XIII

AIGRES ADIEUX DES DEUX AMIES


Mme de Saint-Aimar fut surprise du prompt retour de Mlle Primerose, qui en général prolongeait ses visites jusqu’à l’heure du dîner quand elle allait à Plaisance.

Madame de Saint-Aimar.

Comment ! déjà de retour, Cunégonde, je ne t’espérais pas de sitôt.

Mademoiselle Primerose.

Je ne resterai pas longtemps ; M. Dormère m’attend.

Madame de Saint-Aimar.

Est-ce que tu ne viens pas de chez lui ?

Mademoiselle Primerose.

Certainement, puisque voici sa nièce que j’amène. Mais je viens chercher ma malle et ma femme de chambre.

Madame de Saint-Aimar, étonnée.

Pourquoi cela ? Pour aller où ?

Mademoiselle Primerose.

Pour aller passer une quinzaine de jours chez mon pauvre cousin, qui est tout seul et qui meurt d’ennui.

Madame de Saint-Aimar.

Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

Mademoiselle Primerose.

Je n’en savais rien ; c’est en le voyant l’œil morne et la tête baissée que j’ai eu l’idée de l’égayer en lui tenant compagnie. Voilà tout. Je laisse Geneviève aux enfants ; je monte pour faire ma malle, prévenir Azéma, et nous partons. »

Mme de Saint-Aimar, un peu surprise, mena Geneviève chez ses enfants. Mlle Primerose bousculait Azéma pour aller plus vite.

Mademoiselle Primerose.

Allons donc, Azéma ; dépêchez-vous. Vous êtes d’une lenteur désespérante.

Azéma.

Mademoiselle emporte-t-elle ses belles robes de soie ?

Mademoiselle Primerose.

Certainement, et les chapeaux, et les coiffures, et les chaussures, et les manteaux de toutes saisons. — Vite, vite, Azéma, vous allez comme une tortue. — Allons, voilà qu’elle marche de côté comme un crabe ! Mais nous n’en finirons pas, ma chère.

Azéma.

Je fais ce que je peux, mademoiselle ; je suis en nage à force de me dépêcher.

Mademoiselle Primerose.

Plus vite, plus vite encore. Mes livres, mon papier, mon buvard, mes tapisseries, mes crayons, mes couleurs, mes pinceaux, fourre tout cela dans la malle et vivement.

Azéma.

Mais mademoiselle jette tout sur les mantelets, les fichus ! Tout va être écrasé, chiffonné à ne pas pouvoir servir.

Mademoiselle Primerose.

Pas du tout ; il n’y a pas loin à aller ; il n’est pas nécessaire d’emballer comme pour un voyage en Chine ; mettez, mettez toujours. »

À force d’entasser robes, chaussures, livres, papiers, parfumeries, etc., la caisse se trouva pleine ; il restait encore une foule d’objets.

Azéma.

Tout est plein, mademoiselle, et il reste encore bien des choses à emballer, linge, coiffures, statuettes, etc.

Mademoiselle Primerose.

Eh bien, allez me chercher une seconde malle ou caisse, cela m’est égal ; allez vite. »

Azéma sortit et rentra en courant et traînant après elle une autre caisse presque aussi grande que la première.

Mademoiselle Primerose.

C’est bien. Voici encore quelques effets ; vous aviez oublié mes robes de chambre, mes boîtes de bijoux, ma toilette de voyage, mes boîtes de couleurs ; mettez les boîtes au fond.

Azéma.

Mademoiselle emporte donc tout ce qu’elle a apporté pour l’été et l’automne ? Il me semble que pour quinze jours…

Mademoiselle Primerose.

Est-ce que je sais le temps que je passerai là-bas ? Peut-être y resterai-je trois mois, six mois ; cela dépendra du bien que je pourrai faire à la pauvre petite et à mon pauvre cousin, qui est si seul. — Là ! À présent appelez du monde pour descendre mes caisses.

Azéma.

Mademoiselle me permettra de faire ma caisse avant de partir ?

Mademoiselle Primerose.

Certainement ; je vous donne dix minutes.

Azéma.

Comment mademoiselle veut-elle que j’aie tout fini dans dix minutes ?

Mademoiselle Primerose.

Vous croyez ? Eh bien, je vous donne un quart d’heure ; pas une minute de plus. »

Azéma sortit en levant les épaules et en se disant : « Je ne serai pas prête avant une heure d’ici ; il faudra bien qu’elle attende. »

Quand Mlle Primerose descendit pour faire ses adieux à son amie, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de demander la voiture.

Mademoiselle Primerose.

Comment, Cornélie, tu n’as pas fait atteler ?

Madame de Saint-Aimar.

Mais non, tu ne m’as rien dit ; je croyais que tu avais la calèche de M. Dormère.

Mademoiselle Primerose.

Pas du tout ; je suis venue à pied. Fais atteler bien vite ; tu aurais bien pu me demander si j’avais besoin de la voiture ; il était clair que je n’emporterais pas mes malles sur mon dos. Tu es toujours comme cela, tu ne penses à rien.

Madame de Saint-Aimar.

Et toi tu disposes de tout comme si tu étais chez toi ; tu mets le désordre dans toute la maison.

Mademoiselle Primerose.

Puisque c’est ainsi, je suis bien aise de ne plus y être.

Madame de Saint-Aimar.

Ce sera un repos pour moi, car tu brouilles tout, et partout.

Mademoiselle Primerose.

Je te remercie du compliment ; je ne le mériterai pas de sitôt. J’ai tout emporté pour m’établir confortablement chez mon cousin Dormère, qui est plus gracieux que toi.

Madame de Saint-Aimar.

Je t’en félicite, mais je plains le pauvre M. Dormère.

Mademoiselle Primerose.

Que tu es aimable, gracieuse, charmante !

Madame de Saint-Aimar.

Je suis sincère, voilà tout ! Adieu, Cunégonde.

Mademoiselle Primerose.

Adieu, Cornélie, et pour longtemps.

Madame de Saint-Aimar.

Comme tu voudras. »

Mme de Saint-Aimar rentra dans l’appartement, pendant que Mlle Primerose courait à l’écurie pour presser le cocher.

Mademoiselle Primerose.

Comment, Félix, pas encore attelé ; c’est odieux d’attendre si longtemps.

Le cocher.

J’ai fait de mon mieux, mademoiselle ; mais il y a à peine un quart d’heure qu’on m’a prévenu. Ma voiture était à moitié lavée, je n’étais pas habillé ; mes chevaux n’avaient pas fini de manger ; ils n’avaient pas encore bu ; ce n’est pas trop d’une heure pour tout cela.

Mademoiselle Primerose.

Ah ! mon Dieu ! que d’embarras pour faire une course de vingt minutes à peine ! Dépêchez-vous, mon cher ; allez plus vivement ; vous êtes d’un nian-nian insoutenable. Je reviens dans un quart d’heure ; il faut que les chevaux soient attelés.

— Il faut, il faut, murmura le cocher mécontent ; je n’irai pas me tuer ni atteler tout de travers pour satisfaire ses caprices, bien sûr. Elle attendra, voilà tout. »

Mlle Primerose appela sa femme de chambre :

« Azéma ! Azéma !

— Mademoiselle ? répondit Azéma passant la tête hors d’une fenêtre du second.

Mademoiselle Primerose.

Mes malles ne sont pas descendues ; où sont-elles ?

Azéma.

Chez mademoiselle ; je finis la mienne ; je descends dans l’instant.

Mademoiselle Primerose.

Mais dépêchez-vous donc ! C’est affreux de me faire attendre si longtemps. »


La voiture était encombrée de paquets.

Enfin les malles furent terminées, descendues, la voiture fut avancée ; on ficela les malles ; Mlle Primerose, oubliant Geneviève, monta dans la voiture encombrée de paquets ; Azéma se plaça à côté du cocher avec une boîte sous ses pieds, un ballot sur ses genoux, un coussin sous son bras, ils se mirent en route pour Plaisance.

M. Dormère reçut Mlle Primerose à son arrivée.

« Et Geneviève ? dit-il.

— Geneviève ! s’écria Mlle Primerose ; je l’ai oubliée : elle joue avec les enfants. »

M. Dormère, étonné et un peu mécontent, appela Pélagie et Rame ; et s’adressant au cocher qui aidait à décharger les malles :

« Attendez un instant, je vous prie ; vous emmènerez Pélagie et Rame qui ramèneront Geneviève à pied. »

Et il lui glissa une pièce de cinq francs dans la main.

Le cocher ôta son chapeau et proposa de ramener Mlle Geneviève en voiture.

« Non, merci, Félix ; elle reviendra à pied ; c’est si près par la traverse. »

Les malles étaient déchargées ; les domestiques les montèrent avec Azéma dans l’appartement de Mlle Primerose, qui restait un peu confuse de son oubli. La voiture de Mme de Saint-Aimar était partie emmenant Pélagie et Rame, indigné que sa petite maîtresse eût été oubliée.

M. Dormère.

Entrez donc, ma cousine ; venez prendre possession de votre chambre.

Mademoiselle Primerose.

Mon cousin, je suis désolée, honteuse d’avoir oublié cette pauvre enfant ; j’ai été si bousculée, si tourmentée à Saint-Aimar, mon amie a été si disgracieuse, que je ne savais où j’en étais. Je n’avais plus la tête à moi.

M. Dormère.

N’y pensez plus, ma cousine, je vous en prie ; Geneviève y aura gagné de passer une heure de plus avec ses amis et de faire une charmante petite promenade en compagnie de sa bonne et de son cher Rame. Elle n’est pas si à plaindre.

Mademoiselle Primerose.

Non, mais je n’en suis pas moins coupable ; oublier votre nièce !

M. Dormère.

Vous ne l’oublierez pas une autre fois. »

M. Dormère prit le bras de Mlle Primerose et la mena dans un joli appartement ayant vue sur la rivière et le parc ; il y avait un salon, une chambre à coucher avec cabinet de toilette et une chambre pour la femme de chambre avec armoires à robes, à linge et tout ce qu’il fallait pour serrer toute espèce de choses.