Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII/7 mai 1789

Archives parlementaires de 1787 à 1860, Texte établi par MM. Mavidal, Laurent, Claveau, Pionnier, Lataste et Barbier, Paul DupontTome VIII : Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789 (p. 29).


ÉTATS GÉNÉRAUX.

Séance du jeudi 7 mai 1789.


COMMUNES


M. Malouet[1]. Messieurs, on a voulu vous convaincre de la nécessité d’attendre, et de ne procéder à aucune délibération , de ne vous considérer enfin que comme des personnes privées, réunies dans la salle des Etats, jusqu’à ce que l’universalité des membres vînt y prendre place.

J’ai eu l’honneur de vous représenter, Messieurs, que vous aviez déjà assisté comme personnes publiques à l’ouverture solennelle des Etats ; et si l’illégalité possible de vos pouvoirs vous mettait dans l’impuissance d’agir, comme les rêprésentants autorisés de la nation, leur légalité présumée par les titres dont vous êtes porteurs vous constitue en Assemblée provisoirement régulière, aussitôt que vous vous trouvez séants dans la salle des Etats ; et j’ose croire que vous êtes non-seulement autorisés mais obligés de procéder le plus diligemment, et avec le plus d’ordre possible, à tous les actes qui peuvent vous investir de la plénitude de votre caractère.

Je sais aussi, et je l’ai expressément déclaré, que la vérification des pouvoirs est un acte de juridiction souveraine, qui appartient aux États généraux, s’ils veulent s’en saisir ; mais était-ce méconnaître cette vérité que d’en renouveler la déclaration par nos députés aux premiers ordres ? et si Messieurs du clergé et de la noblesse n’en sont pas également convaincus, n’était-ce pas de notre part une démarche de paix, d’union, de déférence, que de la leur rappeler ? En quoi cette démarche compromet-elle vos vœux d’opinion par tète ? Et qu’espérez vous de l'état de stagnation et d’inertie où l’on veut nous réduire ? Si des préjugés, des intérêts mal entendus, des inquiétudes mal fondées, éloignent les deux premiers ordres d’une vérification commune, ne devons-nous pas espérer de faire cesser cet éloignement par des explications amiables ?

On vous a dit : Les représentants des communes se sont rendus dans le lieu indiqué pour les États généraux ; donc ils doivent attendre que tous les membres qui les composent viennent s’y rendre aussi y et ils n’ont rien à faire que d’attendre.

Mais le clergé et la noblesse étaient aussi assemblés. Ils l’étaient dans les lieux indiqués pour leur séance particulière ; c’était donc à l’une des Chambres à inviter les autres à cette réunion ; et pourquoi craindrions-nous de faire une nouvelle démarche ? Les représentants du clergé et de la noblesse ne sont-ils pas les premiers en rang dans l’ordre de nos députations, comme dans la hiérarchie nationale que nous avons tous l’obligation de maintenir ?

Peut-être, Messieurs, que la proposition, sur laquelle j’insistai tant hier, aurait empêché le parti pris par l’ordre de la noblesse de procéder séparément à la vérification de ses pouvoirs, et celui mis en délibération par le clergé d’une vérification définitive dans son ordre ? Quoi qu’il en soit, Messieurs, permettez-moi de vous supplier d’adopter aujourd’hui la députation proposée. Nous ne devons laisser aux ennemis de la paix publique, aux coupables ennemis de la nation, aucun espoir de nous diviser et de nous détourner des saintes fonctions qui nous sont assignées.

Nous parviendrons, j’ose vous en répondre, à une vérification commune des pouvoirs, car elle ne peut se faire que par une commission des États généraux à laquelle la vérification provisoire des commissaires de chaque ordre serait référée.

Mais daignez agréer le plan que j’ai pris la liberté de vous indiquer, et que je vais résumer dans le projet d’arrêté que j’ai l’honneur de soumettre à votre examen. Le voici :

Les représentants des communes s’étant réunis aux jour et heure et dans le lieu indiqué pour la tenue des États généraux, ont attendu jusqu’à deux heures après-midi l’arrivée de Messieurs du clergé et de la noblesse, pour prendre séance en l’Assemblée nationale et procéder à la vérification des pouvoirs respectifs. Deux heures ayant sonné, les représentants des communes se sont ajournés à aujourd’hui, mercredi, neuf heures du matin ; et l’Assemblée s’étant formée sous la présidence du doyen des députés, il a été rendu compte par un de Messieurs : que MM. les représentants du clergé et de la noblesse s’étaient assemblés hier dans leurs Chambres particulières et occupés séparément de la vérification de leurs pouvoirs, sur quoi les représentants des communes ont unanimement arrêté qu’il serait envoyé douze députés à MM. du clergé et de la noblesse, à l’effet de leur témoigner le regret de la Chambr ; de voir différer la première séance active de l’Assemblée nationale et le désir empressé des représentants des communes de se voir réunis à l’universalité des membres qui composent les États généraux. Les députés représenteront particulièrement à MM. du clergé et de la noblesse que le premier acte constitutif de l’Assemblée générale étant la vérification des pouvoirs respectifs, les États généraux doivent être investis de cette juridiction qui leur appartient supérieurement et par préférence à chaque ordre ; que la Chambre des communes ne considère donc que comme un préavis, ce qui pourrait être fait à cet

égard pur les ordres séparés ; que c’est dans cet esprit, et pour accélérer la vérification définitive des États généraux, qu’elle préparerait ce travail par ses commissaires, après avoir reçu toutefois la réponse de MM. du clergé et de la noblesse ; qu’elle désirerait d’autant plus la réunion des deux premiers ordres, qu’elle est impatiente de concourir, par une députation des États généraux, aux hommages et aux remercîments respectueux que les représentants de la nation doivent s’empresser de porter au pied du trône. Avant de réitérer mes instances pour que vous veuillez bien, Messieurs, prendre en considération ce projet d’arrêté, qu’il me soit permis de vous présenter une dernière réflexion. Le vœu annoncé généralement d’opiner par tête et non par ordre doit sans doute être exprimé et soutenu par toutes les raisons que l’intérêt national peut suggérer ; mais, en professant le principe, en consacrant le droit des Etats généraux d’opiner par tête quand ils le jugent convenable, n’est-il pas de notre devoir d’en éviter la discussion, jusqu'à ce que l’exercice de ce droit devienne indispensable ?

Or, je suppose que par des communications amiables entre les ordres, on put convenir et arrêter les opérations les plus salutaires, nous serait-il permis d’éloigner, par des contestations anticipées, le bonheur que nous ne saurions trop nous hâter de procurer à la France, lorsque le Roi lui-même se montre si impatient d’y concourir ? Si, au contraire, fidèles à nos devoirs, et constamment animés du généreux amour de la patrie, nous n’avons d’autres plans que ceux qui peuvent assurer la liberté et la félicité publique, et si ces plans éprouvent quelque contradiction dans les autres ordres, avec quelle force, quel avantage ne ferions-nous pas valoir alors le vœu général de l’opinion par tète ? Plus nous en aurons éloigné modérément la discussion, plus nous serons puissants, Messieurs, dans cette réclamation, par l’empire de la raison, par celui de la voix publique, et, pour tout dire enfin, par celui de la nécessité.

Ah ! Messieurs, j’ose encore vous le répéter, la France impatiente nous attend et l’Europe nous regarde. Malheur à nous, si nous prenons la chaleur pour le courage et la prudence pour la faiblesse, et si, nous livrant dès le début à de vaines discussions, nous n’allons par la voie la plus droite et la plus sûre au bien général qu’il nous est facile d’opérer avec de la modération et de la fermeté !

M. le comte de Mirabeau combat fortement cette opinion. Il représente que les députés des communes ne peuvent faire aucune députation tant que les pouvoirs ne sont pas vérifiés ; il fait valoir les avantages d’une inactivité entière dans de pareilles circonstances.

En conséquence, l’Assemblée reste dans l’inertie qu’elle a montrée la veille. On ne prend point de délibération ; les six personnes les plus âgées sont chargées de maintenir l’ordre.

M. Mounier présente un parti mitoyen qui, sans compromettre les communes, peut faire connaître, quoique inofficiellement, les intentions des deux ordres privilégiés ; il consiste à permettre à ceux qui le voudraient d’aller individuellement, et sans mission expresse de l’Assemblée, vers le clergé et la noblesse, pour engager les membres de ces ordres à se réunir aux communes, conformément à l’invitation du Roi, et pour les assurer que ces communes attendront que cette réunion soit opérée avant de se livrer à aucun travail.

Un membre appuie cette motion. Il ajoute qu’un discours de M. l’archevêque de Vienne annonce que le clergé est déjà disposé à se réunir aux communes.

La motion de M. Mounier est adoptée à une très-grande majorité.

Douze membres vont dans les Chambres de la noblesse et du clergé. De retour ils annoncent qu’ils n’ont trouvé dans la Chambre de la noblesse que les commissaires que cet ordre a nommés pour la vérification de ses pouvoirs ; que les commissaires les ont prévenus que les membres composant l’ordre de la noblesse s’assembleront le lundi 11.

Quant au Clergé, l’orateur des douze membres des communes annonce que cet ordre est assemblé, et que le président a répondu que le clergé allait délibérer sur ce qui lui était proposé. Une heure après, MM. les évêques de Montpellier et d’Orange et quatre autres ecclésiastiques, entrent dans la salle.

M. de Malide, évêque de Montpellier. Les députés du clergé ont pris en considération la demande que vous leur avez faite ; ils ont décidé qu’ils nommeraient incessamment des commissaires qui, réunis à ceux qui seraient élus dans la noblesse et les communes, pourront s’occuper de la question de savoir si les pouvoirs devront être vérifiés en commun.

Les membres du clergé se retirent.

Plusieurs débats ont lieu sur la décision que le clergé propose de soumettre à des commissaires.

Plusieurs membres la trouvent d’une trop grande importance pour adopter cette disposition. — Aucune décision n’est prise.

La séance est levée.



  1. Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur.