Arômes du terroir/Chauvinisme

Imprimerie Beauregard (p. 49-52).

Chauvinisme


Pourquoi chercher dans le Vieux-Monde
Des trésors de prime beauté,
Quand notre jeune sol s’émonde
Du trop-plein dont il est doté ?
Pour vanter leurs cimes fameuses,
Les Grecs célébrèrent l’Ida,
Faute d’avoir vu nos Rocheuses
— Nous avons mieux au Canada.


L’Europe nous parle de fleuves ?
Mais, ses fantaisistes ruisseaux
Sécheraient sous les pierres neuves
De nos plus modestes ponceaux !
Une vague d’eaux laurentiennes
Inonderait ces lits, oui-da,
Avec leurs rives anciennes
— Nous avons mieux au Canada.

Qui nous parle des Thermopyles
Et de leur fabuleux assaut ?
Dans les fastes que tu compiles,
Histoire, burine : « Long-Sault ! »
Si, parmi les guerrières chères,
Les Germains eurent Velléda,
Sachons qu’en passant à Verchères,
Nous avons mieux au Canada.

Cherchez dans toutes les patries,
Vous ne verrez rien d’aussi grand
Que la splendeur de nos prairies,
Où le terroir, sans cesse, rend
Les soins qu’on lui donne, en largesses.
Au Midi, ce serait dada
Que faire valoir ces richesses
— Nous avons mieux au Canada.


Au pays qui produit la vigne,
Vous ignorez le « caribou » ;
Et pour vos pêcheurs à la ligne
Notre gougeon serait tabou :
Un poisson blanc du Saint-Maurice
Nourrirait dix ans le Borda.
(Sans que cette gloire périsse,
Nous avons mieux au Canada.)

Jadis, l’Espagne eut caravelles,
Nefs, galions et découvreurs,
Pour livrer des terres nouvelles
À l’appétit d’accapareurs,
D’alguazils et d’autres rosses.
Sans envier cette armada,
Dans le ministère des drosses,
Nous avons mieux au Canada.

Vous évoquez souvent le charme
Des belles des autres pays,
Mais les peuples, de Londres à Parme,
En resteraient tout ébahis
S’ils connaissaient cet œil de flamme
Que pour nous seuls Dieu dérida :
Même au royaume de la femme,
Nous avons mieux au Canada.


Ah ! chez nous, mère, sœur, épouse,
La femme dérobe du Ciel
Tous les divins trésors des Douze,
Et son baiser au goût de miel
Rendrait fou le plus grand stoïque
Qui sur terre vagabonda…
Même en galéjade héroïque,
Nous avons mieux au Canada.

Octobre 1913.