Société du Mercure de France (p. vii-viii).

AVANT-PROPOS


Au moment de mettre la dernière main à une œuvre nouvelle à laquelle plusieurs années auront été consacrées, ce n’est pas sans quelque émotion que l’auteur a repris, pour en préparer une nouvelle édition, ces trois pièces vieilles la première de huit ans, la troisième de six ans… Grande humani aevi spatium !…

L’expérience de la représentation théâtrale n’aura certainement pas été inutile à l’auteur, tant pour de nouveaux travaux que pour la revision des trois parties de la Légende d’Antonia. Quelques-uns de ces neuf actes (les seconds actes du Chevalier du Passé et de la Fin d’Antonia, en particulier) ont été bien accueillis du public ; d’autres parties, le plus grand nombre, ont été moins heureuses ; parmi les causes multiples d’insuccès de certaines scènes, il faut évidemment compter ces imprudences de langage qu’un public de deux cents ou de deux mille personnes assemblées accepte difficilement. Presque chaque fois, la correction s’imposait. Mais, sauf une exception, rien d’essentiel, rien d’important n’a été changé ; et ces trois pièces restent bien, avec quelques modifications de détail, celles qui ont été jadis présentées au public.

Dans un appendice, l’auteur a donné quelques indications nouvelles pour servir à la représentation des trois tragédies. En revoyant en effet ces pièces après six, sept et huit ans, et tout en rendant compte des graves inégalités et des témérités grammaticales que la critique peut leur reprocher, il y a retrouvé l’émotion de lyrisme qui lui a autrefois semblé les animer, et il lui a été impossible de les juger indignes d’intéresser le public. Le drame romantique, avec ses péripéties tumultueuses, n’est pas la seule forme acceptable du drame ; et, pour avoir de moins nombreuses représentations, la tragédie a su et saura encore émouvoir et instruire la foule.

Mais combien d’œuvres de jeunesse ont dû attendre, pour avoir leur jour, que leurs auteurs aient abondamment cessé d’être « des jeunes » !

Et puisse, le jour où Antonia reparaîtra devant la foule, puisse-t-il se retrouver des interprètes tels qu’ont été les deux créateurs, différents l’un de l’autre, si admirables tous deux, — Mlle Mellot, le miraculeux instrument où vécut et chanta avec la plus noble fidélité l’esprit du poème, et si belle, et si harmonieuse ! — M. Lugné-Poe, qui, pour ses débuts dans les rôles lyriques, sut donner (avec l’absence de voix qu’il faut !) cette expression du sentiment intérieur tant rêvée par quelques poètes.


Mars 1899.