Anthropologie (trad. Tissot)/Avis du traducteur

Traduction par Joseph Tissot.
Librairie Ladrange (p. v-xi).




AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR


L’Anthropologie pratique, – ou plutôt pragmatique, comme dit Kant, afin de mieux distinguer par là le point de vue intéressé de nos actions du point de vue moral proprement dit, — est l’un des ouvrages les plus populaires de l’auteur. Sans cesser d’être original, profond, Kant fait ici, comme dans ses Observations sur le Beau et le Sublime, preuve d’un esprit de finesse et d’ironie humoristique qui donne un attrait tout particulier à son ouvrage. Fruit d’un esprit éminent et d’un observateur qui a vu beaucoup et longtemps, l’Anthropologie comptait déjà quatre éditions allemandes en 1833. Aujourd’hui qu’il y en a cinq au moins, il était temps que cet ouvrage, l’un des plus français du grand penseur, par le fond comme par le tour d’esprit fût traduit dans notre langue. Malgré la fidélité scrupuleuse avec laquelle nous avons rendu jusqu’au mouvement de la pensée, nous espérons que l’intérêt qui s’attache à tant d’observations judicieuses n’en sera pas moins senti.

Kant avait longtemps fait des leçons sur cette matière. Elles étaient très suivies ; et comme le public en désirait vivement la publication, il se trouva des auditeurs plus empressés que le professeur même à répondre à cette attente. Il existe donc au moins trois traités d’anthropologie pratique sous le même nom. Starke en a publié deux en 1831 : l’un, beaucoup plus court que l’autre, ne semble être qu’un recueil de notes succinctes prises au cours de l’auteur, et a pour titre Imm. Kant’s Anweisung zur Menschen und Weltkenntniss : l’autre est intitulé Imm. Kant’s Menschenkunde oder philosophische Anthropologie. La première de ces publications n’est donnée que comme une sorte d’introduction qui aurait été recueillie aux cours d’hiver de 1790-91. La seconde serait faite sur des leçons manuscrites, sans distinction de temps, et sans même qu’il soit dit, dans le titre du moins, si ces manuscrits étaient ceux de Kant, ou ceux de quelqu’un de ses auditeurs. Cette dernière édition contient, dit Starke, un chapitre de plus que l’Anthropologie que nous publions, et qui a pour objet la peine et le plaisir intellectuels (le vingt-quatrième sans doute, qui a cependant son équivalent dans l’Anthropologie publiée par Kant). Ce chapitre fut, dit-on, perdu dans le trajet de Kœnigsberg à Iéna, où Kant faisait imprimer. Indépendamment de ces deux publications de Starke, ayant pour objet l’Anthropologie de Kant, il en existe une troisième donnée par Hippel, ami de Kant, sous le titre de : Taschenbuch für Menschenkenntniss und Menschenbesserung, qui contient ce qu’il y a de plus curieux dans l’Anthropologie de Kant, sans du reste qu’on lui en fasse honneur. C’est là, en effet, un procédé d’ami, puisqu’entre amis tout est commun. Une quatrième publication du même genre, mais faite cette fois par un ami moins intime, ou du moins chez lequel l’affection ne nuisait ni au respect ni la justice, par Rink, porte le nom de Kant.

L’Anthropologie dont nous donnons la traduction n’est aucune des quatre dont nous venons de parler ; c’est celle qui parut en 1798, à Kœnigsberg chez Nicolovius, et qui fut tirée à 2,000 exemplaires, par les soins mêmes de Kant. Ce fut sa dernière publication. La première édition ne fut pas deux ans à s’écouler, et l’auteur put la revoir et en préparer une seconde, qui parut en 1800, également tirée à 2,000 exemplaires. C’est cette dernière qu’ont reproduite MM. Rosenkranz et Schubert, et celle que nous avons traduite. S’ils n’ont pas suivi celle de 1820, la troisième, c’est, disent-ils, qu’elle n’était qu’une reproduction de la seconde, avec des fautes de plus. Les éditeurs de 1833 avaient égaiement suivi la seconde édition[1].

Les divers morceaux qui constituent l’appendice ne sont pas moins remarquables par l’humour et par toutes les autres qualités qui distinguent l’esprit de Kant que l’ouvrage principal. Ils mentaient d’autant plus d’être traduits et mis à leur place qu’un certain nombre ont aujourd’hui, par le temps de spiritisme qui court, un vrai mérite d’actualité.

La Lettre sur Swedenborg fut publiée pour la première fois par Borowski dans la Biographie de Kant, d’après le manuscrit original. Elle parut ensuite dans les Mélanges donnés, en 1807, par Tieftrunk chez Nicolovius (t. IV, p. 362-370). Il est intéressant, dit M. Schubert, auquel nous empruntons ces renseignements bibliographiques et d’autres parties encore, de comparer la marche circonspecte, presque incertaine de Kant, lorsqu’il doit donner un jugement demandé sur des phénomènes racontés par lui-même et dont il s’était enquis depuis peu, et le jugement très déci sif qu’il porte quarante ans plus tard sur Swedenborg et ses compagnons dans l’Anthropologie, § 35 et 37.

Le fragment qui a pour objet les Maladies de l’esprit parut pour la première fois dans le Journal politique et littéraire de Kœnigsberg dont Kant était l’un des collaborateurs, en 1764, nos 4 à 8. Il fut ensuite recueilli dans les Mélanges publiés en 1807.

Les Rêves d’un visionnaire expliqués par les rêves de la métaphysique furent d’abord publiés à Riga, en 1766, sans nom d’auteur. Cet ouvrage et l’Histoire naturelle et générale du Ciel en 1758, sont les seuls qu’il n’ait pas signés. Il se retrouve dans les Mélanges donnés par Voigt, Kœnigsb., 1797 (t. II, p. 379-478), et dans ceux de Tieftrunk (t. II, p. 247-346). Le lecteur attentif remarquera sans peine, quoique le thème soit singulièrement déguisé, l’importance de ce fragment, comme révélation de la grande entreprise de Kant, de fonder la métaphysique et de frayer une nouvelle voie à la philosophie spéculative en général.

Le morceau sur la Superstition et ses Remèdes se compose d’observations communiquées par l’auteur à Borowski, lorsque celui-ci écrivait son ouvrage sur le fameux aventurier Cagliostro. Elles furent insérées, avec l’agrément de Kant, dans cet ouvrage, publié à Kœnigsberg en 1790, d’où Borowski les fit passer dans la Biographie de Kant (p. 226-234). Elles ont été reproduites aussi dans les Mélanges de Tieftrunk.

Les observations de Kant, sur l’Organe de l’Âme, furent suggérées par l’écrit du célèbre anatomiste Sommering, sur l’Organe de l’Âme, ouvrage accompagné de trois planches, publié à Kœnigsberg en 1796, et qui avait été soumis en manuscrit à notre philosophe. Elles furent imprimées à la suite, comme appendice, p. 81-86, avec ces quelques mots d’avertissement de Soemmering : « L’orgueil de notre siècle, Kant, a bien voulu non seulement approuver l’idée qui domine dans cet ouvrage, mais l’étendre, l’épurer, la perfectionner. Il veut bien m’autoriser à couronner mon travail par ses propres paroles. Ces remarques passèrent ensuite dans les recueils de Voigt (t. II, p. 559-568) et de Tieftrunk (t. III, p. 291-300).

Quant au dernier fragment, de l’Empire de l’Âme sur la douleur corporelle, publié en 1797, quoiqu’il fasse partie des œuvres complètes données par Rosenkranz et Schubert, comme troisième partie de l’opuscule plus général qui porte le titre de Conflit des facultés, j’ai cru devoir suivre l’édition qui en fut donnée par Hufeland, en y ajoutant l’avant-propos et les notes de cet illustre médecin, Je n’ai pas pu revoir la traduction de cette partie additionnelle sur le texte allemand, parce que j’avais donné ce texte à un médecin de mes amis, désireux d’apprendre l’allemand et la philosophie tout à la fois, et qu’il ne m’est pas revenu. Cet ami voulut bien, à ma recommandation, traduire le morceau dont il s’agit. C’est cette traduction de M. le docteur Gérard, mort victime de son zèle à l’époque où le choléra désolait la ville de Gray, dont je donne aujourd’hui une seconde édition, mais bien améliorée. Elle parut d’abord dans la Revue de la Côte-d’Or et de l’ancienne Bourgogne (tome II, 1836, p. 357-377).


J. TISSOT.


Dijon, le 10 juin 1863.




ERRATA.

Page 41, ligne 17, au lieu de füer lisez für.

Page 454, ligne 7. supprimez, pour éviter l’équivoque, de la Convention française.


Notes de Kant modifier

  1. V. les Kleine anthrop.-praktische Schriften, p. xvi-xviii par F.-W. Schubert.

Notes du traducteur modifier