Imprimerie Beauregard (p. 9-13).

À TITRE DE PRÉFACE



Mon cher lecteur,


En toute saison ma lyre s’amuse. Elle chante à son gré. Si la romance qu’elle jette au plein air ne t’est pas inconnue, c’est la faute de notre planète, trop vieille, et de trop longtemps peuplée. Dire du neuf n’est guère possible, quand tout le monde écrit depuis une quarantaine de siècles. Seulement, je tiens ceci pour principe : les idées germent dans les cerveaux faits pour les concevoir, et leur destinée est d’être exprimées selon le tempérament de leur générateur, du moins si elles sont honnêtes. Je ne vois pas pourquoi l’on se tairait parce que tout a été dit. Homère répétait ses prédécesseurs ; ses successeurs l’ont pillé. La vie est une imitation constante, plus ou moins longue, plus ou moins heureuse. « Ma fonction est d’être blanc, » s’écrie Pierrot, et il ne croit pas criminel d’imiter la neige, soit-elle de l’Himalaya ou simplement de nos Rocheuses. Ce n’est pas là un grand mérite, diras-tu. Peu importe, si telle est la fonction de Pierrot. Ainsi, comme des milliers d’autres depuis 1763, je crois utile de maintenir et de propager la langue française, la nôtre, au Canada. Je la perpétue et je la répands selon mes moyens, par le livre. Que tous fassent autant dans leur sphère propre, et il n’y aura pas lieu, de craindre l’influence mauvaise des règlements xvii présents et futurs.

Mes « Aromes du Terroir » débutent par une ballade au langage ancestral, sans pour cela m’obliger à célébrer dans chaque vers le parler qui nous vint de France. Cependant, deux pièces exceptées, ma plaquette chante l’idée française. La « Lyre Villageoise » contient des choses vues et vécues dans un hameau des Cantons de l’Est, mais un hameau bien français. Ce sont là des souvenirs de trente ans — le ruisseau est vide aujourd’hui, les rives du lac sont déboisées, il n’est plus temps de confier au serpent l’accompagnement du chant d’église, et enfin la ceinture fléchée de nos pères, joyau d’art domestique dont le secret s’est perdu, se voit surtout dans les musées. Mais où sont les neiges !… Les « Vannages » forment un mélange. Si tu es puriste, ô lecteur ! ne me blâme pas sévèrement d’avoir publié « Chauvinisme, » une galéjade rimée, car ces huitains au rire vantard signifient : « Ma patrie à moi, c’est le Canada, et la patrie est toujours plus belle que le pays voisin ! » N’ai-je pas droit de le dire, même en riant ? N’ai-je pas droit aussi de combattre l’exode des campagnes vers la Ville ? D’autres ont traité ce sujet, je le sais, mais j’ai ma façon à moi de le comprendre et de le traiter.

Je n’aime pas rester coi. Je sais peut-être trop bien quels rejetons l’Oisiveté produit. Puis le besoin de parler est inné chez nous, Français par l’origine, et si des embrumés insulaires nous reprochent nos bavardages, ils ignorent que l’abondance de parole est un signe de la franchise gauloise. Juge alors à quel point le besoin d’écrire est endémique dans l’ambiance d’un ancien journaliste. Je pourrais reprendre l’encrier de fiel et asperger quelqu’une de nos riches floraisons d’abus, mais cela ne changerait rien à l’ordre des choses, et j’en serais pour mes frais de fatigue et de bile. J’écris donc, mais en vers. Je chante au lieu de crier — j’ai du moins le souci de le tenter. Si mon effort est vain, la Prosodie ne s’en porte pas plus mal.

L’inspiration ne se commande pas. Parfois ma lyre s’éloigne du Terroir, mais je ne la querelle pas et ne la force pas à revenir au clocher, dans le guéret ou bien à la charrue, car alors la tâche imposée la rendrait revêche et assombrirait sa beauté de déesse. Libre dans les nuages ou dans les bois, dans les germes du sol ou dans les moissons, elle va où elle veut. Je tâche de la suivre. S’il faut de l’émotion absolument vraie, jusqu’aux larmes, pour l’atteindre, je puis dire sans rougir que j’ai failli la toucher en écrivant la double ballade dédiée au maréchal Joffre. Tous les Canadiens de sang français le comprendront. Cette ballade appartient aux Aromes du Terroir, parce qu’elle est un hommage de la France d’Amérique au sauveur de la France d’Europe, héros entré vivant dans la légende sacrée.

Puisses-tu trouver dans mes vers un souvenir des heures oubliées, et recueillir, assis au coin de ton feu, « réconfort et soulas. » Puisses-tu me pardonner beaucoup, parce que j’aime beaucoup ma province natale, Québec, malgré les dénigreurs, et peut-être bien à cause d’eux.

JULES TREMBLAY.