Autriche. La France, fière du puissant génie auquel elle était redevable de toutes les gloires, voyait encore bénir son nom par les peuples qui, sous sa puissante égide, secouaient l’oppression, naissaient à la liberté !

Au milieu de cet immense mouvement des esprits Beyle jouissait du présent sans se préoccuper de l’avenir. Cependant l’armée française prend des positions ; tout annonce un engagement prochain, sérieux et où le destin de l’Italie du Nord sera fixé. Beyle suit le quartier général ; et le 14 juin, il assiste, en amateur, à la bataille de Marengo.

Le 18 juin, le premier consul rentre à Milan, au milieu d’une population ivre de joie ; jamais, peut-être, le triomphe d’un général victorieux ne fut entouré d’un bonheur aussi universel.

Bonaparte déclara le rétablissement de la république cisalpine, et prescrivit diverses mesures touchant l’organisation des pouvoirs ; il nomma M. Pétiet, ancien ministre de la guerre, gouverneur de la Lombardie, avec le titre de ministre extraordinaire.

Beyle entra dans les bureaux de M. Pétiet, sur la recommandation de M. Daru, alors inspecteur aux revues, attaché à l’armée d’Italie. Ce genre d’occupations avait, entre autres, l’avantage de lui permettre de voir Milan et de parcourir ses environs. Pendant trois mois, il donna à ce double plaisir tous les instants qu’il pouvait dérober aux travaux du bureau. Une de ses premières excursions eut pour objet les îles Borromées ; il les visita en compagnie du fils du général Mélas ; ce jeune homme profitait de l’armistice signé entre le premier consul et son père, le 15 juin, le lendemain même de la bataille de Marengo, pour voir ce que la Lombardie offre de plus curieux.

Beyle fut ravi des magnificences de l’admirable pays qu’on parcourt de Milan à Laveno, en passant par Como et Varèse. Il m’écrivit une longue lettre descriptive de cette délicieuse promenade, au milieu de toutes les séductions que la nature peut réunir ; sa jeune imagination s’essayait déjà d’une manière fort agréable sur ce beau paysage. Il vit alors, dans toute sa fraîcheur, le mot bataille, que Bonaparte avait buriné, tout récemment, sur l’une des deux branches de ce laurus nobilis, qu’on fait encore remarquer aux voyageurs, au milieu du magnifique bosquet de lauriers, des jardins de l’Isola bella. En 1828, cette branche du laurier, qui croît sur dix-huit pouces de terre, avait neuf pieds de circonférence ; j’ai retrouvé encore quelques légères traces du mot gravé par Bonaparte, avec la pointe de son épée. On sait qu’un officier autrichien a frappé d’un coup de sabre ces caractères inoffensifs, et qu’un Anglais a enlevé plus tard, comme relique, un morceau de l’écorce.

Le 23 septembre (1800), Beyle, déjà ennuyé de la vie de bureau, entra comme maréchal des logis dans le 6e régiment de dragons ; au bout d’un mois, il y obtint l’épaulette, et fut reçu sous-lieutenant à Romanego, entre Brescia et Crémone.

Le jeune officier fut bientôt placé comme aide de camp auprès du général de division Michaud, qui commandait la réserve de l’armée, sous les ordres de Brune, et fit en cette qualité la campagne du Mincio. Le général Michaud passa le Mincio le 24 décembre (1800) à Mozembano, avec la réserve. Cette campagne de vingt-six jours (du 19 décembre 1800 au 14 janvier 1801) fut la plus importante des Français, en Italie, après celles de Bonaparte, en 1796 et 1797 ; elle força l’Autriche à signer, le 9 février 1801, le traité de Lunéville.

Le 12 janvier (1801), Castel-Franco était tombé en notre pouvoir, après un combat très-vif, où l’ennemi avait perdu quinze cents hommes. Beyle, qui avait donné des preuves de bravoure et d’intrépidité en toute occasion, se distingua particulièrement au combat en avant de Castel-Franco. J’ai entre les mains un certificat du général Michaud qui en fait foi, et qui atteste, en outre, que dans tout le cours de la campagne il s’acquitta toujours avec courage, zèle, exactitude, intelligence, des différentes missions dont il fut chargé.

Beyle habita alternativement les charmantes garnisons de Brescia et de Bergame, d’où il faisait de fréquentes excursions à Milan. Alors, son existence, semée de sensations variées, romanesques, réalisait pour lui la chimère du bonheur parfait. Ce fut à cette époque qu’il reçut au pied une blessure, d’un coup de pointe, dans un duel.

Ne pouvant rester auprès du général Michaud, parce que, d’après une récente décision, il fallait être pourvu du grade de lieutenant pour remplir les fonctions d’aide de camp, Beyle reçut, le 17 septembre 1801, l’ordre de rejoindre le 6e régiment de dragons (auquel il n’avait pas cessé d’appartenir), alors en garnison à Savigliano, dans le Piémont. Prenant bientôt en dégoût la vie militaire, hors du champ de bataille, après une année de cette existence maussade, il donna sa démission le troisième jour complémentaire de l’an X (20 septembre 1802), pendant la petite paix qui suivit le traité d’Amiens[10] (27 mars 1802), ce qui irrita beaucoup ses protecteurs. Cela fait, il revint pour un moment chez ses parents, à Grenoble.

Le voici, lui dont les idées et les sentiments avaient éprouvé de si notables modifications dans sa vie aventureuse à Paris et en Italie, au sein d’une famille qui est restée absolument ce qu’elle était au moment où il a quitté le toit paternel. C’est un jeune étourdi, soldat par les formes, libertin par la pensée, qui veut réformer radicalement des gens vieux, respectant, à peu de chose près, tout ce qu’il méprise, et ayant en horreur tout ce qui fait l’objet de ses prédilections.

Cette folle tentative n’ayant eu d’autre résultat que de soulever dans la maison un violent orage contre lui, Beyle obtint de son père la promesse d’une pension de cent cinquante francs par mois, avec la permission d’habiter Paris. Il vint s’y établir en juin 1803, et se logea rue d’Angivilliers, à un cinquième étage, ayant vue sur la colonnade du Louvre. Là, vivant solitairement, à mille lieues de la vie réelle, il employait le temps à refaire son éducation. C’est à quoi nous sommes tous condamnés ; car, quiconque ne sait pas lui-même achever son éducation, reste et doit rester dans la classe commune.

Les Lettres persanes, Montaigne, Cabanis, Destutt de Tracy, Say, J. J. Rousseau, étaient ses lectures favorites, l’objet de ses méditations habituelles.

Il lisait beaucoup aussi les tragédies d’Alfieri, s’efforçant d’y trouver du plaisir. Sa vie retirée et studieuse lui donnait l’aspect et les allures d’un Espagnol exalté.

Sur son modeste revenu de 5 francs par jour, il prélevait le prix de leçons d’anglais et d’escrime. Le bon père Yéki, dont la qualité de prêtre irlandais protégeait le séjour à Paris, lui enseignait la langue anglaise, dans laquelle il ne faisait pas de rapides progrès, quoique déjà plein d’enthousiasme pour l’auteur d’Hamlet.

C’était dans la salle de l’élégant Fabien, qu’il allait faire des armes avec plusieurs jeunes Dauphinois de ses amis ; il avait peu de dispositions pour cet exercice ; le sombre Renouvier, prévôt de la salle de Fabien, le lui faisait comprendre poliment.

Parmi les rêveries littéraires qui fourmillaient dans le cerveau de Beyle, il en est une qui décèle bien de l’audace.

Le célèbre feuilletoniste Geoffroy, chargé de la critique dramatique dans le Journal des Débats, exerçait un grand empire sur l’opinion publique. Cet homme de talent s’était déclaré ennemi de la philosophie du dix-huitième siècle, et de Voltaire en particulier. Le grand tragique Talma était également, de sa part, l’objet des plus haineuses attaques.

Beyle résolut de combattre ce redoutable Geoffroy. Cette espérance le porta à composer une comédie en un acte et en prose, dont il s’occupa beaucoup de 1804 à 1816. Il se flattait d’un succès au Théâtre-Français, pensait que sa comédie pourrait arriver à la centième représentation, et qu’elle serait peut-être le meilleur ouvrage, de semblable étendue, depuis Molière ! La pièce aurait d’abord été représentée sans nommer l’auteur ; il se serait fait connaître au cas où sa vogue aurait égalé celle qu’eurent dans le temps les Précieuses ridicules.

Cette composition fut d’abord intitulée :

Le Bon parti.

Plus tard, elle reçut cet autre titre :

Quelle horreur ! ou l’Ami du despotisme pervertisseur de l’opinion publique.

Letellier, le principal personnage de cette comédie, était le rôle dévolu à Dugazon. Les autres rôles devaient être donnés à Baptiste aîné, Dumas, Fleury, etc.

Malgré tous ses efforts, cette composition est restée à l’état de simple ébauche.

Deux années s’écoulèrent ainsi ; c’était bien long pour un homme de cette mobilité, aussi passionné pour l’imprévu, pour tout changement quelconque.

En mars 1805, Beyle alla essayer encore une fois de la vie de famille, à Grenoble ; elle lui parut supportable pendant quelque temps ; car une jolie actrice, dont il était très-épris, le payait de retour. Tout allait au mieux, lorsque cette jeune femme partit pour Marseille, où elle avait contracté un engagement ; il fallait absolument la suivre ; mais comment faire ? Le moyen dont il usa ne se devinerait guère.

Beyle se montra tout à coup épris d’une belle passion pour le commerce ! M. Raybaud, fils d’un petit épicier de Grenoble, ayant sa boutique dans la maison même de M. Gagnon, faisait à Marseille d’assez grandes affaires sur les denrées coloniales : Beyle obtint d’entrer dans cette maison, en qualité de commis. Le voilà donc assis sur un escabeau de comptoir, plus heureux que jamais auprès de celle qu’il aimait, et persuadé que le commerce était sa véritable vocation : il me le disait dans toutes ses lettres. Cette félicité, qui ne laissait rien voir au delà, dura une année.

Bref, la passion ayant pris fin par le mariage de l’actrice avec un grand seigneur russe, le métier de négociant fit horreur à Beyle, et il obtint de sa famille la permission de revenir à Paris, où il reprit ses habitudes studieuses.

M. Martial Daru, sous-inspecteur aux revues, engagea Beyle à l’accompagner à l’armée ; il fut très-contrarié d’abandonner les travaux littéraires auxquels il se livrait de nouveau avec ardeur. Cependant, il accepta ; assista à la bataille d’Iéna, le 14 octobre 1806, et vit l’entrée triomphale de Napoléon à Berlin, le 27. Peu de jours après, M. le comte Daru, alors intendant général dans le pays de Brunswick, fit conférer à Beyle l’emploi d’intendant des domaines de l’Empereur à Brunswick.

Le 11 juillet 1807, un décret impérial, daté de Kœnigsberg, le nommait adjoint aux commissaires des guerres.

Ses fonctions d’intendant le fixèrent à Brunswick pendant les années 1807 et 1808 ; il profita de son séjour dans cette ville, pour y étudier la langue et la philosophie allemandes.

Beyle était adroit à la chasse et tirait fort bien le pistolet. Un jour, à Brunswick, se trouvant dans une voiture menée au grand trot, il abattit, à quarante pas, un corbeau, d’un coup de pistolet chargé d’une seule balle ; ce qui lui valut le respect des aides de camp du général de Rivaud-la-Raffinière.

La campagne de 1809 l’éloigna de Brunswick ; M. le comte Daru, devenu intendant général de la grande armée, le chargea de missions particulières, dans lesquelles sa capacité et son courage personnel purent être appréciés. On a cité, en preuve, un fait qui m’était resté inconnu ; mais comme il n’y a aucun motif de le révoquer en doute, je le consignerai ici.

Beyle était abandonné avec les malades et les approvisionnements dans une petite ville dont la garnison avait été jugée plus utile ailleurs. Ce dépôt était placé sous sa responsabilité, à lui, comme officier d’administration. Le pays était mal disposé à notre égard, et n’attendait qu’une occasion pour nous le faire sentir. À peine la garnison avait-elle quitté la ville, qu’une insurrection formidable s’organisa, le tocsin sonna, toute la population se leva. Il ne s’agissait de rien moins que de massacrer les malades à l’hôpital, et de piller ou brûler les magasins. Privés de troupes, les officiers militaires de la place ne savaient où donner de la tête. Cependant l’émeute devenait plus menaçante. Les abords de l’hôpital s’encombraient, les cris de mort se faisaient entendre ; au péril de ses jours, Beyle se jette dans ces rues abandonnées à une multitude de furieux, et pénètre dans l’hôpital. Les convalescents, les malades, les blessés, tout ce qui peut un instant se tenir debout ou à peu près, il fait tout lever, il arme tout. Les plus impotents, il les met en embuscade aux fenêtres, qui, garnies de matelas, deviennent des meurtrières ; les autres, cavalerie, infanterie, toutes les armes confondues cette fois sous l’uniforme lugubre de l’hôpital, il en fait un peloton ; il ouvre les portes et se précipite sur l’émeute. À la première décharge, tout se dissipa. (Revue des deux Mondes du 15 janvier 1843, page 266.)

Poursuivant ses succès, l’armée française faisait des pas de géant ; le 10 mai 1809, le canon gronda toute la journée autour du petit jardin de Haydn, à demi-lieue de Schœnbrunn ; quatre obus vinrent tomber tout près de sa maison ; sa vieillesse, déjà si ébranlée, ne put soutenir cette secousse ; il se figurait que Vienne, objet de son affection, serait mise à feu et à sang. Enfin, il rendit le dernier soupir le 31 mai. Quelques semaines après sa mort, on exécuta, en son honneur, le Requiem de Mozart, dans l’église des Écossais. Beyle, cantonné aux environs de Vienne, se hasarda à venir en ville, pour assister à cette touchante cérémonie, où nationaux et étrangers apportèrent un égal tribut de regrets à la perte que les arts venaient d’éprouver.

Tout en faisant une rude guerre à l’Autriche, Napoléon, pendant son séjour à Vienne, ne perdait pas de vue ses projets de mariage avec l’archiduchesse Marie-Louise. Beyle, dont la capacité et la discrétion avaient pu être appréciées dans maintes circonstances, participa aux travaux et aux négociations qui précédèrent ce grand événement. Après la paix de Schœnbrunn, il revint à Paris. Cette glorieuse campagne apporta de notables changements dans sa position ; il se trouvait en relation habituelle avec grand nombre de personnages puissants, et M. le comte Daru semblait l’entourer d’une confiance qui, à elle seule, en faisait un homme important. Le malheur, c’est que le traitement d’adjoint aux commissaires des guerres, le seul dont il jouissait, était de 1,800 francs seulement ; que son père ne lui donnait qu’une somme égale, et que ses dépenses atteignaient, dépassaient même 20,000 francs. La fréquentation habituelle des hauts fonctionnaires de l’Empire, et la nature des travaux dont M. le comte Daru l’avait chargé à l’intendance générale de la maison de l’Empereur, ne lui permettaient guère de faire autrement ; c’est l’époque de sa vie où il a dépensé le plus.

Le 3 août 1810, Beyle fut compris comme auditeur de première classe dans la promotion des trois cents auditeurs au conseil d’État que fit l’Empereur. Ayant été employé sous les ordres de M. Daru, dans les campagnes d’Iéna et de Wagram, il fut attaché à la section de la guerre du conseil d’État.

Le 22 août (1810), Napoléon institua deux inspecteurs de la comptabilité du mobilier et des bâtiments de la couronne. Sur la présentation de M. le comte Daru, intendant général de sa maison, l’Empereur nomma à ces deux emplois MM. Beyle et Lecoulteux de Canteleu, également auditeur. Beyle fut, en outre, chargé, à la liste civile, de la direction du bureau de la Hollande. C’est de cette époque que datèrent ses relations avec le duc de Frioul, le sage, honnête et fidèle Duroc, grand maréchal du palais.

La place d’inspecteur du mobilier de la couronne réunissait pour Beyle l’agréable à l’utile ; ses divers émoluments ou revenus pouvaient s’élever annuellement à 12,000 francs. Cela ne suffisait peut-être pas entièrement à tous ses besoins ; mais le déficit ne pouvait plus donner de sérieuses inquiétudes. Quant à ses relations de société, elles avaient beaucoup grandi par le seul fait de ses fonctions d’inspecteur du mobilier de la couronne, qui donnaient entrée à la cour.

Le dimanche, 16 décembre 1810, après la messe, Beyle fut présenté à Marie-Louise, au château des Tuileries, par la belle duchesse de Montebello, dame d’honneur de l’impératrice.

À voir cette vie si remplie, cette existence partagée entre tant d’émotions diverses et offrant une si grande variété de séductions, pour un jeune homme au sang chaud et à la tête ardente, on croira que tout entier au présent, il ne songe guère à l’avenir ! Eh bien, Beyle, au milieu de cette année 1810, qui avait pour lui un intérêt particulier, par les emplois qu’il obtint, faisait des dispositions pour que la petite fortune qu’il laisserait en cas de mort, fût employée à la fondation d’un prix littéraire ! Et, chose bien singulière, au moment où la puissance de Napoléon était à son apogée, c’est en Angleterre ou en Amérique qu’il prescrivait de placer les fonds auxquels il donnait cette destination ! L’injonction est formelle, dans l’instruction laissée à ses amis, pour cet objet spécial.

L’année 1811 fut pour Beyle une époque de voyages. Après avoir assisté et pris une part très-vive aux joies, à l’enthousiasme, au bonheur public qui saluèrent la naissance du roi de Rome, Beyle courut au Havre, en compagnie de deux amis, uniquement pour y voir la mer.

Au retour de cette promenade de cinq jours, il obtint un congé pour revoir l’Italie. Son départ eut lieu le 29 août 1811. Pendant ce voyage, il notait au fur et à mesure, et pour lui-même, les observations auxquelles l’aspect des lieux, des choses et des individus donnait naissance.

Ce journal, d’un style incorrect, mais simple, familier, est écrit avec toute la liberté de langage que l’on peut attendre d’un homme jeune, ardent, et n’ayant à dissimuler aucun mouvement de l’esprit ou des sens.

On lit ces lignes à la fin du manuscrit :

« Présenté en toute humilité à M. H. B., âgé de trente-huit ans, qui vivra peut-être en 1821, par son très-humble serviteur, plus gai que lui. »

Le H. B. de 1811.
Milan, le 29 octobre 1811.

Voici en quels termes il rend compte de sa première visite à une dame de Milan qu’il n’avait pas revue depuis dix ans, et dont le souvenir lui était resté très-cher :

« Je l’avais vue pour la dernière fois le 1er vendémiaire an X (23 septembre 1801), en allant de Brescia à Savigliano, où était mon régiment. Aujourd’hui (10 septembre 1811), à une heure, je me suis présenté chez elle ; heureusement on m’a fait attendre un quart d’heure, ce qui m’a donné le temps de me remettre un peu.

» J’ai vu une grande et superbe femme. Elle a toujours le grandiose produit par la manière dont ses yeux, son front et son nez sont placés. J’ai trouvé plus d’esprit, plus de majesté et moins de cette grâce pleine de volupté. En 1801, elle n’était majestueuse que par la force de la beauté ; aujourd’hui elle l’est aussi par la force de ses traits. Elle ne m’a pas reconnu ; cela m’a fait plaisir. Je me suis remis, en lui expliquant que j’étais Beyle, l’ami de Joinville. Quello è il Chinese (c’est le Chinois), a-t-elle dit à son père qui se trouvait là. »

Si le système d’éducation suivi par ses parents, à l’égard de Beyle, a exercé une notable influence sur son caractère, sur la marche et la tendance de ses idées, on ne peut méconnaître celle, tout aussi décisive, pour ses facultés, qu’il dut à son existence sous l’Empire. Voyant de près les rouages de cette grande machine ; vivant à peu près exclusivement de la vie qui animait la partie active de la nation ; prenant part aux actes émanés de la pensée du puissant génie qui imposait ses lois à l’Europe ; nourri de l’esprit que projetait cet astre si resplendissant ; émerveillé de sa marche imposante, comme de la majesté de ses mouvements, on peut concevoir l’invincible dégoût dont Beyle dut être saisi à la vue de tout ce qui suivit cette grande époque ! Ne pouvant, ne voulant entrer en lutte avec aucun des renégats de toute espèce, entre lesquels s’éleva cette ignoble rivalité de platitudes, de lâchetés, de trahisons, Beyle prit un singulier parti : celui, comme on dit, de hurler avec les loups ; de rire de tout, de n’attacher d’importance à rien. Ceux qui ne le connaissaient qu’imparfaitement, ne manquèrent pas de l’accuser de versatilité, d’ingratitude, de dédain pour l’humanité, d’orgueil extrême, d’insensibilité, de penchants aristocratiques, etc. ; tandis qu’au fond et sans prétendre que le germe de tout ou partie de ces défauts ne fût pas en lui, on ne devait voir dans sa conduite que le développement de sa haute admiration pour Napoléon, aussi bien que la conscience de sa supériorité, et de la profondeur de ses observations, sur le temps où il vivait.

Après beaucoup de difficultés de la part de M. de Champagny, intendant de la maison de l’empereur, Beyle obtint la permission de faire la campagne de Russie, en 1812. Au milieu de toutes les préoccupations dont son esprit fut assailli pendant cette déplorable guerre, il s’attacha à l’examen physiologique de ces masses d’hommes, appartenant à tant de nations, et formant la grande armée. Aidé dans ses observations par le livre de Cabanis, il essayait l’application de ses doctrines sur les divers tempéraments, au fur et à mesure que cette multitude passait sous ses yeux. C’est sur les bords du Niémen que l’auteur de l’Histoire de la peinture en Italie réunit les premières idées du chapitre sur les tempéraments qu’il y a inséré ; c’est aussi là qu’il reconnut que le tempérament sanguin était celui le plus dominant chez les Français.

Il suivit le quartier général à Moscou, et assista à l’incendie de l’antique métropole de la Russie. Aux premières lueurs de cet immense cataclysme de flammes, il sortit précipitamment au milieu de la rue, croyant avoir le spectacle si désiré d’une aurore boréale ; mais son erreur fut bientôt dissipée, en voyant le Kremlin tout en feu, et en entendant le bruit des tambours, battant le rappel sur tous les points.

Pendant le cours de cette désastreuse campagne, Beyle remplit momentanément les fonctions de directeur général de l’approvisionnement des places de Minsk, Witepsck et Mohiloff. Il rendit un grand service à Orcha, en donnant trois jours de vivres à l’armée, les seuls vivres qu’on ait eus de Moscou à la Bérésina.

Après avoir perdu dans la retraite chevaux, voitures, argent et effets, il vint reprendre à Paris son inspection du mobilier de la couronne. À propos des pertes éprouvées par Beyle dans cette retraite de Moscou, il en est une qui mérite d’être mentionnée particulièrement. Avant de se mettre en route, il jugea convenable de prendre quelques précautions particulières pour le cas où l’argent de poche viendrait à lui manquer. Sa sœur remplaça tous les boutons d’une redingote par des pièces de vingt francs et de quarante francs soigneusement recouvertes de drap. À son retour, sa sœur lui demanda si ce moyen lui avait bien réussi. Il n’y avait plus songé depuis son départ ; à force de fouiller dans sa mémoire, il se rappela vaguement avoir donné la vieille redingote à un garçon d’auberge près de Wilna et avec les boutons d’or cousus à Paris. Ce trait est vraiment caractéristique, car Beyle était précautionneux à l’excès, oublieux comme personne, insouciant au plus haut degré.

Ce voyage en Russie, accompagné de tant de péripéties sublimes et douloureuses, avait singulièrement modifié le caractère de Beyle. À son retour, il ne retrouva plus les passions qui animaient sa vie auparavant. Il croyait, au contraire, pendant la retraite, que les sensations éprouvées pendant dix-huit jours consécutifs, donneraient un nouvel aliment à son âme. Il n’en fut rien. L’ennui le prit à Kœnigsberg et augmenta à Dantzig. Cette froideur dans laquelle il était tombé, n’aurait pas été absolument sans charme, si le souvenir du bonheur que lui donnait son existence antérieure ne l’eût troublé à chaque instant.

En 1813, il était à Mayence, à Erfurth, à Lutzen, à Dresde, avec le quartier général de l’Empereur. Il remplissait à Sagan (Silésie) les fonctions d’intendant. Cependant sa santé, fort altérée par la retraite de Moscou et par des fatigues de tout genre, l’obligea à prendre quelque repos, sous un climat plus doux ; six semaines de séjour sur les bords du lac de Como et à Naples, pendant les mois d’octobre et de novembre, le rétablirent tout à fait. D’ailleurs, cette âme de trente ans, ce cœur si disposé à s’enflammer, étaient délicieusement occupés ; l’amour et le dolce far niente remplissaient de bonheur tous ses instants.

Au commencement de janvier 1814, lorsque les armées ennemies envahissaient de tous les côtés le territoire de l’empire, le gouvernement envoya M. le sénateur, comte de Saint-Vallier, à Grenoble, en qualité de commissaire extraordinaire. Beyle lui fut adjoint, et reçut des instructions particulières de Napoléon à ce sujet. Il donna dans cette importante circonstance de nouvelles preuves de capacité. Le sénateur prenait des arrêtés pour toutes les mesures urgentes, faisait des proclamations, appelait les Dauphinois aux armes, etc. ; c’était Beyle qui, en réalité, agissait et dirigeait le sénateur.

Je ne puis me dispenser de mentionner ici une circonstance de cette mission, qui attira quelque ridicule sur Beyle, sans qu’il y eût presque de sa faute ; voici le fait. Lui, dont les amers sarcasmes ont si souvent poursuivi les gens titrés, avait affublé son nom, sous l’empire, de la particule appartenant à la noblesse. Alors, comme aujourd’hui, c’était la grande affaire des petits bourgeois enrichis ; un hasard malencontreux lui fit partager momentanément leur sottise.

Lorsqu’il s’agit, en 1810, de rédiger le décret impérial qui nommait les deux inspecteurs du mobilier de la couronne, M. le comte Daru éprouvait une sorte de répugnance à écrire le nom de Beyle, tout court, à côté de celui de son collègue M. Lecoulteux de Canteleu ; quelqu’un opinait pour placer la noble particule devant le nom de Beyle ; M. Daru s’y refusait, trouvant que cette adjonction ressemblait à un faux. Grand était l’embarras, lorsqu’on eut l’heureuse idée de demander à Beyle son acte de naissance ; il y était désigné comme fils de noble Chérubin-Joseph Beyle, etc. Puisque son père est noble, dit l’interlocuteur officieux, comment le fils ne le serait-il pas ? La difficulté ainsi levée, Beyle fut M. de Beyle, sur le décret qui le nommait inspecteur du mobilier de la couronne.

Tout alla au mieux pour le nouveau noble, jusqu’au moment où une épreuve difficile lui était réservée, dans sa ville natale. Les actes émanant du commissaire extraordinaire de l’Empereur étaient contre-signés par M. de Beyle, auditeur au conseil d’État. Ce de, dont son père n’avait jamais songé à se parer, devint l’objet de propos piquants. On ne se borna pas toujours à des lazzi ; chaque fois qu’une publication du sénateur paraissait sur les murs de Grenoble, c’était à qui effacerait le de placé devant le nom de Beyle, soit avec de l’encre, soit en l’enlevant avec un grattoir. Quelquefois même, on ajoutait à la main :

« Faute d’impression, ou, Plaisanterie fort déplacée dans les graves circonstances où nous nous trouvons. »

Voyez maintenant l’étrange situation de Beyle ! il se trouvait placé entre deux écueils : se résigner au ridicule, ou raccourcir son nom consacré par un décret impérial, et sous lequel il était connu, depuis près de quatre ans, à la cour et dans l’armée.

Le commissaire extraordinaire avait pour mission d’imprimer une direction prompte, énergique, aux mesures adoptées pour la défense du territoire. Dans ces moments de crise et d’excitation générale, chacun se croit le droit, et même le devoir, de surveiller la conduite des dépositaires de l’autorité. Ici, il faut l’avouer, par des causes dont l’appréciation a échappé jusqu’à ce moment du jugement des hommes impartiaux, tout semblait disposé pour favoriser l’invasion de l’ennemi, et pour neutraliser le patriotisme si dévoué des Dauphinois ; leur bouillante indignation se manifesta bientôt par le cri de trahison ! hautement articulé. Beyle repoussa longtemps une accusation qui lui semblait absurde. Cependant, quelques doutes s’étant élevés dans son esprit, sur l’efficacité des moyens administratifs et militaires employés pour repousser l’ennemi, il voulut juger, par lui-même, de l’état des choses, et se rendit, vers le milieu du mois de mars, à l’armée d’avant-garde, bivouaquée à Carouge. Elle se composait de dix mille hommes de toutes armes, chargés d’observer les Autrichiens occupant Genève et la rive droite de l’Arve. J’étais du voyage.

Beyle et moi, nous occupions la même chambre à Carouge, lorsque, le lendemain de notre arrivée, nous fûmes réveillés au point du jour par un fracas étrange, dans le galetas au-dessus de cette chambre : c’était un boulet de canon autrichien, qui était venu se loger dans la toiture de notre auberge.

Beyle rencontra les meilleures dispositions chez l’un des deux généraux de division placés à la tête de notre petite armée, le comte Dessaix. L’autre général, au contraire, celui qui, par ancienneté de grade, avait le commandement en chef, ne possédait pas au même degré cette chaleur qui animait le brave Dessaix, digne du grand homme dont il portait presque le nom. Le commandant supérieur se tenait à l’écart et se montrait peu aux soldats. « C’est le médecin Tant mieux et le médecin Tant pis, » me disait Beyle.

L’objet de sa mission était rempli, il quitta Carouge après un séjour de trente-six heures, et retourna à Grenoble, auprès du commissaire extraordinaire. Puis se rappelant le serment qu’il avait prêté à l’Empereur, il sollicita et obtint la permission de revenir à Paris. Son intention était de soumettre, directement à Napoléon, ses observations sur l’insuffisance des mesures adoptées pour la défense de la Savoie et du Dauphiné ; mais ce zèle fort louable fut en pure perte : il trouva les Cosaques à Orléans, et entra à Paris le 1er avril (1814), le jour même où le sénat proclamait la déchéance de l’Empereur.

La fortune de Beyle s’évanouit avec celle de Napoléon ; il perdit tout, présent, avenir, et prit gaiement la chose. On était même tant soit peu étonné de voir un des fonctionnaires de l’empire se réjouir de la chute du « despote qui avait volé la liberté à la France, » et montrer une sorte d’engouement pour les semblants de libéralisme de la restauration. Ceci paraissait d’autant plus étrange, que le fervent néophyte ne faisait rien pour capter la bienveillance du nouveau gouvernement, qu’il refusait même le concours que lui offraient, dans ce but, plusieurs de ses amis. Peut-être vit-il uniquement dans le changement de sa position un moyen naturel de s’affranchir de toute entrave, et de mener cette vie de cosmopolite, à laquelle il s’est abandonné depuis lors sans réserve. L’épigraphe de son existence semblait être cette maxime tirée d’un petit volume du dernier siècle :

« L’univers est une espèce de livre dont on n’a lu que la première page, quand on n’a vu que son pays. »

Il résolut d’en feuilleter encore d’autres, et la note suivante, trouvée dans ses papiers, motive sa détermination d’une manière assez originale.

« 5 juin 1814, en ne trouvant pas mon nom parmi ceux des pairs.

» Heureusement le luxe me touche peu ; ou plutôt il m’embarrasse. Je sens fort bien la possibilité de vivre à Paris, dans une chambre au quatrième, avec un habit propre, une femme qui vienne le battre le matin, et mes entrées aux Français, ou plutôt à l’Odéon[11] que j’aime.

» Mais la vanité, la considération, s’opposent à ce genre de vie. M. Doligny ne me recevra plus de la même manière, quand il saura que je vis avec six mille francs. Cela me serait insupportable. Il faut donc quitter Paris.

» Par un second bonheur, Paris m’ennuie depuis longtemps et j’aime l’Italie où, avec mes six mille francs et deux dîners par mois, chez l’ambassadeur, je serai considéré. »

Vers le milieu du mois d’août 1814, Beyle quitta Paris et se rendit à Milan, où il séjourna pendant trois années consécutives. C’est donc par erreur qu’on l’a fait figurer parmi les combattants à Waterloo ; il ne vint point en France dans l’interrègne, jugeant que Napoléon ayant contre lui tous les souverains de l’Europe, sa cause n’avait pas de chance de succès.

Ces trois années passées à Milan paraissent avoir été pour lui une époque bien heureuse ; il en parlait toujours avec enthousiasme. Les délicieuses soirées de la Scala ne pouvaient sortir de sa mémoire. Sans être riche, sa bourse suffisait à ses besoins ; il était jeune, amoureux, en relations journalières avec les hommes les plus distingués, et il écrivait l’Histoire de la peinture en Italie. Je ne puis donner une idée plus juste du charme qu’offrait alors à un homme d’esprit la société de Milan, qu’en empruntant à M. de Latour ce passage de son excellente notice sur Silvio Pellico.

« La maison du comte Porro était, à Milan, le rendez-vous de tous les étrangers de distinction, dans cette Italie que traversent incessamment les plus hautes intelligences de l’Europe. Là, apparaissaient tour à tour à l’auteur[12] de Françoise de Rimini, Byron, madame de Staël, Dawis, Schlegel, Brougham, l’industrielle Angleterre et la rêveuse Allemagne. Là, s’entretenaient de leurs communes espérances beaucoup d’Italiens de renom. C’était le célèbre Confalonieri, un des hommes les plus remarquables de notre temps, par ses talents politiques et par son grand caractère ; c’était Lodovico de Brême, poëte et prosateur à la fois ; c’était don Petro Borsieri de Faënza, critique ingénieux et poëte remarquable, avec bien d’autres encore. »

Tout enfin souriait à Beyle ; car il ne songeait guère à l’avenir, et le présent était sans nuage. Un jour, cependant, arriva où des peines de cœur assez vives lui firent éprouver le besoin d’une secousse ; il vint à Paris en juin 1817. Son état habituel semblait fort bizarre ; il était ou profondément triste ou ridiculement gai et même bouffon ; on voyait qu’il faisait de grands et vains efforts sur lui-même pour ne pas s’abandonner au désespoir.

Profitant du voisinage de l’Angleterre, il y fit une excursion pendant le mois d’août ; ce petit voyage se borna à une courte apparition à Londres ; avant la fin de l’année Beyle reprit la route de Milan.

Vers le milieu de l’année 1820, son bonheur fut sérieusement troublé par un de ces incidents qu’on appelle généralement : une tuile tombant sur la tête. L’intempérance de sa langue lui avait suscité des jaloux, des ennemis. L’un d’eux eut l’idée de répandre le bruit, dans Milan, que ce philosophe étourdi, à l’air insouciant et léger, était un agent secret du gouvernement français. Cette infâme calomnie eut accès dans les sociétés où Beyle était reçu avec le plus d’empressement auparavant. Pendant assez longtemps il chercha à s’expliquer, et sans pouvoir s’en rendre compte, l’espèce de froideur avec laquelle on l’accueillait. Un jour, enfin, il en connut la cause et son malheur fut affreux ! Il l’exprime en termes touchants dans une lettre du 23 juillet 1820 :

« Voilà le coup le plus terrible que j’aie reçu dans ma vie ! »

La Providence avait sans doute arrêté qu’aucune idée, qu’aucun projet ne lui resteraient étrangers. Pendant un séjour à Bologne dans cette même année, Beyle s’éprit d’une véritable passion pour cette ville aimable. Là, au milieu des plaisirs que la société et les arts peuvent offrir à un esprit délicat, il s’enquit du revenu des terres, du taux de l’intérêt de l’argent, du mouvement des affaires commerciales, et songea sérieusement à réunir quelques fonds pour s’établir banquier à Bologne ! L’argent y rapportant alors communément douze à quinze pour cent, il comptait avec un capital de quarante mille francs, se faire largement un revenu en rapport avec ses besoins.

Beyle a toujours adoré l’imprévu, ne pouvant se plier à aucune gêne imposée par un devoir quelconque, et se trouvant en insurrection permanente contre toute obligation à l’accomplissement de laquelle n’était attaché aucun plaisir. Céder toujours à l’impression du moment, aurait été son unique règle de conduite, si d’impérieuses convenances n’eussent, parfois, élevé des barrières, devant lesquelles il lui semblait impossible de ne pas s’arrêter. Il aimait singulièrement aussi à défigurer son nom, en y retranchant, ou ajoutant quelque lettre ; c’était également un plaisir charmant pour lui, de s’attribuer un titre ou une profession supposés. Une fois entré dans cette voie, il en usait de même à l’égard de sa famille. Obligé de donner son adresse au tailleur ou au bottier, ce n’était qu’exceptionnellement qu’il leur livrait son nom ; cela donnait lieu souvent à des quiproquo où sa gaieté trouvait un aliment. Ainsi, on le demandait tour à tour sous les noms de : Bel, Bell, Beil, Lebel, etc. Quant à son état, c’était au caprice du moment qu’était réservé le soin de le baptiser : à Milan, il se donnait pour officier supérieur de dragons, licencié en 1814, et fils d’un général d’artillerie. Tous ces petits contes n’étaient que plaisants ; jamais il n’en retira d’autre avantage qu’un peu d’amusement pour lui.

Sa vie s’écoulait assez paisiblement à Milan, entre l’étude, des affections de cœur, et ce dolce far niente, qui occupe une si grande place dans les habitudes des gens riches de la Lombardie, lorsque en avril 1821, la police autrichienne le supposa, très-gratuitement, affilié à la secte des Carbonari. Elle le pria poliment de s’éloigner des États de S. M. I. et R. En pareil cas, il ne s’agit pas de discuter, de tenter une justification ;il faut obéir. Vingt-quatre heures après cet avis bienveillant (car on pouvait l’envoyer sans façon au Spielberg), il prenait la route de France ; mais le désespoir dans l’âme, car il laissait à Milan tout ce qui, pour lui, en ce moment, constituait le bonheur.

En rentrant à Paris, Beyle s’y trouva singulièrement isolé. La société dans laquelle il avait vécu au temps de l’empire était dispersée, n’existait même plus ; les proscriptions l’avaient brisée, et plusieurs des hauts fonctionnaires de Napoléon s’étaient dégradés par une longue série de bassesses. Beyle n’avait donc aucune ressource de ce côté ; et cependant il éprouvait vivement le besoin de voir le monde, et le monde à la fois élégant et instruit.

L’Histoire de la peinture en Italie, publiée en 1817, mais encore peu connue, lui ouvrit le salon de Paris, le plus riche de tous les avantages qu’il recherchait particulièrement. Un exemplaire de cette Histoire fut, comme il le disait plaisamment, jeté à la porte de M. le comte de Tracy[13], dont le livre sur l’Idéologie faisait depuis plusieurs années l’admiration presque exclusive de Beyle. M. de Tracy, homme aussi poli et bon qu’il était savant, se fit indiquer le logement de l’auteur de l’Histoire de la peinture, et lui fit une visite. Beyle la rendit exactement, comme on peut le croire, et reçut l’invitation de venir passer la soirée chez M. de Tracy, le jour où son salon était ouvert. Il y fut d’une assiduité fort méritoire, à raison de son inconstance. C’est au sein de cette haute faculté où la bonne compagnie, par excellence, disposait des réputations et les faisait accepter au public, que Beyle prit ses grades, comme on pourrait dire. Chez M. de Tracy il rencontrait habituellement le général Lafayette, le comte de Ségur l’ancien ambassadeur auprès de Catherine, Benjamin Constant, et une foule d’autres notabilités, parmi lesquelles on pouvait distinguer des femmes de mérite.

De 1821 à 1830, Beyle résida à Paris, tout en faisant assez fréquemment de petites excursions en France, en Italie, en Angleterre. Il vit Londres pour la seconde fois dans l’automne de 1821 ; son séjour ne s’y prolongea pas au delà de trois semaines. Le but principal de ce voyage était d’y chercher quelque distraction à un chagrin profond ; mais ce fut en vain, car Beyle écrivait, deux ans plus tard, que cet effort pour oublier avait été sans résultat.

L’aspect brumeux de la Tamise, malgré ses innombrables voiles et son immense mouvement industriel, ne lui plut guère ; tout lui parut bien prosaïque dans le séjour de ces marchands affairés. Cependant certains rapprochements que Beyle put faire alors entre la situation politique de la France et celle de l’Angleterre, ainsi qu’entre le jeu de leurs institutions gouvernementales, donnèrent quelque avantage à celle-ci dans son esprit. Par la suite, ses idées à cet égard se modifièrent, et son estime ne s’adressa plus qu’aux hommes de talent que l’Angleterre a produits. Une de ses maximes favorites était que : « Les Anglais ne sont impolis que par grossièreté. »

Des relations de société s’établirent, pendant l’automne de 1816, entre Beyle et lord Byron ; elles prirent naissance dans la loge de M. Lodovico de Brême, au théâtre de la Scala à Milan. Des rapports d’âge, plus encore que de caractère, les rapprochèrent ; car il existait entre leurs goûts et leurs penchants de notables différences. Beyle éprouvait le besoin impérieux de se produire dans le monde. Lord Byron, au contraire, naturellement mélancolique, souvent misanthrope, fuyait toute réunion et recherchait la solitude[14]. Les usages, les mœurs, la combinaison des lois civiles avec les règles imposées par la religion, tout lui semblait absurde dans l’organisation des sociétés européennes. Sa vie, si courte, fut un effort continuel pour s’affranchir des entraves qu’il voyait partout opposées à nos penchants et aux droits que nous tenons de la nature. L’Angleterre, aux yeux de Byron, ne valait pas mieux que le reste ; il professait même pour elle un profond éloignement. Une atmosphère chargée de brouillards et un feu de charbon de terre endormaient son génie ; il lui fallait un soleil ardent et la vue d’un ciel bleu pour donner essor à ses facultés. Aussi quitta-t-il sa patrie à vingt ans pour n’y revenir qu’un moment, et aller mourir en Grèce à l’âge de trente-six ans.

Beyle partageait un peu cet esprit de révolte contre la civilisation moderne ; ce fut là probablement le secret lien des rapports qui existèrent entre lui et Byron. Quoi qu’il en soit, ces deux hautes intelligences se recherchèrent, se plurent ; mais voilà tout ; car, on le comprend, il ne pouvait exister entre eux d’étroite sympathie. Cependant tout indique que l’un et l’autre trouvèrent du plaisir à se rencontrer, à se lier par un commerce d’idées ; tous deux conservèrent un souvenir agréable de ces rapports momentanés. Beyle a toujours défendu avec chaleur les écrits et la personne de Byron ; celui-ci, de son côté, estimait justement l’originalité piquante, l’excellent ton de critique, le caractère honorable de Beyle. On en trouvera le témoignage dans la lettre, reproduite ici et que lui écrivit ce grand poëte, onze mois avant sa mort.

Beyle n’avait point partagé l’engouement excessif des Parisiens pour Walter Scott. Il lui reconnaissait le talent de décrire merveilleusement les habits de ses personnages, le paysage au milieu duquel ils se trouvent, les formes de leurs visages ; mais il lui refusait l’art si difficile, si rare, de peindre les passions et les divers sentiments qui agitent l’âme ; en un mot, de pénétrer profondément dans les interstices du cœur humain. Beyle ne croyait pas que la réputation de Walter Scott pût se soutenir longtemps au point où la mode l’avait portée ; il pensait que le mérite historique, par lequel se distinguaient surtout ses romans, ne les recommanderait point à la postérité. Sa prédiction s’est en partie réalisée, et, avant sa mort, Beyle a déjà pu s’apercevoir que ce mérite avait perdu de son éclat ; en un mot, qu’il s’était un peu fané. Son opinion, sur la nature du talent de Walter Scott, était très-arrêtée ; on la retrouve souvent dans ses écrits. Ce n’est cependant que d’une manière allusive que sa brochure de Racine et Shakspeare la reproduit. Toutefois, Byron crut y entrevoir une attaque contre le caractère de Walter Scott, et il la repoussa avec une générosité qui ne peut que l’honorer.

Chose singulière, le pamphlet de Racine et Shakspeare contient des expressions peu flatteuses sur des ouvrages de lord Byron, et dont il pouvait à juste titre se trouver blessé. Eh bien, pas un mot à ce sujet dans sa lettre à Beyle ; il se borne à défendre son rival avec chaleur, mais sans s’écarter un instant d’une urbanité amicale.

Voici cette lettre, dont l’original fait partie des papiers laissés par mon ami.

Gênes, le 29 mai 1823.
« Monsieur,

» À présent que je sais à qui je dois la mention flatteuse de mon nom dans Rome, Naples et Florence, en 1817, par M. de Stendhal, il est juste que j’offre mes remercîments (agréables ou non, et pour ce qu’ils valent) à M. Beyle, avec qui j’eus l’honneur de faire connaissance à Milan, en 1816. Vous m’avez fait trop d’honneur par ce qu’il vous a plu de dire dans cet ouvrage ; mais ce qui m’a causé autant de plaisir que les louanges mêmes que vous me donnez, c’est d’apprendre enfin (par hasard) que j’en suis redevable à quelqu’un dont j’étais réellement ambitieux d’obtenir l’estime. Tant de changements ont eu lieu depuis cette époque dans le cercle de Milan, que j’ose à peine en rappeler le souvenir… La mort, l’exil et les prisons autrichiennes ont séparé ceux que nous aimions… Le pauvre Pellico ! J’espère que dans sa solitude cruelle, sa Muse le console quelquefois… pour nous charmer encore un jour quand son poëte sera rendu avec elle à la liberté.

» De vos ouvrages, je n’ai vu que Rome, les Vies de Mozart et d’Haydn, et la brochure sur Racine et Shakspeare. Je n’ai pas eu encore la bonne fortune de trouver votre Histoire de la peinture.

» Il y a dans votre brochure une partie de vos observations sur lesquelles je me permettrai quelques remarques : c’est au sujet de Walter Scott. Vous dites que son caractère est peu digne d’enthousiasme, en même temps que vous mentionnez ses ouvrages comme ils méritent de l’être. Je connais depuis longtemps Walter Scott ; je le connais beaucoup, et je l’ai vu dans des circonstances qui mettent en évidence le vrai caractère de l’homme. Je puis donc vous certifier que son caractère est digne d’admiration, que de tous les hommes il est le plus franc, le plus honorable, le plus aimable. Quant à ses opinions politiques, je n’ai rien à en dire : comme elles diffèrent des miennes, il est difficile pour moi d’en parler ; mais il est parfaitement sincère dans ses opinions, et la sincérité peut être humble, mais elle ne saurait être servile. Je vous prie donc de corriger ou d’adoucir ce passage. Vous pourriez attribuer peut-être ce zèle officieux de ma part à une fausse affectation de candeur, parce que je suis auteur moi-même ; attribuez-le au motif que vous voudrez, mais croyez la vérité : je dis que Walter Scott est aussi excellent homme qu’un homme peut l’être, parce que je le sais par expérience.

» Si vous m’accordez l’honneur d’une réponse, veuillez bien me l’adresser au plus tôt, parce qu’il est possible (quoique non décidé jusqu’à présent) que les circonstances me conduisent encore une fois en Grèce. Mon adresse, pour le moment, est à Gênes, et, si j’étais absent, on me la ferait parvenir partout où je serais.

» Je vous prie de me croire, avec un souvenir très-vif de notre courte connaissance et l’espoir de la renouveler un jour,

« Votre très-obligé et obéissant serviteur,
» Signé : Noël BYRON.

» P. S. Je ne m’excuse pas de vous avoir écrit en anglais, parce que je sais que vous connaissez parfaitement cette langue. »

Malgré le ton à la fois suppliant et poli de cette lettre, Beyle ne modifia en rien son opinion sur l’excessive servilité de Walter Scott ; il ne répondit même pas à lord Byron ; car, ayant trouvé, à tort ou à raison, une nuance d’hypocrisie dans sa lettre, il préféra garder le silence plutôt que de s’exposer à dire une chose désagréable à un homme qu’il aimait et estimait.

Pendant les dix années de 1821 à 1830, Beyle fut tout à fait homme du monde et écrivain. Il fréquenta habituellement les cercles où se rencontraient les notabilités dans la politique, dans les lettres, dans les arts, et où se montraient les femmes que des avantages extérieurs ou ceux de l’intelligence recommandaient à l’attention. C’est de cette époque que date, à Paris, sa réputation d’homme d’esprit et de conteur agréable. La société écoutait avec plaisir, avec un intérêt soutenu, cette multitude d’anecdotes que sa vaste mémoire et sa vive imagination produisaient sous une forme gracieuse, colorée, originale. On reconnaissait dans le narrateur l’homme qui avait beaucoup étudié, beaucoup vu et finement observé.

À travers les profondes altérations subies par la vie de salon, depuis 1780, il rappelait un peu l’attention sur le goût régnant alors chez les gens en possession de le diriger ; il parvenait à rendre la conversation générale ; chose difficile et presque inusitée de nos jours, où lorsque trois personnes sont réunies, il y a déjà deux conversations qui vont ensemble, sans aucun rapport ; de nos jours, dont les routs ressemblent à des lieux ouverts à tout venant, et où il se consomme à peu près autant d’esprit qu’à un bal costumé, composé de gens qui se voient pour la première fois. Beyle devait à son amabilité de triompher souvent de tous les dissolvants qui tendent à briser la société française.

Avec les succès de salon marchaient parallèlement les travaux littéraires. Il imprimait des livres, donnait des articles aux journaux, aux revues françaises et anglaises, toujours pseudonymes ou anonymes, mais auxquels les lecteurs dont il ambitionnait plus particulièrement le suffrage mettaient tout de suite le nom de l’auteur. En 1822, il essaya de fonder une Revue : l’Aristarque. Cette feuille destinée à faire connaître au public les livres à lire, aurait paru le quinze de chaque mois. Ce projet n’eut pas de suite ; probablement il survint quelque obstacle pécuniaire.

Beyle parlait souvent avec dédain et dérision de sa ville natale ; mais, par une de ces bizarreries qui lui étaient particulières, le besoin de revoir les belles et gracieuses montagnes du Dauphiné se faisait sentir à lui tous les deux ou trois ans ; c’était chaque fois l’objet d’une courte apparition à Grenoble. Pendant l’une d’elles, en octobre 1824, il rôdait autour de l’ancienne propriété de son père à Claix ; on vendangeait, il voulut goûter du raisin qu’il avait savouré autrefois. Mais grand fut son embarras pour satisfaire cet ardent désir ; car il fallait avant tout garder le plus strict incognito. Bref, après une multitude de petites hésitations, il acheta quelques grappes de raisin du métayer, assez étonné de l’empressement et de la contenance mal assurée avec lesquels l’inconnu lui adressait une demande inaccoutumée dans le pays. Beyle me redisait avec un plaisir charmant la sensation délicieuse que lui procura ce raisin mangé sur les lieux mêmes où les plus doux moments de son enfance s’étaient écoulés.

Il concourut à l’élection de l’abbé Grégoire, lorsque le département de l’Isère l’envoya à la chambre des députés, en septembre 1819 ; son voyage à Grenoble n’avait pas eu d’autre but.

Doué d’une humeur habituellement gaie, Beyle était cependant sujet à des accès de misanthropie concentrée qui portaient son esprit aux idées noires. L’année 1828 est probablement celle pendant laquelle les pensées tristes dominèrent le plus : il songea même au suicide. J’en ai trouvé la preuve dans quatre testaments écrits en parfaite santé, du 20 août au 4 décembre. Dans celui du 14 novembre, il me demande pardon de l’embarras qu’il va me donner, et me supplie surtout de n’être pas triste à l’occasion d’un événement inévitable. Par celui du 4 décembre, il me priait de terminer les Promenades dans Rome, de les corriger même, et de surveiller l’impression déjà commencée.

Cette tristesse, ce dégoût de la vie n’étaient pas sans quelques motifs sérieux. Une portion essentielle de ses moyens d’existence consistait dans la rétribution d’articles littéraires, envoyés en Angleterre et insérés dans le New Monthly Magazine ; le célèbre libraire Colburn, qui dirigeait cette revue, avait d’immenses affaires et ne mettait pas toujours une grande exactitude dans l’envoi des fonds. Beyle en éprouvait une extrême contrariété, et fut souvent sur le point de rompre ses engagements avec lui. Cependant, comme la chose avait de l’importance, il patienta jusqu’au moment où Colburn cessa définitivement de payer. Ainsi les besoins se multipliaient chaque jour, et il était aisé d’entrevoir l’époque prochaine où les ressources ne seraient plus en rapport avec leurs exigences. Heureusement le cœur était alors très-occupé ; cette diversion le détourna insensiblement des projets sinistres qui l’obsédèrent pendant une partie de l’année 1828.

Beyle écrivait les Promenades dans Rome, lorsqu’on apprit à Paris que le pape Léon XII venait de mourir, le 10 février 1829. Cette nouvelle, tout à fait inattendue, mit en grand émoi la cour de Charles X. Chacun de s’enquérir du nom du cardinal que la France aurait intérêt à voir monter sur le trône de saint Pierre ; mais personne ne connaissait un peu particulièrement la composition du sacré collége. D’autre part, M. de Chateaubriand, alors ambassadeur à Rome, malgré la pureté de son dévouement et l’éclat de son nom, n’inspirait au roi et à ses courtisans qu’une confiance fort limitée. Cependant il fallait prendre promptement un parti ; comment faire ?

Un des familiers de la cour, ancien ami de Beyle, lui demanda s’il pourrait donner tout de suite une statistique du sacré collège, accompagnée de notices sur les cardinaux papables ; il tailla sa plume, et résuma, en trois heures de travail, tout ce qu’il importait de savoir sur les cardinaux influents, ou ayant chance de ceindre la triple couronne. Il désigna, comme le candidat que la France devait porter au pontificat, le cardinal de’ Gregorio, longue et maigre éminence, avec laquelle le hasard me fit rencontrer, en 1828, dans une Osteria de Velletri. Ce prince de l’Église, fils naturel de Charles III (Carlos Tercero), disait à tout bout de champ : Io sono Borbone.

Charles X fut enchanté des notices de Beyle, et adopta tout de suite le cardinal de’ Gregorio. Restait à prendre les mesures pour préparer son élection. La résolution suivante fut arrêtée pendant trente-six heures :

1° M. A…, porteur du secret, et d’un million donné par le roi sur sa cassette, se rendrait à Rome pour un voyage d’agrément, en traversant le Simplon ;

2° M. B… le suivrait de près, passant le mont Cenis ;

3° M. C… rejoindrait bientôt ces messieurs, en arrivant à Rome, par Marseille, la Corniche, Gênes, etc.

Les préparatifs de départ étaient en bon train, lorsque de nouvelles réflexions firent avorter ce projet ; le château craignit de blesser trop profondément M. de Châteaubriand, tout en n’atteignant peut-être pas le but désiré. On chargea donc du secret notre ambassadeur, à Rome ; il employa tous ses efforts à fixer le choix du conclave sur le protégé de Beyle, le cardinal de’ Gregorio ; et ce prince de l’Église ne manqua la tiare que d’une seule voix, au scrutin qui la donna au cardinal Castiglioni (Pie VIII).

Beyle, malgré toute la pénétration de son esprit, ne comprit rien aux événements qui préludèrent à la révolution de 1830 ; elle était accomplie, qu’il croyait encore à l’efficacité des moyens mis à la disposition du duc de Raguse, pour réprimer le mouvement insurrectionnel. Ce défaut de clairvoyance pourra étonner ; il le devait, en partie, à certaines relations de société, dont la confiance dans la force du gouvernement de Charles X était entière, et aussi parce qu’il croyait que le peuple manquerait de résolution et de persévérance. « Les Français ont donné leur démission en 1814, » disait-il souvent.

Lorsque le doute ne lui fut plus permis sur les résultats de ce grand mouvement, il fit afficher[15] un petit placard revêtu de sa signature, avec la qualité d’ancien auditeur au conseil d’État, et portant en substance : que le trône devait être offert « à M. le duc d’Orléans, et après sa mort à son fils aîné, si la nation l’en jugeait digne. » Cet écrit fut bientôt oublié au milieu des publications de toutes sortes qui se produisirent alors.

Il en fut de même d’une lettre qu’il adressa, je ne sais plus à quel journal, pour émettre son opinion à l’égard des nouvelles armoiries que la France devait adopter. Cette lettre me semble assez curieuse pour mériter d’être reproduite. La voici, avec la signature pseudonyme qu’il lui avait donnée.

Paris, le 29 octobre 1830.
« Monsieur,

» Des hommes graves cherchent des armes, ou plutôt des armoiries pour la France. Toutes les bêtes sont prises. L’Espagne a le lion ; l’aigle rappelle des souvenirs dangereux ; le coq de nos basses-cours est bien commun, et ne pourra prêter aux métaphores de la diplomatie. À vrai dire, il faut qu’une telle chose soit antique. Or, comment bâtir une vieille maison ?

» Je propose pour armoiries à la France le chiffre 29. Cela est original, vrai ; et la grande journée du 29 juillet a déjà ce vernis d’héroïsme antique qui repousse la plaisanterie.

OLAGNIER
» De Voiron (Isère). »

N’ayant pris aucune part à la révolution, Beyle n’avait rien à attendre d’elle ; mais ses amis s’occupèrent de lui, et le 25 septembre 1830, il reçut le brevet de consul de France à Trieste. Le 6 novembre suivant, il quitta Paris et se rendit à son poste.

Trieste ne lui plut guère ; il le trouva triste et froid ; Venise n’étant qu’à trente-trois lieues, il y fit de fréquentes excursions, et se lia d’amitié avec le poëte Joseph Buratti, qu’il avait connu antérieurement. Après la mort de Buratti, arrivée à Venise en 1832, Beyle inséra dans le supplément du sixième volume de la biographie publiée par M. Furne, une notice sur cet écrivain. La lettre dont elle était accompagnée contenait des détails qu’on sera peut-être bien aise de trouver ici.

« Je me promenais avec Buratti presque tous les jours, de neuf heures à minuit, en décembre 1830 et mars 1831. Nous soupions ensemble, après minuit, de deux heures à trois heures et demie, dans le café de la place Saint-Marc, voisin du café Florian, du côté de la Piazzetta. Je l’aimais tendrement. C’était alors un joli garçon de quarante-cinq ans, toujours fort bien mis. La figure était charmante et fine, l’œil peu animé, excepté après avoir récité trois cents vers. Nous dînions chez madame la comtesse Polcastro ; ses vers nouveaux faisaient le charme des soirées de madame Polcastro. Le père de Buratti ne lui avait laissé qu’une bague de six cents francs, au lieu de quatre cent mille francs dont son patrimoine devait se composer. Je ne sais comment Buratti s’était fait dix à douze mille livres de rente. Il avait épousé sa servante, à cause de l’habitude, disait-il. Il eut vers 1820 le seul chagrin de sa vie : ce fut la perte d’un fils âgé de sept ans.

» Le marquis Marrucci, dont Buratti se moque dans l’Eléfantéide, a quatre-vingt mille livres de rente et jouit à Venise du plus grand crédit ; c’est un roué russe qui aurait bien pu faire noyer le poëte dans quelque canal. La satire de Buratti contre le consul de France M. Mimault vaut mieux qu’aucune de celles de Boileau ; mais quinze cent mille personnes lisent le Vénitien, et dix millions de Français, plus cinq millions d’étrangers, peuvent lire Boileau, ou du moins l’achètent.

» Le gouvernement autrichien détestait Buratti, mais n’osait pas l’exiler, car les formes de ce gouvernement établi par Marie-Thérèse et Joseph II ne le permettaient pas. Les codes exigent des actions pour condamner ; la police actuelle interprète les codes tant qu’elle peut, mais elle n’est pas encore arrivée à les changer. Buratti répétait souvent : Je mourrai dans l’exil ; je serai obligé de me sauver. »

Beyle ne fit pas un long séjour à Trieste ; M. de Metternich ayant ouï parler de certains passages mal sonnants pour l’Autriche, dans les ouvrages publiés par le nouveau consul, lui refusa l’exequatur. Force fut donc au ministre des affaires étrangères de lui assigner une autre résidence ; il nomma Beyle, consul à Civita-Vecchia, en avril 1831. On pouvait également redouter des difficultés de la part du gouvernement pontifical ; car il n’avait guère été plus ménagé dans les écrits de Beyle. Mais le pape n’en fit aucune ; il n’a pas d’armée à mettre en campagne, pour soutenir les répugnances que pourrait éprouver son segretario di Stato.

À peine installé à Civita-Vecchia, il s’aperçut que le séjour de cette petite ville lui serait insupportable. Une maladie assez grave, qu’il fit peu de temps après y être arrivé, ajouta encore au dégoût ressenti à la première vue. Loin des salons de Paris, privé d’une société d’élite où sa place était restée vide, il succombait habituellement sous le poids des plus monotones loisirs. Que devenir au milieu de bourgeois qui se couchent à dix heures du soir ? La seule compensation qu’offrait cet exil, était de pouvoir aller souvent à Rome ; d’y faire même d’assez longs séjours.

Vers le milieu du mois d’octobre 1832, Beyle, assis sur les marches de l’église de San-Pietro in Montorio, contemplait un magnifique coucher du soleil. Son âme, ravie des pompeux accidents produits par les rayons de l’astre à son déclin, jouissait délicieusement de l’imposant tableau qui allait disparaître dans les ténèbres. Plongé d’abord dans une mélancolie douce, son esprit prit insensiblement un caractère de tristesse, qui augmenta à mesure que les teintes de la lumière s’affaiblissaient. Au moment où la nuit succéda au crépuscule, Beyle, se repliant sur lui-même, portant sa pensée sur ses jeunes années surtout, s’avoua douloureusement que, dans trois mois, il aurait cinquante ans ! Cette découverte l’affligea comme aurait pu le faire l’annonce inopinée d’un malheur irréparable. Son affaissement moral étant arrivé au plus haut période, l’idée d’écrire sa vie lui vint à l’esprit. Par malheur, ce projet n’eut d’autre résultat que quelques notes informes, écrites en caractères à peu près illisibles. On doit vivement regretter qu’il ne se soit pas peint sous l’empire, et qu’il ne nous ait pas laissé son opinion sur les nombreux et célèbres contemporains que ses relations l’avaient mis à même d’observer dans les grandes circonstances de leur vie. Quel dommage aussi qu’il n’ait pas laissé la relation de sa vie d’auteur, d’observateur, de voyageur, de 1814 à 1840 !

J’ai déjà reproduit dans cette notice quelques pensées détachées tirées des papiers de Beyle ; en voici d’autres qui ont la même origine, et qui me semblent mériter une place ici.

« Ma sensibilité est devenue trop vive ; ce qui ne fait qu’effleurer les autres, me blesse jusqu’au sang. Tel j’étais en 1799, tel je suis encore en 1840. Mais j’ai appris à cacher tout cela sous de l’ironie imperceptible au vulgaire.

» Trois ou quatre fois la fortune a frappé à ma porte. En 1814, il ne tenait qu’à moi d’être nommé préfet au Mans, ou directeur général des subsistances (blé) de Paris, sous les ordres de M. le comte Beugnot ; mais je m’effrayai du nombre de platitudes et de demi-bassesses, imposées journellement aux fonctionnaires publics de toutes les classes.

» À dix ans je fis, en grande cachette, une comédie en prose, ou plutôt un premier acte. Je travaillais peu, parce que j’attendais le moment du génie ; c’est-à-dire, cet état d’exaltation qui, alors, me prenait peut-être deux fois par mois. Ce travail était un grand secret ; mes compositions m’ont toujours inspiré la même pudeur que mes amours. Rien ne m’eût été plus pénible que d’en entendre parler. Ce fut, je crois, des œuvres de Florian que je tirai ma première comédie, intitulée Pikla.

» Nous passions les soirées d’été, de sept à neuf heures et demie, sur la terrasse de mon grand-père. Cette terrasse, formée par l’épaisseur d’un mur nommé Sarazin, mur qui avait quinze ou dix-huit pieds de largeur, avait une vue magnifique sur la montagne de Sassenage. Là, le soleil se couchait, en hiver, sur le rocher de Voreppe. Mon grand-père fit beaucoup de dépenses pour cette terrasse, qu’il fit garnir des deux côtés de caisses de châtaignier, dans lesquelles on cultivait un nombre infini de fleurs odorantes. Tout était joli et gracieux sur cette terrasse, théâtre de mes principaux plaisirs pendant dix ans (de 89 à 99).

» Je quittai l’école centrale après les examens de 1799. Alors les aristocrates attendaient les Russes à Grenoble ; ceux qui savaient leur Horace, disaient à demi-voix :

O rus, quando ego te aspiciam !

» Mon amour pour la musique a peut-être été ma passion la plus forte et la plus coûteuse ; elle dure encore à cinquante-six ans et plus vive que jamais. Combien de lieues ne ferais-je pas à pied, et à combien de jours de prison ne me soumettrais-je pas pour entendre Don Juan ou le Matrimonio segreto ; et je ne sais pour quelle autre chose je ferais cet effort.

» Ce n’est qu’en arrivant à Paris, en 1799, que je me suis douté qu’il y avait une autre prononciation que celle du Dauphiné. Dans la suite, j’ai pris des leçons du célèbre Larive et de Dugazon, pour chasser les derniers restes du parler traînard de mon pays. Il me reste l’accent ferme et passionné du Midi, qui décèle sur-le-champ la force du sentiment, la vigueur avec laquelle on aime, ou on hait ; singulière partout, et voisine du ridicule à Paris.

» Quand je me mets à écrire, je ne songe plus à mon beau idéal littéraire ; je suis assiégé par des idées que j’ai besoin de noter. Je suppose que M. V… est assiégé par des formes de phrases ; et ce qu’on appelle un poëte, M. Delille, ou Racine, par des formes de vers. Corneille était agité par des formes de répliques. Comme mon idée de perfection a changé tous les six mois, il m’est impossible de noter ce qu’elle était vers 1795 ou 1796. — La seule chose que je voie clairement, c’est que depuis vingt ans mon idéal est de vivre à Paris, dans un quatrième étage, écrivant un drame ou un roman.

» À vrai dire, je ne suis rien moins que sûr d’avoir quelque talent, pour me faire lire ; je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à écrire : voilà tout. — S’il y a un autre monde, je ne manquerai pas d’aller voir Montesquieu ; s’il me dit : « Mon pauvre ami, vous n’avez pas eu de talent du tout, » j’en serai fâché, mais nullement surpris. Je sens cela souvent : quel œil peut se voir soi-même ? Il n’y a pas trois ans que j’ai trouvé ce pourquoi. Je vois clairement que beaucoup d’écrivains qui jouissent d’une grande renommée sont détestables ; ce qui serait un blasphème à dire aujourd’hui, sera une vérité incontestée en 1880. Mais sentir le défaut d’un autre est-ce avoir du talent ? Je vois les plus mauvais peintres voir très-bien les défauts les uns des autres : M. Ingres a toute raison contre M. Gros, et M. Gros contre M. Ingres. (Je choisis deux artistes dont on parlera peut-être encore en 1935.)

» Je devrais écrire ma vie ; je saurais peut-être, enfin, quand cela sera fini, dans deux ou trois ans, ce que j’ai été, gai ou triste, homme d’esprit ou sot, homme de courage ou peureux ; enfin, au total, heureux ou malheureux.

» J’aurais dû être tué dix fois, pour épigrammes ou mots piquants qu’on ne peut oublier ; et pourtant je n’ai reçu que trois blessures, dont deux sont peu graves, celles à la main et au pied gauches.

» Au fond, cher lecteur, je ne sais pas ce que je suis ; bon, méchant, spirituel, sot. Ce que je sais parfaitement, ce sont les choses qui me font peine ou plaisir, que je désire ou que je hais.

» Un salon de provinciaux enrichis et qui étalent du luxe, est ma bête noire, par exemple. Ensuite, vient un salon de marquis et de grands-cordons de la Légion d’honneur, qui étalent de la morale. Pour moi, quand je vois un homme se pavanant dans un salon ( comme M. le comte de fraîche date, de S…, par exemple), avec plusieurs ordres à la boutonnière, je suppute involontairement le nombre infini de bassesses, de platitudes, et souvent de noires trahisons qu’il a dû accumuler pour en avoir reçu tant de certificats.

» Un salon de huit ou dix personnes aimables, où la conversation est gaie, anecdotique, et où l’on prend du punch léger à minuit et demi, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. Là, dans mon centre, j’aime infiniment mieux entendre parler un autre que de parler moi-même. Volontiers je tombe dans le silence du bonheur, et, si je parle, ce n’est que pour payer mon billet d’entrée.

» La seule chose que je regrette (en mars 1836), c’est le séjour de Paris ; mais je serais bientôt las de Paris, comme je suis las de ma solitude de Civita-Vecchia. »

Cette dernière réflexion, tant soit peu chagrine, donne la mesure de l’instabilité qu’il y avait dans son esprit.

Lors du débarquement des troupes françaises à Ancône (le 23 février 1832), il se manifesta de l’effervescence dans les villes voisines. Sinigaglia, la plus proche d’Ancône, eut l’initiative de ce mouvement insurrectionnel ; elle invoquait son origine gauloise, d’après l’étymologie de son nom, et se disposait à chasser les autorités pontificales. Cette nouvelle donna beaucoup d’inquiétude au commandant des troupes françaises à Ancône. Il lui convenait, dans l’intérêt de notre occupation, de maintenir le calme parmi ces populations, et de ne pas leur laisser prendre le change sur le but de l’expédition.

Beyle, qui avait été appelé à Ancône, pour y remplir momentanément des fonctions administratives, auprès du petit corps composé de douze cents Français, partit sur-le-champ pour Sinigaglia ; il alla trouver les chefs de l’insurrection, réunis dans un café ; il parvint à leur faire entendre raison, à les calmer, et le mouvement qui avait été annoncé pour le lendemain matin, n’eut pas lieu. Ce fut, dans la circonstance, un important service rendu au pays et à l’occupation française.

Beyle était sujet aux atteintes de l’ennui, cette abominable maladie, le fléau des femmes à Paris. Lorsqu’il en éprouvait des accès, ses forces morales subissaient une prostration complète. Cependant, il avait à sa disposition la recette infaillible pour échapper à l’ennui : l’exercice du corps, celui des idées, l’occupation du cœur. Pour lui, le mouvement de l’esprit, les objets nouveaux qui l’entretiennent, la distraction, enfin, étaient une condition nécessaire du talent, de la gaieté, du bonheur, de la santé même. La scène variée du monde mettait en jeu ses pensées et ravivait son imagination ; dans une retraite prolongée, au contraire, ses facultés le dévoraient.

Au printemps de 1833, Beyle revint à Paris ; le congé de six mois que lui avait accordé le ministre étant expiré, il reprit tristement le chemin de Civita-Vecchia.

Indépendamment du peu de ressources de société que Beyle y trouvait, sa santé s’accommodait mal du climat : il avait régulièrement la fièvre pendant trois mois de l’année. En juillet 1835, il demanda d’échanger ce consulat contre un de ceux en Espagne, afin d’échapper à l’action malfaisante de l’aria cattiva qui règne, une partie de la belle saison, sur cette portion du littoral de la Méditerranée. Le ministre refusa, ou n’eut peut-être pas la possibilité de satisfaire à ce vœu.

Ses seuls moments agréables, dans sa triste résidence, étaient ceux où le bateau à vapeur, par un heureux hasard, déposait sur le rivage, parmi la cohue des touristes européens, quelque homme d’esprit de Paris. Mais on ne s’arrête guère à Civita-Vecchia : c’est uniquement un point de passage, d’où l’on fuit à tire-d’aile. Beyle mettait à profit ces rares accidents de sa vie monotone ; il s’informait à la hâte de tout ce que l’on disait, de tout ce que l’on écrivait à Paris ; soupirant sans cesse après cet Eldorado, dont le charme s’évanouissait régulièrement pour lui après deux mois de séjour consécutif.

J’ai trouvé dans une composition de Beyle, restée inachevée, son portrait fait par lui-même sous le nom de Roizard. Bien qu’un peu idéalisé, plusieurs parties de cette composition m’ont paru d’une grande vérité. Voici ce portrait, sans le moindre changement, et tel qu’il l’a tracé d’un premier jet.

« Du caractère, en apparence, le plus changeant ; un mot, quelquefois, l’attendrissait jusqu’aux larmes ; d’autres fois, ironique, dur, par crainte d’être attendri et de se mépriser ensuite comme faible. C’était un homme assez grand, de plus de quarante ans. Ses traits étaient grands, point beaux, mais extrêmement mobiles. Les yeux exprimaient les moindres nuances de ses émotions. Et c’est ce qui mettait son orgueil au désespoir. Lorsqu’il craignait ce malheur, il était brillant, amusant, rempli des saillies les plus imprévues ; il électrisait ses auditeurs, et rendait le bâillement impossible dans le salon où il se trouvait. Dans ces moments, il inspirait les aversions les plus vives ou des transports d’admiration. Il est impossible de se montrer plus brillant et plus homme d’esprit, disaient ses admirateurs. Mais la vivacité et l’imprévu de ses saillies effrayaient les gens médiocres, et lui valaient bien des ennemis. Lorsqu’il n’avait pas d’émotion, il était sans esprit. D’ailleurs, il n’avait pas de mémoire, ou dédaignait de l’appeler à son secours. Sa parole, alors, était aussi discrète que l’expression de sa physionomie l’était peu. Son orgueil aurait été au désespoir de laisser deviner ses sentiments.

» Un mot touchant, une expression vraie du malheur, entendue dans la rue, surprise en passant près d’une boutique d’artisan, l’attendrissait jusqu’aux larmes. Mais s’il y avait la moindre pompe (sostenutezza), la moindre possibilité d’affectation dans l’expression d’une douleur, quelque légitime qu’en fût le motif, alors il n’y avait plus que l’ironie la plus piquante dans les regards et dans les mots de Roizard. Jamais rien de sérieux, jamais rien de pompeux, de triste même, dans sa conversation. Il ne parlait jamais de ce qui, seul, avait droit à son intérêt : un sentiment vrai, ou l’héroïsme se sacrifiant pour la patrie !

» Dès l’âge de seize ans, cet être, ainsi fait, avait été placé dans la sphère d’activité de Napoléon ; il l’avait suivi à Moscou et ailleurs. Pendant qu’il courait les champs, mangeant son bien à la suite du grand homme, son père se ruinait. Ruiné lui-même personnellement en 1814, par la chute de Napoléon, il avait voyagé et vécu en Italie. À la révolution de 1830, Roizard, qui avait vingt ans de service, était rentré dans la carrière des écritures officielles, dans le but unique d’arriver à une pension de retraite, pour laquelle il fallait trente ans de service.

» Il arrivait à Rome sans ambition ; uniquement pour passer dix années sans trop d’ennui ; et ensuite retourner achever sa vie à Paris, ou ailleurs, dans une situation un peu au-dessus de la pauvreté. »

On connaît la faiblesse de Canova pour la peinture ! Peu touché de l’immense succès que ses immortels ouvrages obtenaient dans le monde entier, il préférait le pinceau au ciseau ; cependant, ses tableaux ne s’élevèrent pas au-dessus du médiocre, et il en éprouva un profond chagrin. Talma recevait avec une faveur particulière les suffrages qui lui étaient adressés au sujet de ses rôles dans la comédie. Beyle a eu dans sa vie une faiblesse de même nature. Après avoir lancé tant d’épigrammes contre les gens à cordon, lui-même reçut la croix de la Légion d’honneur, en 1835, pour ses travaux comme homme de lettres, et sur la proposition du ministre de l’instruction publique. Chacun put croire qu’il avait été servi selon son goût : tout le monde se trompait ; c’est comme administrateur, comme consul, que Beyle aurait voulu recevoir cette distinction, et il fut profondément blessé de ne la devoir qu’au titre d’écrivain. Ceci pourra paraître incroyable aux personnes qui l’ont entendu si souvent mettre les travaux de l’esprit au-dessus de ceux du bon sens et de la froide raison.

Cette singulière disposition à la bizarrerie, que l’on remarquait chez Beyle, il n’hésitait pas à en faire l’aveu, lorsque quelque circonstance particulière le portait à considérer cet acte de sincérité comme un devoir. Pour preuve, je citerai les phrases suivantes, tirées d’une lettre qu’il écrivait le 25 février 1836, à l’un de ses amis à Paris.

« Vous avez cent mille fois raison ; je m’étonne encore que l’on ne m’ait pas étranglé. Je m’étonne, mais sérieusement, d’avoir un ami qui veuille bien me souffrir. Je suis dominé par une furie ; quand elle souffle, je me précipiterais dans un gouffre avec plaisir, avec délices, il faut le dire. Et, cependant, avant-hier, j’ai eu cinquante-trois ans et un mois !

» Ne me répondez pas, car cela vous fatigue ; mais laissez-moi vous écrire, cela m’adoucit l’âme.

» Je le sens vivement ; l’étonnant, c’est qu’on me souffre. Quel malheur d’être différent des autres ! Ou je suis muet et commun, même sans grâce aucune, ou je me laisse aller au diable qui m’inspire et me porte.

» À force de tâter mon ennui dans tous les sens, j’ai découvert le comment de ma douleur. Le matin, quand ce n’est pas jour de courrier, ou quand il n’y a rien à faire, je travaille ferme de midi à cinq ou six heures. Mais le soir j’ai besoin d’être distrait complètement de mes idées du matin ; si j’y pense le soir, le lendemain, quand je veux me remettre au travail, je suis dégoûté de mes idées ; alors je flâne avec les ennuyés et m’ennuie encore plus qu’eux.

…… » Mais à cinquante-six ans, je rentre à Paris, dans une chambre au cinquième étage, donnant au midi, dussé-je y faire des souliers ; sans la crainte de vous déplaire, ce serait déjà fait. Dans les accès d’ennui noir, quand par ennui, enfermé chez moi à six heures du soir, mon dîner me fait mal, j’ai été jusqu’à discuter le projet de me brouiller avec vous et Colomb, en rentrant à Paris, pour ne pas essuyer vos justes reproches ; mais cela m’a fait horreur ! »

Il y a là un abandon, une candeur, qui désarment ; il ne peut plus y avoir de blâme pour celui qui se juge avec une telle sévérité.

À la faveur d’un nouveau congé, Beyle arriva à Paris le 24 mai 1836, et y séjourna jusque vers la fin de juin 1839. Il reprit pendant ces trois années ses anciennes habitudes, écrivant des romans et des nouvelles, prenant ses repas au Café anglais, se montrant, de neuf heures à minuit, dans les salons en vogue, soit par l’esprit qu’on prêtait aux maîtres de la maison, soit par leurs titres ou par leur réputation dans le monde élégant. Cependant, comme à la longue ces plaisirs pouvaient offrir quelque monotonie, Beyle quittait Paris pour quinze jours, six semaines, trois mois même et faisait des excursions en France, en Espagne, en Écosse, en Irlande, s’apercevant souvent, un peu tard, du vide de sa bourse, déjà allégée de la moitié de son traitement, par suite du congé.

Beyle songea souvent à se marier ; chaque fois qu’il voyait un ménage heureux ou supposé tel, l’idée lui venait de prendre femme. Ces accès, dont la fréquence diminuait avec la marche des années, duraient ordinairement vingt-quatre heures, deux jours au plus. Pendant ce temps, il interrogeait minutieusement ses amis sur tout ce qui pouvait se rapporter aux formalités à remplir, aux cérémonies civiles et religieuses, aux cadeaux indispensables, aux dépenses qu’entraînait la tenue d’une maison, etc. Une fois ses notes réunies, il entrevoyait les impossibilités, rentrait dans ses habitudes et ne pensait plus au mariage pendant deux ou trois ans. C’était, on peut le supposer, ce qu’il avait de mieux à faire ; car, d’après ce qui précède, le lecteur a pu s’apercevoir que Beyle ne convenait guère à la vie de ménage.

Ce serait laisser une lacune dans la biographie de Beyle que de ne rien dire de son physique, ainsi que de petits travers qui en faisaient encore ressortir les imperfections. Le lecteur s’intéresse davantage aux gens qu’il connaît de vue, soit par les traits de leur visage, soit par la pose habituelle de leur individu. Toute histoire d’un homme, ayant fixé l’attention du public, contient des détails sur ses qualités extérieures ; détails dont nous sommes tous curieux, tant il est de notre nature d’y attacher du prix. Dans le monde, aucune célébrité ne commence à percer qu’on ne s’informe de ce qu’est physiquement celui qui vient demander place dans l’opinion publique.

Je vais donc essayer de donner une idée de la personne de Beyle.

Il était d’une taille moyenne, et chargé d’un embonpoint qui s’était beaucoup accru avec l’âge ; ses formes athlétiques rappelaient un peu celles de l’Hercule Farnèse. Il avait le front beau, l’œil vif et perçant, la bouche sardonique, le teint coloré, beaucoup de physionomie, le col court, les épaules larges et légèrement arrondies, le ventre développé et proéminent, les jambes courtes, la démarche assurée. Ce que Beyle avait de mieux, c’était la main, et pour attirer l’attention sur elle, il tenait ses ongles démesurément longs. En 1834, M. Jalley, faisant à Rome la statue de Mirabeau, obtint de Beyle la permission de dessiner sa main, pour la donner au prince des orateurs, ce qui le flatta singulièrement ; car chacun sait que Mirabeau avait la main très-belle. Le Mirabeau de M. Jalley figura à l’exposition au Louvre en 1835. Je serais tenté de croire que le sculpteur, tout en copiant la main, ne négligea pas de prendre quelques-unes des lignes de l’abdomen de son modèle.

Cet ensemble physique, on le voit, laissait beaucoup à désirer, sous le rapport de la beauté et de l’élégance. Malgré les illusions que l’amour-propre et des succès de salon peuvent enfanter, Beyle ne se dissimulait pas absolument ses désavantages. Mais il se consolait en pensant que les qualités de l’âme, l’esprit, le naturel, font disparaître la laideur, quand elle est sans difformité.

Ayant conservé fort tard la prétention à passer pour homme à bonnes fortunes, prétention qui, il faut le reconnaître, n’était pas dénuée de fondement, Beyle professait une soumission absolue aux lois de la mode. Si différent des autres, en toute chose, il se rapprochait du vulgaire sur un point : la mode. Personne ne suivait plus aveuglément les mille caprices de cette sotte déité parisienne. Il mettait donc à contribution toutes les ressources de l’art, pour corriger ou dissimuler les torts de la nature envers lui, comme les traces de la marche du temps. Ainsi, à cinquante-neuf ans, Beyle se coiffait comme un jeune homme. Sa tête, faiblement garnie de cheveux, au moyen d’un fort toupet d’emprunt, offrait l’aspect d’une chevelure à peu près irréprochable. De gros favoris, prolongés en un large collier de barbe passant sous le menton, encadraient la face. Est-il besoin d’ajouter que les cheveux et la barbe étaient soigneusement teints en brun foncé. Puis, le cigare à la bouche, le chapeau légèrement sur l’oreille et la canne à la main, il se mêlait aux beaux du boulevard des Italiens. Sa susceptibilité pour tout ce qui composait sa toilette était extrême ; une observation, quelque légère qu’elle fût, sur la coupe d’un habit ou d’un pantalon, pouvait le choquer sérieusement, car elle lui apparaissait comme une sorte d’épigramme à l’adresse de son physique : c’était chez lui une fibre délicate.

Lors de son dernier voyage à Londres, en 1838, Beyle fut présenté à l’Athenæum, par son ancien ami M. Sutton-Sharp, l’un des avocats les plus distingués de l’Angleterre. L’Athenæum est le club des hommes de lettres. Là, Beyle eut occasion de rencontrer Théodore Hook et d’entrer en relations avec ce bel esprit, renommé dans les trois royaumes, pour ses romans, ses vaudevilles, ses chansons, ses calembours. Hook, ancien rédacteur en chef du New Monthly Magazine, où Beyle avait inséré, dix ans auparavant, un assez grand nombre d’articles, dut faire bon accueil à son brillant confrère. Tout porte donc à croire que ces deux hommes, entre lesquels on pourrait trouver plus d’un point de ressemblance, se convinrent réciproquement et que leurs relations furent agréables à tous deux.

Hook passait pour l’homme le plus aimable que l’on pût avoir dans un salon ; il improvisait en prose et même en vers avec une incroyable facilité ; personne ne disposait une mystification aussi bien que lui ; auteur et acteur de société, il était l’âme de toutes les réunions qui pouvaient le posséder ; les châteaux se le disputaient dans la saison de villegiatura. Cette vie de plaisirs ruina sa santé, et l’obligea souvent à contracter des dettes qui, toutes, ne furent pas acquittées.

Né à Londres le 22 septembre 1788, Hook y mourut vers la fin du mois d’août 1841.

Avec toutes les allures de la vivacité dans la pensée et de la promptitude dans les actions, Beyle poussait souvent la paresse jusqu’à l’apathie ; entre autres exemples que je pourrais citer, en voici un qui me semble caractéristique.

Dans le courant du mois de janvier 1839, pendant qu’on imprimait simultanément la Chartreuse de Parme et l’Abbesse de Castro, il éprouva une attaque de goutte et de rhumatisme, assez forte pour l’obliger à garder la chambre pendant huit jours ; son travail de composition et de correction n’en fut nullement suspendu pour cela ; seulement, il égara un cahier de soixante pages de la Chartreuse de Parme. N’ayant pu les retrouver au milieu des monceaux de papier qui encombraient sa chambre, Beyle refit ces soixante pages. Elles étaient déjà imprimées lorsqu’il me raconta sa mésaventure ; je me mis à la recherche du manuscrit égaré, et l’aperçus bientôt sous un gros tas d’épreuves, de brochures, etc. Stupéfait de ma facile trouvaille, redoutant, en quelque sorte, la vue de ce manuscrit, il ne voulut pas jeter les yeux dessus, encore moins le comparer avec les pages par lesquelles il l’avait remplacé.

Le 7 mars 1839, M. le comte Molé ayant résigné la présidence du conseil et le portefeuille des affaires étrangères, Beyle jugea bien qu’il lui fallait retourner à Civita-Vecchia. Toutefois, cette résolution ne fut pas prise de gaieté de cœur. Le dernier hiver avait assez maltraité sa santé, en rappelant d’anciennes et douloureuses affections, auxquelles venaient de se joindre des palpitations de cœur. Son esprit s’affligea de ses souffrances physiques, surtout comme symptômes de vieillesse ; car personne ne la redoutait davantage, et ne prenait plus de soins pour en éloigner jusqu’aux apparences. Et puis, il fallait de nouveau abandonner les habitudes et l’existence qui, seules, avaient du charme pour lui. À cinquante-six ans, la vie errante ne convient plus guère ; il est triste de n’avoir aucun indice sur le lieu où l’on se reposera pour toujours des agitations de la vie ; Beyle ne disait pas ces choses, mais il y pensait tout comme un autre.

Enfin, les affaires et les devoirs de société ayant à peu près reçu satisfaction, il partit de Paris le 24 juin 1839. Une fois arrivé à son poste, il y reprit sa vie habituelle, résidant moitié à Rome, moitié à Civita-Vecchia, employant une partie de son temps à corriger d’anciens manuscrits ou à écrire de nouvelles compositions.

Dès le mois de décembre 1840, la santé de Beyle éprouva de graves altérations ; ce fut d’abord la goutte qui l’obligea de suivre un régime et de garder souvent la chambre. Puis vinrent de fortes migraines qui affectèrent gravement le système cérébral, et produisirent des accidents assez bizarres. Par moments, il lui était de toute impossibilité de se rappeler les mots dont l’usage est le plus habituel. D’autres fois, la langue se refusait à faire son office. Ces fâcheux symptômes, dont la nature sembla, d’abord, assez difficile à déterminer, devinrent insensiblement apoplectiques.

Beyle ne s’abusa point sur la gravité de son état ; mais il résolut de me le cacher soigneusement, et de ne point me mettre dans la confidence de ses inquiétudes. Il pensa qu’une amitié telle que la nôtre comportait des ménagements. Aussi, tout en rendant compte fort exactement des phases de sa maladie à l’un de nos amis, il lui recommandait toujours expressément de ne pas me laisser entrevoir le moindre danger.

Malgré la fatigue extrême que Beyle éprouvait pour écrire, il la surmontait de temps en temps, et je recevais de petits billets où, pour tout renseignement sur sa santé, il me parlait de migraines ennuyeuses.

En mars 1841, le goût de la chasse lui revint ; il allait sur le bord de la mer attendre les cailles qui, à cette époque de l’année, arrivent de l’Afrique par troupes nombreuses. Cet exercice lui plut jusqu’à la passion ; et on peut supposer que la fatigue et l’action du soleil de l’Italie n’ont pas peu contribué à développer les germes de la maladie qui l’a conduit au tombeau.

L’état de sa santé le porta à demander un congé pour aller consulter à Genève M. le docteur Prévost ; puis il prit la route de Paris, et y arriva le 8 novembre 1841. Je m’aperçus douloureusement des traces que la maladie avait laissées, et j’eus bien de la peine à lui cacher la triste impression que j’en éprouvais. Le physique et le moral me parurent singulièrement affaissés ; sa parole si vive était maintenant traînante, embarrassée ; le caractère s’était sensiblement modifié, ramolli, pour ainsi dire ; sa conversation plus lente offrait moins d’aspérités, de sujets à contradiction ; il comprenait mieux les petits devoirs qu’entraînent les relations de société, et s’en acquittait plus exactement ; tout en lui avait un caractère plus communicatif, plus affectueux ; enfin, les changements accomplis tournaient au profit de la sociabilité.

Peut-être aussi le pressentiment de sa fin prochaine exerçait-il quelque secrète influence. À quoi bon des discussions irritantes lorsque l’avenir nous semble si limité ? C’est ainsi que souvent, sans faiblesse de caractère, sans aucune déviation dans les opinions, on ne prend pas la peine de les défendre. Les petits intérêts de la vie semblent au-dessous d’une controverse, pouvant blesser des sentiments auxquels on attache du prix.

Beyle reprit à Paris ses anciennes habitudes, observant plus ou moins exactement le régime qui lui était prescrit. Tout allait assez bien, lorsque, contrairement à la défense formelle de son médecin, il s’occupa de compositions littéraires ; huit jours de dictées et de corrections déterminèrent une attaque d’apoplexie ; il en fut frappé, le mardi 22 mars 1842, à sept heures du soir, à deux pas du boulevard, sur le trottoir de la rue Neuve-des-Capucines, à la porte même du ministère des affaires étrangères.

Par suite d’indices dus au hasard, vingt minutes après l’événement j’étais auprès de mon malheureux ami ; je le trouvai sans connaissance dans une boutique, vis-à-vis le lieu où il était tombé ; je ne pus obtenir de lui ni une parole, ni le moindre signe ; on le transporta à son logement, rue Neuve des Petits-Champs. Là, toutes les ressources de l’art furent épuisées sans succès, et il y rendit le dernier soupir, le mercredi 23 mars 1842, à deux heures du matin, sans souffrance aucune, sans avoir prononcé un seul mot, et à l’âge de cinquante-neuf ans un mois vingt-huit jours.

On connaît maintenant l’homme supérieur qui a été une énigme vivante pour la plupart de ses contemporains. Quelques remarques générales compléteront ce que j’avais à en dire.

L’amitié a ses droits et ses devoirs, les uns et les autres s’exercent ou s’accomplissent, au gré des circonstances qui leur donnent l’occasion de se produire. Beyle en a plus particulièrement connu les droits, non certainement qu’il fût dépourvu d’obligeance ; mais son imagination vive, passionnée, n’avait guère à s’occuper des égards, des soins, des prévenances que l’amitié impose journellement, sans qu’aucun des deux intéressés songe à se prévaloir de ses avances. Beyle n’a rendu que peu de services relativement au nombre de ceux qu’il a reçus. Ceci a moins tenu à un mauvais vouloir qu’à une fâcheuse disposition de son esprit, dont l’extrême mobilité ne lui permettait pas toujours de suivre ses bons penchants. Au moment de faire une démarche utile à un ami, si un plaisir s’offrait, il oubliait l’ami et courait au plaisir. La nature ne lui avait pas départi ce sentiment divin qui remplissait le cœur de Montaigne pour La Boétie ; elle lui avait refusé le bonheur de connaître :

« Cette amitié qui possède l’âme, et la régente en toute souveraineté ! »

Ainsi que J. J. Rousseau, Beyle se croyait beaucoup d’ennemis et se préoccupait trop habituellement de ce qu’ils pouvaient tenter pour lui nuire. Avec cette triste monomanie, et aussi d’après quelques passages de ses écrits, on aurait pu le supposer méchant, vindicatif : personne au monde ne l’a jamais été moins que lui ; il était incapable de haine. Le plaisir de dire un bon mot pouvait l’égarer au point de blesser profondément son meilleur ami ; mais il n’y avait là aucune préméditation, aucune intention mauvaise ; c’était tout simplement l’effet d’un système nerveux très-irritable et d’un sang prompt à s’enflammer. Au rebours de beaucoup d’hypocrites méchants, Beyle, qui ne l’a pas été un seul instant dans sa vie, ne négligeait rien pour s’en donner la réputation. Sa manie des sobriquets tendait encore à accréditer cette opinion défavorable ; personne ne pouvait se flatter de n’avoir pas le sien. Par exemple, il avait donné celui de Thomas Roide, à son ami le philosophe Théodore Jouffroy, traducteur des ouvrages de l’Écossais Reid.

Un besoin habituel de plaisir et de connaissances nouvelles l’a mis quelquefois en relation avec des gens d’une morale fort relâchée ; mais leur fréquentation n’avait jamais altéré en lui les principes et l’instinct de l’honneur le plus susceptible. Il portait, au contraire, une probité et une délicatesse extrêmes dans les affaires d’argent, et dans tout ce qui touche aux rapports intimes.

On lui a reproché d’être trop absolu, trop entier dans ses idées. Beyle n’avait pas, il faut en convenir, cette souplesse d’opinion, cet entraînement moutonnier qui fait que beaucoup de gens, quelle que soit d’ailleurs la nature des événements, se trouvent toujours au milieu des masses. Il avait, au contraire, le courage de soutenir ses idées, de les défendre envers et contre tous, malgré la défaveur dont elles pouvaient être frappées par la multitude. Cela n’était point chez lui le résultat d’un vain orgueil, mais bien celui d’une conviction réelle, à tort ou à raison.

Malgré de petits défauts de caractère, peu d’hommes ont eu plus d’amis dévoués que Beyle ; car, bien que ses sentiments eussent quelquefois une teinte légère de bizarrerie, son affection n’en était pas moins pleine d’attrait. La nouvelle de sa mort attrista la société de Paris, où son esprit avait reçu l’espèce de consécration tant désirée, et qu’elle n’accorde qu’à un si petit nombre. Cette affliction du monde élégant n’avait rien que de fort naturel. Dans les réunions, où toute tradition des salons de mesdames Geoffrin, du Deffand et de mademoiselle de Lespinasse n’était pas entièrement perdue, Beyle rappelait, par sa piquante causerie, heureux mélange de causticité et d’ingénuité, des mouvements du cœur et de l’imagination, les meilleurs temps de la conversation entre gens d’esprit. Ce mérite est assez rare de nos jours pour qu’on accorde un souvenir, pour qu’on regrette sincèrement celui qui le possédait à un si haut degré.

En écrivant la biographie de Beyle, je me suis constamment attaché à le représenter tel qu’il m’apparaissait, sans m’écarter un instant de ce que je croyais être la vérité ; mais il est une partie de sa vie, la plus importante pour l’histoire de son cœur, qui doit rester secrète : c’est celle qui se rapporte aux affections tendres. Je me crois obligé, cependant, de ne pas la passer entièrement sous silence ; car on s’est ri fort souvent des prétentions que Beyle laissait entrevoir de temps en temps à ce sujet. Sans doute, il a pu s’écarter quelquefois des règles du bon goût et du bel usage ; mais au fond, il n’y a jamais eu de sa part de légèreté compromettante. Personne n’a porté plus loin que lui l’extrême discrétion sur ce chapitre : moi-même, son confident en toute autre chose, je n’ai jamais été le dépositaire d’aucun secret de cette nature.

L’originalité et la vivacité de son esprit et, quoi qu’on en ait pu dire, la bonté de son cœur, faisaient aisément passer sur des désavantages physiques. On peut donc tenir pour certain que Beyle a fait de véritables passions, et que, dès l’âge de quinze ans et jusqu’à sa mort, l’amour a été sa principale pensée, le mobile de toutes ses actions. J’ajouterai même que c’est dans la classe élevée que ses hommages ont été accueillis avec le plus de faveur.

Dans le même article de la Revue des Deux Mondes, dont j’ai déjà cité un passage, l’auteur peint sous de charmantes couleurs une femme avec laquelle Beyle eut, pendant de longues années, une de ces liaisons délicieuses, difficiles à définir, tenant en parfait équilibre l’amitié et l’amour, donnant les plus douces jouissances à l’abri des orages du cœur, et ayant, par cela même, un caractère de durée, qui ajoute singulièrement au bonheur des êtres privilégiés, qu’un tel nœud peut réunir. Des circonstances qui me seront toujours chères, m’ayant procuré la connaissance de la femme si distinguée dont parle M. Bussière, je dois déclarer que son éloge, quelque flatteur qu’il puisse paraître, ne s’offre à moi que sous l’aspect d’une vérité affaiblie[16].

Beyle m’avait chargé par son testament de donner quelques volumes à ses amis ; j’ai satisfait le mieux qu’il m’a été possible à ce devoir. Des lettres m’ont été écrites, à cette occasion, par des personnes très-haut placées dans la société et parmi les gens d’esprit. Les sentiments qu’elles expriment honorent beaucoup la mémoire de Beyle, et justifient pleinement ce que j’ai pu dire d’élogieux touchant son cœur et son caractère. Je regrette que l’impérieuse loi des convenances m’interdise de reproduire ici ces témoignages d’affection et d’estime donnés à mon ami.

Selon les intentions manifestées dans le testament de Beyle, son corps a été inhumé au cimetière Montmartre (du Nord), dans un terrain acquis à perpétuité. Le petit monument funéraire que je lui ai fait élever rond-point de la Croix, 4e ligne, numéro 11, porte l’inscription suivante, composée par lui-même :

Arrigo Beyle,
milanese
scrisse
amò
visse
ann. LIX. M. II.
morì il XXIII marzo
M. D. CCC. XLII.

On a été surpris et généralement peiné de trouver dans l’épitaphe de Beyle la qualification de Milanais. On m’a même blâmé d’avoir cédé trop légèrement à une intention née, sans doute, d’un de ces mouvements spontanés, irréfléchis, auxquels on ne saurait s’arrêter. C’était une erreur. La volonté de Beyle, à ce sujet, était bien sérieuse, bien arrêtée. Mentionnée de la manière la plus explicite dans divers écrits de sa main, elle était formulée en termes exprès dans son testament des 28 et 29 septembre 1840 ; comme exécuteur testamentaire, mon devoir était donc tout tracé, et, quelque pénible qu’il put être pour moi de le remplir, je ne pouvais pas hésiter.

Beyle avait toujours conservé pour Milan une vive affection, mais ce fut un motif politique qui le détermina à abdiquer (c’était son expression) sa qualité de Français. Ce fut en 1840, lors du dénoûment de la première crise de la question d’Orient, qu’il prit cette résolution. La France, seule devant l’Europe, dut abandonner des prétentions, fondées certainement, mais qui pouvaient faire éclater la guerre et devenir ainsi la cause de malheurs incalculables. Beyle blâma, en termes très-vifs, le traité du 15 juillet 1840, et, devant les employés de son consulat à Civita-Vecchia, il déclara que le gouvernement déshonorait le pays par une telle lâcheté, et que, dès ce moment, cessant d’être Français, il adoptait pour patrie la ville où s’étaient écoulés les moments les plus heureux de sa vie.






  1. Au moment où cette Notice a paru pour la première fois (1845), je croyais avoir pris connaissance de tous les papiers laissés par Beyle ; il n’en était pas tout à fait ainsi ; une caisse contenant de nouveaux manuscrits, me fut encore adressée de Cività-Vecchia, où ils avaient été retrouvés en 1846. D’autre part, je n’avais pas lu alors les lettres de Beyle qui m’ont été confiées depuis. La lecture de ces divers écrits m’a mis à même de compléter ma Notice et d’ajouter à son exactitude. En la reproduisant, je pense aussi aider à l’intelligence des lettres de Beyle, dont quelques parties auraient pu offrir de l’obscurité.
  2. Domaine, dans le pays, veut dire une petite terre.
  3. Père de M. Gagnon, général en 1853.
  4. Les écoles centrales furent créées par une loi de la Convention du 7 ventôse an III (25 février 1795). Cette loi fut, en partie, l’œuvre de M. le comte Destutt de Tracy, membre du comité, qui l’élabora et la proposa.
  5. Nom que portent à Grenoble les petits pains.

  6. Chez moi l’éclat de l’or, l’ivoire de l’Indus,
    Ne parent point un lambris magnifique. (Daru.)
  7. Morte à Paris, le 13 avril 1845, à l’âge de soixante-dix-huit ans.
  8. Toute l’armée française passa le Saint-Bernard les 17, 18, 19 et 20 mai 1800.
  9. Le fort de Bard se rendit le 1er juin.
  10. L’Angleterre recommença les hostilités contre la France le 16 mai 1803.
  11. Occupé alors par la troupe italienne.
  12. Pellico fonda en 1818, et fut le principal rédacteur du Conciliatore, journal romantique, source de ses malheurs.
  13. Mort à Paris le 9 mars 1836.
  14. Ce qui ne l’empêchait pas d’entrer dans une grande colère lorsqu’il se voyait comparé à J. J. Rousseau : probablement parce que la qualité de gentilhomme avait manqué au philosophe.
  15. Le 1er août 1830.
  16. Madame J. G. est morte à Paris, le 6 avril 1853.