Architecture rurale, second cahier, 1791/Essai que chacun peut faire dans sa propriété pour s’assurer si la qualité de son terrein est bonne à faire du piſé

Essai que chacun peut faire dans sa propriété pour s’assurer si la qualité de son terrein est bonne à faire du piſé.

Premier essai.

Prenez un petit vaſe ou un ſeau de bois ſans fond, faites un creux dans le ſol d’une cour ou d’un jardin, placez au fond de ce creux ou trou une dale ou une pierre plate, & mettez deſſus votre vaſe ou ſeau, autour duquel vaiſſeau vous remettrez la terre que vous avez tirée pour faire le trou en la battant bien avec le piſoir.

Ayant fait apporter la terre que vous voulez éprouver, vous la ferez piſer dans le vaſe ou ſeau en n’y mettant à-la-fois que 3 à 4 doigts d’épaiſſeur ; lorſque votre ouvrier aura bien maſſivé cette première couche, vous remettrez 3 à 4 doigts de terre que vous aurez ſoin de faire preſſer de même, ainſi de la troiſième & quatrième couche juſqu’à ce que votre vaſe ou ſeau ſoit plus que plein ou comble.

Ce trop plein doit enſuite être raſé, comme une meſure de bled ou autres grains ; à cet effet, vous raclerez ce ſurplus de terre avec une pelle ou une bêche en raſant bien à pluſieurs repriſes les bords du vaſe ou du ſeau, pour avoir une ſuperficie liſſe ſemblable à l’inférieure qui ſe trouve ſur la pierre plate.

Pour tirer ce vaiſſeau du trou, vous dégarnirez à ſon pourtour avec une pioche la terre du ſol ; ce qui vous donnera la facilité d’enlever le vaſe ou le ſeau plein de piſé, lequel vous ferez tranſporter où il vous plaira.

Pour pouvoir faire ſortir le piſé du vaſe ou du ſeau, il faut renverſer ce dernier ſur une autre pierre plate ou ſur une planche, ce qui ſera un peu facile à cauſe de l’évaſement qu’ont tous ces uſtenſiles, c’eſt-à-dire, à cauſe qu’ils ſont toujours plus larges en haut que dans leur fond ; mais ſi la maſſe de piſé ne pouvoit ſortir ſur-le-champ & étoit retenue par quelques joints des douelles ou douves qui fuſſent ouverts, ou que le bois fût raboteux, alors il faut la laiſſer ſécher à l’air 24 heures un peu plus ou un peu moins, & on verra qu’après ce tems, le corps ou masse de pisé ſe dégagera de lui-même du vaiſſeau qui le contient.

Il faut avoir la précaution de couvrir d’une petite planche cette maſſe de terre, parce que ſi le piſé ne craint pas la pluie orageuſe ou tranſverſale, il ſe gâte un peu lorſqu’elle tombe perpendiculairement & ſurtout lorſque l’eau ſéjourne deſſus.

Laiſſant expoſer à l’air cette maſſe de piſé ſeulement couverte d’une planche ou d’une pierre plate, vous aurez l’agrément de voir augmenter chaque jour ſa denſité à fur & à meſure que ſon humidité naturelle s’évaporera : car il faut bien ſe reſſouvenir qu’il faut prendre la terre que l’on veut piſer à deux ou trois pieds au-deſſous du ſol pour qu’elle ne ſoit ni sèche, ni mouillée, & il eſt bon auſſi de rappeler que ſi on ne preſſoit pas bien la terre autour du vaſe, ou ſeau lorſqu’il eſt vide, les cercles, fuſſent-ils de fer bien épais, crèveroient, tant eſt grand l’effort que fait la terre battue ou piſée dans un grand comme dans un petit moule.

Second essai.

Celui-ci peut ſe faire dans la maiſon : ayant fait apporter de la terre des champs, preſſez-la dans un mortier de pierre dont on ſe ſert pour piler le ſel, ſoit avec le pilon de bois, ou de cuivre, ou de fer, ce qui eſt préférable, ſoit avec un marteau ; rempliſſez ce mortier au-delà de ſes bords ; enſuite enlevez avec un racloir de fer ou un grand couteau, le ſurplus ou le comble de la terre ; cela fait, vous ne pourrez point faire ſortir du mortier cette petite maſſe de piſé ; il faut néceſſairement l’expoſer au ſoleil ou près d’un feu : après qu’elle aura un peu ſéché, vous appercevrez une fente légère qui commencera à ſe former entre la terre & la pierre du mortier, & lorſque cette fente ſe ſera aſſez agrandie, vous jugerez par-là du moment que vous pouvez tirer cette pièce de pisé, en renverſant le mortier ſur le pavé de l’appartement & le ſecouant ; lorſqu’elle ſera tombée ſur le carreau, vous vous trouverez une forme de piſé ſemblable à celle du mortier de pierre, laquelle vous indiquera la qualité de votre terre.

Troisième essai.

Preſſez, avec le bout d’un bâton ou d’une canne, de la terre dans une petite boîte ; mais avant, pour plus de sûreté, liez-la avec une ficelle, crainte qu’elle ne crève en piſant ; lorſque vous l’aurez emplie de terre plus que ſes bords, raſez le deſſus avec un couteau ; pour retirer ce petit morceau de piſé, vous ſerez néceſſairement obligé de caſſer la boîte, ſi mieux vous n’aimez attendre, en l’expoſant à l’air ou au ſoleil ou au feu ; il eſt bien entendu que ſi votre boîte eſt ronde, vous vous trouverez un petit volume de piſé rond ; ſi elle eſt quarrée, ovale ou d’autre figure, la forme du piſé leur reſſemblera ; et ſi la terre que vous aurez comprimée eſt rouge, blanche, griſe, le petit corps de piſé conſervera une de ces couleurs. Il eſt bon de faire remarquer que la couleur des terres n’ajoute ni ne diminue rien à la qualité néceſſaire pour faire du piſé ; ainſi chaque propriétaire doit être tranquille là-deſſus ; celui qui aura de la terre rouge peut faire faire d’auſſi bon piſé que celui qui en poſsède de la jaune ; d’autres qui l’auront noire en peuvent faire d’auſſi bon que s’ils l’avoient de toute autre couleur.

Essai que l’on peut faire journellement.

Toute perſonne, en ſe promenant dans ſon domaine, peut faire pluſieurs petites boules de terre qu’elle preſſera tant qu’elle le pourra dans ſes mains & entre ſes doigts : en les rapportant à la maiſon & en les étiquetant, elle aura toujours ſous ſes yeux les différentes qualités de terre de chaque pièce de ſes fonds : ces échantillons lui aideront à juger du mélange qu’elle en doit faire.

Observations essentielles.

Pour faire tous ces eſſais, il faut choiſir la terre la plus fine, tandis que pour les gros ouvrages on laiſſe tous les graviers ; avant de piſer les terres qu’on veut éprouver, les perſonnes attentives pourroient faire d’autres petites épreuves pour en reconnoître leur véritable eſſence ou qualité, par exemple, prendre un verre à groſſir les objets, ou une loupe avec lequel on regardera la terre : ce moyen eſt excellent pour s’aſſurer ſi elle contient plus de matière terreuſe que de grains de ſable vif ; étendre ſur une linge blanc ou ſur une feuille de papier un peu de la terre dont on veut faire l’eſſai, enſuite la frotter avec la main contre le linge ou papier ; ſi ces derniers ſont tachés ou ſe ſaliſſent, c’eſt une preuve que la terre eſt bonne à faire du piſé ; mettre dans une toile d’un tiſſu ſerré de la terre, en faire une poupée & la ſuſpendre dans un bocal de verre rempli d’une eau fort claire ; après vingt-quatre heures, regarder s’il ſe trouve au fond du bocal de la terre graſſe, onctueuſe ou limon, ce qui indiquera que ſa nature eſt bonne au piſé.

Indépendamment de tous ces ſoins particuliers, on doit faire dans les différens eſſais que je viens d’enſeigner, divers mélanges : prendre moitié de terre graſſe avec moitié de terre maigre, les comprimer enſemble & coter ſous le no. 1 la maſſe de piſé qui en proviendra, enſuite ne mettre qu’un quart de terre franche ou graſſe & trois quarts d’autre aride ou maigre ; les piſer de même & les coter ſous le no. 2 ; ainſi ajoutant ou diminuant la quantité des différentes natures de terre pour les réunir enſemble & en faire pluſieurs petits volumes de la même forme & groſſeur que l’on étiquetera ſous d’autres numéros, on trouvera ſoi-même la juſte proportion du mélange, par conſéquent la quantité des voitures de terre graſſe que l’on devra faire pour pouvoir ſe ſervir de la plus grande quantité de la terre qui ſe trouvera ſur le lieu où l’on aura à bâtir.

Préparation des terres pour faire le pisé.

Toutes les opérations de cet art ſont fort ſimples ; en voici encore la preuve. Il ne s’agit que de piocher dans le ſol, caſſer les mottes avec la tête de la pioche ou avec les pelles pour bien diviſer la terre, la relever en tas, ce qui eſt eſſentiel & expédient, par la raiſon que les ouvriers, jetant toujours leurs pelletées au milieu de ce tas, obligent toutes les petites mottes ou grumeaux de terre, même toutes les plus groſſes pierres ou cailloux à rouler au bas de la circonférence du monceau, d’où un autre ouvrier avec un rateau les retire aiſément.

J’obſerverai que l’intervalle des dents du rateau peut ſe porter juſques à 15 lignes, afin qu’elles laiſſent échapper les pierres ou cailloux de la groſſeur d’une noix même un peu plus, et n’entraînent que ceux qui ſont plus volumineux.

Si la terre que l’on fouille n’a pas la qualité requiſe pour le piſé, ce qui eſt bien rare, & qu’on ſoit obligé d’en faire voiturer une petite portion de meilleure, alors un ouvrier pour le mélange jette en faiſant le monceau deux pelletées de celle-ci que l’on a voiturée pendant le tems que les autres en jettent cinq à ſix, ainſi plus ou moins de l’une ou de l’autre terre ſelon qu’on a reconnu la proportion du mélange qu’il faut faire.

L’on ne prépare de terre ainſi amoncelée que ce que les maçons piſeurs peuvent employer dans la journée ou un peu plus, afin qu’ils n’en manquent pas : mais ſi le tems menace de pluie, il faut avoir près de ſoi quelques planches, paillaſſons ou mauvaiſes toiles pour couvrir le monceau, afin que la pluie ne mouille pas la terre, parce qu’auſſitôt qu’elle a cessé, les ouvriers recommencent à piſer ; ſans cette précaution le travail seroit retardé ; car on doit ſe rappeler ici que l’on ne peut ſe ſervir de la terre que lorſqu’elle n’eſt ni sèche ni mouillée ; ainſi ſi la pluie avoit baigné la terre que l’on a préparée pour le piſé, on ſe trouveroit dans la néceſſité d’attendre qu’elle eût repris l’eſpèce de ſéchereſſe qui lui eſt néceſſaire, ce qui porteroit également préjudice au propriétaire & aux ouvriers, qui reſteroient les bras croiſés ou ſans ouvrage. Cela eſt d’autant plus certain, qu’il eſt impoſſible de maſſiver la terre trempée par la pluie ; au lieu de ſe comprimer par le piſoir, elle ſe corroie dans le moule & ſe réduit en boue, la terre n’étant même qu’un peu trop humectée ne peut ſe piſer ; elle ſe gonfle ſous les coups du piſoir, c’eſt-à-dire, qu’un coup frappé dans une place la fait relever à côté ; de manière que les piſeurs ſe trouvent fort embarrassés, lorſque la terre a plus que ſa fraîcheur naturelle ; il vaut mieux alors cesser le travail que de le continuer.

Il n’en eſt pas de même dans les grandes ſéchereſſes, alors on a la reſſource d’humecter la terre au degré que l’on ſouhaite ; à cet effet, on prend un arroſoir de jardinier auquel eſt adaptée ſa grille percée d’une infinité de petits troux, & avec cet outil qui devient ici fort précieux, on n’arroſe pas la terre que l’on veut employer tout de ſuite au piſé & qui ſe trouve trop sèche ; je veux dire, qu’on ne la baigne pas d’eau, mais on l’aſperge ſeulement au moyen de la grille de l’arroſoir, enſuite on la remue fortement ; lorſqu’elle eſt bien mêlée, on la tranſporte au moule où les piſeurs travaillent.

On ſe reſſouviendra que j’ai dit qu’il faut exclure tous les végétaux du piſé ; ainſi ſoit en piochant, ſoit en relevant en tas la terre, il faut choiſir & jeter dehors de la place, où on la prépare, les plus groſſes comme les plus petites racines d’arbres, d’arbriſſeaux & d’herbages, ainſi que tous les brins de paille, de foin, copeaux de bois & généralement tous autres qui peuvent ſe fuſer ou ſe pourrir dans le corps des murs de terre.