Aphrodite/Appendice

Slatkine reprints (p. 312-313).



APPENDICE


Page 112. — * Ici s’intercale un passage publié dans L’Esclavage (Mercure de France, 1895-1896), édition préoriginale d’Aphrodite, et que Pierre Louÿs supprima dans les éditions ultérieure.


En chemin, l’enfant lui expliqua brièvement qui était cette femme qu’ils allaient voir ensemble. Les bergères d’Israël, sur les hauteurs boisées où se trouvent les pâturages, restent tout l’été loin des hommes, privées de la chaleur du lit. Le soleil ardent, la longue solitude, le silence et le désœuvrement excitent en elles des désirs qui, faute d’être soulagés, deviennent bientôt intolérables. Pour assouvir cette soif atroce de leur corps, pour inonder cette brûlure qui les tient éveillées la nuit, elles n’ont qu’un mâle auprès d’elles, leur bouc lascif, toujours dans leurs bras nus ; mais ce n’est pas sans effroi qu’elles s’offrent à lui, car leur dieu défend les unions stériles, et les femmes surprises sous des animaux sont lapidées par les prêtres. Chimairis était bergère sur les montagnes du Carmel quand elle rencontra près d’une source une jeune paysanne phénicienne, gardeuse de chèvres elle aussi, et qui la convertit à la foi d’Astarté. Elle apprit ainsi qu’on l’avait trompée en la persuadant d’obéir à une interdiction divine ; et depuis ce jour les deux jeunes filles arrêtèrent leurs troupeaux nomades devant une caverne écartée où elles pénétraient chaque soir, traînant un grand bouc par les cornes, pour satisfaire à leur passion. À peu de temps de là, la Palestine ayant été conquise par les troupes de Pompée, Chimairis et son amie furent enlevées par des soldats romains, et si brutalement violées par tant d’hommes en une nuit, que la Phénicienne en mourut. La juive avait fait vœu, si elle survivait, d’entretenir sept ans un bouc dans un temple de la déesse, et sortie vivante de ce stupre acharné, elle se vendit aux recruteurs des jardins d’Alexandrie.

Melitta dit toute cette histoire à Démétrios qui n’écoutait pas. Elle ajouta même le récit des malheurs de Chimairis depuis son arrivée au temple, le discrédit jeté sur elle par le bouc noir qui vivait dans sa chambre, le petit nombre des amants à qui ce rival ne répugnait point, la ruine enfin survenue avec la vente de sa maison, et le sort misérable où elle était réduite, de donner en spectacle ses amours bestiales pour gagner les pièces d’argent dont elle avait besoin pour vivre.

Tu peux le lui demander, dit Melitta. Je l’ai payée pour cela, un soir, et bien d’autres courtisanes comme moi. On la loue quelquefois quand on donne une fête. Il paraît que les Trente-Six sont encore bien pis, dans le Cotytteion ; mais dans les jardins c’est assez rare. Tu vois qu’ici aussi nous avons deux morales.